ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)
7 juin 2012
«Renvoi préjudiciel — Non-reconnaissance, dans la réglementation nationale, du droit à un recours juridictionnel contre les décisions infligeant une sanction pécuniaire ainsi que le retrait de points du permis de conduire pour certaines infractions aux règles de la circulation routière — Situation purement interne — Irrecevabilité de la demande»
Dans l’affaire C‑27/11,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Administrativen sad Sofia-grad (Bulgarie), par décision du 27 décembre 2010, parvenue à la Cour le 17 janvier 2011, dans la procédure
Anton Vinkov
contre
Nachalnik Administrativno-nakazatelna deynost,
LA COUR (huitième chambre),
composée de Mme A. Prechal, président de chambre, Mme C. Toader (rapporteur) et M. E. Jarašiūnas, juges,
avocat général: Mme J. Kokott,
greffier: M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées:
– pour le gouvernement néerlandais, par Mmes C. Wissels et B. Koopman, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par MM. R. Troosters et V. Savov, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 2 du protocole no 7 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signé à Strasbourg le 22 novembre 1984 (ci-après le «protocole no 7»), 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte»), ainsi que 67 TFUE, 82 TFUE et 91, paragraphe 1, sous c), TFUE, de la convention établie sur la base de l’article K.3 du traité sur l’Union européenne, relative aux décisions de déchéance du droit de conduire, dont l’adoption par les États membres a été recommandée par acte du Conseil du 17 juin 1998 (JO C 216, p. 2, ci-après la «convention relative à la déchéance du droit de conduire»), de l’accord sur la coopération dans le cadre des procédures relatives aux infractions routières et de l’exécution des sanctions pécuniaires y relatives, approuvé le 28 avril 1999 par le comité exécutif institué par la convention d’application de l’accord de Schengen (JO 2000, L 239, p. 428, ci-après l’«accord de coopération»), et de la décision-cadre 2005/214/JAI du Conseil, du 24 février 2005, concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux sanctions pécuniaires (JO L 76, p. 16, ci-après la «décision-cadre»).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Vinkov, ressortissant bulgare, au Nachalnik Administrativno-nakazatelna deynost au sujet d’une décision de la police de la route bulgare lui infligeant une sanction pécuniaire de 20 BGN ainsi que le retrait de plusieurs points de son permis de conduire.
Le cadre juridique
Le protocole no 7
3 Le protocole no 7 énonce à son article 2, relatif au droit à un double degré de juridiction en matière pénale:
«1. Toute personne déclarée coupable d’une infraction pénale par un tribunal a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité ou la condamnation. L’exercice de ce droit, y compris les motifs pour lesquels il peut être exercé, sont régis par la loi.
2. Ce droit peut faire l’objet d’exceptions pour des infractions mineures telles qu’elles sont définies par la loi […]»
Le droit de l’Union
La convention relative à la déchéance du droit de conduire
4 L’article 2 de la convention relative à la déchéance du droit de conduire prévoit:
«Les États membres s’engagent à coopérer, conformément aux dispositions de la présente convention, afin que les conducteurs qui sont déchus de leur droit de conduire dans un État membre autre que celui où ils ont leur résidence normale ne puissent se soustraire aux effets de la déchéance lorsqu’ils quittent l’État de l’infraction.»
5 Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, de ladite convention:
«L’État de l’infraction notifie sans tarder à l’État de résidence toute décision de déchéance du droit de conduire prononcée pour une infraction commise dans les circonstances décrites en annexe.»
6 Selon l’article 8, paragraphe 1, de la même convention, cette notification est assortie d’une série d’informations concernant notamment les dispositions applicables dans l’État membre où a eu lieu l’infraction et sur le fondement desquelles celle-ci a été constatée ainsi que sur l’état d’exécution de la décision de déchéance.
7 Aux termes du paragraphe 3 dudit article 8:
«Si l’information communiquée [par l’État de l’infraction à l’État de résidence] est jugée insuffisante pour qu’une décision [de déchéance] puisse être prise conformément à la présente convention, et notamment lorsque, eu égard aux circonstances particulières, des doutes existent sur la question de savoir si la personne concernée a eu des possibilités suffisantes pour mener sa défense, les autorités compétentes de l’État de résidence demandent aux autorités compétentes de l’État de l’infraction de fournir sans délai le complément d’information nécessaire.»
