Le Conseil constitutionnel a été saisi le 22 septembre 2011 par le Conseil d’État (décision numéros 350385, 350386, 350387 du 21 septembre 2011), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Michel GOURMELON et relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des dispositions des articles L. 242-6, L. 242-7 et L. 242-8 du code rural et de la pêche maritime.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code rural et de la pêche maritime ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par Me Thomas Crochet, enregistrées les 14 et 29 octobre 2011 et 8 novembre 2011 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées les 14 et 31 octobre 2011 ;
Vu la lettre du 3 novembre 2011 par laquelle le Conseil constitutionnel a soumis aux parties un grief susceptible d’être soulevé par lui ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Thomas Crochet pour le requérant et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l’audience publique du 16 novembre 2011 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu’aux termes de l’article L. 242-6 du code rural et de la pêche maritime : « La chambre de discipline réprime tous les manquements des vétérinaires et docteurs vétérinaires aux devoirs de leur profession » ;
2. Considérant qu’aux termes de l’article L. 242-7 du même code : « La chambre de discipline peut appliquer les peines disciplinaires suivantes :
« 1° L’avertissement ;
« 2° La réprimande, accompagnée ou non de l’interdiction de faire partie d’un conseil de l’ordre pendant un délai qui ne peut excéder dix ans ;
« 3° La suspension temporaire du droit d’exercer la profession pour une durée maximum de dix ans dans un périmètre qui ne pourra excéder le ressort de la chambre régionale qui a prononcé la suspension. Cette sanction entraîne l’inéligibilité de l’intéressé à un conseil de l’ordre pendant toute la durée de la suspension ;
« 4° La suspension temporaire du droit d’exercer la profession pour une durée maximum de dix ans sur tout le territoire des départements métropolitains et d’outre-mer. Cette sanction comporte l’interdiction définitive de faire partie d’un conseil de l’ordre.
« L’exercice de la profession en période de suspension est passible des peines applicables à l’exercice illégal de la médecine et de la chirurgie des animaux.
« Lorsqu’une période égale à la moitié de la durée de la suspension se sera écoulée, le vétérinaire ou docteur vétérinaire frappé peut être relevé de l’incapacité d’exercer par une décision de la chambre de discipline qui a prononcé la condamnation. La demande est formée par une requête adressée au président du conseil régional de l’ordre qui a prononcé la suspension ; celui-ci devra statuer dans un délai de trois mois à dater du jour du dépôt de la requête.
« Toute décision de rejet pourra être transférée au conseil supérieur de l’ordre.
« Les peines disciplinaires prévues au présent article devront être notifiées au conseil supérieur de l’ordre dans un délai maximum d’un mois » ;
3. Considérant qu’aux termes de l’article L. 242-8 du même code : « Appel des décisions des chambres régionales de discipline peut être porté devant la chambre supérieure de discipline. Elle est composée des membres du conseil supérieur de l’ordre et d’un conseiller honoraire à la Cour de cassation, ou à défaut d’un conseiller en activité, exerçant la présidence et désigné par le premier président de la Cour de cassation.
« La chambre supérieure de discipline peut être saisie, dans le délai de deux mois à dater du jour de la notification, de la décision de la chambre régionale de discipline par l’intéressé ou les auteurs de la plainte.
