ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
11 avril 2013 (*)
«Politique sociale – Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées – Directive 2000/78/CE – Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail – Articles 1er, 2 et 5 – Différence de traitement fondée sur le handicap – Licenciement – Existence d’un handicap – Absences du salarié en raison de son handicap – Obligation d’aménagement – Travail à temps partiel – Durée du délai de préavis»
Dans les affaires jointes C‑335/11 et C‑337/11,
ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Sø- og Handelsretten (Danemark), par décisions du 29 juin 2011, parvenues à la Cour le 1er juillet 2011, dans la procédure
HK Danmark, agissant pour Jette Ring,
contre
Dansk almennyttigt Boligselskab (C‑335/11),
et
HK Danmark, agissant pour Lone Skouboe Werge,
contre
Dansk Arbejdsgiverforening agissant pour Pro Display A/S, en faillite (C‑337/11),
LA COUR (deuxième chambre),
composée de Mme R. Silva de Lapuerta, président de chambre, M. K. Lenaerts, vice-président de la Cour, faisant fonction de juge de la deuxième chambre, MM. G. Arestis, A. Arabadjiev (rapporteur) et J. L. da Cruz Vilaça, juges,
avocat général: Mme J. Kokott,
greffier: Mme C. Strömholm, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 18 octobre 2012,
considérant les observations présentées:
– pour HK Danmark, agissant pour Mme Ring, par Me J. Goldschmidt, advokat,
– pour HK Danmark, agissant pour Mme Skouboe Werge, par Me M. Østergård, advokat,
– pour Dansk almennyttigt Boligselskab, par Mes C. Emmeluth et L. Greisen, advokater,
– pour Dansk Arbejdsgiverforening agissant pour Pro Display A/S, par Mes T. Skyum et L. Greisen, advokater,
– pour le gouvernement danois, initialement par M. C. Vang, puis par Mme V. Pasternak Jørgensen, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement belge, par Mme L. Van den Broeck, en qualité d’agent,
– pour l’Irlande, par M. D. O’Hagan, en qualité d’agent, assisté de M. C. Power, BL,
– pour le gouvernement hellénique, par Mme D. Tsagkaraki, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mme C. Gerardis, avvocato dello Stato,
– pour le gouvernement polonais, par M. M. Szpunar ainsi que par Mmes J. Faldyga et M. Załęka, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme K. Smith, barrister,
– pour la Commission européenne, par Mme M. Simonsen et M. J. Enegren, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 décembre 2012,
rend le présent
Arrêt
1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation des articles 1er, 2 et 5 de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JO L 303, p. 16).
2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de deux litiges opposant, d’une part, HK Danmark (ci-après «HK»), agissant pour Mme Ring, à Dansk almennyttigt Boligselskab (ci-après «DAB») et, d’autre part, HK, agissant pour Mme Skouboe Werge, à Dansk Arbejdsgiverforening agissant pour Pro Display A/S, en faillite (ci-après «Pro Display»), au sujet de la légalité du licenciement de Mmes Ring et Skouboe Werge.
Le cadre juridique
Le droit international
3 La convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, qui a été approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 2010/48/CE du Conseil, du 26 novembre 2009 (JO 2010, L 23, p. 35, ci-après la «convention de l’ONU»), énonce, à son considérant e):
«reconnaissant que la notion de handicap évolue et que le handicap résulte de l’interaction entre des personnes présentant des incapacités et les barrières comportementales et environnementales qui font obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres».
4 Aux termes de l’article 1er de cette convention:
«La présente convention a pour objet de promouvoir, protéger et assurer la pleine et égale jouissance de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales par les personnes handicapées et de promouvoir le respect de leur dignité intrinsèque.
Par personnes handicapées, on entend des personnes qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres.»
5 Selon l’article 2, quatrième alinéa, de ladite convention, «on entend par ‘aménagement raisonnable’ les modifications et ajustements nécessaires et appropriés n’imposant pas de charge disproportionnée ou indue apportés, en fonction des besoins dans une situation donnée, pour assurer aux personnes handicapées la jouissance ou l’exercice, sur la base de l’égalité avec les autres, de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales».
Le droit de l’Union
6 Les considérants 6 et 8 de la directive 2000/78 prévoient:
«(6) La charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs reconnaît l’importance de la lutte contre les discriminations sous toutes leurs formes, y compris la nécessité de prendre des mesures appropriées en faveur de l’intégration sociale et économique des personnes âgées et des personnes handicapées.
[…]
(8) Les lignes directrices pour l’emploi en 2000, approuvées par le Conseil européen de Helsinki les 10 et 11 décembre 1999, soulignent la nécessité de promouvoir un marché du travail favorable à l’insertion sociale en formulant un ensemble cohérent de politiques destinées à lutter contre la discrimination à l’égard de groupes tels que les personnes handicapées. Elles soulignent également la nécessité d’accorder une attention particulière à l’aide aux travailleurs âgés pour qu’ils participent davantage à la vie professionnelle.»
7 Aux termes des considérants 16 et 17 de ladite directive:
«(16) La mise en place de mesures destinées à tenir compte des besoins des personnes handicapées au travail remplit un rôle majeur dans la lutte contre la discrimination fondée sur un handicap.
(17) La présente directive n’exige pas qu’une personne qui n’est pas compétente, ni capable ni disponible pour remplir les fonctions essentielles du poste concerné ou pour suivre une formation donnée soit recrutée, promue ou reste employée ou qu’une formation lui soit dispensée, sans préjudice de l’obligation de prévoir des aménagements raisonnables pour les personnes handicapées.»
8 Les considérants 20 et 21 de la même directive sont libellés comme suit:
«(20) Il convient de prévoir des mesures appropriées, c’est-à-dire, des mesures efficaces et pratiques destinées à aménager le poste de travail en fonction du handicap, par exemple en procédant à un aménagement des locaux ou à une adaptation des équipements, des rythmes de travail, de la répartition des tâches ou de l’offre de moyens de formation ou d’encadrement.
