ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
2 décembre 2014 (*)
«Manquement d’État – Directive 75/442/CEE – Gestion des déchets – Arrêt de la Cour constatant un manquement – Inexécution – Article 260, paragraphe 2, TFUE – Sanctions pécuniaires – Somme forfaitaire et astreinte»
Dans l’affaire C‑378/13,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 260, paragraphe 2, TFUE, introduit le 2 juillet 2013,
Commission européenne, représentée par Mmes M. Patakia, E. Sanfrutos Cano et A. Alcover San Pedro, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
contre
République hellénique, représentée par Mme E. Skandalou, en qualité d’agent, assistée de M. V. Liogkas, expert technique, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie défenderesse,
LA COUR (grande chambre),
composée de M. V. Skouris, président, M. K. Lenaerts (rapporteur), vice-président, M. A. Tizzano, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. T. von Danwitz, A. Ó Caoimh, C. Vajda et S. Rodin, présidents de chambre, MM. A. Borg Barthet, J. Malenovský, E. Levits, E. Jarašiūnas, C. G. Fernlund, J. L. da Cruz Vilaça et F. Biltgen, juges,
avocat général: Mme J. Kokott,
greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 3 juin 2014,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 4 septembre 2014,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour:
– de constater que, en n’ayant pas pris les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt Commission/Grèce (C‑502/03, EU:C:2005:592), rendu le 6 octobre 2005, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 260, paragraphe 1, TFUE;
– d’enjoindre à la République hellénique de verser à la Commission une astreinte proposée de 71 193,60 euros par jour de retard dans l’exécution de l’arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592), à compter du jour où sera rendu l’arrêt dans la présente affaire et jusqu’au jour où sera exécuté l’arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592);
– d’enjoindre à la République hellénique de verser à la Commission une somme forfaitaire de 7 786,80 euros par jour, à compter du jour où a été rendu l’arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592), soit jusqu’au jour du prononcé de l’arrêt dans la présente affaire, soit jusqu’au jour où sera exécuté l’arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592), si cette exécution intervient avant ledit prononcé, et
– de condamner la République hellénique aux dépens.
Le cadre juridique
2 Aux termes de l’article 4 de la directive 75/442/CEE du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets (JO L 194, p. 39), telle que modifiée par la directive 91/156/CEE du Conseil, du 18 mars 1991 (JO L 78, p. 32, ci-après la «directive 75/442»):
«Les États membres prennent les mesures nécessaires pour assurer que les déchets seront valorisés ou éliminés sans mettre en danger la santé de l’homme et sans que soient utilisés des procédés ou méthodes susceptibles de porter préjudice à l’environnement […]
[…]
Les États membres prennent, en outre, les mesures nécessaires pour interdire l’abandon, le rejet et l’élimination incontrôlée des déchets.»
3 L’article 8 de la directive 75/442 imposait aux États membres de prendre les dispositions nécessaires pour que tout détenteur de déchets soit les remette à un ramasseur privé ou public ou à une entreprise qui effectue les opérations visées aux annexes II A ou II B de cette directive, soit en assure lui-même la valorisation ou l’élimination en se conformant aux dispositions de ladite directive.
4 L’article 9, paragraphe 1, de la directive 75/442 prévoyait que, aux fins de l’application, notamment, de l’article 4 de cette directive, tout établissement ou toute entreprise qui effectuait des opérations d’élimination de déchets devait obtenir une autorisation de l’autorité compétente chargée de mettre en œuvre les dispositions de ladite directive. L’article 9, paragraphe 2, de cette même directive précisait que ces autorisations pouvaient être accordées pour une durée déterminée, être renouvelables, être assorties de conditions et d’obligations ou, notamment si la méthode d’élimination envisagée n’était pas acceptable du point de vue de la protection de l’environnement, être refusées.
5 La directive 75/442 a été codifiée par la directive 2006/12/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2006, relative aux déchets (JO L 114, p. 9), laquelle a, par la suite, été abrogée et remplacée par la directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil, du 19 novembre 2008, relative aux déchets et abrogeant certaines directives (JO L 312, p. 3). Les articles 4, 8 et 9 de la directive 75/442 ont été repris, en substance, aux articles 13, 36, paragraphe 1, 15 et 23 de la directive 2008/98.
L’arrêt Commission/Grèce
6 À la suite de plaintes, de questions et de rapports du Parlement européen concernant l’existence de décharges illégales et non contrôlées en Grèce ainsi que le non-respect de la directive 75/442, la Commission a engagé la procédure en manquement prévue à l’article 226 CE, laquelle figure désormais à l’article 258 TFUE. Le 26 novembre 2003, considérant que le délai imparti par son avis motivé du 19 décembre 2002 avait expiré sans que la République hellénique se soit conformée aux obligations qui lui incombaient en vertu des articles 4, 8 et 9 de ladite directive, la Commission a introduit un recours en manquement.
7 La République hellénique n’a pas contesté les griefs qui lui étaient reprochés, reconnaissant que, au mois de février 2004, 1 125 sites d’élimination incontrôlés de déchets étaient encore exploités sur son territoire et que la fermeture de l’ensemble des décharges illégales et incontrôlées n’était prévue que pour le courant de l’année 2008, soit après l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé.
8 La Cour a donc constaté le bien-fondé du recours en manquement dont elle était saisie. Au point 1 du dispositif de son arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592), la Cour a jugé ce qui suit:
«En ne prenant pas toutes les mesures nécessaires pour assurer le respect des articles 4, 8, et 9 de [la directive 75/442], la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de ladite directive.»
La procédure précontentieuse et la procédure devant la Cour
9 À la suite du prononcé de l’arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592), le 6 octobre 2005, la Commission a envoyé à la République hellénique, le 14 novembre 2005, une lettre par laquelle elle a demandé à cet État membre de l’informer des mesures qu’il avait prises pour se conformer à cet arrêt.
