ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
12 septembre 2017
« Article 273 TFUE – Différend entre États membres soumis à la Cour en vertu d’un compromis – Fiscalité – Convention bilatérale tendant à prévenir la double imposition – Imposition des intérêts de valeurs mobilières – Notion de “créances avec participation aux bénéfices” »
Dans l’affaire C‑648/15,
ayant pour objet une requête au titre de l’article 273 TFUE, introduite le 3 décembre 2015,
République d’Autriche, représentée par Mme C. Pesendorfer ainsi que par MM. F. Koppensteiner et H. Jirousek, en qualité d’agents,
partie requérante,
contre
République fédérale d’Allemagne, représentée par MM. T. Henze et J. Möller, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
LA COUR (grande chambre),
composée de M. K. Lenaerts, président, M. A. Tizzano, vice‑président, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. T. von Danwitz et J. L. da Cruz Vilaça, présidents de chambre, MM. J. Malenovský, E. Levits, J.‑C. Bonichot (rapporteur), A. Arabadjiev, Mme C. Toader, MM. C. G. Fernlund, C. Vajda, S. Rodin, F. Biltgen et Mme K. Jürimäe, juges,
avocat général : M. P. Mengozzi,
greffier : M. K. Malacek, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 6 décembre 2016,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 27 avril 2017,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, la République d’Autriche demande à la Cour de statuer sur le différend qui l’oppose à la République fédérale d’Allemagne au sujet de l’interprétation de l’article 11, paragraphe 2, de l’Abkommen zwischen der Republik Österreich und der Bundesrepublik Deutschland zur Vermeidung der Doppelbesteuerung auf dem Gebiet der Steuern vom Einkommen und vom Vermögen (convention entre la République d’Autriche et la République fédérale d’Allemagne, préventive de la double imposition en matière d’impôt sur le revenu et sur la fortune), du 24 août 2000 (BGBl. III, 182/2002, ci-après la « convention austro‑allemande »), en ce qui concerne l’imposition des intérêts de valeurs mobilières (Genussscheine) émises par une société ayant son siège sur le territoire de la République fédérale d’Allemagne, et détenues par une société ayant son siège sur le territoire de la République d’Autriche.
Le cadre juridique
La convention de Vienne
2 L’article 31, paragraphe 1, de la convention de Vienne sur le droit des traités, du 23 mai 1969 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 1155, p. 331, ci-après la « convention de Vienne »), se lit comme suit :
« Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but. »
La convention austro-allemande
3 L’article 3, paragraphe 2, de la convention austro-allemande dispose :
« Pour l’application de la [convention austro-allemande] à un moment donné par un État contractant, tout terme ou expression qui n’y est pas défini a, sauf si le contexte exige une interprétation différente, le sens que lui attribue, à ce moment, le droit de cet État concernant les impôts auxquels s’applique la convention, le sens attribué à ce terme ou expression par le droit fiscal de cet État prévalant sur le sens que lui attribuent les autres branches du droit de cet État. »
4 En vertu de l’article 11, paragraphe 1, de cette convention, les revenus sous forme d’intérêts sont imposés dans l’État de résidence ou d’établissement de leur bénéficiaire. Ce traitement est distinct de celui prévu à l’article 10 de la même convention pour les revenus des dividendes, qui sont en principe imposés dans l’État de leur source.
5 L’article 11, paragraphe 2, de ladite convention stipule :
« Les revenus provenant de droits ou de créances avec participation aux bénéfices, y compris les revenus recueillis par un associé passif sur sa participation d’associé passif ou les revenus de prêts participatifs et d’obligations participatives peuvent toutefois également être imposés dans l’État partie dont ils proviennent, conformément au droit de cet État. »
6 Afin d’éviter la double imposition de tels revenus, les deux États parties ont opté pour la méthode dite de « l’imputation », définie à l’article 23 de la convention austro-allemande, en vertu de laquelle il incombe à l’État de résidence ou d’établissement du bénéficiaire des intérêts d’imputer sur le montant d’impôt à percevoir sur les revenus de ce bénéficiaire le montant correspondant à l’impôt déjà prélevé par l’État de la source.