(21) Afin de déterminer si les mesures en question donnent lieu à une charge disproportionnée, il convient de tenir compte notamment des coûts financiers et autres qu’elles impliquent, de la taille et des ressources financières de l’organisation ou de l’entreprise et de la possibilité d’obtenir des fonds publics ou toute autre aide.»
9 Aux termes de son article 1er, la directive 2000/78 «a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, [le] handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement».
10 L’article 2 de ladite directive, intitulé «Concept de discrimination», prévoit:
«1. Aux fins de la présente directive, on entend par ‘principe de l’égalité de traitement’ l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1er.
2. Aux fins du paragraphe 1:
a) une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er;
b) une discrimination indirecte se produit lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’une religion ou de convictions, d’un handicap, d’un âge ou d’une orientation sexuelle donnés, par rapport à d’autres personnes, à moins que:
i) cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires, ou que
ii) dans le cas des personnes d’un handicap donné, l’employeur ou toute personne ou organisation auquel s’applique la présente directive ne soit obligé, en vertu de la législation nationale, de prendre des mesures appropriées conformément aux principes prévus à l’article 5 afin d’éliminer les désavantages qu’entraîne cette disposition, ce critère ou cette pratique.
[…]»
11 L’article 5 de la même directive, intitulé «Aménagements raisonnables pour les personnes handicapées», est rédigé comme suit:
«Afin de garantir le respect du principe de l’égalité de traitement à l’égard des personnes handicapées, des aménagements raisonnables sont prévus. Cela signifie que l’employeur prend les mesures appropriées, en fonction des besoins dans une situation concrète, pour permettre à une personne handicapée d’accéder à un emploi, de l’exercer ou d’y progresser, ou pour qu’une formation lui soit dispensée, sauf si ces mesures imposent à l’employeur une charge disproportionnée. Cette charge n’est pas disproportionnée lorsqu’elle est compensée de façon suffisante par des mesures existant dans le cadre de la politique menée dans l’État membre concerné en faveur des personnes handicapées.»
Le droit danois
12 L’article 2 de la loi relative aux rapports juridiques entre employeurs et employés (lov om retsforholdet mellem arbejdsgivere og funktionærer, ci-après la «FL») énonce:
«1. Il ne peut être mis fin au contrat de travail entre un employeur et un travailleur salarié que moyennant préavis suivant les conditions édictées ci-dessous. Ces dispositions sont applicables au contrat de travail à durée déterminée auquel il est mis fin avant son terme.
2. La durée du préavis de l’employeur doit être:
1o) d’un mois, jusqu’au dernier jour du mois suivant, au cours des six premiers mois d’ancienneté;
2o) de trois mois, jusqu’au dernier jour du mois suivant, lorsque l’ancienneté est supérieure à six mois.
3. Le délai de préavis prévu au paragraphe 2, 2o), ci-dessus est majoré d’un mois pour chaque tranche de trois ans d’ancienneté, sans pouvoir excéder six mois.»
13 L’article 5 de la FL, qui prévoit notamment que le travailleur salarié a droit au maintien de sa rémunération en cas d’absence pour cause de maladie, dispose:
«1. Si un travailleur salarié n’est pas en mesure, pour raison de maladie, de s’acquitter de ses fonctions, la faute de service qui en résulte sera considérée comme couverte par un empêchement légitime, à moins que, postérieurement à la conclusion du contrat de travail, il n’ait contracté la maladie à la suite d’une faute intentionnelle ou d’une faute lourde ou que, lors de l’embauche, il n’ait dissimulé, dans une intention de fraude, le fait qu’il était atteint de la maladie en question.
2. Le contrat de travail écrit peut toutefois prévoir que la durée du préavis ne sera que d’un mois à effet du dernier jour du mois suivant si, au cours des douze derniers mois, le travailleur salarié a été absent pour cause de maladie avec maintien de la rémunération pendant 120 jours. Le licenciement est valable s’il intervient immédiatement à l’issue de la période de 120 jours d’absence pour cause de maladie et que le travailleur salarié est toujours en arrêt maladie; le fait que le travailleur salarié retourne sur son lieu de travail après la décision de licenciement est sans incidence sur sa validité.»
14 La directive 2000/78 a été transposée en droit national par la loi no 1417, modifiant la loi relative au principe de non-discrimination sur le marché du travail (lov nr. 1417 om ændring af lov om forbud mod forskelsbehandling på arbejdsmarkedet m. v.), du 22 décembre 2004 (ci-après la «loi anti-discrimination»). L’article 2 bis de la loi anti-discrimination prévoit:
«L’employeur prend les mesures appropriées, en fonction des besoins dans une situation concrète, pour permettre à une personne handicapée d’accéder à un emploi, de l’exercer ou d’y progresser, ou pour qu’une formation lui soit dispensée, sauf si ces mesures imposent à l’employeur une charge disproportionnée. Cette charge n’est pas disproportionnée lorsqu’elle est compensée de façon suffisante par des mesures publiques.»
Les litiges au principal et les questions préjudicielles
15 En 1996, Mme Ring a été embauchée par la société d’habitation à loyers modérés Boligorganisationen Samvirke à Lyngby, puis, à compter du 17 juillet 2000, par DAB, qui a repris cette société. Mme Ring a été absente à plusieurs reprises entre le 6 juin 2005 et le 24 novembre 2005. Les certificats médicaux indiquent, notamment, qu’elle souffre de douleurs permanentes au niveau de la colonne dorsolombaire qui ne peuvent être traitées. Aucun pronostic n’a pu être fait en ce qui concerne la perspective de reprise d’une activité professionnelle à plein temps.
