AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Par une requête et cinq mémoires, enregistrés les 22 avril, 7 juillet, 9 octobre et 30 décembre 2020 ainsi que les 4 et 15 février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. B… A… demande au Conseil d’État :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 9 février 2020 par laquelle le ministre des solidarités et de la santé a implicitement rejeté sa demande du 6 décembre 2019 d’abroger l’annexe de l’arrêté du 28 novembre 2016 relatif aux règles techniques applicables aux sites internet de commerce électronique de médicaments prévues à l’article L. 5125-39 du code de la santé publique en tant qu’elle interdit la recherche de référencement dans des moteurs de recherche ou des comparateurs de prix contre rémunération ;
2°) d’enjoindre au ministre des solidarités et de la santé d’abroger cet arrêté, dans la même mesure, dans un délai de quinze jours, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l’État la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 ;
– la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 ;
– la directive 2011/62/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 ;
– le code de la santé publique ;
– l’ordonnance n° 2012-1427 du 19 décembre 2012 ;
– le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire,
– les conclusions de M. Vincent Villette, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. L’article 3 de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur ( » directive sur le commerce électronique « ) prévoit que : » Les État membres ne peuvent, pour des raisons relevant du domaine coordonné, restreindre la libre circulation des services de la société de l’information en provenance d’un autre État membre » mais » peuvent prendre, à l’égard d’un service donné de la société de l’information, des mesures qui dérogent » à ce principe de libre circulation si elles sont nécessaires à la protection de la santé publique et proportionnelles à cet objectif. Le » domaine coordonné » est défini par l’article 2 de cette directive comme » les exigences prévues par les systèmes juridiques des États membres et applicables aux prestataires des services de la société de l’information ou aux services de la société de l’information, qu’elles revêtent un caractère général ou qu’elles aient été spécifiquement conçues pour eux « . L’article 85 quater de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain prévoit, dans sa rédaction issue de la directive 2011/62/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011, que : » 1. Sans préjudice des législations nationales qui interdisent l’offre à la vente à distance au public de médicaments soumis à prescription, au moyen de services de la société de l’information, les États membres veillent à ce que les médicaments soient offerts à la vente à distance au public au moyen de services de la société de l’information (…) » à certaines conditions que cet article fixe et que » 3. Les États membres peuvent imposer des conditions, justifiées par la protection de la santé publique, pour la délivrance au détail, sur leur territoire, de médicaments offerts à la vente à distance au public au moyen de services de la société de l’information « .
2. Aux termes de l’article L. 5125-33 du code de la santé publique, issu de l’ordonnance du 19 décembre 2012 transposant notamment la directive 2011/62/UE du 8 juin 2011 : » On entend par commerce électronique de médicaments l’activité économique par laquelle le pharmacien propose ou assure à distance et par voie électronique la vente au détail et la dispensation au public des médicaments à usage humain et, à cet effet, fournit des informations de santé en ligne. / L’activité de commerce électronique est réalisée à partir du site internet d’une officine de pharmacie (…) « . L’article L. 5125-34 du même code, créé par la même ordonnance, dispose que : » Seuls peuvent faire l’objet de l’activité de commerce électronique les médicaments qui ne sont pas soumis à prescription obligatoire « , tandis que l’article L. 5125-39, également créé par la même ordonnance, prévoit que : » Un arrêté du ministre chargé de la santé définit les règles techniques applicables aux sites internet de commerce électronique de médicaments relatives à la protection des données de santé, aux fonctionnalités des sites et aux modalités de présentation des médicaments « . Sur ce fondement, l’arrêté du 28 novembre 2016 litigieux a, dans son annexe, prévu au titre des » fonctionnalités des sites internet de commerce électronique de médicaments » que : » la recherche de référencement dans des moteurs de recherche ou des comparateurs de prix contre rémunération est interdite « . M. A… demande au Conseil d’État d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 9 février 2020 par laquelle le ministre des solidarités et de la santé a refusé d’abroger cette phrase de l’annexe à l’arrêté du 28 novembre 2016.
Sur l’exception de chose jugée :
3. L’objet du recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision refusant d’abroger un acte réglementaire au motif de son illégalité, dont l’effet utile réside dans l’obligation pour l’autorité compétente de procéder à l’abrogation de cet acte afin que cessent les atteintes illégales que son maintien en vigueur porte à l’ordre juridique, est différent de l’objet du recours pour excès de pouvoir dirigé contre l’acte réglementaire lui-même, qui vise à obtenir son annulation rétroactive.
