REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 18 avril 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour la SOCIETE LOGIREP, dont le siège est … (92154) ; la SOCIÉTÉ LOGIREP demande au juge des référés du Conseil d’Etat :
1°) de suspendre, en application de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, l’exécution de la recommandation du 18 décembre 2002 par laquelle le conseil d’administration de l’Union Economique et Sociale pour le Logement (UESL) a décidé de suspendre tout financement du 1% logement aux sociétés HLM qui se livrent à des manouvres contraires aux intérêts généraux du 1% logement et d’appliquer de façon immédiate cette mesure à la SOCIÉTÉ LOGIREP qui a engagé des opérations d’augmentation de capital réservées ayant pour résultat de diluer la participation du 1% logement dans plusieurs sociétés du groupe LOGIREP.
2°) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
La SOCIÉTÉ LOGIREP soutient qu’eu égard au caractère immédiat et à la gravité de l’atteinte portée à la situation de la SOCIÉTÉ LOGIREP qui, faute du financement du 1% logement, se trouve dans l’impossibilité de poursuivre son activité, il est urgent que le juge des référés suspende la décision de l’UESL ; qu’il existe, en l’état de l’instruction, plusieurs moyens propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée devant le juge du fond ; que l’UESL n’était pas compétente pour prendre cette décision ; que cette dernière est entachée d’un vice de procédure en raison de la violation de l’article 24 de la loi n°2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droit des citoyens dans leur relation avec l’administration ; que la décision litigieuse est entachée d’un défaut de base légale car elle n’entre pas dans les attributions conférées à l’UESL par le code de la construction et de l’habitation et s’appuie sur des motifs non prévus par la loi ; que l’UESL ne peut chercher à empêcher des opérations d’augmentation de capital réservées ayant pour résultat de diluer la participation du 1% logement dans plusieurs sociétés du groupe LOGIREP, la question du capital des sociétés HLM étant sans rapport avec la politique nationale d’octroi de prêts à taux préférentiels ; que la décision attaquée constitue une rupture d’égalité face au service public entre la SOCIÉTÉ LOGIREP et les autres sociétés HLM ; qu’elle a été prise en méconnaissance des articles L. 420-1 et L. 420-2 du code du commerce ;
Vu les observations produites par le ministre de l’équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, enregistrées le 9 mai 2003 ; le ministre indique qu’ il ne produira pas de mémoire en défense et présente des éléments d’information sur la réglementation du 1 % logement, sur le rôle de l’UESL et sur les conventions entre l’Etat et l’UESL ;
Vu le mémoire en défense présenté pour l’Union Economique et Sociale pour le Logement (UESL), enregistré le 7 mai 2003 ; l’UESL soutient que la juridiction administrative est incompétente pour connaître de la requête de la LOGIREP , l’UESL n’exerçant pas une mission de service public et la recommandation litigieuse ne constituant pas un acte administratif ; qu’à supposer la juridiction administrative compétente, le Conseil d’Etat ne pourrait connaître de la requête en premier ressort, l’UESL n’ayant pas le caractère d’un organisme collégial et la recommandation contestée n’étant pas un acte administratif dont le champ d’application s’étend au delà du ressort d’un seul tribunal administratif ; que, subsidiairement, les conditions posées par l’article L. 521-1 du code de justice administrative ne sont pas satisfaites, que l’urgence n’est pas caractérisée, la LOGIREP ayant déféré tardivement sa recommandation à la censure du Conseil d’Etat ; que les conséquences de l’exécution de la décision restent limitées ; que l’intérêt général de la politique nationale d’emploi des fonds du 1% logement qui s’attache à l’exécution de la mesure justifie que la suspension ne soit pas ordonnée ; qu’il n’existe aucun moyen de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la recommandation ; que l’UESL était compétente pour prendre cette recommandation , que la procédure dont la LOGIREP prétend qu’elle a été violée n’est pas applicable en l’espèce, que le moyen tiré du défaut de base légale est inopérant de même que celui tiré de la rupture d’égalité face au service public ou celui de la violation du droit de la concurrence.