16 Par lettre de DAB du 24 novembre 2005, Mme Ring a été informée de son licenciement, conformément à l’article 5, paragraphe 2, de la FL.
17 Il ressort du dossier dont la Cour dispose que l’espace de travail a été aménagé après ce licenciement. DAB a présenté un devis, en date du 3 septembre 2008, pour un budget total d’«environ 305 000 DKK (+ une marge)», concernant «un guichet de réception et quelques postes de travail à l’arrière» ainsi que le «remplacement du revêtement du sol» et l’installation de «plateaux de travail réglables en hauteur».
18 Le 1er février 2006, Mme Ring a commencé un nouveau travail en qualité d’hôtesse d’accueil auprès de la société ADRA Danmark, à concurrence de 20 heures par semaine. Les parties au principal dans l’affaire C‑335/11 s’accordent sur le fait que son poste de travail est ordinaire et comporte, notamment, une table de travail ajustable en hauteur.
19 Mme Skouboe Werge, quant à elle, a été embauchée en 1998 par Pro Display en qualité de secrétaire assistante de direction. Le 19 décembre 2003, elle a été victime d’un accident de la circulation et a souffert du «coup du lapin». Elle a alors été placée en arrêt maladie pendant environ trois semaines. Elle n’a ensuite été absente pour cause de maladie que quelques jours. Le 4 novembre 2004, le directeur comptable de Pro Display a adressé un courrier électronique au personnel l’informant que, en accord avec elle, Mme Skouboe Werge serait placée en arrêt maladie à temps partiel pendant quatre semaines, période où elle travaillerait environ quatre heures par jour. Pro Display s’est fait rembourser le salaire de Mme Skouboe Werge à hauteur des indemnités de maladie.
20 Le lundi 10 janvier 2005, Mme Skouboe Werge a été placée en arrêt maladie à temps plein. Par courrier électronique du 14 janvier 2005, elle a fait savoir au directeur administratif de Pro Display qu’elle était toujours très souffrante et qu’elle devait consulter un spécialiste le même jour. Un rapport médical établi le 17 janvier 2005 constate qu’elle a consulté ce jour et a déclaré être incapable de travailler depuis le 10 janvier 2005. Le médecin a estimé que cette incapacité de travail durerait encore un mois. Dans un rapport médical daté du 23 février 2005, ce médecin constate ne pas pouvoir se prononcer sur la durée de l’incapacité de travail.
21 Par lettre du 21 avril 2005, Mme Skouboe Werge a été informée de son licenciement avec un préavis d’un mois prenant fin le 31 mai 2005.
22 Mme Skouboe Werge a suivi une procédure d’évaluation auprès de l’administration de l’emploi de Randers, qui a conclu qu’elle était capable de travailler environ huit heures par semaine à un rythme lent. Elle a été placée, au mois de juin 2006, en invalidité en raison de son incapacité de travail. En 2007, l’Arbejdsskadestyrelsen (Office national d’accidents du travail et des maladies professionnelles) a fixé le taux de lésion de Mme Skouboe Werge à 10 % et le taux d’incapacité à 50 %, réévalué ensuite à 65 %.
23 Agissant au nom et pour le compte des deux requérantes au principal, HK, un syndicat de travailleurs, a saisi le Sø- og Handelsretten d’une action en réparation contre les employeurs de celles-ci sur la base de la loi anti-discrimination. HK affirme que ces deux employées étaient atteintes d’un handicap et que leurs employeurs respectifs étaient tenus de leur proposer une réduction du temps de travail, en vertu de l’obligation de procéder à des aménagements prévue à l’article 5 de la directive 2000/78. HK affirme également que l’article 5, paragraphe 2, de la FL ne peut trouver application envers ces deux travailleurs car leurs absences pour cause de maladie résultent de leurs handicaps.
24 Dans les deux affaires au principal, les employeurs contestent que l’état de santé des requérantes au principal relève de la notion de «handicap» au sens de la directive 2000/78 car la seule incapacité qui les affecte est qu’elles ne sont pas en mesure d’exercer un emploi à temps plein. Ils contestent également que la réduction du temps de travail relève des mesures envisagées par l’article 5 de cette directive. Enfin, les employeurs font valoir que, en cas d’absences pour cause de maladie en raison d’un handicap, le licenciement d’un travailleur handicapé en application de l’article 5, paragraphe 2, de la FL ne constitue pas une discrimination et n’est donc pas contraire à ladite directive.
25 La juridiction de renvoi relève que, au point 45 de l’arrêt du 11 juillet 2006, Chacón Navas (C‑13/05, Rec. p. I‑6467), la Cour a affirmé que, pour que la limitation de la capacité de participer à la vie professionnelle relève de la notion de «handicap», il doit être probable qu’elle soit de longue durée.
26 Dans ces conditions, le Sø- og Handelsretten a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes, qui sont formulées dans des termes identiques dans les affaires C‑335/11 et C‑337/11:
«1) a) La notion de ‘handicap’, au sens de la directive 2000/78 […], est-elle applicable à toute personne qui, en raison d’atteintes physiques, mentales ou psychiques, ne peut accomplir son travail pendant une période satisfaisant à la condition de durée visée au point 45 de l’arrêt [Chacón Navas, précité], ou ne peut le faire que de façon limitée?
b) Un état pathologique causé par une maladie médicalement constatée comme incurable peut-il relever de la notion de handicap au sens de cette directive?
c) Un état pathologique causé par une maladie médicalement constatée comme curable peut-il relever de la notion de handicap au sens de ladite directive?
2) Une incapacité permanente ne nécessitant pas l’utilisation d’équipements spéciaux ou autres et qui se traduit pour l’essentiel par le fait que la personne qui en est atteinte n’est pas en mesure de travailler à plein temps, relève-t-elle de la notion de handicap au sens de la directive 2000/78?
3) La réduction du temps de travail peut-elle constituer l’une des mesures visées par l’article 5 de la directive 2000/78?