L’accord de coopération
8 L’article 2, paragraphe 1, de l’accord de coopération est libellé comme suit:
«Les Parties contractantes s’engagent à s’accorder mutuellement la coopération la plus large possible dans le cadre des procédures relatives aux infractions routières et de l’exécution des décisions en la matière, conformément aux dispositions du présent Accord.»
9 L’article 6, paragraphe 1, dudit accord dispose:
«Dans le cadre du présent Accord, la transmission de l’exécution des décisions pourra exclusivement être demandée si les conditions suivantes sont réunies:
a) toutes les voies de recours contre la décision ont été épuisées et la décision est exécutoire sur le territoire de la Partie contractante requérante;
[…]
d) la décision concerne une personne ayant son domicile ou sa résidence habituelle sur le territoire de la Partie contractante requise;
e) le montant de l’amende infligée s’élève à 40 euros au moins.
[…]»
La décision-cadre
10 Aux termes de l’article 1er, sous a), de la décision-cadre, on entend par «décision» «toute décision infligeant à titre définitif une sanction pécuniaire à une personne physique ou morale, lorsque la décision a été rendue par […] une juridiction de l’État d’émission en raison d’une infraction pénale au regard du droit de l’État d’émission».
11 L’article 4, paragraphe 1, de cette même décision-cadre dispose qu’une telle décision de sanction «peut être transmise aux autorités compétentes d’un État membre dans lequel la personne physique ou morale à l’encontre de laquelle la décision a été prononcée possède des biens ou des revenus, a sa résidence habituelle ou son siège statutaire, s’il s’agit d’une personne morale».
12 L’article 5, paragraphe 1, de la décision-cadre prévoit que les décisions qui portent sur les infractions aux règles de la circulation routière «[d]onnent lieu à la reconnaissance et à l’exécution […], aux conditions de la présente décision-cadre et sans contrôle de la double incrimination du fait […], si elles sont punies dans l’État d’émission et telles qu’elles sont définies par le droit de l’État d’émission».
13 À cette fin, l’article 20, paragraphe 3, de ladite décision-cadre dispose:
«Chaque État membre peut, lorsque le certificat visé à l’article 4 donne à penser que des droits fondamentaux ou des principes juridiques fondamentaux définis par l’article 6 du traité [UE] ont pu être violés, s’opposer à la reconnaissance et à l’exécution de la décision. […]»
Le droit bulgare
Le code de procédure civile
14 L’article 628, paragraphe 1, du code de procédure civile prévoit:
«Lorsque l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union ou de la validité d’un acte pris par les organes de l’Union européenne est nécessaire pour que le litige soit réglé de manière appropriée, la juridiction bulgare adresse une demande de décision préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne.»
15 En vertu de l’article 629, une juridiction de dernière instance est tenue d’introduire une demande de décision préjudicielle en interprétation lorsque cela s’avère nécessaire pour la solution du litige dont elle est saisie. S’il s’agit d’une demande en appréciation de validité, toutes les juridictions sont obligées d’introduire le renvoi préjudiciel devant la Cour.
La loi sur la circulation routière
16 L’article 157, paragraphe 4, de la loi sur la circulation routière prévoit:
«Le conducteur à qui tous ses points ont été retirés est déchu du droit de conduire et est obligé de restituer son permis auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures.»
17 Conformément au paragraphe 5 dudit article 157, la personne qui est déchue du droit de conduire peut, six mois après la restitution du permis, être admise à passer un examen pour acquérir de nouveau le droit de conduire.
18 L’article 171 de la même loi dispose que, parmi les mesures administratives coercitives applicables en matière de maintien de la sécurité routière, figure le «retrait du permis de conduire de la personne qui ne se serait pas acquittée de son obligation en vertu de l’article 157, paragraphe 4».