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 13 mai 2003, présenté pour la SOCIÉTÉ LOGIREP ; la SOCIÉTÉ LOGIREP reprend les conclusions de sa requête par les même moyens ; soutient que la juridiction administrative est compétente pour connaître sa requête ; que la recommandation contestée a été prise par une personne privée chargée de la gestion d’un service public administratif dans l’exercice d’une prérogative de puissance publique , qu’elle peut donc être qualifiée d’acte administratif ; que le Conseil d’Etat est compétent en premier ressort dès lors que le conseil d’administration de l’UESL est un organisme collégial à compétence nationale et que, de surcroît, le champ d’application de sa décision s’étend au delà du ressort d’un seul tribunal administratif ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la construction et de l’habitation ;
Vu la loi n° 96-1237 du 30 décembre 1996 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, la SOCIETE LOGIREP, d’autre part, le président de l’Union d’économie sociale pour le logement, le ministre de l’équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie ;
Vu le procès verbal de l’audience publique du jeudi 15 mai 2003 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :
– Me X…, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de la SOCIETE LOGIREP ;
-Me VIER, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de l’Union d’économie sociale pour le logement ;
-les représentants de la SOCIETE LOGIREP ;
-les représentants de l’Union d’économie sociale pour le logement ;
le ministre de l’équipement du logement, des transports et du logement et le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie n’étaient pas représentés.
Considérant qu’il résulte des articles L. 313-17 et L. 313-18 du code de la construction et de l’habitation, issus de la loi n° 96-1237 du 30 décembre 1996, que l’Union d’économie sociale du logement (U.E.S.L.), constituée sous la forme d’une société anonyme coopérative à capital variable, associe à titre obligatoire les organismes collecteurs et les chambres de commerce et d’industrie agréés pour participer à la collecte des sommes dues par les employeurs au titre de leur participation à l’effort de construction ; qu’aux termes de l’article L. 313-19 du même code, cette union (…) 2° conclut avec l’Etat, après information des associés collecteurs, des conventions définissant des politiques nationales d’emploi des fonds issus de la participation des employeurs à l’effort de construction et des ressources du fonds d’intervention de l’union, à mettre en ouvre par les associés collecteurs. L’union peut en outre conclure avec l’Etat des conventions ayant pour objet de favoriser la coopération entre associés, de coordonner les tâches de collecte, d’harmoniser les modalités d’emploi des fonds issus de la participation des employeurs à l’effort de construction, de contribuer, avec les associations départementales d’information sur le logement qui ont signé une convention avec l’Etat, à l’information sur le logement des salariés et d’améliorer la gestion des associés collecteurs (…) 3° élabore, dans l’intérêt commun, des recommandations aux associés aux fins mentionnées au 2°. Ces recommandations ne peuvent déroger aux conventions ci-dessus mentionnées (…) ;
Considérant que, sur le fondement de ces dernières dispositions, l’Union d’économie sociale du logement a adopté le 18 décembre 2002 une recommandation à l’intention de ses associés leur demandant de suspendre tout financement du 1 % logement aux sociétés d’HLM qui se livrent à des manouvres contraires aux intérêts généraux du 1 % logement et d’appliquer de façon immédiate cette mesure aux sociétés du groupe LOGIREP qui a engagé des opérations d’augmentation du capital réservée avec pour objectif de diluer la participation du 1 % logement dans plusieurs sociétés du groupe ; que la SOCIETE LOGIREP demande la suspension de cette recommandation ;
Sur la compétence de la juridiction administrative :
Considérant qu’en participant, par le moyen de conventions signées avec l’Etat et de recommandations émises auprès des organismes collecteurs associés, à la définition de l’emploi des fonds collectés au titre de la participation des employeurs à l’effort de construction, qui constituent un instrument essentiel de la politique publique du logement, notamment à l’égard du logement social, en coordonnant l’action de ces organismes collecteurs et en gérant les fonds d’intervention et de soutien créés par l’article L. 313-20 du code de la construction et de l’habitation pour faciliter l’exécution des conventions mentionnées ci-dessus, l’Union d’économe sociale du logement s’est vu confier par le législateur une mission d’intérêt général ; que les articles L. 313-21 et L. 313-23 du même code qui