10 La République hellénique a, par une lettre du 20 février 2006, informé la Commission que le plan national de gestion des déchets avait été modifié en vue de la désaffectation et de la réhabilitation des sites d’élimination incontrôlée des déchets (ci-après les «décharges illégales») et de leur remplacement par des installations appropriées de gestion de déchets. De même, les plans régionaux de gestion des déchets étaient en cours de modification ou de mise à jour. Également selon cette réponse des autorités grecques, à la suite du recensement des décharges illégales et de leur classement en fonction de leur dangerosité, le ministère de l’Environnement, de l’Aménagement du territoire et des Travaux publics avait adopté des lignes directrices relatives à l’élaboration des études de réhabilitation.
11 Lors de la «réunion paquet» du 6 avril 2006, lesdites autorités ont fourni des informations au sujet de l’état d’avancement de la réalisation du programme de désaffectation et de réhabilitation des décharges illégales et elles se sont engagées à informer régulièrement la Commission des progrès accomplis dans la mise en œuvre des mesures que comportait l’exécution de l’arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592).
12 Dans leurs lettres des 29 mai 2006, 25 octobre 2006, 2 février 2007, 21 mai 2007, 25 septembre 2007, 5 mai 2008 et 13 octobre 2008, les autorités grecques ont informé la Commission des progrès accomplis dans la mise en œuvre des mesures que comportait cette exécution.
13 Par une lettre du 30 juillet 2007, la Commission a demandé à ces autorités des données détaillées et actualisées au sujet de la désaffectation et de la réhabilitation des décharges illégales. De plus, en réponse à une demande faite par la Commission lors de la «réunion paquet» du 8 avril 2008, lesdites autorités ont communiqué, par des lettres des 5 mai et 13 octobre 2008, des plans régionaux de gestion des déchets pour douze régions.
14 Enfin, par une lettre du 23 février 2009 du ministre adjoint de l’Intérieur et du président de la Commission interministérielle chargée des projets de gestion des déchets, deux rapports relatifs à l’avancement des projets de gestion des déchets, à savoir la réhabilitation des décharges illégales et leur remplacement par des installations appropriées de gestion des déchets, ont été adressés à la Commission.
15 Estimant que la République hellénique ne s’était pas pleinement conformée à l’arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592), la Commission a envoyé à cet État membre, le 15 avril 2009, une lettre de mise en demeure, conformément à la procédure prévue à l’article 228, paragraphe 2, CE et qui figure désormais à l’article 260, paragraphe 2, TFUE, par laquelle elle lui a donné la possibilité de présenter des observations dans un délai de deux mois.
16 Les autorités grecques ont répondu à cette lettre de mise en demeure du 15 avril 2009 par des lettres des 2 juin 2009, 17 juillet 2009 et 18 mai 2010.
17 Le 29 octobre 2010, considérant que la République hellénique n’avait pas veillé à ce que toutes les décharges illégales qui existaient sur le territoire grec soient désaffectées et réhabilitées, la Commission a adressé à cet État membre une lettre de mise en demeure complémentaire, au titre de l’article 260, paragraphe 2, TFUE, par laquelle elle a de nouveau donné audit État la possibilité de présenter ses observations dans un délai de deux mois. Selon la Commission, le nombre de décharges illégales à réhabiliter s’élevait alors à 750, dont 316 devaient encore être désaffectées.
18 Les 27 juillet 2011, 12 avril 2012, 8 novembre 2012 et 5 avril 2013, les autorités grecques ont envoyé à la Commission des rapports successifs concernant l’avancement des projets de gestion des déchets et, plus particulièrement, la réhabilitation des décharges illégales et leur remplacement par des installations appropriées de gestion des déchets.
19 Considérant qu’un problème structurel continuait d’exister, en ce qui concerne aussi bien le nombre de décharges non contrôlées que l’absence d’un nombre suffisant de sites appropriés d’élimination des déchets, et que, par conséquent, la République hellénique n’avait pas exécuté l’arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592), la Commission a décidé, le 21 février 2013, d’introduire le présent recours.
20 Le 18 juin 2013, les autorités grecques ont communiqué à la Commission un huitième rapport relatif à l’avancement des projets de gestion des déchets, qui faisait apparaître, s’agissant des décharges illégales, que 73 d’entre elles étaient toujours en activité et que 292 décharges illégales, bien que n’étant plus exploitées, n’avaient pas été réhabilitées.
21 En réponse à une question posée par la Cour, la République hellénique et la Commission ont informé celle-ci, les 13 et 15 mai 2014, respectivement, que, sur un total de 293 décharges illégales, 70 restaient en activité et 223, bien que désaffectées, n’avaient pas encore été réhabilitées.
Sur le manquement
Argumentation des parties
22 La Commission soutient que, au cours de la procédure relative à l’affaire C‑502/03, dans le cadre de laquelle la République hellénique n’avait pas contesté l’existence du manquement reproché en tant que tel, celle-ci avait reconnu l’existence de 2 180 décharges illégales au stade de la lettre de mise en demeure et de 1 458 décharges illégales au stade de l’avis motivé. Cette institution relève que, depuis le prononcé de l’arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592), et plus particulièrement à partir de l’année 2009, les autorités grecques ont produit des rapports successifs concernant l’avancement des projets de gestion des déchets, dont il ressortirait que le nombre des décharges illégales a diminué, mais que, pour un nombre important d’entre elles, ces décharges soit restaient en activité (73), soit n’avaient pas été réhabilitées (292) à la date où le dernier de ces rapports avait été adressé à la Commission, avant l’introduction du présent recours.
23 La République hellénique ne conteste pas l’absence d’exécution complète de l’arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592) en tant que telle et les chiffres qu’elle cite elle-même correspondent précisément à ceux invoqués par la Commission. Toutefois, cet État membre relève que ces chiffres ne reflètent pas la dimension réelle du problème posé et il souligne que les décharges illégales en activité ne concernent que 5 % environ de sa population, les décharges illégales ayant déjà, dans leur grande majorité, été désaffectées et réhabilitées.