4) La directive 2000/78 fait-elle obstacle à l’application d’une loi nationale suivant laquelle un employeur peut mettre fin au contrat de travail avec un préavis réduit si le travailleur, qui doit être considéré comme handicapé au sens de ladite directive, a été en arrêt maladie avec maintien du salaire pendant 120 jours en tout au cours des douze derniers mois lorsque:
a) les absences du travailleur sont la conséquence de son handicap?
ou
b) les absences du travailleur sont imputables au fait que l’employeur n’a pas pris les mesures concrètes nécessaires pour qu’une personne handicapée puisse exercer son emploi?»
27 Par ordonnance du président de la Cour du 4 août 2011, les affaires C‑335/11 et C‑337/11 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.
Sur les questions préjudicielles
Observations liminaires
28 À titre liminaire, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 216, paragraphe 2, TFUE, lorsque des accords internationaux sont conclus par l’Union européenne, les institutions de l’Union sont liées par de tels accords et, par conséquent, ceux-ci priment les actes de l’Union (arrêt du 21 décembre 2011, Air Transport Association of America e.a., C‑366/10, Rec. p. I‑13755, point 50 ainsi que jurisprudence citée).
29 Il convient également de rappeler que la primauté des accords internationaux conclus par l’Union sur les textes de droit dérivé commande d’interpréter ces derniers, dans la mesure du possible, en conformité avec ces accords (arrêt du 22 novembre 2012, Digitalnet e.a., C‑320/11, C‑330/11, C‑382/11 et C‑383/11, point 39 ainsi que jurisprudence citée).
30 Il ressort de la décision 2010/48 que l’Union a approuvé la convention de l’ONU. Par conséquent, les dispositions de cette convention font partie intégrante, à partir de l’entrée en vigueur de celle-ci, de l’ordre juridique de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 30 avril 1974, Haegeman, 181/73, Rec. p. 449, point 5).
31 Par ailleurs, il ressort de l’appendice à l’annexe II de ladite décision que, concernant l’autonomie et l’inclusion sociale, le travail et l’emploi, la directive 2000/78 figure parmi les actes de l’Union ayant trait aux questions régies par la convention de l’ONU.
32 Il s’ensuit que la directive 2000/78 doit faire l’objet, dans la mesure du possible, d’une interprétation conforme à ladite convention.
33 C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient de répondre aux questions posées à la Cour par la juridiction de renvoi.
Sur les première et deuxième questions
34 Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la notion de «handicap» visée par la directive 2000/78 doit être interprétée en ce sens qu’elle inclut l’état de santé d’une personne qui, en raison d’atteintes physiques, mentales ou psychiques, ne peut accomplir son travail, ou ne peut l’accomplir que de façon limitée, pendant une période qui sera probablement longue ou de manière permanente. Elle demande, en outre, si cette notion doit être interprétée en ce sens qu’un état pathologique causé par une maladie médicalement constatée comme incurable peut relever d’une telle notion, qu’un état pathologique causé par une maladie médicalement constatée comme curable peut également relever de ladite notion et que la nature des mesures que doit prendre l’employeur est déterminante pour considérer que l’état de santé d’une personne relève de cette même notion.
35 À titre liminaire, il convient de relever que, ainsi qu’il ressort de son article 1er, la directive 2000/78 a pour objet d’établir un cadre général pour lutter, en ce qui concerne l’emploi et le travail, contre les discriminations fondées sur l’un des motifs visés à cet article, au nombre desquels figure le handicap (voir arrêt Chacón Navas, précité, point 41). Conformément à son article 3, paragraphe 1, sous c), cette directive s’applique, dans les limites des compétences conférées à l’Union, à toutes les personnes, en ce qui concerne notamment les conditions de licenciement.
36 Il convient de rappeler que la notion de «handicap» n’est pas définie par la directive 2000/78 elle-même. C’est ainsi que la Cour, au point 43 de l’arrêt Chacón Navas, précité, a jugé que cette notion doit être entendue comme visant une limitation, résultant notamment d’atteintes physiques, mentales ou psychiques et entravant la participation de la personne concernée à la vie professionnelle.
37 Pour sa part, la convention de l’ONU, ratifiée par l’Union par décision du 26 novembre 2009, soit après le prononcé de l’arrêt Chacón Navas, précité, reconnaît à son considérant e) que «la notion de handicap évolue et que le handicap résulte de l’interaction entre des personnes présentant des incapacités et les barrières comportementales et environnementales qui font obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres». Ainsi, l’article 1er, second alinéa, de cette convention stipule que sont des personnes handicapées celles «qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres».
38 Eu égard aux considérations mentionnées aux points 28 à 32 du présent arrêt, la notion de «handicap» doit être entendue comme visant une limitation, résultant notamment d’atteintes physiques, mentales ou psychiques, dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à la pleine et effective participation de la personne concernée à la vie professionnelle sur la base de l’égalité avec les autres travailleurs.
39 En outre, il ressort de l’article 1er, second alinéa, de la convention de l’ONU que les incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles doivent être «durables».
40 Il convient d’ajouter encore que, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 32 de ses conclusions, il n’apparaît pas que la directive 2000/78 vise à couvrir seulement les handicaps de naissance ou d’origine accidentelle en excluant ceux causés par une maladie. En effet, il irait à l’encontre de l’objectif même de cette directive, qui est de mettre en œuvre l’égalité de traitement, d’admettre que celle-ci puisse s’appliquer en fonction de l’origine du handicap.
41 Dès lors, il y a lieu de constater que, si une maladie curable ou incurable entraîne une limitation, résultant notamment d’atteintes physiques, mentales ou psychiques, dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à la pleine et effective participation de la personne concernée à la vie professionnelle sur la base de l’égalité avec les autres travailleurs et si cette limitation est de longue durée, une telle maladie peut relever de la notion de «handicap» au sens de la directive 2000/78.