4. Il en résulte que les conclusions du présent recours de M. A…, qui tendent à l’annulation du refus d’abroger les dispositions réglementaires mentionnées au point 2, n’ont pas le même objet que celles du recours pour excès de pouvoir qu’il avait formé contre ces mêmes dispositions et qui a été rejeté par une décision du 4 avril 2018 du Conseil d’Etat, statuant au contentieux. Par suite, le ministre des solidarités et de la santé n’est pas fondé à soutenir que l’autorité de la chose jugée s’attachant à cette décision du 4 avril 2018 ferait obstacle à ce qu’il soit statué sur le présent litige.
Sur les conclusions à fin d’annulation :
5. Il résulte des termes mêmes de l’arrêté litigieux qu’il impose aux seuls pharmaciens d’officine, de pharmacies mutualistes ou de secours minières régis par les dispositions du code de la santé publique de se conformer aux règles techniques applicables aux sites internet de commerce électronique de médicaments qu’il fixe, au nombre desquelles figure l’interdiction de recourir au référencement payant pour leur site de commerce électronique de médicaments. Ainsi, la disposition en litige ne peut être regardée comme applicable aux sites internet de commerce électronique rattachés à une officine établie dans un autre Etat membre de l’Union européenne ou établis dans un autre Etat membre sans être rattachés à aucune officine, nonobstant la compétence dont le ministre chargé de la santé dispose également à l’égard de tels sites sur le fondement des dispositions citées au point 2. La disposition critiquée instaure ainsi une différence de traitement au détriment des officines de pharmacie situées en France.
6. Le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que l’autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’elle déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit, dans l’un comme l’autre cas, en rapport avec l’objet de la norme qui l’établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des différences de situation susceptibles de la justifier.
7. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l’objectif de lutte contre la surconsommation de médicaments et contre le mésusage de ces derniers, invoqué par le ministre, soit susceptible d’être atteint par une interdiction du référencement payant des sites de commerce électronique de médicaments applicable uniquement aux officines situées en France, les clients français pouvant accéder aux sites localisés dans un autre Etat membre de l’Union européenne qui ne sont pas soumis à la même interdiction. En outre, l’objectif, également invoqué par le ministre, tenant à la répartition équilibrée des officines de pharmacie sur le territoire national n’est pas davantage en rapport avec l’interdiction contestée, dès lors que le référencement payant pour les sites de vente en ligne de médicaments est possible pour les sites localisés sur le territoire d’un autre Etat membre de l’Union européenne, lesquels bénéficient ainsi d’une visibilité plus forte susceptible de leur permettre de concentrer une part accrue des ventes de médicaments et d’affaiblir la situation des officines françaises. Enfin, il n’est pas davantage établi que l’interdiction du référencement payant pour les seules officines situées en France soit de nature à préserver la relation de confiance entre le patient et le pharmacien, dès lors qu’elle permet aux clients français d’acheter plus facilement des médicaments auprès de sites qui ne sont pas soumis aux garanties déontologiques applicables aux pharmaciens installés en France. Ainsi, la différence de traitement entre les professionnels installés en France et ceux installés dans d’autres Etats membres, qui ne peuvent être regardés comme se trouvant dans une situation différente au regard de l’objet de la règle critiquée, ne repose pas sur des raisons d’intérêt général en rapport avec celle-ci.
8. Il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, M. A… est fondé à demander l’annulation du refus d’abroger l’annexe de l’arrêté litigieux du 28 novembre 2016 en tant qu’elle interdit la recherche de référencement dans des moteurs de recherche ou des comparateurs de prix contre rémunération.
Sur les conclusions à fin d’injonction :
9. L’annulation prononcée par la présente décision implique nécessairement l’abrogation de la disposition litigieuse. Il y a lieu, en conséquence, pour le Conseil d’Etat d’enjoindre au ministre des solidarités et de la santé de l’abroger dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’assortir cette injonction d’une astreinte.
Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros à verser à M. A…, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La décision du 9 février 2020 du ministre des solidarités et de la santé refusant d’abroger l’annexe de l’arrêté du 28 novembre 2016 relatif aux règles techniques applicables aux sites internet de commerce électronique de médicaments prévues à l’article L. 5125-39 du code de la santé publique, en tant qu’elle interdit la recherche de référencement dans des moteurs de recherche ou des comparateurs de prix contre rémunération, est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au ministre des solidarités et de la santé d’abroger l’annexe de l’arrêté du 28 novembre 2016 dans la mesure mentionnée à l’article 1er dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 3 : L’Etat versera à M. A… une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. B… A… et au ministre des solidarités et de la santé.