19 Aux termes de l’article 189, paragraphe 5, de la loi sur la circulation routière:
«Les décisions infligeant une sanction administrative [‘nakazatelni postanovleniya’] d’un montant inférieur ou égal à 50 [BGN] sont insusceptibles de recours.»
Le décret relatif au permis à points
20 L’article 2, paragraphe 1, du décret no IЗ-1959, du 27 décembre 2007, relatif à la détermination du montant initial maximal du nombre de points du permis à points des conducteurs de véhicules à moteur, ainsi qu’aux conditions, à la procédure et à la liste des infractions routières permettant leur retrait, prévoit:
«Lors de la délivrance initiale du permis de conduire pour un véhicule à moteur, son détenteur reçoit un solde de départ maximal de 39 points permettant la comptabilisation des infractions définies par la loi sur la circulation routière dont il aura été l’auteur.»
21 L’article 3, paragraphes 1 et 2, de ce même décret est libellé comme suit:
«1. Les points sont retirés sur la base d’une décision infligeant une sanction administrative [‘nakazatelno postanovlenie’] à titre définitif.
2. Lors de la détermination des sanctions relatives à des infractions administratives désignées dans [ce] décret, la décision infligeant une sanction administrative indique le nombre des points retirés et restants.»
22 Aux termes de l’article 4, paragraphe 2, dudit décret:
«Le fait de causer fautivement un accident de la circulation entraîne un retrait supplémentaire de 4 points.»
La loi relative aux infractions et aux sanctions administratives
23 L’article 63, paragraphes 1 et 2, de la loi relative aux infractions et aux sanctions administratives (Zakon za administrativnite narusheniya i nakazaniya) prévoit:
«1. Le Rayonen sad [tribunal régional], siégeant à juge unique, connaît du fond de l’affaire et statue par une décision qui peut confirmer, modifier ou infirmer la décision infligeant une sanction administrative. La décision est susceptible d’un pourvoi en cassation devant l’Administrativen sad [tribunal administratif] […].
2. Dans les cas prévus par la loi, le tribunal peut mettre un terme à la procédure par une ordonnance […] susceptible de recours […]»
Le litige au principal et les questions préjudicielles
24 En effectuant une manœuvre en marche arrière sur un parking situé à Sofia (Bulgarie), M. Vinkov a heurté un autre véhicule.
25 À la suite de cet accident, il a fait l’objet d’une décision du Nachalnik Administrativno-nakazatelna deynost v otdel «Patna politsiya» na Stolichna direktsiya na vatreshnite raboti (directeur des sanctions administratives au service «police de la route» auprès de la direction des affaires intérieures de la Région capitale), lequel a constaté qu’il était responsable d’un «accident de la circulation sans gravité» et lui a infligé une amende d’un montant de 20 BGN ainsi que le retrait de quatre points de son permis de conduire.
26 M. Vinkov a formé un recours contre ladite décision devant le Sofiyski rayonen sad (tribunal régional de Sofia), qui a rejeté ce recours par une ordonnance le déclarant irrecevable. Ce tribunal a considéré que, en vertu des dispositions applicables en l’espèce, notamment l’article 189, paragraphe 5, de la loi sur la circulation routière, une décision infligeant une sanction pécuniaire inférieure à 50 BGN ne peut pas faire l’objet d’un recours juridictionnel.
27 M. Vinkov a attaqué cette ordonnance devant l’Administrativen sad Sofia-grad, lequel est, en vertu de l’article 63 de la loi sur la circulation routière, juge de cassation dans les affaires ayant pour objet des décisions infligeant une sanction administrative.
28 Dans sa décision de renvoi, ladite juridiction relève qu’il ressort des dispositions nationales applicables, telles qu’interprétées par le Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême), que les recours contre des décisions infligeant la sanction du retrait de points du permis de conduire peuvent être déclarés irrecevables faute d’intérêt à agir. Selon la jurisprudence de cette dernière juridiction, la législation bulgare définit le retrait de points du permis de conduire non pas comme une sanction administrative autonome ni comme une mesure administrative coercitive, mais comme une mesure qui doit être automatiquement appliquée par les autorités de police, lesquelles ne disposent que d’une compétence liée en ce domaine. Dès lors, la décision prévoyant une telle sanction, prise à la suite d’une infraction aux règles de la circulation routière, est attaquable uniquement lorsqu’elle inflige également une sanction pécuniaire supérieure à 50 BGN.