42 En revanche, une maladie n’entraînant pas une telle limitation ne relève pas de la notion de «handicap» au sens de la directive 2000/78. En effet, la maladie en tant que telle ne peut être considérée comme un motif venant s’ajouter à ceux au titre desquels la directive 2000/78 interdit toute discrimination (voir arrêt Chacón Navas, précité, point 57).
43 La circonstance que la personne concernée ne puisse accomplir son travail que de façon limitée ne constitue pas un obstacle à ce que l’état de santé de cette personne relève de la notion de «handicap». Contrairement à ce que font valoir DAB et Pro Display, un handicap n’implique pas nécessairement l’exclusion totale du travail ou de la vie professionnelle.
44 À cet égard, il y a lieu de considérer que la notion de «handicap», telle qu’elle résulte du point 38 du présent arrêt, doit être entendue comme visant une gêne à l’exercice d’une activité professionnelle et non, ainsi que le font valoir DAB et Pro Display, comme une impossibilité d’exercer une telle activité. L’état de santé d’une personne handicapée apte à travailler, serait-ce à temps partiel, est donc susceptible de relever de la notion de «handicap». Une interprétation telle que celle proposée par DAB et Pro Display serait d’ailleurs incompatible avec l’objectif de la directive 2000/78 qui vise notamment à ce qu’une personne handicapée puisse accéder à un emploi ou l’exercer.
45 En outre, le constat de l’existence d’un handicap ne dépend pas de la nature des mesures d’aménagement, telles que l’utilisation d’équipements spéciaux. Il y a lieu à cet égard de constater que la définition de la notion de «handicap» au sens de l’article 1er de la directive 2000/78 précède la détermination et l’appréciation des mesures d’aménagement appropriées envisagées à l’article 5 de celle-ci.
46 Conformément au considérant 16 de la directive 2000/78, de telles mesures visent à tenir compte des besoins des personnes handicapées. Elles sont donc la conséquence et non l’élément constitutif de la notion de handicap. De même, les mesures ou les aménagements envisagés au considérant 20 de cette directive permettent de respecter l’obligation qui découle de l’article 5 de ladite directive, mais ne sont applicables qu’à la condition d’être en présence d’un handicap.
47 Il découle des considérations qui précèdent qu’il convient de répondre aux première et deuxième questions que la notion de «handicap» visée par la directive 2000/78 doit être interprétée en ce sens qu’elle inclut un état pathologique causé par une maladie médicalement constatée comme curable ou incurable dès lors que cette maladie entraîne une limitation, résultant notamment d’atteintes physiques, mentales ou psychiques, dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à la pleine et effective participation de la personne concernée à la vie professionnelle sur la base de l’égalité avec les autres travailleurs, et que cette limitation est de longue durée. La nature des mesures que doit prendre l’employeur n’est pas déterminante pour considérer que l’état de santé d’une personne relève de cette notion.
Sur la troisième question
48 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5 de la directive 2000/78 doit être interprété en ce sens que la réduction du temps de travail peut constituer l’une des mesures d’aménagement visées à cet article.
49 Ainsi que l’énonce ledit article, l’employeur est tenu de prendre des mesures appropriées, notamment, pour permettre à une personne handicapée d’accéder à un emploi, de l’exercer ou d’y progresser. À cet égard, le considérant 20 de ladite directive procède à une énumération non exhaustive de telles mesures, ces dernières pouvant être d’ordre physique, organisationnel et/ou éducatif.
50 Il y a lieu de relever que ni l’article 5 de la directive 2000/78 ni le considérant 20 de celle-ci ne mentionnent la réduction du temps de travail. Il convient toutefois d’interpréter la notion de «rythmes de travail», qui figure audit considérant, afin de déterminer si l’aménagement du temps de travail est susceptible de relever de cette notion.
51 DAB et Pro Display font valoir à cet égard que ladite notion vise des éléments tels que l’organisation du rythme et des cadences du travail, par exemple dans le cadre d’un processus de production, ainsi que des pauses, de manière à soulager autant que faire se peut la charge du travailleur handicapé.
52 Toutefois, il ne ressort ni du considérant 20 ni d’aucune autre disposition de la directive 2000/78 que le législateur de l’Union ait entendu limiter la notion de «rythmes de travail» à de tels éléments et en exclure l’aménagement des horaires, en particulier la possibilité, pour les personnes handicapées qui ne sont pas ou plus dans la capacité de travailler à temps plein, d’effectuer leur travail à temps partiel.
53 Conformément à l’article 2, quatrième alinéa, de la convention de l’ONU, les «aménagements raisonnables» sont «les modifications et ajustements nécessaires et appropriés n’imposant pas de charge disproportionnée ou indue apportés, en fonction des besoins dans une situation donnée, pour assurer aux personnes handicapées la jouissance ou l’exercice, sur la base de l’égalité avec les autres, de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales». Il s’ensuit que ladite disposition préconise une définition large de la notion d’«aménagement raisonnable».
54 Ainsi, s’agissant de la directive 2000/78, cette notion doit être entendue comme visant l’élimination des diverses barrières qui entravent la pleine et effective participation des personnes handicapées à la vie professionnelle sur la base de l’égalité avec les autres travailleurs.
55 Dès lors que, d’une part, le considérant 20 de la directive 2000/78 et l’article 2, quatrième alinéa, de la convention de l’ONU envisagent des mesures non seulement matérielles, mais également organisationnelles et, d’autre part, le terme «rythme» de travail doit être entendu comme la cadence ou l’allure à laquelle s’effectue le travail, il ne peut être exclu qu’une diminution du temps de travail puisse constituer l’une des mesures d’aménagement visées à l’article 5 de cette directive.