7 L’article 25, paragraphe 1, de la convention austro-allemande prévoit que toute personne qui s’estime lésée par une imposition contraire à cette convention peut initier une procédure de conciliation entre les autorités compétentes des États parties.
8 Aux termes de l’article 25, paragraphe 5, de la même convention :
« En cas de difficultés ou de doutes quant à l’interprétation ou l’application de la présente convention qui ne peuvent trouver de solution dans le cadre d’une procédure de conciliation entre les autorités compétentes organisée conformément aux paragraphes précédents du présent article, et ce dans un délai de trois ans à compter de l’ouverture de ladite procédure, les États parties sont tenus, à la demande de la personne visée au paragraphe 1, de soumettre le différend à la Cour de justice [de l’Union européenne] dans le cadre d’une procédure d’arbitrage en vertu de l’article [273 TFUE]. »
9 L’article 30 de la convention austro-allemande précise que son protocole en fait partie intégrante.
10 Le point 16 dudit protocole prévoit que les stipulations de la convention austro-allemande, qui sont rédigées conformément aux stipulations pertinentes du modèle de convention fiscale concernant le revenu et la fortune élaboré par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), ont généralement la même signification que celles qui figurent dans les commentaires des articles de ce modèle de convention. Le même point indique, par ailleurs, que ces commentaires constituent un moyen d’interprétation de la convention austro-allemande au sens de la convention de Vienne.
Les faits à l’origine du différend
11 Entre l’année 1996 et l’année 1998, Bank Austria AG, société ayant son siège sur le territoire de la République d’Autriche et assujettie à l’impôt de façon illimitée dans cet État membre, a acquis des titres auprès de la Westdeutsche Landesbank Girozentrale Düsseldorf und Münster, devenue par la suite Landesbank NRW, dont le siège est situé sur le territoire de la République fédérale d’Allemagne.
12 Selon les affirmations de la République d’Autriche, non contestées par la République fédérale d’Allemagne, les conditions d’émission de ces titres peuvent être résumées de la manière suivante :
– les titres donnent droit à un versement annuel, en pourcentage fixe de leur valeur nominale ;
– si le versement annuel est susceptible d’engendrer une perte comptable, son montant est réduit à due concurrence ;
– les titres donnent cependant droit, pendant leur durée d’existence, au paiement des arriérés au cours des années ultérieures, pour autant que ce rattrapage n’engendre pas de perte comptable ;
– le versement des intérêts et le paiement des arriérés ont la priorité sur la dotation aux réserves et sur les versements aux garants ;
– le montant des capitaux mis à la disposition de l’émetteur en contrepartie des titres est remboursé à la valeur nominale de ceux-ci ;
– si le bilan fait apparaître une perte, le montant de la créance de remboursement est toutefois réduit à due concurrence. En ce cas également, la différence avec la valeur nominale du titre est comblée au cours des années ultérieures pour autant que cela n’entraîne pas de perte comptable ;
– les titres ne donnent pas droit à une participation au produit de la liquidation de la société émettrice, et
– la société émettrice a un droit de résiliation si les titres ne donnent plus lieu à déductibilité fiscale.
13 S’il n’est pas contesté que les revenus des titres en cause sont des intérêts au sens de l’article 11 de la convention austro-allemande, et non des dividendes au sens de l’article 10 de cette dernière, la République d’Autriche et la République fédérale d’Allemagne s’opposent sur le point de savoir si de tels intérêts relèvent de l’article 11, paragraphe 1, ou de l’article 11, paragraphe 2, de ladite convention. Plus précisément, la République d’Autriche estime que les titres en cause n’emportent pas participation aux bénéfices au sens de l’article 11, paragraphe 2, de la même convention, alors que la République fédérale d’Allemagne prétend le contraire.
14 Cette divergence dans la qualification juridique des intérêts perçus par Bank Austria a conduit ces deux États à revendiquer le droit exclusif de les imposer, ce qui a occasionné une double imposition dans le chef de cette société pour les exercices fiscaux compris entre l’année 2003 et l’année 2009.
15 Conformément à l’article 25, paragraphe 1, de la convention austro‑allemande, Bank Austria a présenté une demande d’ouverture d’une procédure de conciliation auprès des autorités autrichiennes. Cette procédure a été lancée par la République d’Autriche, mais s’est soldée par un constat d’échec à la fin de l’année 2011.
16 Bank Austria a alors demandé à la République d’Autriche que le différend soit porté devant la Cour en application de l’article 25, paragraphe 5, de la convention austro-allemande.
Les conclusions des parties
17 La République d’Autriche demande à la Cour de :
– dire pour droit que les titres en cause ne doivent pas être regardés comme des créances avec participation aux bénéfices, au sens de l’article 11, paragraphe 2, de la convention austro-allemande, et que, par conséquent, le droit exclusif d’imposer leurs intérêts appartient à la République d’Autriche, en tant qu’État de résidence du bénéficiaire effectif ;
– dire pour droit que la République fédérale d’Allemagne doit, dès lors, s’abstenir d’imposer ces intérêts et rembourser l’impôt déjà perçu à ce titre, et
– condamner la République fédérale d’Allemagne aux dépens.
18 La République fédérale d’Allemagne demande à la Cour de :
– dire pour droit que les titres en cause doivent être regardés comme des créances avec participation aux bénéfices, au sens de l’article 11, paragraphe 2, de la convention austro-allemande, et que, par conséquent, le droit exclusif d’imposer leurs intérêts appartient à la République fédérale d’Allemagne, en tant qu’État de la source de ces revenus ;
– dire pour droit que la République d’Autriche doit, dès lors, éviter la double imposition de ces intérêts et rembourser l’impôt déjà perçu à ce titre, et
– condamner la République d’Autriche aux dépens.
Sur la demande de règlement du différend
Sur la compétence de la Cour
19 La Cour est saisie sur le fondement de l’article 273 TFUE, au titre duquel elle peut « statuer sur tout différend entre États membres en connexité avec l’objet des traités, si ce différend lui est soumis en vertu d’un compromis ».
20 Cette disposition subordonne la compétence de la Cour, d’une part, à l’existence d’un différend entre États membres, laquelle ne fait pas de doute en l’espèce.
21 En effet, la République d’Autriche et la République fédérale d’Allemagne revendiquent concurremment le droit exclusif d’imposer des revenus afférents à des exercices fiscaux au cours desquels ces deux États appartenaient à l’Union européenne. Cette double revendication a induit, dans le chef du contribuable, une double imposition contraire aux objectifs de la convention austro-allemande, par laquelle les États parties à celle-ci ont, précisément, entendu prévenir la double imposition. La procédure de conciliation prévue par cette convention étant restée infructueuse, l’existence d’un différend entre États membres au sens de l’article 273 TFUE ne peut qu’être établie.
22 La compétence de la Cour est, d’autre part, conditionnée par la connexité du différend qui lui est soumis avec l’objet des traités.
23 Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 43 de ses conclusions, il résulte d’une mise en perspective des différentes versions linguistiques de l’article 273 TFUE que le terme de « connexité » doit s’entendre d’un lien, et non d’un rapport d’identité.
24 Cette interprétation est renforcée par comparaison avec la possibilité, prévue à l’article 259 TFUE, pour un État membre de former un recours en manquement à l’encontre d’un autre État membre lorsqu’il estime que ce dernier a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu des traités eux-mêmes.
25 La condition de connexité posée à l’article 273 TFUE est dès lors remplie lorsqu’il est établi que le différend soumis à la Cour présente un lien objectivement identifiable avec l’objet des traités.
26 Tel est à l’évidence le cas en l’espèce, eu égard à l’effet bénéfique de l’atténuation des doubles impositions sur le fonctionnement du marché intérieur que l’Union a pour objectif d’établir conformément à l’article 3, paragraphe 3, TUE et à l’article 26 TFUE. En effet, ainsi que l’a fait en substance observer la Commission européenne dans sa communication au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social européen, du 11 novembre 2011, intitulée « La double imposition au sein du marché unique » [COM(2011) 712 final], la conclusion entre deux États membres d’une convention préventive de la double imposition a pour objet et pour effet d’éliminer ou d’atténuer certaines conséquences de l’exercice non coordonné de leur pouvoir d’imposition, lequel est par nature susceptible de restreindre, de dissuader ou de rendre moins attrayant l’usage des libertés de circulation prévues par le traité FUE.
27 Enfin, la Cour n’est compétente pour statuer sur une requête au titre de l’article 273 TFUE que si elle est présentée à la Cour en vertu d’un compromis.
28 Certes, la présente demande a été introduite non pas en vertu d’une clause compromissoire spécialement adoptée en vue de régler le présent différend, mais en application d’une stipulation générale de la convention austro-allemande, à savoir l’article 25, paragraphe 5, de cette dernière, antérieure à la naissance de ce différend, par laquelle les États parties se sont engagés à soumettre à la Cour l’ensemble des difficultés qui pourraient s’élever quant à l’interprétation ou à l’application de ladite convention et qui n’auraient pas été résolues dans le cadre d’un règlement amiable.
29 Cela étant, rien ne s’oppose, eu égard à l’objectif poursuivi par l’article 273 TFUE, qui consiste à fournir aux États membres un moyen de résoudre leurs différends en connexité avec l’objet des traités dans le cadre du système juridictionnel de l’Union, à ce qu’un accord sur le renvoi à la Cour soit acté entre les parties préalablement à la naissance d’un éventuel différend, pour des cas de figure déterminés par une stipulation telle que l’article 25, paragraphe 5, de la convention austro‑allemande (voir, en ce sens, arrêt du 27 novembre 2012, Pringle, C‑370/12, EU:C:2012:756, point 172).
30 Il s’ensuit que la Cour est compétente pour statuer sur le présent différend.
Sur le fond
31 Le différend porte sur le point de savoir si la notion de « créances avec participation aux bénéfices », employée à l’article 11, paragraphe 2, de la convention austro-allemande, doit être interprétée en ce sens qu’elle inclut des titres tels que ceux en cause en l’espèce.
32 Il importe à cet égard de relever que ces derniers peuvent être regardés comme des obligations d’un genre particulier. Il résulte, en effet, de leurs conditions d’émission qu’ils sont rémunérés par des intérêts à taux fixe appliqués à leur valeur nominale. Toutefois, leur spécificité tient, en substance, à ce que le versement des intérêts est réduit, voire suspendu, si, en raison d’un tel versement, la société émettrice clôt son exercice comptable en pertes, avant de faire l’objet d’un rattrapage des arriérés lorsque celle-ci renoue avec les profits à condition qu’un tel rattrapage n’engendre pas de perte.
33 Afin de trancher le différend, il convient par conséquent de rechercher si le mode de rémunération de ces titres peut être regardé comme présentant le caractère d’une « participation aux bénéfices », au sens de l’article 11, paragraphe 2, de la convention austro-allemande, notion que cette dernière ne définit pas.
34 À cet égard, la République fédérale d’Allemagne s’appuie sur l’interprétation retenue par son droit national, en particulier par un arrêt du Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne) du 26 août 2010, selon lequel la rémunération des titres en cause emporterait participation aux bénéfices.
35 Certes, l’article 3, paragraphe 2, de la convention austro-allemande pose une règle d’interprétation en vertu de laquelle un terme ou une expression non défini par cette convention doit recevoir le sens que lui attribue le droit fiscal de l’État qui en fait application.
36 Néanmoins, cette règle d’interprétation par un seul État à un moment donné ne saurait être regardée comme une règle destinée à résoudre les divergences d’interprétation entre les deux États parties.
37 Une lecture inverse priverait, d’ailleurs, de leur portée utile les stipulations de l’article 25, paragraphe 5, de ladite convention, dont la procédure de conciliation et la clause d’attribution de compétence à la Cour n’auraient guère de sens si les États parties avaient entendu que cette convention ne soit interprétée qu’en référence aux seuls droits nationaux, même lorsqu’ils ont, comme en l’espèce, des portées diamétralement opposées.
38 Il convient, dès lors, d’interpréter la notion de « créances avec participation aux bénéfices », au sens de la convention austro‑allemande, selon les méthodes propres au droit international.
39 À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’il résulte des stipulations de la convention de Vienne, à laquelle tant la République d’Autriche que la République fédérale d’Allemagne sont parties, que l’interprétation d’un traité doit se faire de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer à ses termes dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but, en tenant compte de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties à ce traité (voir, en ce sens, arrêt du 25 février 2010, Brita, C‑386/08, EU:C:2010:91, point 43).
40 S’agissant, tout d’abord, du sens ordinaire à attribuer aux termes de « participation aux bénéfices », tant le langage courant que les normes comptables les plus communément admises renvoient à une acception qui implique, en principe, la vocation à se voir attribuer une part des résultats positifs de l’exploitation annuelle d’une entreprise. Tel est généralement le cas d’un actionnaire, mais aussi, notamment, d’un salarié dont le contrat de travail prévoit une prime représentative d’une fraction des bénéfices réalisés par l’employeur.
41 Par ailleurs, l’expression « participation aux bénéfices » est ordinairement associée à la variabilité et à l’imprévisibilité inhérente au résultat annuel de toute activité économique risquée. Aussi la participation aux bénéfices d’un exercice comptable implique-t-elle généralement le droit de percevoir une somme indéterminée en début d’exercice, susceptible de varier d’un exercice sur l’autre, et pouvant d’ailleurs s’avérer égale à zéro.
42 L’expression « créances avec participation aux bénéfices » se rapporte donc à des produits financiers dont la rémunération varie, du moins partiellement, en fonction du montant des bénéfices annuels du débiteur.
43 Une telle interprétation est confirmée par une analyse contextuelle et par l’analyse de la finalité des stipulations dans lesquelles prend place la notion de « créances avec participation aux bénéfices », au cœur du présent différend.
44 S’agissant, ensuite, du contexte, il y a lieu de noter que cette notion s’insère à l’article 11, paragraphe 2, de la convention austro-allemande avant une énumération destinée à l’illustrer, où figurent trois types d’instruments financiers dont la caractéristique commune est, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 94 à 97 de ses conclusions, que leur rémunération est censée varier en fonction des bénéfices annuels de l’émetteur.
45 Il en va ainsi des « obligations participatives », qui se définissent généralement comme des obligations donnant droit, en sus de l’intérêt fixe qu’elles offrent, à une quote-part des bénéfices de l’émetteur.
46 De même, les « prêts participatifs » sont en principe caractérisés par un intérêt de base, fixe ou variable, complété par un intérêt corrélé au montant des bénéfices du débiteur.
47 Quant à l’« associé passif », quelle qu’en soit la forme, il a par définition vocation à participer aux bénéfices de la société dont il détient des parts, ainsi que l’a d’ailleurs fait valoir, sans être contredite, la République d’Autriche.
48 S’agissant, enfin, de la finalité des stipulations dans lesquelles s’insère l’expression « créances avec participation aux bénéfices », il convient de relever que l’article 11, paragraphe 2, de la convention austro-allemande se présente comme une dérogation au principe de répartition entre les États parties de leur compétence fiscale, exprimé à l’article 11, paragraphe 1, de cette convention, en vertu duquel les intérêts sont, en principe, imposés seulement dans l’État d’établissement ou de résidence de leur bénéficiaire. Cette disposition dérogatoire permet que les intérêts produits par une créance avec participation aux bénéfices soient « également » imposés par l’État de leur source. Il appartient alors à l’État d’établissement ou de résidence du bénéficiaire de ces intérêts d’éliminer la double imposition en imputant l’impôt déjà prélevé à la source sur les autres impôts dus par le titulaire de la créance.
49 Compte tenu de cette économie générale et de la finalité de la convention austro-allemande, qui consiste à éviter autant que faire se peut la double imposition juridique dans les situations transfrontières entre les deux États parties, le critère permettant de déroger à la répartition convenue des compétences fiscales, à savoir l’existence d’une participation aux bénéfices, doit recevoir une interprétation stricte telle que celle figurant aux points 40 à 42 du présent arrêt.
50 En effet, une interprétation large de l’expression « participation aux bénéfices », visée à article 11, paragraphe 2, de ladite convention, serait susceptible de limiter la portée de l’article 11, paragraphe 1, de celle-ci, lequel, en procédant à une répartition stricte de la compétence pour taxer des intérêts, est destiné à prévenir toute double imposition, alors qu’une application dudit article 11, paragraphe 2, implique une double imposition dont les effets préjudiciables au bon fonctionnement du marché intérieur ne sont qu’atténués par la règle d’imputation prévue à l’article 23, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 2, sous b), de cette même convention.
51 En l’occurrence, il est constant que les titres en cause sont rémunérés chaque année sur la base d’un taux fixe, appliqué à leur valeur nominale, elle-même fixe, ces deux données étant prédéterminées à la souscription.
52 Il est vrai que la rémunération de ces titres a, par ailleurs, ceci de particulier qu’elle est réduite ou interrompue lorsque l’exercice comptable de la société émettrice est clôturé en pertes du fait de cette rémunération, avant de faire l’objet d’un rattrapage au cours des exercices comptables bénéficiaires suivants, à condition que le paiement des arriérés n’engendre pas de pertes, ces arriérés s’ajoutant alors au versement des intérêts normalement dus au titre desdits exercices comptables ultérieurs.
53 Néanmoins, cette particularité implique seulement que le paiement annuel des intérêts est conditionné par la réalisation d’un bénéfice comptable suffisant pour le même exercice, et non pas que les titres en cause donneraient droit, outre aux intérêts annuels, à une part de ce bénéfice.
54 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, la notion de « créances avec participation aux bénéfices », employée à l’article 11, paragraphe 2, de la convention austro-allemande, doit être interprétée en ce sens qu’elle n’inclut pas des titres tels que ceux en cause en l’espèce.
55 En ce qui concerne les demandes réciproques de la République d’Autriche et de la République fédérale d’Allemagne de cesser d’exercer leur pouvoir fiscal sur les revenus des titres en cause, la réponse donnée par la Cour à la question d’interprétation de l’article 11, paragraphe 2, de la convention austro-allemande suffit à y satisfaire.
56 Quant aux demandes réciproques de la République d’Autriche et de la République fédérale d’Allemagne d’ordonner de procéder au remboursement des impôts perçus à tort, il n’y a, en tout état de cause, pas lieu d’y faire droit.
57 En effet, la Cour ne dispose pas des éléments propres à lui permettre de prendre position à cet égard, notamment en ce qui concerne toute interférence possible avec des procédures éventuellement en cours devant les juridictions de l’un ou l’autre État.
58 Il appartient, dès lors, à la République d’Autriche et à la République fédérale d’Allemagne de tirer les conséquences du présent arrêt, en coopérant loyalement à cette fin.
Sur les dépens
59 En vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
60 La République d’Autriche ayant conclu à la condamnation de la République fédérale d’Allemagne et celle-ci ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :
1) La notion de « créances avec participation aux bénéfices », employée à l’article 11, paragraphe 2, de l’Abkommen zwischen der Republik Österreich und der Bundesrepublik Deutschland zur Vermeidung der Doppelbesteuerung auf dem Gebiet der Steuern vom Einkommen und vom Vermögen (convention entre la République d’Autriche et la République fédérale d’Allemagne, préventive de la double imposition en matière d’impôt sur le revenu et sur la fortune), du 24 août 2000, doit être interprétée en ce sens qu’elle n’inclut pas des titres tels que ceux en cause en l’espèce.
2) La République fédérale d’Allemagne est condamnée aux dépens.