« L’appel a un effet suspensif » ;
4. Considérant que, selon le requérant, en ne fixant pas de prescription des poursuites pour les fautes disciplinaires des vétérinaires, les dispositions contestées portent atteinte au principe fondamental reconnu par les lois de la République imposant qu’une règle de prescription soit prévue en matière disciplinaire ; qu’en outre, en prévoyant que la chambre supérieure de discipline comprend, à l’exception de son président, des membres du conseil supérieur de l’ordre des vétérinaires, les règles de composition de l’instance disciplinaire méconnaîtraient les principes d’impartialité et d’indépendance des juridictions ;
– SUR LES GRIEFS TIRÉS DE LA MÉCONNAISSANCE DES EXIGENCES CONSTITUTIONNELLES APPLICABLES AUX POURSUITES ET SANCTIONS DISCIPLINAIRES ;
5. Considérant qu’aucune loi de la République antérieure à la Constitution de 1946 n’a fixé le principe selon lequel les poursuites disciplinaires sont nécessairement soumises à une règle de prescription ; que, dès lors, le grief tiré de ce que les dispositions contestées méconnaîtraient un principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de prescription des poursuites disciplinaires doit être écarté ;
6. Considérant que l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée » ; que les principes ainsi énoncés ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales mais s’étendent à toute sanction ayant le caractère d’une punition ;
7. Considérant que, d’une part, appliquée en dehors du droit pénal, l’exigence d’une définition des manquements sanctionnés se trouve satisfaite, en matière disciplinaire, dès lors que les textes applicables font référence aux obligations auxquelles les intéressés sont soumis en raison de l’activité qu’ils exercent, de la profession à laquelle ils appartiennent ou de l’institution dont ils relèvent ;
8. Considérant que, d’autre part, l’article 61-1 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité des dispositions législatives soumises à son examen aux droits et libertés que la Constitution garantit ; que, si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d’appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s’assurer, en matière disciplinaire, de l’absence d’inadéquation manifeste entre les peines disciplinaires encourues et les obligations dont elles tendent à réprimer la méconnaissance ;
9. Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de l’article L. 247-7 du code susvisé que les sanctions disciplinaires applicables aux vétérinaires ou docteurs vétérinaires en cas de manquement aux devoirs de la profession sont l’avertissement, la réprimande, la suspension temporaire du droit d’exercer la profession pour une durée maximum de dix ans, soit dans un périmètre qui ne peut excéder le ressort de la chambre régionale qui a prononcé la suspension, soit sur tout le territoire des départements métropolitains et d’outre-mer ; que, pour la suspension temporaire, lorsqu’une période égale à la moitié de la durée de la suspension est écoulée, le vétérinaire ou docteur vétérinaire sanctionné peut être relevé de l’incapacité d’exercer par une décision de la chambre de discipline qui a prononcé la condamnation ; que les sanctions disciplinaires prononcées, à l’exception de l’avertissement, peuvent, le cas échéant, être accompagnées d’une inéligibilité, temporaire ou définitive, à un ou tous les conseils de l’ordre des vétérinaires ; que les sanctions disciplinaires ainsi instituées ne méconnaissent pas les exigences de l’article 8 de la Déclaration de 1789 ;
10. Considérant, en second lieu, que, si le principe de proportionnalité des peines implique que le temps écoulé entre la faute et la condamnation puisse être pris en compte dans la détermination de la sanction, il appartient à l’autorité disciplinaire compétente de veiller au respect de cette exigence dans l’application des dispositions contestées ; que, dans ces conditions, ces dispositions ne sont pas contraires à l’article 8 de la Déclaration de 1789 ;
– SUR LES GRIEFS TIRÉS DE LA MÉCONNAISSANCE DES PRINCIPES D’INDÉPENDANCE ET D’IMPARTIALITÉ DES JURIDICTIONS :
11. Considérant qu’aux termes de l’article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution » ; que sont garantis par ces dispositions les principes d’indépendance et d’impartialité, indissociables de l’exercice de fonctions juridictionnelles, ainsi que le respect des droits de la défense lorsqu’est en cause une sanction ayant le caractère d’une punition ;
12. Considérant, en premier lieu, que l’article L. 242-8 du code susvisé dispose que la chambre supérieure de discipline « est composée des membres du conseil supérieur de l’ordre et d’un conseiller honoraire à la Cour de cassation, ou à défaut d’un conseiller en activité, exerçant la présidence et désigné par le premier président de la Cour de cassation » ; que la circonstance selon laquelle les membres de l’organe disciplinaire sont, à l’exception d’un magistrat judiciaire, également membres en exercice du conseil de l’ordre, n’a pas pour effet, en elle-même, de porter atteinte aux exigences d’indépendance et d’impartialité de cet organe ;
13. Considérant, en deuxième lieu, que les dispositions contestées n’ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de permettre qu’un membre du conseil supérieur de l’ordre des vétérinaires qui aurait engagé les poursuites disciplinaires ou accompli des actes d’instruction siège au sein de la chambre supérieure de discipline ;
14. Considérant, en troisième lieu, que la procédure disciplinaire applicable aux vétérinaires et docteurs vétérinaires, soumise aux exigences précitées, ne relève pas du domaine de la loi mais, sous le contrôle du juge compétent, du domaine réglementaire ; que, par suite, le grief tiré de ce que les dispositions législatives contestées n’institueraient pas les règles de procédure garantissant le respect de ces exigences doit être écarté ;
15. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, sous la réserve énoncée au considérant 13, le grief tiré de la méconnaissance des principes d’indépendance et d’impartialité des juridictions doit être rejeté ;
16. Considérant que les dispositions contestées ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit,
DÉCIDE :
Article 1er.- Sous la réserve énoncée au considérant 13, l’article L. 242-8 du code rural et de la pêche maritime est conforme à la Constitution.
Article 2.- Les articles L. 242-6 et L. 242-7 du même code sont conformes à la Constitution.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 24 novembre 2011, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.
Rendu public le 25 novembre 2011.