56 Il convient par ailleurs de relever que l’énumération de mesures appropriées destinées à aménager le poste de travail en fonction du handicap, contenue au considérant 20 de la directive 2000/78, n’est pas exhaustive et, partant, la réduction du temps de travail, même si elle ne relevait pas de la notion de «rythmes de travail», peut être considérée comme une mesure d’aménagement visée à l’article 5 de cette directive dans des cas où la réduction du temps de travail permet au travailleur de pouvoir continuer à exercer son emploi, conformément à l’objectif visé par ledit article.
57 Il y a lieu, toutefois, de rappeler que, selon son considérant 17, la directive 2000/78 n’exige pas qu’une personne qui n’est pas compétente, ni capable, ni disponible pour remplir les fonctions essentielles du poste concerné soit recrutée, promue ou reste employée, sans préjudice de l’obligation de prévoir des aménagements raisonnables pour les personnes handicapées, parmi lesquels figure une éventuelle réduction de leur temps de travail.
58 Par ailleurs, il convient de relever que, conformément à l’article 5 de ladite directive, les aménagements auxquels les personnes handicapées peuvent prétendre doivent être raisonnables, en ce sens qu’ils ne doivent pas constituer une charge disproportionnée pour l’employeur.
59 Dans les affaires au principal, il incombe donc au juge national d’apprécier si la réduction du temps de travail en tant que mesure d’aménagement représente une charge disproportionnée pour les employeurs.
60 Ainsi qu’il ressort du considérant 21 de la directive 2000/78, il convient à cet égard de tenir compte notamment des coûts financiers et autres qu’une telle mesure implique, de la taille et des ressources financières de l’entreprise et de la possibilité d’obtenir des fonds publics ou toute autre aide.
61 Il y a lieu de rappeler que, dans le cadre de la procédure visée à l’article 267 TFUE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, toute appréciation des faits de la cause relève de la compétence de la juridiction nationale. Toutefois, afin de donner à celle-ci une réponse utile, la Cour peut, dans un esprit de coopération avec les juridictions nationales, lui fournir toutes les indications qu’elle juge nécessaires (arrêt du 15 avril 2010, Sandström, C‑433/05, Rec. p. I‑2885, point 35 et jurisprudence citée).
62 Peut constituer un élément pertinent aux fins de cette appréciation la circonstance, relevée par la juridiction de renvoi, que, immédiatement après le licenciement de Mme Ring, DAB a fait passer une annonce d’offre d’emploi pour un(e) employé(e) de bureau à temps partiel, à savoir 22 heures par semaine, dans son agence régionale de Lyngby. Il ne ressort du dossier soumis à la Cour aucun élément permettant d’établir que Mme Ring n’était pas capable d’occuper ce poste à temps partiel ou de comprendre les raisons justifiant qu’il ne lui a pas été proposé. En outre, la juridiction de renvoi a indiqué que Mme Ring a commencé, peu de temps après son licenciement, un nouveau travail en qualité d’hôtesse d’accueil auprès d’une autre société et que la durée réelle du temps de travail était de 20 heures par semaine.
63 Par ailleurs, ainsi que l’a relevé le gouvernement danois au cours de l’audience, le droit danois prévoit la possibilité d’octroyer aux entreprises des aides publiques pour les aménagements ayant pour objet de faciliter l’accès des personnes handicapées au marché du travail, notamment des initiatives qui ont pour but d’inciter les employeurs à engager et à maintenir en fonction des personnes souffrant d’un handicap.
64 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la troisième question que l’article 5 de la directive 2000/78 doit être interprété en ce sens que la réduction du temps de travail peut constituer l’une des mesures d’aménagement visées à cet article. Il incombe au juge national d’apprécier si, dans les circonstances des affaires au principal, la réduction du temps de travail en tant que mesure d’aménagement représente une charge disproportionnée pour l’employeur.
Sur la quatrième question, sous b)
65 Par sa quatrième question, sous b), la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 2000/78 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une disposition nationale qui prévoit qu’un employeur peut mettre fin au contrat de travail avec un préavis réduit si le travailleur handicapé concerné a été absent pour cause de maladie avec maintien de la rémunération pendant 120 jours au cours des douze derniers mois lorsque ces absences sont la conséquence de l’omission, par l’employeur, de prendre les mesures appropriées conformément à l’obligation de prévoir des aménagements raisonnables prévue à l’article 5 de cette directive.
66 Il y a lieu de constater que la circonstance qu’un employeur ait omis de prendre lesdites mesures est susceptible d’avoir pour effet, eu égard à l’obligation qui découle de l’article 5 de la directive 2000/78, que les absences d’un travailleur handicapé soient imputées à une carence de l’employeur et non au handicap du travailleur.
67 Au cas où la juridiction nationale constaterait que l’absence des travailleurs est, en l’espèce, imputable au défaut d’adoption par l’employeur des mesures d’aménagement appropriées, la directive 2000/78 s’opposerait à l’application d’une disposition nationale telle que celle en cause dans les affaires au principal.
68 Au vu des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la quatrième question, sous b), que la directive 2000/78 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une disposition nationale qui prévoit qu’un employeur peut mettre fin au contrat de travail avec un préavis réduit si le travailleur handicapé concerné a été absent pour cause de maladie avec maintien de la rémunération pendant 120 jours au cours des douze derniers mois lorsque ces absences sont la conséquence de l’omission, par l’employeur, de prendre les mesures appropriées conformément à l’obligation de prévoir des aménagements raisonnables prévue à l’article 5 de cette directive.
Sur la quatrième question, sous a)
69 Par sa quatrième question, sous a), la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 2000/78 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une disposition nationale qui prévoit qu’un employeur peut mettre fin au contrat de travail avec un préavis réduit si le travailleur handicapé concerné a été absent pour cause de maladie avec maintien de la rémunération pendant 120 jours au cours des douze derniers mois lorsque ces absences sont la conséquence de son handicap.