29 Toutefois, l’Administrativen sad Sofia-grad souligne que, conformément à l’article 157, paragraphe 4, de la loi sur la circulation routière, en cas de retrait de la totalité des points du permis, qui peut résulter du cumul de décisions de retrait insusceptibles de recours, le conducteur est automatiquement déchu du droit de conduire et doit restituer son permis aux autorités nationales compétentes.
30 Compte tenu de ces éléments, la juridiction de renvoi s’interroge sur la question de savoir si les dispositions du droit de l’Union dans le domaine de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, qui consacrent notamment le principe de la reconnaissance mutuelle des jugements et des décisions judiciaires (ci-après le «principe de reconnaissance mutuelle»), ainsi que celles dans le domaine des transports s’opposent à ce que, en droit bulgare, un droit de recours contre de telles décisions de retrait des points du permis de conduire ne soit pas reconnu.
31 Ladite juridiction souligne que, selon la jurisprudence constante des juridictions nationales et la doctrine bulgare, les décisions administratives infligeant une sanction du type de celle en cause dans le litige au principal sont considérées comme des décisions juridictionnelles. En effet, les organes qui adoptent de telles décisions exercent, même s’ils ne font pas partie du système judiciaire, une fonction juridictionnelle.
32 Dans le cadre du droit de l’Union, la juridiction de renvoi relève que l’article 6, paragraphe 1, de l’accord de coopération ainsi que l’article 8, paragraphe 3, de la convention relative à la déchéance du droit de conduire prévoient la possibilité pour un État membre de refuser de reconnaître une décision d’un autre État membre sanctionnant des infractions aux règles de la circulation routière lorsque, dans cet État, aucun droit de recours n’est ouvert.
33 L’Administrativen sad Sofia-grad souligne que cet accord et cette convention ne sont pas applicables en Bulgarie puisque ledit accord ne figure pas parmi les actes de l’acquis de Schengen qui sont contraignants pour la République de Bulgarie et que ladite convention n’est pas encore entrée en vigueur. Cependant, les dispositions susmentionnées devraient être considérées comme l’expression d’une règle de droit international coutumier et devraient, selon la jurisprudence de la Cour, être ainsi applicables à l’égard d’une décision telle que celle en cause dans l’affaire au principal. À cet égard, la juridiction de renvoi se réfère à l’arrêt de la Cour du 24 novembre 1992, Poulsen et Diva Navigation (C‑286/90, Rec. p. I‑6019).
34 L’Administrativen sad Sofia-grad rappelle, en outre, que la décision-cadre prévoit, notamment à son article 20, paragraphe 1, la possibilité de ne pas reconnaître des décisions infligeant des sanctions pour lesquelles il n’est pas prévu un droit de recours devant une juridiction disposant notamment d’une compétence en matière pénale. Dès lors, puisque la réglementation bulgare en cause déroge, selon la juridiction de renvoi, aux dispositions nationales assurant la transposition de cette décision-cadre, cette juridiction se demande si une telle dérogation est admissible et, en cas de réponse affirmative, si elle devrait être interprétée restrictivement.
35 S’agissant de sa compétence pour poser une question préjudicielle relative à l’interprétation de la décision-cadre, l’Administrativen sad Sofia-grad souligne que, dans le litige au principal, il est juge de dernière instance. Il considère que, bien que la République de Bulgarie n’ait pas déposé une déclaration expresse d’acceptation de la compétence de la Cour en matière préjudicielle, au sens de l’article 35, paragraphe 2, TUE, l’article 628 du code de procédure civile, entré en vigueur le 24 juillet 2007, qui prévoit la compétence des juridictions nationales statuant en dernière instance pour introduire une demande de décision préjudicielle, devrait être interprété comme une acceptation implicite de la compétence de la Cour au sens dudit article 35 TUE.
36 En ce qui concerne les règles du traité FUE sur l’espace de liberté, de sécurité et de justice, la juridiction de renvoi relève qu’il découle des articles 67, paragraphe 1, TFUE et 82, paragraphe 1, TFUE que l’application du principe de reconnaissance mutuelle sur lequel se fonde la coopération judiciaire en matière pénale ne peut avoir lieu que dans le respect des droits fondamentaux et donc du droit à un recours effectif, consacré par les articles 47 et 48 de la Charte ainsi que par l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la «CEDH»).
37 À cet égard, l’Administrativen sad Sofia-grad rappelle que la Cour européenne des droits de l’homme, dans son arrêt Öztürk c. Allemagne du 21 février 1984 (série A no 73), a jugé que l’article 6 de la CEDH ne s’oppose pas à la dépénalisation des infractions légères, comme celle en cause au principal, mais que les sanctions afférentes à celles-ci, lorsqu’elles gardent leur caractère punitif, entrent dans le champ d’application de cet article. En l’occurrence, la juridiction de renvoi relève qu’il pourrait certes être fait application de l’exception au droit à un recours, prévue à l’article 2, point 2, du protocole no 7, en ce qui concerne les sanctions applicables aux infractions légères aux règles de la circulation routière, mais que, en droit bulgare, aucun critère ne permet de caractériser une infraction telle que celle en cause au principal comme étant de nature «mineure». En effet, conformément à l’article 189, paragraphe 5, de la loi sur la circulation routière, le seul critère pour déterminer si une décision infligeant une sanction administrative peut être considérée comme portant sur une infraction grave et faire l’objet d’un recours serait le montant de la sanction pécuniaire infligée. Toutefois, ce critère ne prendrait pas en compte les conséquences juridiques du retrait des points du permis, lequel est susceptible d’aboutir à la déchéance du droit de conduire.
38 Enfin, la juridiction de renvoi fait référence à certaines dispositions du droit de l’Union dans le domaine de la politique commune des transports. Elle relève que, même si celui-ci est un domaine de compétences partagées entre l’Union et les États membres et si les règles de la procédure pénale, telles que celles relatives aux sanctions des infractions aux règles de la circulation routière, relèvent en principe de la compétence des États membres, le droit de l’Union interdit, en tant qu’elle constitue une entrave à la libre circulation, l’adoption de sanctions disproportionnées par rapport à la gravité des infractions commises.
39 Compte tenu de toutes ces considérations, l’Administrativen sad Sofia-grad a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Faut-il interpréter les normes applicables en droit national telles que celles dans l’affaire au principal, dans la mesure où elles se rapportent aux conséquences juridiques d’une décision d’infliger une sanction pécuniaire pour réprimer une infraction administrative, en l’occurrence un accident de la circulation routière, édictée par une autorité administrative, conformément aux dispositions des traités et du droit dérivé, dans le domaine de l’’espace de liberté, de sécurité et de justice’ et/ou, le cas échéant, dans celui des transports?
2) Résulte-t-il des dispositions des traités et des mesures adoptées sur leur fondement dans le domaine de l’’espace de liberté, de sécurité et de justice’ concernant la coopération judiciaire en matière pénale, de l’article 82, paragraphe 1, deuxième alinéa, sous a), TFUE, ainsi que, dans le domaine des transports, en vertu de l’article 91, paragraphe 1, sous c), TFUE, que des sanctions administratives pour des infractions routières pouvant recevoir la qualification de ‘mineures’ au sens et en combinaison avec l’article 2 du protocole no 7 […] entrent dans le champ d’application du droit de l’Union?