24 Par ailleurs, la République hellénique fait valoir que, en pratique, et nonobstant le fait qu’elle a engagé les procédures administratives nécessaires dès que possible, à la suite du prononcé de l’arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592), l’élaboration et la mise en œuvre d’un programme visant à désaffecter l’ensemble des décharges illégales constituent des opérations complexes dont la réalisation immédiate est matériellement impossible, dans la mesure, notamment, où les dispositions du droit de l’Union en matière de marchés publics doivent être respectées. Elle estime, en substance, avoir déployé tous les moyens qui pouvaient l’être, compte tenu des circonstances auxquelles elle était confrontée, et, eu égard, notamment, à la crise financière qui a réduit significativement sa capacité à réaliser des travaux. La République hellénique aurait notamment mis en œuvre des solutions provisoires dans certaines localités, telles que le transport des déchets vers un site de mise en décharge sis dans une autre localité, et cela dans l’attente de la construction d’une installation de mise en décharge légale dans les localités concernées.
Appréciation de la Cour
25 Afin de déterminer si la République hellénique a adopté toutes les mesures nécessaires pour se conformer à l’arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592), il y a lieu de vérifier si cette dernière a pleinement assuré le respect des articles 4, 8, et 9 de la directive 75/442, plus particulièrement en désaffectant et en réhabilitant l’ensemble des décharges illégales qui, en l’espèce, font l’objet du différend entre les parties. En effet, il ressort des points 8 et 9 de l’arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592) que la Cour a déduit l’existence d’une infraction à ces articles du constat selon lequel 1 125 sites d’élimination incontrôlée des déchets étaient encore exploités sur le territoire grec au mois de février 2004. Par ailleurs, il est constant en l’occurrence, eu égard à l’argumentation avancée par les parties dans le cadre de la présente procédure, que le manquement constaté dans l’arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592) persistera aussi longtemps que certaines des décharges identifiées dans leurs réponses respectives des 13 et 15 mai 2014 à une question posée par la Cour n’auront pas été désaffectées et réhabilitées.
26 À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour concernant l’article 228, paragraphe 2, CE, la date de référence pour apprécier l’existence d’un manquement au titre de cette disposition se situe à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé émis en vertu de celle-ci (voir arrêts Commission/France, C‑304/02, EU:C:2005:444, point 30, et Commission/Espagne, C‑610/10, EU:C:2012:781, point 66).
27 Le traité FUE ayant supprimé, dans la procédure en manquement au titre de l’article 260, paragraphe 2, TFUE, l’étape relative à l’émission d’un avis motivé, il y a lieu de retenir comme date de référence pour apprécier l’existence d’un tel manquement celle de l’expiration du délai fixé dans la lettre de mise en demeure émise en vertu de cette disposition (arrêt Commission/Espagne, EU:C:2012:781, point 67).
28 En l’occurrence, la Commission ayant envoyé à la République hellénique une lettre de mise en demeure complémentaire, conformément à la procédure prévue à l’article 260, paragraphe 2, TFUE, la date de référence mentionnée au point précédent du présent arrêt est celle de l’expiration du délai fixé dans cette lettre, à savoir le 29 décembre 2010. Or, il est constant que, à cette date, les décharges en cause n’avaient pas toutes été désaffectées et réhabilitées.
29 S’agissant de l’argumentation de la République hellénique tirée des difficultés auxquelles elle aurait été confrontée pour désaffecter et réhabiliter l’ensemble des décharges illégales en cause, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie, un État membre ne saurait exciper de dispositions, de pratiques ou de situations de son ordre juridique interne pour justifier l’inobservation des obligations résultant du droit de l’Union (voir arrêt Commission/Italie, C‑496/09, EU:C:2011:740, point 87 et jurisprudence citée, ainsi que, en ce sens, arrêt Commission/Espagne, C‑278/01, EU:C:2003:635, point 31). Eu égard à cette jurisprudence, ladite argumentation ne saurait prospérer.
30 Dans ces conditions, il convient de constater que, en n’ayant pas pris toutes les mesures nécessaires que comporte l’exécution de l’arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592), la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 260, paragraphe 1, TFUE.
Sur les sanctions pécuniaires
Observations liminaires
31 La Commission propose à la Cour, conformément à l’article 260, paragraphe 2, TFUE et sur la base de la communication de la Commission du 13 décembre 2005, intitulée «Mise en œuvre de l’article [260 TFUE]» [SEC(2005) 1658], telle que mise à jour par la communication de la Commission du 31 août 2012, intitulée «Mise à jour des données utilisées pour le calcul des sommes forfaitaires et des astreintes que la Commission proposera à la Cour de justice dans le cadre de procédures d’infraction» [C(2012) 6106 final, ci-après la «communication de la Commission»], de sanctionner l’absence d’exécution en cause par le paiement d’une somme forfaitaire et d’une astreinte, en application du point 10 de la communication de la Commission.
32 La République hellénique estime que la Commission aurait dû attendre la fin du programme de désaffectation et de réhabilitation des décharges qu’elle lui avait communiqué et qui se poursuivrait comme prévu, avant d’introduire un recours sur la base de l’article 260 TFUE. Cela étant, elle invite la Cour à rejeter le recours dans son ensemble, l’infliction de sanctions financières étant prématurée, selon elle, dans les circonstances de l’espèce.
33 Il convient de rappeler, à titre liminaire, que, ayant reconnu que la République hellénique ne s’est pas conformée à son arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592), la Cour peut, en application de l’article 260, paragraphe 2, deuxième alinéa, TFUE, infliger à cet État membre le paiement d’une somme forfaitaire et/ou d’une astreinte.
34 Ainsi, le constat établi au point 30 du présent arrêt, selon lequel la République hellénique n’avait pas pris toutes les mesures nécessaires que comportait l’exécution de l’arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592) à la date de référence du 29 décembre 2010, soit plus de cinq ans après la date du prononcé de cet arrêt, suffit, en principe, pour justifier, en l’espèce, l’infliction de sanctions financières, nonobstant l’existence d’un programme, non encore pleinement exécuté, de désaffectation et de réhabilitation des décharges illégales en cause.
35 Pour le surplus, eu égard à la nature différente des deux sanctions dont l’application est demandée par la Commission, il y a lieu d’examiner séparément la question de l’opportunité d’une condamnation de l’État membre concerné au paiement d’une astreinte et celle de la condamnation de celui-ci au versement d’une somme forfaitaire, ainsi que, le cas échéant, la question du montant de ces sanctions.
Sur l’astreinte
Argumentation des parties
36 La Commission souligne que l’infraction constatée dans l’arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592) consiste en la violation des articles 4, 8 et 9 de la directive 75/442 et que c’est donc à ce manquement dans son ensemble que la République hellénique est tenue de mettre fin. Le respect des exigences résultant de ces articles supposerait, premièrement, la désaffectation des décharges illégales, deuxièmement, leur réhabilitation effective, et non seulement la programmation de leur réhabilitation, ainsi que, troisièmement, la création des installations nécessaires aux fins d’assurer le respect de cette directive de manière permanente et d’éviter la création de nouvelles décharges illégales. Cela étant, la thèse de la République hellénique, selon laquelle la simple adoption des mesures administratives nécessaires en vue de la réhabilitation des décharges illégales devrait suffire, en l’espèce, pour éviter qu’une astreinte ne lui soit infligée, ne saurait prospérer.
37 La Commission invite la Cour à prendre en compte la gravité de l’infraction constatée, sa durée et la nécessité d’assurer l’effet dissuasif de la sanction. S’agissant de la gravité de l’infraction constatée, la Commission propose de tenir compte de l’importance des règles violées et du caractère préjudiciable, pour l’environnement et la santé humaine, des conséquences de cette infraction. Elle relève que les progrès accomplis en termes de réduction du nombre de décharges illicites constituent une circonstance atténuante, mais elle souligne que l’incertitude qui subsiste en ce qui concerne l’exécution complète de l’arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592) constitue une circonstance aggravante. Selon la Commission, l’application d’un coefficient de gravité de 9, sur une échelle de 1 à 20, est, par conséquent, appropriée dans les circonstances de l’espèce. Elle rappelle, à cet égard, en se référant à l’arrêt Commission/Belgique (C‑2/90, EU:C:1992:310, point 30), que la Cour a déjà jugé que les déchets sont des objets de nature particulière et que leur accumulation, avant même qu’ils ne deviennent dangereux pour la santé, constitue, compte tenu notamment de la capacité limitée de chaque région ou localité à les recevoir, un danger pour l’environnement.
38 La Commission fait valoir, en ce qui concerne la durée de l’infraction, que la décision d’engager la présente procédure a été prise le 21 février 2013, soit 88 mois après le prononcé de l’arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592), le 6 octobre 2005, ce qui justifierait l’application du coefficient maximal de 3. Quant au coefficient de capacité de paiement, appelé facteur «n», cette institution rappelle que la communication de la Commission fixe celui-ci à 4,12 pour la République hellénique.
39 La Commission relève que, selon la formule mentionnée dans cette communication, l’astreinte journalière est égale au forfait de base uniforme, de 640 euros, multiplié par le coefficient de gravité, le coefficient de durée et le facteur «n». Ainsi, en l’espèce, elle propose une astreinte journalière de 71 193,60 euros (640 x 9 x 3 x 4,12).
40 Toutefois, la Commission estime qu’il convient de réduire progressivement l’astreinte en fonction des progrès réalisés dans l’exécution de l’arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592). Dès lors, elle propose de diviser l’astreinte journalière de 71 193,60 euros par le nombre de sites d’élimination incontrôlée des déchets qui n’étaient pas en conformité avec cet arrêt à la date de la décision de former le présent recours, soit 365 (73 décharges illégales en activité et 292 qui n’avaient pas été réhabilitées), ce qui donnerait lieu à un montant de 195,05 euros par site (71 193,60/365), et de déduire ce montant de l’astreinte journalière, dès lors que l’une de ces décharges illégales aurait été mise en conformité avec l’arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592). La Commission considère que l’application de cette réduction ne pourra toutefois avoir lieu que si la République hellénique, d’une part, communique à la Commission des éléments établissant, sans doute possible, que la décharge illégale concernée a été mise en conformité et, d’autre part, informe la Commission du lieu où seront désormais évacués les déchets à éliminer.
41 La Commission ajoute que, pour éviter une situation dans laquelle un État membre mettrait en conformité des décharges illégales, tout en créant, parallèlement, de nouveaux sites d’élimination incontrôlée des déchets, elle doit pouvoir constater que des progrès ont été accomplis sur la base non pas de la simple mise en conformité des décharges incluses par la République hellénique dans les listes communiquées à cette institution, mais du nombre de décharges illégales existantes sur le territoire grec, tel qu’il sera établi par des contrôles effectués à intervalles réguliers.
42 La Commission propose que la fixation du montant de l’astreinte soit effectuée tous les six mois. Par conséquent, le montant total de l’astreinte due au titre des six mois précédents serait calculé en réduisant l’astreinte journalière initiale du montant correspondant aux décharges illégales dont la mise en conformité aurait été établie au cours de cette période, le résultat obtenu étant multiplié par le nombre de jours que compterait cette période de six mois. La Commission souhaite également se réserver la faculté de réactualiser le calcul, au cours de la procédure, en fonction des chiffres fournis par la République hellénique postérieurement à la date à laquelle a été prise la décision d’introduire le présent recours.
43 La République hellénique considère que la demande de la Commission tendant à ce qu’une astreinte soit infligée sera sans objet à la date du prononcé de l’arrêt à intervenir, dès lors que l’arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592) aura été exécuté avant cette date et que, en tout état de cause, le montant journalier de 71 193,60 euros est disproportionné par rapport à la gravité de l’infraction reprochée. En tout état de cause, elle estime que, eu égard à sa finalité de «coercition», l’astreinte n’aura plus lieu d’être, dès lors que les autorités compétentes auront apporté la preuve qu’elles ont pris les mesures appropriées pour réhabiliter les décharges illégales, quand bien même leur réhabilitation effective ne serait pas terminée. La République hellénique relève, à cet égard, que le paiement de l’astreinte infligée par la Cour dans son arrêt Commission/Grèce (C‑387/97, EU:C:2000:356) a cessé d’être réclamé par la Commission à partir du moment où la décharge illégale en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt avait été désaffectée et remplacée par un complexe de compactage et de paquetage des déchets, à titre de solution provisoire.
44 À titre subsidiaire, la République hellénique conteste le coefficient de gravité de 9 proposé par la Commission. Elle fait observer que, selon le point 16.4 de la communication de la Commission, cette dernière tient compte, notamment, en ce qui concerne les conséquences de l’infraction en cause, d’un éventuel «dommage grave ou irréparable causé à la santé humaine ou à l’environnement». Selon elle, un tel dommage causé à la santé humaine ne serait pas établi en l’espèce, tandis que l’éventuel dommage à l’environnement serait éliminé par la réhabilitation des sites concernés. Il serait inexact de considérer que l’infraction reprochée implique l’existence d’un problème structurel au niveau national, dès lors que chaque région de Grèce compterait désormais au moins un site de mise en décharge légal. En tout état de cause, ce coefficient de 9, comparé au coefficient de 4 proposé par la Commission et appliqué par la Cour dans l’arrêt Commission/Espagne (EU:C:2003:635), ou au coefficient de 6 proposé et appliqué dans l’arrêt Commission/Grèce (EU:C:2000:356), en ce qui concerne également des infractions ayant une incidence sur la santé humaine et l’environnement et d’une gravité comparable à celle du cas d’espèce, est, selon la République hellénique, disproportionné. La Commission devrait également tenir compte, en l’occurrence, comme la Cour l’a fait dans l’arrêt Commission/Espagne (EU:C:2003:635, points 49 et 50), des progrès déjà réalisés pour exécuter l’arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592).
45 S’agissant de la durée de l’infraction, la République hellénique considère que le coefficient de 3 proposé par la Commission est disproportionné, notamment par rapport à celui, également de 3, retenu dans l’arrêt Commission/France (EU:C:2005:444), pour une infraction ayant duré onze ans. Elle invite la Cour à retenir, le cas échéant, un coefficient de durée moins élevé que celui qui est proposé, ainsi qu’elle l’aurait fait dans l’arrêt Commission/Espagne (EU:C:2003:635). Quant au facteur «n» reflétant la capacité de payer, la République hellénique fait observer que celui de 4,12, indiqué dans la communication de la Commission, telle que modifiée en 2012, tient compte du produit intérieur brut (PIB) de cet État membre pour l’année 2010, qui était de 222,1 milliards d’euros, alors qu’il aurait baissé depuis lors, pour atteindre seulement 193,7 milliards d’euros au titre de l’année 2012 et un montant estimé à 182,8 milliards d’euros pour l’année 2013. La République hellénique invite la Cour à appliquer un facteur «n» moins élevé, le cas échéant, pour tenir compte de cette circonstance ainsi que de l’ensemble des problèmes économiques affectant cet État membre en raison de la crise financière.
46 Dans l’hypothèse où une astreinte serait infligée, la République hellénique estime que la proposition de la Commission, tendant à ce que la fixation du montant de celle-ci soit effectuée tous les six mois, devrait être retenue, afin qu’elle puisse communiquer à cette institution des preuves de l’évolution continue du programme de désaffectation et de réhabilitation des décharges illégales et que celle-ci puisse ainsi tenir compte des progrès réalisés.
Appréciation de la Cour
47 Selon une jurisprudence constante, l’infliction d’une astreinte ne se justifie, en principe, que pour autant que perdure le manquement tiré de l’inexécution d’un précédent arrêt jusqu’à l’examen des faits par la Cour (arrêt Commission/Belgique, C‑533/11, EU:C:2013:659, point 64 et jurisprudence citée).
48 En l’espèce, il ressort des informations fournies par la République hellénique et par la Commission les 13 et 15 mai 2014, respectivement, que, sur un total de 293 décharges illégales, 70 restaient en activité et 223, bien que désaffectées, n’avaient pas encore été réhabilitées. Dès lors, il y a lieu de constater que, à la date de l’examen des faits par la Cour, les mesures nécessaires à l’exécution de l’arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592) n’avaient pas encore été intégralement adoptées ni mises en œuvre.
49 À cet égard, l’argumentation de la République hellénique, tirée du fait que ses autorités compétentes auraient pris les mesures appropriées pour réhabiliter les décharges illégales, quand bien même la réhabilitation effective de celles-ci ne serait pas terminée, ne saurait prospérer. En effet, la circonstance, à la supposer établie, selon laquelle les autorités compétentes ont adopté, sur le plan administratif, toutes les mesures nécessaires pour éliminer l’infraction constatée ne suffit pas à écarter l’infliction, en l’espèce, d’une astreinte, dès lors que, s’agissant des décharges illégales en cause, certaines d’entre elles continuent d’être exploitées et/ou n’ont pas été réhabilitées.
50 Dans ces conditions, la Cour considère que la condamnation de la République hellénique au paiement d’une astreinte constitue un moyen financier approprié afin d’assurer l’exécution complète de l’arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592) (voir, en ce sens, arrêt Commission/Irlande, C‑374/11, EU:C:2012:827, point 35 et jurisprudence citée).
51 En revanche, compte tenu de l’évolution vers une exécution complète de l’arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592) et des observations présentées par la République hellénique devant la Cour, il ne saurait être exclu que, au jour du prononcé du présent arrêt, l’arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592) ait été exécuté de manière complète. Ainsi, l’astreinte ne doit être infligée que dans l’hypothèse où le manquement persisterait à la date de ce prononcé.
52 S’agissant du montant et de la forme de cette astreinte, il appartient à la Cour, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, conformément à une jurisprudence constante, de fixer l’astreinte de telle sorte que celle-ci soit, d’une part, adaptée aux circonstances et, d’autre part, proportionnée à l’infraction constatée, ainsi qu’à la capacité de paiement de l’État membre concerné (voir, en ce sens, arrêt Commission/Luxembourg, C‑576/11, EU:C:2013:773, point 46 et jurisprudence citée). Les propositions de la Commission concernant l’astreinte ne sauraient lier la Cour et ne constituent qu’une base de référence utile. De même, des lignes directrices telles que celles contenues dans les communications de la Commission ne lient pas la Cour, mais contribuent à garantir la transparence, la prévisibilité et la sécurité juridique de l’action menée par la Commission elle-même lorsque cette institution fait des propositions à la Cour (voir, en ce sens, arrêt Commission/Espagne, EU:C:2012:781, point 116 et jurisprudence citée). En effet, dans le cadre d’une procédure fondée sur l’article 260, paragraphe 2, TFUE, relative à un manquement qui persiste dans le chef d’un État membre nonobstant le fait que ce même manquement a déjà été constaté à l’occasion d’un premier arrêt rendu au titre de l’article 226 CE ou de l’article 258 TFUE, la Cour doit demeurer libre de fixer l’astreinte infligée au montant et sous la forme qu’elle considère adéquats pour inciter cet État membre à mettre fin à l’inexécution des obligations découlant de ce premier arrêt de la Cour.
53 Aux fins de la fixation du montant de l’astreinte, les critères de base qui doivent être pris en considération pour assurer la nature coercitive de cette dernière, en vue d’une application uniforme et effective du droit de l’Union, sont, en principe, la gravité de l’infraction, sa durée et la capacité de paiement de l’État membre en cause. Pour l’application de ces critères, il y a lieu de tenir compte, en particulier, des conséquences du défaut d’exécution sur les intérêts privés et publics ainsi que de l’urgence qu’il y a à amener l’État membre concerné à se conformer à ses obligations (voir arrêt Commission/Luxembourg, EU:C:2013:773, point 47 et jurisprudence citée).
54 En ce qui concerne, en premier lieu, la gravité de l’infraction, il convient de rappeler, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, que l’obligation d’éliminer les déchets sans mettre en danger la santé humaine et sans porter préjudice à l’environnement fait partie des objectifs mêmes de la politique de l’Union dans le domaine de l’environnement, ainsi que cela ressort de l’article 191 TFUE. L’absence de respect de l’obligation résultant de l’article 4 de la directive 75/442 risque, par la nature même de cette obligation, de mettre directement en danger la santé humaine et de porter préjudice à l’environnement et doit être considérée comme particulièrement grave (arrêt Commission/Grèce, EU:C:2000:356, point 94).
55 Il y a lieu de relever que, en l’espèce, le nombre de décharges illégales faisant l’objet du manquement à la date de l’examen des faits par la Cour, soit 293, dont 70 n’ayant pas encore été désaffectées, est considérable. Toutefois, ce nombre est nettement moins élevé que le nombre de sites illégaux qui étaient en activité, selon les chiffres fournis par la République hellénique elle-même, au mois de février 2004, lors de l’engagement de la première procédure en manquement devant la Cour, à savoir 1 125 décharges illégales (arrêt Commission/Grèce, EU:C:2005:592, point 8).
56 Or, force est de constater que, dans la présente affaire, l’importance du préjudice, qui, à la date du prononcé du présent arrêt, continue d’être occasionné à la santé humaine et à l’environnement en raison du manquement reproché, est fonction, dans une large mesure, du nombre de sites individuels affectés par ce manquement, et notamment du nombre de décharges illégales encore exploitées. Dès lors, ce préjudice est moins important que celui qui était occasionné à la santé humaine et à l’environnement en raison du manquement initial constaté dans l’arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592).
57 S’agissant, en deuxième lieu, de la durée de l’infraction, il y a lieu de rappeler que celle-ci doit être évaluée en prenant en considération le moment auquel la Cour apprécie les faits et non pas celui où cette dernière est saisie par la Commission (arrêt Commission/Portugal, C‑70/06, EU:C:2008:3, point 45 et jurisprudence citée). Or, en l’espèce, la durée de l’infraction, à savoir plus de neuf ans à compter de la date du prononcé de l’arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592), est considérable.
58 En troisième lieu, en ce qui concerne la capacité de paiement de l’État membre en cause, il y a lieu de tenir compte des arguments de la République hellénique, tirés de ce que son PIB a diminué depuis 2010. En effet, la Cour a déjà jugé qu’il convient de prendre en compte l’évolution récente du PIB d’un État membre telle qu’elle se présente à la date de l’examen des faits par la Cour (arrêt Commission/Irlande, C‑279/11, EU:C:2012:834, point 78).
59 En outre, la Commission a proposé à la Cour de réduire progressivement l’astreinte en fonction des progrès réalisés dans l’exécution de l’arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592).
60 Il convient de relever, à cet égard, que, même si, pour garantir l’exécution complète de l’arrêt de la Cour, l’astreinte doit être exigée dans son intégralité jusqu’à ce que l’État membre ait pris toutes les mesures nécessaires pour mettre fin au manquement constaté, dans certains cas spécifiques, toutefois, une sanction qui tient compte des progrès éventuellement réalisés par l’État membre dans l’exécution de ses obligations peut être envisagée (voir, en ce sens, arrêts Commission/Espagne, EU:C:2003:635, points 43 à 51; Commission/Italie, EU:C:2011:740, points 47 à 55, ainsi que Commission/Belgique, EU:C:2013:659, points 73 et 74).
61 Dans les circonstances de l’espèce et eu égard, notamment, aux informations fournies à la Cour par la République hellénique et par la Commission les 13 et 15 mai 2014, respectivement, la Cour estime qu’il y a lieu de fixer une astreinte dégressive. Dès lors, il est nécessaire de déterminer le mode de calcul de cette astreinte ainsi que la périodicité de celle-ci.
62 S’agissant de cette dernière question, conformément à la proposition de la Commission, il convient de déterminer l’astreinte dégressive sur une base semestrielle, afin de permettre à cette institution d’apprécier l’état d’avancement des mesures d’exécution de l’arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592), eu égard à la situation prévalant à l’issue de la période en question (voir, en ce sens, arrêt Commission/Italie, EU:C:2011:740, point 54).
63 En outre, il convient de relever que le préjudice qui continue d’être occasionné à la santé humaine et à l’environnement est, en principe, plus important s’agissant des 70 décharges qui sont encore exploitées qu’en ce qui concerne les 223 autres décharges qui ne sont plus en activité, mais qui doivent encore être réhabilitées. Cela étant, il importe d’inciter l’État membre en cause non seulement à réaliser la réhabilitation de l’ensemble des décharges en question dans les meilleurs délais, mais aussi, avant leur réhabilitation ultérieure, à désaffecter dès que possible les décharges qui sont encore exploitées.
64 À cette fin, il y a lieu de considérer, en vue du calcul de l’astreinte, que chaque décharge qui est encore en activité comporte, en réalité, deux cas distincts d’infraction. Dès lors, l’infraction globale doit être scindée non pas en 293 cas distincts d’infraction, soit un cas pour chaque décharge, mais en 363 cas d’infraction, soit un cas pour chacune des 223 décharges qui doivent encore être réhabilitées et deux cas pour chacune des 70 décharges qui n’ont pas encore été désaffectées et qui devront également être réhabilitées par la suite.
65 Au vu de ces circonstances, et compte tenu de la nécessité d’inciter l’État membre en cause à mettre fin au manquement reproché, la Cour estime opportun, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, de fixer, sur la base des 363 cas d’infraction retenus dans le présent arrêt, une astreinte semestrielle de 14 520 000 euros, un montant de 40 000 euros devant être déduit de cette somme pour chaque cas d’infraction ayant cessé à la fin de chaque période de six mois concernée.
66 Afin qu’une telle réduction de l’astreinte soit obtenue, il incombe à la République hellénique d’apporter la preuve, avant la fin de chaque période de six mois à compter de la date de prononcé du présent arrêt, que des décharges spécifiques visées par le manquement ont cessé d’être exploitées et/ou qu’elles ont été réhabilitées. Pour éviter le risque, évoqué par la Commission, de voir l’État membre concerné désaffecter des décharges illégales en créant, parallèlement, de nouveaux sites d’élimination incontrôlée des déchets, il y a lieu de considérer qu’une décharge illégale précédemment en activité a été désaffectée uniquement dans la mesure où la République hellénique apporte la preuve non seulement de cette désaffectation en tant que telle, mais aussi du fait que les déchets qui y étaient déposés auparavant le sont désormais de manière licite dans un site de mise en décharge spécifiquement identifié.
67 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de condamner la République hellénique à payer à la Commission, sur le compte «Ressources propres de l’Union européenne», à compter du jour du prononcé du présent arrêt et jusqu’à l’exécution de l’arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592), dans le cas où le manquement constaté au point 30 du présent arrêt persiste audit jour, une astreinte semestrielle calculée, en ce qui concerne le premier semestre suivant ce prononcé, à la fin de celui-ci, à partir d’un montant initial fixé à 14 520 000 euros, dont il sera déduit un montant de 40 000 euros par site d’élimination incontrôlée des déchets, visé par le manquement constaté, ayant fait l’objet soit d’une désaffectation soit d’une réhabilitation depuis le 13 mai 2014 ainsi qu’un montant de 80 000 euros pour ceux des sites visés qui auront été à la fois désaffectés et réhabilités depuis cette même date. Pour tous les semestres suivants, l’astreinte due au titre de chaque semestre sera calculée, à la fin de celui-ci, à partir du montant de l’astreinte fixée pour le semestre précédent, les mêmes déductions étant effectuées en fonction des désaffectations et des réhabilitations, intervenues au cours du semestre en cause, des sites visés par le manquement constaté.
Sur la somme forfaitaire
Argumentation des parties
68 Conformément à la communication de la Commission, cette institution propose à la Cour de retenir une somme forfaitaire fixe prenant en compte la période comprise entre le jour où a été prononcé l’arrêt rendu au titre de l’article 258 TFUE et le jour de l’exécution par l’État membre concerné de cet arrêt ou le jour où sera prononcé l’arrêt rendu au titre de l’article 260 TFUE. Pour le calcul de cette somme forfaitaire, la Commission utilise les mêmes critères que ceux utilisés pour celui de l’astreinte, à savoir les critères relatifs à la gravité de l’infraction, à la durée de celle-ci, qui est prise en compte en multipliant une somme forfaitaire journalière par le nombre de jours d’inexécution, et à la nécessité d’assurer le caractère dissuasif de la sanction pécuniaire. Selon la communication de la Commission, il serait proposé de fixer le montant forfaitaire à 210 euros. Compte tenu du coefficient de gravité de 9 et du facteur «n» de 4,12, la somme forfaitaire journalière s’élèverait donc à 7 786,80 euros (210 x 9 x 4,12). L’arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592) ayant été prononcé le 6 octobre 2005 et l’adoption, par la Commission, de la décision d’introduire le présent recours au titre de l’article 260 TFUE étant intervenue le 21 février 2013, 2 696 jours se seraient écoulés entre le prononcé de cet arrêt et ladite décision.
69 Au 21 février 2013, la somme forfaitaire totale (7 786,80 euros x 2 696 jours), qui s’élèverait, par conséquent, à 20 993 212,80 euros, dépasserait la somme forfaitaire minimale fixée, pour la République hellénique, à 2 181 000 euros. Dans ces circonstances, la Commission estime qu’il convient de fixer la somme forfaitaire journalière à 7 786,80 euros par jour, à compter du 6 octobre 2005 et jusqu’au jour où sera rendu l’arrêt mettant fin à la présente procédure ou, s’il intervient plus tôt, jusqu’au jour où sera pleinement exécuté l’arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592). La Commission ajoute que, contrairement aux arguments de la République hellénique, un risque de pérennisation du manquement ne peut être écarté, compte tenu, notamment, du fait que cet État membre aurait dû se conformer aux dispositions en cause il y a plusieurs décennies et, a fortiori, depuis l’arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592).
70 La République hellénique soutient que, eu égard à la finalité dissuasive de la condamnation au paiement d’une somme forfaitaire, et compte tenu du fait que cet État membre démontre, dans le cadre de la présente procédure, qu’il a déjà procédé à tous les actes nécessaires en vue de l’exécution complète de l’arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592), en coopérant de façon systématique et sincère avec les services de la Commission, il n’y a pas lieu de lui imposer le versement d’une somme forfaitaire. En effet, il n’y aurait, en l’espèce, aucun risque de récidive, dès lors que 95 % du territoire dudit État membre serait désormais couvert par des installations légales d’élimination des déchets ménagers. En tout état de cause, si la Cour devait décider de lui imposer le paiement d’une telle somme, la République hellénique suggère à la Cour de retenir la somme minimale prévue pour cet État membre, à savoir 2 181 000 euros dans la communication de la Commission.