70 Il y a lieu de considérer que, par cette question, la juridiction de renvoi vise l’hypothèse où l’article 5, paragraphe 2, de la FL est appliqué à une personne handicapée à la suite d’une absence pour cause de maladie imputable en tout ou partie à son handicap et non à l’omission de l’employeur de prendre les mesures appropriées conformément à l’obligation de prévoir des aménagements raisonnables prévue à l’article 5 de la directive 2000/78.
71 Ainsi que l’a affirmé la Cour au point 48 de l’arrêt Chacón Navas, précité, un traitement désavantageux fondé sur le handicap ne va à l’encontre de la protection visée par la directive 2000/78 que pour autant qu’il constitue une discrimination au sens de l’article 2, paragraphe 1, de celle-ci. En effet, le travailleur handicapé relevant de cette directive doit être protégé contre toute discrimination par rapport à un travailleur qui ne l’est pas. Il se pose donc la question de savoir si la disposition nationale en cause au principal est susceptible d’entraîner une discrimination à l’encontre des personnes handicapées.
72 S’agissant de la question de savoir si la disposition en cause au principal contient une différence de traitement fondée sur le handicap, il y a lieu de relever que l’article 5, paragraphe 2, de la FL, qui porte sur les absences pour cause de maladie, s’applique de manière identique aux personnes handicapées et aux personnes non handicapées ayant été absentes plus de 120 jours pour ce motif. Dans ces conditions, il ne saurait être considéré que cette disposition instaure une différence de traitement directement fondée sur le handicap, au sens des dispositions combinées des articles 1er et 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2000/78.
73 À cet égard, il convient de relever qu’une personne dont l’employeur met fin au contrat de travail avec un préavis réduit exclusivement pour cause de maladie ne relève pas du cadre général établi en vue de lutter contre la discrimination fondée sur le handicap par la directive 2000/78 (voir, par analogie, arrêt Chacón Navas, précité, point 47).
74 Il y a lieu dès lors de constater que l’article 5, paragraphe 2, de la FL ne contient pas de discrimination directe fondée sur le handicap dans la mesure où il se fonde sur un critère qui n’est pas indissociablement lié au handicap.
75 S’agissant de la question de savoir si ladite disposition est susceptible d’entraîner une différence de traitement indirectement fondée sur le handicap, il y a lieu de relever que la prise en compte des jours d’absence pour cause de maladie liée au handicap dans le calcul des jours d’absence pour cause de maladie revient à assimiler une maladie liée à un handicap à la notion générale de maladie. Or, ainsi que la Cour l’a affirmé au point 44 de l’arrêt Chacón Navas, précité, une assimilation pure et simple de la notion de «handicap» à celle de «maladie» est exclue.
76 Il convient à cet égard de constater qu’un travailleur handicapé est plus exposé au risque de se voir appliquer le délai de préavis réduit prévu à l’article 5, paragraphe 2, de la FL qu’un travailleur valide. En effet, ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé au point 67 de ses conclusions, en comparaison avec un travailleur valide, un travailleur handicapé est exposé au risque supplémentaire d’une maladie liée à son handicap. Il est ainsi exposé à un risque accru de cumuler les jours d’absence pour cause de maladie et, partant, d’atteindre la limite de 120 jours prévue à l’article 5, paragraphe 2, de la FL. Il apparaît donc que la règle des 120 jours prévue à cette disposition est susceptible de désavantager les travailleurs handicapés et ainsi d’entraîner une différence de traitement indirectement fondée sur le handicap au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2000/78.
77 Conformément au point i) de ladite disposition, il convient d’examiner si cette différence de traitement est objectivement justifiée par un objectif légitime, si les moyens mis en œuvre pour réaliser celui-ci sont appropriés et s’ils n’excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi par le législateur danois.
78 S’agissant de l’objectif de l’article 5, paragraphe 2, de la FL, le gouvernement danois souligne qu’il s’agit d’inciter les employeurs à embaucher et à maintenir dans leur emploi des travailleurs présentant un risque particulier d’absences répétées pour cause de maladie en leur permettant de procéder plus tard au licenciement de ces derniers avec un préavis réduit, si l’absence tend à être de très longue durée. En contrepartie, ces travailleurs pourraient garder leur emploi pendant la durée de leur maladie.
79 Ce gouvernement relève que ladite règle ménage donc les intérêts de l’employeur et du travailleur et s’inscrit dans la droite ligne de la régulation générale du marché du travail danois, qui repose sur une combinaison entre, d’une part, la flexibilité et la liberté contractuelle et, d’autre part, la protection des travailleurs.
80 DAB et Pro Display précisent que la règle des 120 jours prévue à l’article 5, paragraphe 2, de la FL est considérée comme protectrice pour les travailleurs malades, car un employeur ayant consenti à son applicabilité serait généralement enclin à attendre plus longtemps avant de procéder au licenciement d’un tel travailleur.
81 Il convient de rappeler que les États membres disposent d’une large marge d’appréciation dans le choix non seulement de la poursuite d’un objectif déterminé en matière de politique sociale et de l’emploi, mais également dans la définition des mesures susceptibles de le réaliser (voir, en ce sens, arrêts du 5 juillet 2012, Hörnfeldt, C‑141/11, point 32, et du 6 décembre 2012, Odar, C‑152/11, point 47).
82 La Cour a déjà jugé que la promotion de l’embauche constitue incontestablement un objectif légitime de politique sociale ou de l’emploi des États membres et que cette appréciation doit à l’évidence s’appliquer à des instruments de politique du marché du travail national visant à améliorer les chances d’insertion dans la vie active de certaines catégories de travailleurs (voir arrêt du 16 octobre 2007, Palacios de la Villa, C‑411/05, Rec. p. I‑8531, point 65). De même, une mesure prise afin de favoriser la flexibilité du marché du travail peut être considérée comme une mesure relevant de la politique de l’emploi.
