LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 29 juin 2017 par le Conseil d’État (décision n° 409568 du 28 juin 2017), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. François G. par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-655 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 213-4 du code du patrimoine, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008 relative aux archives.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code du patrimoine ;
- la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008 relative aux archives ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées les 21 juillet et 7 août 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 21 juillet 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour le requérant, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 7 septembre 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L’article L. 213-4 du code du patrimoine, dans sa rédaction résultant de la loi du 15 juillet 2008 mentionnée ci-dessus, prévoit : « Le versement des documents d’archives publiques émanant du Président de la République, du Premier ministre et des autres membres du Gouvernement peut être assorti de la signature entre la partie versante et l’administration des archives d’un protocole relatif aux conditions de traitement, de conservation, de valorisation ou de communication du fonds versé, pendant la durée des délais prévus à l’article L. 213-2. Les stipulations de ce protocole peuvent également s’appliquer aux documents d’archives publiques émanant des collaborateurs personnels de l’autorité signataire.
« Pour l’application de l’article L. 213-3, l’accord de la partie versante requis pour autoriser la consultation ou l’ouverture anticipée du fonds est donné par le signataire du protocole.
« Le protocole cesse de plein droit d’avoir effet en cas de décès du signataire et, en tout état de cause, à la date d’expiration des délais prévus à l’article L. 213-2.
« Les documents d’archives publiques versés antérieurement à la publication de la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008 relative aux archives demeurent régis par les protocoles alors signés. Toutefois, les clauses de ces protocoles relatives au mandataire désigné par l’autorité signataire cessent d’être applicables vingt-cinq ans après le décès du signataire ».
2. Le requérant conteste ces dispositions, relatives aux archives publiques émanant du Président de la République, du Premier ministre et des autres membres du Gouvernement, au motif qu’elles confèreraient aux responsables politiques ou à leur mandataire un droit exclusif d’autoriser, de façon discrétionnaire, la divulgation anticipée des documents qu’ils ont versés aux archives. Il en résulterait une méconnaissance du droit de demander compte à un agent public de son administration, prévu à l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, dont le droit d’accès aux archives publiques serait un « corollaire nécessaire ». Il en résulterait également une méconnaissance du droit du public à recevoir des informations, qui découlerait du droit à la libre communication des pensées et des opinions garanti par l’article 11 de la Déclaration de 1789. Enfin, le droit à un recours juridictionnel effectif protégé par l’article 16 de la Déclaration de 1789 serait méconnu, dans la mesure où l’autorité administrative est tenue de se conformer au refus discrétionnairement opposé par le responsable politique ou par son mandataire.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le deuxième alinéa et la première phrase du dernier alinéa de l’article L. 213-4 du code du patrimoine.
– Sur le grief tiré de la méconnaissance de l’article 15 de la Déclaration de 1789 :
4. Aux termes de l’article 15 de la Déclaration de 1789 : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Est garanti par cette disposition le droit d’accès aux documents d’archives publiques. Il est loisible au législateur d’apporter à ce droit des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi.
5. Selon le premier alinéa de l’article L. 213-4 du code du patrimoine, le versement des documents d’archives publiques émanant du Président de la République, du Premier ministre et des autres membres du Gouvernement peut être assorti de la signature de protocoles, conclus entre la partie versante et l’administration des archives, déterminant notamment les conditions de communication du fonds versé. En application de l’article L. 213-3 du même code, l’autorisation de consultation de ces documents avant l’expiration des délais fixés à l’article L. 213-2, qui varient en fonction des intérêts protégés, peut être accordée aux personnes qui en font la demande « dans la mesure où l’intérêt qui s’attache à la consultation de ces documents ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger ».
6. En application des dispositions contestées, cette consultation anticipée, lorsqu’elle porte sur des archives publiques versées après la publication de la loi du 15 juillet 2008, requiert l’autorisation préalable du signataire du protocole. La consultation anticipée des archives versées avant cette publication, qui demeure régie par les protocoles conclus antérieurement, nécessite l’autorisation du signataire ou, le cas échéant, de son mandataire.
7. En premier lieu, il ressort des travaux préparatoires qu’en conférant au signataire du protocole ou à son mandataire le pouvoir d’autoriser la consultation anticipée des archives publiques émanant du Président de la République, du Premier ministre et des autres membres du Gouvernement, le législateur a entendu, en les plaçant sous le contrôle des intéressés, accorder une protection particulière à ces archives, qui peuvent comporter des informations susceptibles de relever du secret des délibérations du pouvoir exécutif et, ainsi, favoriser la conservation et le versement de ces documents. Ce faisant, il a poursuivi un objectif d’intérêt général.
8. En second lieu, cette restriction au droit d’accès aux documents d’archives publiques est limitée dans le temps. D’une part, les protocoles relatifs aux archives versées après la publication de la loi du 15 juillet 2008 cessent de plein droit d’avoir effet lors du décès de leur signataire et, en tout état de cause, pour les documents relevant de l’article L. 213-2 du code du patrimoine, à l’expiration des délais fixés par cet article. D’autre part, les clauses relatives à la faculté d’opposition du mandataire figurant dans les protocoles régissant les archives versées avant cette même publication cessent d’être applicables vingt-cinq ans après le décès du signataire.
9. Par conséquent, les limitations apportées par les dispositions contestées à l’exercice du droit d’accès aux documents d’archives publiques résultant de l’article 15 de la Déclaration de 1789 sont justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à cet objectif. Le grief tiré de la méconnaissance de cet article doit donc être écarté.
– Sur les autres griefs :
10. En premier lieu, en définissant des conditions spécifiques de communication des archives publiques du Président de la République, du Premier ministre et des autres membres du Gouvernement, les dispositions contestées ne portent pas d’atteinte à l’exercice de la liberté d’expression et de communication garantie par l’article 11 de la Déclaration de 1789. Le grief tiré de la méconnaissance de cet article doit donc être écarté.
11. En second lieu, les dispositions contestées ne privent pas la personne à qui est opposé un refus de consultation du droit de contester cette décision devant le juge. La circonstance que l’autorité administrative ne puisse surmonter l’absence d’accord du signataire du protocole ou, le cas échéant, de son mandataire n’entraîne par elle-même pas d’atteinte au droit d’exercer un recours effectif devant une juridiction. Le grief tiré de la méconnaissance de l’article 16 de la Déclaration de 1789 doit donc être écarté.
12. Par conséquent, le deuxième alinéa et la première phrase du dernier alinéa de l’article L. 213-4 du code du patrimoine, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. – Le deuxième alinéa et la première phrase du dernier alinéa de l’article L. 213-4 du code du patrimoine, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008 relative aux archives, sont conformes à la Constitution.
Article 2. – Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.