Appréciation de la Cour
71 Il convient de rappeler, à titre liminaire, que la Cour est habilitée, dans l’exercice du pouvoir d’appréciation qui lui est conféré dans le domaine considéré, à imposer, de façon cumulative, une astreinte et une somme forfaitaire (arrêt Commission/Grèce, C‑369/07, EU:C:2009:428, point 143).
72 Le principe de la condamnation au paiement d’une somme forfaitaire repose essentiellement sur l’appréciation des conséquences du défaut d’exécution des obligations de l’État membre concerné sur les intérêts privés et publics, notamment lorsque le manquement a persisté pendant une longue période, postérieurement au prononcé de l’arrêt qui l’a initialement constaté (voir arrêt Commission/Espagne, C‑184/11, EU:C:2014:316, point 59 et jurisprudence citée).
73 Cette condamnation doit, dans chaque cas d’espèce, demeurer fonction de l’ensemble des éléments pertinents ayant trait tant aux caractéristiques du manquement constaté qu’à l’attitude propre à l’État membre concerné par la procédure initiée sur le fondement de l’article 260 TFUE. À cet égard, celui-ci investit la Cour d’un large pouvoir d’appréciation afin de décider de l’infliction ou non de cette sanction (arrêt Commission/Espagne, EU:C:2012:781, point 141).
74 Dans le présent litige, l’ensemble des éléments juridiques et factuels ayant abouti au manquement constaté, notamment le nombre très élevé de décharges illégales concernées par celui-ci, aux termes de l’arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592) prononcé au mois d’octobre 2005, à savoir 1 125 décharges, dont 293 n’avaient pas encore été désaffectées et/ou réhabilitées au mois de mai 2014, constitue un indicateur de ce que la prévention effective de la répétition future d’infractions analogues au droit de l’Union est de nature à requérir l’adoption d’une mesure dissuasive, telle que la condamnation au paiement d’une somme forfaitaire.
75 Dans ces circonstances, il appartient à la Cour, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, de fixer le montant de cette somme forfaitaire de sorte qu’elle soit, d’une part, adaptée aux circonstances et, d’autre part, proportionnée à l’infraction commise (arrêt Commission/Grèce, EU:C:2009:428, point 146).
76 Figurent notamment au rang des facteurs pertinents à cet égard des éléments tels que la gravité de l’infraction constatée et la période durant laquelle celle-ci a persisté depuis le prononcé de l’arrêt l’ayant constatée (arrêt Commission/Italie, EU:C:2011:740, point 94).
77 Les circonstances devant être prises en compte résultent notamment des considérations figurant aux points 54, 57 et 58 du présent arrêt, relatives à la gravité et à la durée de l’infraction ainsi qu’à la capacité de paiement de l’État membre en cause.
78 S’agissant de la gravité de l’infraction, il y a lieu, toutefois, de relever que le nombre de décharges illégales faisant l’objet de l’infraction reprochée pendant la période comprise entre le prononcé de l’arrêt Commission/Grèce (EU:C:2005:592), au mois d’octobre 2005, et celui du présent arrêt était nettement plus élevé, en moyenne, que celui qui a été retenu au point 55 du présent arrêt aux fins du calcul de l’astreinte, à savoir 293 décharges, dont 70 n’ayant pas encore été désaffectées. En effet, le nombre de décharges illégales a diminué pendant ladite période, passant de 1 125, nombre retenu par la Cour au mois d’octobre 2005, à 293, dont 70 encore en exploitation, selon les chiffres fournis à la Cour par les parties au mois de mai 2014. Ainsi, conformément à ce qui a été jugé au point 56 du présent arrêt en ce qui concerne le fait que le préjudice occasionné à la santé humaine et à l’environnement en raison de l’infraction constatée en l’espèce est fonction, dans une large mesure, du nombre de sites individuels affectés par cette infraction, il y a lieu de considérer ladite infraction comme étant plus grave aux fins du calcul de la somme forfaitaire qu’aux fins de la fixation de l’astreinte.
79 Sur la base de l’ensemble de ces éléments, la Cour considère qu’il sera fait une juste appréciation des circonstances de l’espèce en fixant à 10 millions d’euros le montant de la somme forfaitaire que la République hellénique devra acquitter.
80 Il convient, par conséquent, de condamner la République hellénique à verser à la Commission, sur le compte «Ressources propres de l’Union européenne», la somme forfaitaire de 10 millions d’euros.
Sur les dépens
81 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République hellénique et le manquement ayant été constaté, il y a lieu de condamner cette dernière aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:
1) En n’ayant pas pris toutes les mesures nécessaires que comporte l’exécution de l’arrêt Commission/Grèce (C‑502/03, EU:C:2005:592), la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 260, paragraphe 1, TFUE.
2) La République hellénique est condamnée à payer à la Commission européenne, sur le compte «Ressources propres de l’Union européenne», à compter du jour du prononcé du présent arrêt et jusqu’à l’exécution de l’arrêt Commission/Grèce (C‑502/03, EU:C:2005:592), dans le cas où le manquement constaté au point 1 du dispositif du présent arrêt persiste audit jour, une astreinte semestrielle calculée, en ce qui concerne le premier semestre suivant ce prononcé, à la fin de celui-ci, à partir d’un montant initial fixé à 14 520 000 euros, dont il sera déduit un montant de 40 000 euros par site d’élimination incontrôlée des déchets, visé par le manquement constaté, ayant fait l’objet soit d’une désaffectation soit d’une réhabilitation depuis le 13 mai 2014 ainsi qu’un montant de 80 000 euros pour ceux des sites visés qui auront été à la fois désaffectés et réhabilités depuis cette même date. Pour tous les semestres suivants, l’astreinte due au titre de chaque semestre sera calculée, à la fin de celui-ci, à partir du montant de l’astreinte fixée pour le semestre précédent, les mêmes déductions étant effectuées en fonction des désaffectations et des réhabilitations, intervenues au cours du semestre en cause, des sites visés par le manquement constaté.
3) La République hellénique est condamnée à payer à la Commission européenne, sur le compte «Ressources propres de l’Union européenne», la somme forfaitaire de 10 millions d’euros.
4) La République hellénique est condamnée aux dépens.