83 Partant, des objectifs de la nature de ceux indiqués par le gouvernement danois peuvent, en principe, être considérés comme justifiant objectivement, dans le cadre du droit national, ainsi que le prévoit l’article 2, paragraphe 2, sous b), i), de la directive 2000/78, une différence de traitement fondée sur le handicap, telle que celle résultant de l’article 5, paragraphe 2, de la FL.
84 Encore faut-il vérifier si les moyens mis en œuvre pour réaliser ces objectifs sont appropriés et nécessaires et s’ils n’excèdent pas ce qui est requis pour atteindre ceux-ci.
85 Le gouvernement danois considère que l’article 5, paragraphe 2, de la FL permet d’atteindre de la manière la plus appropriée, d’une part, l’objectif de permettre l’embauche et le maintien dans l’emploi de personnes ayant, au moins potentiellement, une capacité de travail réduite ainsi que, d’autre part, l’objectif supérieur d’un marché du travail flexible, conventionnel et sûr.
86 DAB et Pro Display précisent à cet égard que, selon la réglementation danoise sur les indemnités en cas de maladie, l’employeur qui verse la rémunération au travailleur en arrêt maladie a droit au remboursement des indemnités de maladie de la part des autorités municipales du lieu de résidence du travailleur. Toutefois, le droit à ces indemnités serait limité à 52 semaines et leur montant serait inférieur à la rémunération réelle. Dans ces conditions, les dispositions de l’article 5, paragraphe 2, de la FL assureraient un équilibre raisonnable entre les intérêts opposés de l’employé et de l’employeur, en ce qui concerne les absences pour cause de maladie.
87 Compte tenu de la large marge d’appréciation reconnue aux États membres dans le choix non seulement de la poursuite d’un objectif déterminé en matière de politique sociale et de l’emploi, mais également dans la définition des mesures susceptibles de le réaliser, il n’apparaît pas déraisonnable pour ceux-ci d’estimer qu’une mesure telle que la règle des 120 jours prévue à l’article 5, paragraphe 2, de la FL puisse être appropriée pour atteindre les objectifs évoqués précédemment.
88 En effet, il peut être admis que ladite règle, en prévoyant le droit de recourir à un préavis d’une durée réduite pour procéder au licenciement des travailleurs absents pour cause de maladie pendant plus de 120 jours ait, à l’égard des employeurs, un effet incitatif à l’embauche et au maintien en fonction.
89 Afin d’examiner si la règle des 120 jours prévue à l’article 5, paragraphe 2, de la FL excède ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis, il convient de replacer cette disposition dans le contexte dans lequel elle s’inscrit et de prendre en considération le préjudice qu’elle est susceptible d’occasionner aux personnes visées (voir, en ce sens, arrêt Odar, précité, point 65).
90 Il incombe à cet égard à la juridiction de renvoi d’examiner si le législateur danois, en poursuivant les objectifs légitimes de la promotion de l’embauche des personnes malades, d’une part, et d’un équilibre raisonnable entre les intérêts opposés de l’employé et de l’employeur en ce qui concerne les absences pour cause de maladie, d’autre part, a omis de tenir compte d’éléments pertinents qui concernent, en particulier, les travailleurs handicapés.
91 Il convient à cet égard de ne pas méconnaître le risque encouru par les personnes atteintes d’un handicap, lesquelles rencontrent en général davantage de difficultés que les travailleurs valides pour réintégrer le marché de l’emploi et ont des besoins spécifiques liés à la protection que requiert leur état (voir, en ce sens, arrêt Odar, précité, points 68 et 69).
92 Au vu des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la quatrième question, sous a), que la directive 2000/78 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une disposition nationale qui prévoit qu’un employeur peut mettre fin au contrat de travail avec un préavis réduit si le travailleur handicapé concerné a été absent pour cause de maladie avec maintien de la rémunération pendant 120 jours au cours des douze derniers mois lorsque ces absences sont la conséquence de son handicap, sauf si cette disposition, tout en poursuivant un objectif légitime, n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier.
Sur les dépens
93 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:
1) La notion de «handicap» visée par la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, doit être interprétée en ce sens qu’elle inclut un état pathologique causé par une maladie médicalement constatée comme curable ou incurable dès lors que cette maladie entraîne une limitation, résultant notamment d’atteintes physiques, mentales ou psychiques, dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à la pleine et effective participation de la personne concernée à la vie professionnelle sur la base de l’égalité avec les autres travailleurs, et que cette limitation est de longue durée. La nature des mesures que doit prendre l’employeur n’est pas déterminante pour considérer que l’état de santé d’une personne relève de cette notion.
2) L’article 5 de la directive 2000/78 doit être interprété en ce sens que la réduction du temps de travail peut constituer l’une des mesures d’aménagement visées à cet article. Il incombe au juge national d’apprécier si, dans les circonstances des affaires au principal, la réduction du temps de travail en tant que mesure d’aménagement représente une charge disproportionnée pour l’employeur.
3) La directive 2000/78 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une disposition nationale qui prévoit qu’un employeur peut mettre fin au contrat de travail avec un préavis réduit si le travailleur handicapé concerné a été absent pour cause de maladie avec maintien de la rémunération pendant 120 jours au cours des douze derniers mois lorsque ces absences sont la conséquence de l’omission, par l’employeur, de prendre les mesures appropriées conformément à l’obligation de prévoir des aménagements raisonnables prévue à l’article 5 de cette directive.
4) La directive 2000/78 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une disposition nationale qui prévoit qu’un employeur peut mettre fin au contrat de travail avec un préavis réduit si le travailleur handicapé concerné a été absent pour cause de maladie avec maintien de la rémunération pendant 120 jours au cours des douze derniers mois lorsque ces absences sont la conséquence de son handicap, sauf si cette disposition, tout en poursuivant un objectif légitime, n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier.