Vu la requête, enregistrée le 12 août 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présenté pour l’association FRENCH DATA NETWORK, dont le siège est 10, rue du Croissant à Paris (75002) ; l’association FRENCH DATA NETWORK demande au Conseil d’Etat d’annuler le décret n° 2010-872 du 26 juillet 2010 relatif à la procédure devant la commission de protection des droits de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI) ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de la propriété intellectuelle ;
Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs ;
Vu la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ;
Vu la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet ;
Vu la loi n° 2009-1311 du 28 octobre 2009 relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet ;
Vu les décisions du Conseil constitutionnel n° 2009-580 DC du 10 juin 2009 et n° 2009-590 DC du 22 octobre 2009 ;
Vu le décret n° 2010-236 du 5 mars 2010 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Tanneguy Larzul, Conseiller d’Etat,
– les conclusions de Mme Delphine Hedary, rapporteur public ;
Sur l’intervention de M.B…:
Considérant que M. B…a intérêt à l’annulation du décret attaqué ; qu’ainsi son intervention est recevable ;
Sur la légalité du décret attaqué :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 336-3 du code de la propriété intellectuelle : » La personne titulaire de l’accès à des services de communication au public en ligne a l’obligation de veiller à ce que cet accès ne fasse pas l’objet d’une utilisation à des fins de reproduction, de représentation, de mise à disposition ou de communication au public d’oeuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou par un droit voisin sans l’autorisation des titulaires des droits prévus aux livres Ier et II lorsqu’elle est requise. Le manquement de la personne titulaire de l’accès à l’obligation définie au premier alinéa n’a pas pour effet d’engager la responsabilité pénale de l’intéressé, sous réserve des articles L. 335-7 et L. 335-7-1 » ; qu’en application des dispositions de l’article L. 331-25 du même code : » Lorsqu’elle est saisie de faits susceptibles de constituer un manquement à l’obligation définie à l’article L. 336-3, la commission de protection des droits peut envoyer à l’abonné, sous son timbre et pour son compte, par la voie électronique et par l’intermédiaire de la personne dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication au public en ligne ayant conclu un contrat avec l’abonné, une recommandation lui rappelant les dispositions de l’article L. 336-3, lui enjoignant de respecter l’obligation qu’elles définissent et l’avertissant des sanctions encourues en application des articles L. 335-7 et L. 335-7-1. Cette recommandation contient également une information de l’abonné sur l’offre légale de contenus culturels en ligne, sur l’existence de moyens de sécurisation permettant de prévenir les manquements à l’obligation définie à l’article L. 336-3 ainsi que sur les dangers pour le renouvellement de la création artistique et pour l’économie du secteur culturel des pratiques ne respectant pas le droit d’auteur et les droits voisins. / En cas de renouvellement, dans un délai de six mois à compter de l’envoi de la recommandation visée au premier alinéa, de faits susceptibles de constituer un manquement à l’obligation définie à l’article L. 336-3, la commission peut adresser une nouvelle recommandation comportant les mêmes informations que la précédente par la voie électronique dans les conditions prévues au premier alinéa. Elle doit assortir cette recommandation d’une lettre remise contre signature ou de tout autre moyen propre à établir la preuve de la date de présentation de cette recommandation. / Les recommandations adressées sur le fondement du présent article mentionnent la date et l’heure auxquelles les faits susceptibles de constituer un manquement à l’obligation définie à l’article L. 336-3 ont été constatés. En revanche, elles ne divulguent pas le contenu des oeuvres ou objets protégés concernés par ce manquement. Elles indiquent les coordonnées téléphoniques, postales et électroniques où leur destinataire peut adresser, s’il le souhaite, des observations à la commission de protection des droits et obtenir, s’il en formule la demande expresse, des précisions sur le contenu des oeuvres ou objets protégés concernés par le manquement qui lui est reproché » ; que le décret du 26 juillet 2010 contesté n’a d’autre objet que de préciser les conditions dans lesquelles est conduite la procédure applicable devant la commission de protection des droits de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI) en vue de permettre la mise en oeuvre les dispositions législatives précitées du code de la propriété intellectuelle ;
Considérant, en premier lieu, que par décision de ce jour, le Conseil d’Etat statuant au contentieux a rejeté la requête de l’association FRENCH DATA NETWORK dirigée contre le décret n° 2010-236 du 5 mars 2010 ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que le décret du 26 juillet 2010 serait illégal par voie de conséquence de l’annulation du décret du 5 mars 2010 ne peut, en tout état de cause, qu’être écarté ;
Considérant, en deuxième lieu, que les dispositions attaquées énoncent, les règles applicables à la procédure et à l’instruction des dossiers devant la commission de protections des droits de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvre et la protection des droits sur internet ; qu’elles fixent notamment les règles concernant la recevabilité des saisines qui lui sont adressées, l’établissement des procès verbaux des agents assermentés et agréés mentionnés à l’article L. 331-24, les conditions dans lesquelles les abonnés peuvent éventuellement faire l’objet d’une audition, le cas échéant à leur demande, et les règles d’établissement des procès-verbaux qui en résultent, les règles de vote et de délibération en son sein, les modalités selon lesquelles elle peut, à l’issue d’une délibération, saisir le procureur de la République ; que s’agissant des recommandations adressées aux abonnés, les dispositions du décret attaqué se limitent, sans ajouter aux dispositions très précises de l’article L. 331-25 du code de la propriété intellectuelle, à prévoir que lorsque, dans le délai d’un an suivant la présentation de la recommandation mentionnée au premier alinéa de l’article L. 335-7-1, la commission de protection des droits est saisie de nouveaux faits susceptibles de constituer une négligence caractérisée définie à l’article R. 335-5, elle informe l’abonné, par lettre remise contre signature invitant l’intéressé à présenter ses observations dans un délai de quinze jours, que ces faits sont susceptibles de poursuite ; que l’ensemble de ces prescriptions n’emportent aucune automaticité entre les constats de manquements aux obligations prévues par la loi et le prononcé éventuel d’une sanction pénale par l’autorité judiciaire ; que dès lors le moyen tiré de ce que le décret attaqué méconnaîtrait le principe de la présomption d’innocence garanti par l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne peut qu’être écarté ;
Considérant, en troisième lieu, qu’il résulte de l’article L. 331-25 précité, que les recommandations visées par les dispositions des articles R. 331-39 et R. 331-40 introduites dans le code de la propriété intellectuelle par le décret attaqué, ont uniquement pour objet, d’une part, de procéder au relevé factuel de certaines données susceptibles de révéler un manquement à l’obligation de sécurisation de son accès à internet visée par l’article L. 336-3 du code de la propriété intellectuelle, d’autre part, d’informer l’abonné à un service de communication au public en ligne, par un simple rappel à la loi, des obligations pesant sur lui en application des dispositions du code de la propriété intellectuelle; qu’elle ne revêtent aucun caractère de sanction ni d’accusation ; qu’elles sont, par elles mêmes, dénuées de tout effet autre que de rendre légalement possible l’engagement d’une procédure judiciaire; qu’il résulte de l’ensemble des dispositions rappelées ci-dessus que les recommandations adressées par la commission de protection des droits sont indissociables d’une éventuelle procédure pénale conduite ultérieurement devant le juge judiciaire, à l’occasion de laquelle il est loisible à la personne concernée de discuter tant les faits sur lesquelles elles portent que les conditions de leur envoi ; qu’elles ne constituent donc pas, par elles mêmes, des décisions individuelles qui doivent être motivées en application des articles 1er et 2 de la loi du 11 juillet 1979 au sens des dispositions de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ; que par suite le moyen tiré de ce que l’envoi de ces recommandations prévu par le décret attaqué méconnaîtrait le caractère contradictoire résultant de la loi précitée, ne peut qu’être écarté ;
Considérant enfin qu’aux termes de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : » 1 – Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ; 2 – Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie » ; que les recommandations qu’adresse la commission de protection des droits de la Hadopi n’ont, ainsi qu’il a été rappelé ci-dessus aucun caractère de sanction ni d’accusation; que, par suite, le moyen tiré de ce qu’elles ne pourraient, à raison de leur nature, être prise que par une autorité répondant aux exigences des stipulations de l’article 6 de la convention ne peut qu’être écarté ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’association FRENCH DATA NETWORK n’est pas fondée à demander l’annulation du décret attaqué ;
D E C I D E :
————–
Article 1er : L’intervention de M. B…est admise.
Article 2 : La requête de l’association FRENCH DATA NETWORK est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l’association FRENCH DATA NETWORK, à M. A… B…, au Premier ministre, au garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, au ministre de la culture et de la communication et au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.