3) En cas de réponse affirmative à la deuxième question, il convient d’apporter également une réponse aux questions suivantes:
a) Une infraction administrative aux règles de la circulation routière représente-t-elle une ‘infraction mineure’ en vertu du droit de l’Union, dans le contexte de l’affaire au principal, lorsque les circonstances suivantes sont réunies:
i) l’agissement ayant donné lieu à un accident de la circulation routière qui a causé un préjudice matériel est qualifié de fautif et est réprimé en tant qu’infraction administrative;
ii) en fonction du montant de la sanction pécuniaire prévue, la décision de l’infliger peut ou non faire l’objet d’un recours juridictionnel, et la personne concernée a ou non la faculté de prouver que l’agissement qui lui est imputé n’est pas de son fait et n’a pas été fautif;
iii) un certain nombre de points, indiqué dans la décision, sont ipso jure retirés du permis à points à partir du moment où celle-ci produit ses effets;
iv) à la suite de l’introduction du système du permis à points, délivré au départ avec un solde déterminé de points servant à comptabiliser les infractions commises, sont également pris en compte les points retirés ipso jure à la suite des décisions infligeant des sanctions administratives insusceptibles de recours;
v) en cas de recours juridictionnel intenté contre une mesure de contrainte consistant à retirer un permis de conduire pour véhicule à moteur en raison de la déchéance du droit de conduire entraînée ipso jure par le retrait de la totalité des points initialement accordés, il n’est pas procédé à un contrôle juridictionnel préalable de la légalité des décisions infligeant une sanction administrative, insusceptibles de recours, par lesquelles le retrait des points est ordonné.
b) Y a-t-il lieu de conclure que l’article 82 TFUE et, le cas échéant, également l’article 91, paragraphe 1, sous c), TFUE, ainsi que les mesures adoptées sur le fondement des dispositions précitées et la décision-cadre […], tolèrent que le principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et des jugements ou des mesures prises pour l’amélioration de la sécurité routière ne s’appliquent pas à une décision d’infliger une sanction pécuniaire à la suite d’une infraction routière dans les conditions de l’affaire au principal, cet agissement pouvant être qualifié de ‘mineur’ en droit de l’Union, alors que l’État membre aurait prévu de s’écarter des exigences du droit à un recours devant une juridiction compétente en matière pénale et de l’application des modalités procédurales nationales en cas de recours contre l’accusation d’avoir commis une infraction?
4) En cas de réponse négative à la deuxième question, il convient d’apporter également une réponse à la question suivante:
Y a-t-il lieu de conclure que l’article 82 TFUE et, le cas échéant, également l’article 91, paragraphe 1, sous c), TFUE, ainsi que les mesures adoptées sur le fondement des dispositions précitées et la décision-cadre […], tolèrent que le principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et des jugements ou les mesures prises pour l’amélioration de la sécurité routière en droit de l’Union ne s’appliquent pas à la discrétion de l’État membre, alors que celui-ci aurait prévu par un acte normatif de s’écarter des exigences du droit à un recours devant une juridiction compétente en matière pénale et de l’application des modalités procédurales nationales en cas de recours contre l’accusation d’avoir commis une infraction, en présence d’une décision d’infliger une sanction pécuniaire à la suite d’une infraction routière, dans les conditions de l’affaire au principal lorsque les éléments suivants sont réunis:
a) l’agissement a donné lieu à un accident de la circulation routière qui a causé un préjudice matériel, cet agissement étant qualifié de fautif et punissable en tant qu’infraction administrative;
b) en fonction du montant de la sanction pécuniaire prévue, la décision de l’infliger peut ne pas faire l’objet d’un recours juridictionnel et la personne concernée a ou n’a pas la faculté de prouver que l’agissement qui lui est imputé n’a pas été fautif;
c) un certain nombre de points, indiqué dans la décision, est ipso jure retiré du permis à points lorsque celle-ci devient définitive;
d) à la suite de l’introduction du système du permis à points, délivré au départ avec un solde déterminé de points servant à comptabiliser les infractions commises, sont également pris en compte les points retirés ipso jure à la suite des décisions infligeant des sanctions administratives insusceptibles de recours;
e) en cas de recours juridictionnel intenté contre une mesure de contrainte consistant à retirer un permis de conduire pour véhicule à moteur en raison de la déchéance du droit de conduire entraînée ipso jure par le retrait de la totalité des points initialement accordés, il n’est pas procédé préalablement à un contrôle juridictionnel de la légalité des décisions infligeant une sanction administrative, insusceptibles de recours, par lesquelles le retrait des points est ordonné.»
Sur la compétence de la Cour
40 Par ses questions, la juridiction de renvoi demande en substance si les articles 67 TFUE, 82 TFUE et 91, paragraphe 1, sous c), TFUE ainsi que des actes de droit dérivé dans le domaine de l’espace de liberté, de sécurité et de justice doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle applicable en Bulgarie, qui ne reconnaît pas le droit à un recours contre les décisions infligeant des sanctions pour des infractions aux règles de la circulation routière, qualifiées de «mineures», même lorsque ces décisions imposent non seulement une sanction pécuniaire de faible montant, mais également le retrait de points du permis de conduire.
41 En ce qui concerne les dispositions du traité FUE dont la juridiction de renvoi demande l’interprétation, il y a lieu de relever que, dès lors que toutes ces dispositions s’adressent uniquement aux institutions de l’Union et qu’aucune d’entre elles ne concerne le régime des sanctions applicables aux infractions aux règles de la circulation routière, elles ne sont pas applicables dans le litige au principal.
42 En effet, l’article 67 TFUE ouvre le chapitre 1, intitulé «Dispositions générales», du titre V dudit traité, relatif à l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Cet article établit l’objet, la finalité et les règles de base de l’action des institutions de l’Union visant la pleine réalisation dudit espace. L’article 82 TFUE, qui figure sous le même titre, chapitre 4, relatif à la coopération judiciaire en matière pénale, énonce également les mesures que le législateur de l’Union doit adopter aux fins de l’achèvement d’une complète coopération entre les États membres dans le domaine pénal et il consacre la règle selon laquelle cette coopération doit se fonder sur le principe de la reconnaissance mutuelle.
43 Quant à l’article 91 TFUE, figurant sous le titre VI du traité FUE, consacré aux transports, il énonce, à son paragraphe 1, les mesures que les institutions de l’Union doivent adopter pour la mise en place d’une politique commune des transports. Il n’édicte aucune règle en matière de sanction des infractions aux règles de la circulation routière.
44 Or, ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour, cette dernière n’est pas compétente pour répondre à une question préjudicielle lorsque l’interprétation de règles du droit de l’Union, demandée par la juridiction nationale, n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal et que lesdites règles ne peuvent trouver à s’appliquer dans le litige au principal (voir, notamment, arrêts du 1er octobre 2009, Woningstichting Sint Servatius, C‑567/07, Rec. p. I‑9021, point 43, et du 22 décembre 2010, Omalet, C‑245/09, Rec. p. I‑13771, point 11).
45 Dès lors, les questions préjudicielles en ce qu’elles portent sur les articles 67 TFUE, 82 TFUE et 91, paragraphe 1, sous c), TFUE doivent être déclarées irrecevables.
46 En ce qui concerne les actes de droit dérivé, la juridiction de renvoi, dans la motivation de sa décision, se réfère à l’accord de coopération, à la convention relative à la déchéance du droit de conduire ainsi qu’à la décision-cadre.
47 À cet égard, il convient toutefois de rappeler que ces actes trouvent leur base juridique dans les dispositions du titre VI du traité UE, dans sa version antérieure au traité de Lisbonne.
48 Or, ainsi qu’il ressort de l’article 35, paragraphes 1 et 2, UE, la Cour n’était compétente pour statuer à titre préjudiciel sur l’interprétation de décisions-cadres, de décisions ainsi que de conventions établies en vertu dudit titre VI qu’à la condition que l’État membre concerné ait fait une déclaration par laquelle il accepte ladite compétence.
49 Il est constant, à cet égard, que la République de Bulgarie n’a pas fait une telle déclaration. En outre, une disposition interne telle que l’article 628, paragraphe 1, du code de procédure civile, à laquelle se réfère la juridiction de renvoi et qui se borne au demeurant à reprendre en substance les termes de l’article 267 TFUE, ne saurait en aucun cas être considérée comme équivalant à une telle déclaration.
50 Par ailleurs, il résulte de l’article 10 du protocole no 36 sur les dispositions transitoires, annexé au traité FUE, que, s’agissant des actes de l’Union dans le domaine de la coopération policière et judiciaire en matière pénale qui ont été adoptés avant la date de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, les attributions de la Cour en vertu dudit titre VI du traité UE, dans sa version antérieure à ladite date, restent inchangées durant une période de cinq années après cette même date, y compris lorsqu’elles ont été acceptées conformément à l’article 35, paragraphe 2, de ce dernier traité.
51 Il découle de ce qui précède que la Cour est dépourvue de toute compétence pour statuer sur la demande préjudicielle émanant de la juridiction de renvoi en tant que celle-ci porte sur l’accord de coopération, la convention relative à la déchéance du droit de conduire ainsi que sur la décision-cadre.
52 Dans les motifs de sa décision, la juridiction de renvoi vise également le principe de la reconnaissance mutuelle des décisions rendues dans un autre État membre relatives aux infractions aux règles de la circulation routière pour conclure que, selon elle, le droit de l’Union s’oppose à une réglementation nationale qui ne reconnaît pas le droit à un recours contre les décisions portant retrait des points du permis de conduire.
53 À cet égard, il suffit toutefois de relever qu’un tel principe ne saurait, par hypothèse même, concerner que les procédures à caractère transfrontalier, portant sur la reconnaissance et l’exécution d’une décision dans un État membre autre que celui dans lequel elle a été rendue.
54 En l’occurrence, le litige au principal est purement interne. En effet, il concerne une personne qui réside sur le territoire de la République de Bulgarie et a attaqué la décision par laquelle les autorités de cet État membre l’ont sanctionné à la suite d’un accident de la circulation routière ayant eu lieu dans ce même État membre. Dès lors, une interprétation dudit principe de la reconnaissance mutuelle est dépourvue de toute pertinence pour la solution de ce litige.
55 Par ailleurs, la juridiction de renvoi se demande si le droit de l’Union s’oppose aux règles du droit bulgare en cause au principal dans la mesure où elles comporteraient une violation du droit au recours effectif consacré par les articles 6 de la CEDH ainsi que 47 et 48 de la Charte.
56 À cet égard, il convient de rappeler qu’il est de jurisprudence constante que les exigences découlant de la protection des droits fondamentaux lient les États membres dans tous les cas où ils sont appelés à appliquer le droit de l’Union (voir ordonnances du 12 novembre 2010, Asparuhov Estov e.a., C‑339/10, Rec. p. I‑11465, point 13; du 1er mars 2011, Chartry, C‑457/09, Rec. p. I‑819, point 25, ainsi que du 14 décembre 2011, Boncea e.a., C‑483/11 et C‑484/11, point 29).
57 En outre, l’article 51, paragraphe 1, de la Charte énonce que les dispositions de celle-ci s’adressent aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union et, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, TUE, qui attribue à la Charte la même valeur juridique que celle des traités, celle-ci ne crée aucune compétence nouvelle pour l’Union.
58 Dès lors, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel au titre de l’article 267 TFUE, lorsqu’une réglementation nationale entre dans le champ d’application du droit de l’Union, la Cour doit fournir tous les éléments d’interprétation nécessaires à l’appréciation par la juridiction nationale de la conformité de cette réglementation avec les droits fondamentaux, tels qu’ils résultent en particulier de la Charte (voir, en ce sens, arrêts du 29 mai 1997, Kremzow, C‑299/95, Rec. p. I‑2629, point 15, ainsi que du 15 novembre 2011, Dereci e.a., C‑256/11, Rec. p. I‑11315, point 72).
59 En l’occurrence, il ne résulte pas de la décision de renvoi que la réglementation nationale constitue une mesure de mise en œuvre du droit de l’Union ou présente d’autres éléments de rattachement à ce droit. Partant, la compétence de la Cour pour répondre à la demande de décision préjudicielle en ce qu’elle porte sur le droit fondamental à un recours effectif n’est pas établie (voir ordonnances précitées Asparuhov Estov e.a., point 14; Chartry, points 25 et 26, ainsi que Boncea e.a., point 34).
60 Il découle de tout ce qui précède que la demande de décision préjudicielle introduite par l’Administrativen sad Sofia-grad doit être déclarée irrecevable.
Sur les dépens
61 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit:
La demande de décision préjudicielle introduite par l’Administrativen sad Sofia-grad (Bulgarie), par décision du 27 décembre 2010 (affaire C‑27/11), est irrecevable.