fixent la composition du conseil d’administration et y imposent la présence de deux commissaires du gouvernement représentant l’Etat, l’article L. 313-19 qui prévoit l’approbation des statuts par décret en Conseil d’Etat et l’article L. 313-25 qui confie à l’autorité administrative le soin de fixer le plafond du prélèvement que peut opérer l’Union d’économie sociale du logement sur les sommes collectées par ses associés pour financer ses frais de fonctionnement ont pour effet de soumettre l’exercice de cette mission à un contrôle de la puissance publique ; qu’enfin le législateur, en prévoyant que chaque organisme collecteur et chaque chambre de commerce et d’industrie agréés aux fins de participer à la collecte des sommes définies à l’article L. 313-1 sont associés à titre obligatoire à l’union, en permettant à l’union de signer des conventions avec l’Etat qui, en application de l’article L. 313-20, s’imposent aux associés et d’émettre des recommandations dont la méconnaissance par ces mêmes associés peut, comme pour les conventions, donner lieu à une sanction prise par le ministre chargé du logement qui dispose du pouvoir de retirer l’agrément de l’organisme collecteur, a dévolu à l’Union d’économie sociale du logement des prérogatives de puissance publique ; qu’il en résulte que l’Union d’économie sociale du logement n’est pas manifestement insusceptible d’être qualifiée d’organisme chargé d’une mission de service public administratif par le juge de l’excès de pouvoir appelé à statuer sur la demande d’annulation de la recommandation attaquée qui, eu égard à son objet et à ses effets rappelés ci-dessus, peut être regardée comme un acte administratif dont le contentieux relève de la compétence de la juridiction administrative ; que l’Union d’économie sociale du logement n’est, par suite, pas fondée à soutenir que le juge des référés administratifs serait incompétent pour statuer sur la demande de suspension ;
Sur la compétence en premier ressort du Conseil d’Etat :
Considérant que la recommandation dont la suspension est demandée a pour effet, comme l’ont confirmé les explications recueillies au cours de l’audience publique, d’inviter l’ensemble des associés collecteurs à suspendre le financement du 1 % logement à l’égard de toutes les sociétés HLM remplissant la condition énoncée par cet acte ; que, dans ces conditions, elle revêt le caractère d’un acte (…) dont le champ d’application s’étend au-delà du ressort d’un seul tribunal administratif dont le Conseil d’Etat est compétent pour connaître en application du 5° de l’article R. 311-1 du code de justice administrative ; que, contrairement à ce que soutient l’Union d’économie sociale du logement en défense, le juge des référés du Conseil d’Etat est donc compétent pour statuer sur la demande de suspension ;
Sur la suspension demandée :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision./ Lorsque la suspension est prononcée, il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision dans les meilleurs délais. La suspension prend fin au plus tard lorsqu’il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision ;
Considérant qu’en raison à la fois des conséquences financières de la recommandation critiquée, qui a pour effet de priver les sociétés du groupe LOGIREP du financement lié aux fonds issus de la participation des employeurs à l’effort de construction, qui représentent près de 10 % de leurs ressources, alors que les conditions économiques dans lesquelles sont entreprises les opérations de logement social impliquent une marge nécessairement réduite, et de l’atteinte à leur image qui a résulté de la diffusion, notamment auprès des élus locaux et des organismes collecteurs, de cette recommandation qui impute des manouvres à ces sociétés HLM, la SOCIETE LOGIREP justifie d’une atteinte grave et immédiate à ses intérêts ; que ni la circonstance, invoquée par l’Union d’économie sociale du logement en défense, qu’elle peut recourir à des modes de financement alternatifs, d’ailleurs à un coût plus élevé, ni celle que la recommandation répondrait à un motif d’intérêt général, dont l’appréciation en l’espèce ne peut être faite indépendamment de l’examen des moyens invoqués par la société requérante à l’encontre de l’acte attaqué, ne sont de nature à faire regarder la demande comme ne remplissant pas la condition d’urgence exigée par les dispositions précitées de l’article L. 521-1 du code de justice administrative ;
Considérant qu’il ressort à la fois des pièces du dossier et des explications recueillies au cours de l’audience publique que la recommandation a pour objet de garantir aux organismes collecteurs qui financent le logement social en souscrivant notamment au capital de sociétés d’HLM le maintien d’une participation au capital de ces sociétés qui soit à la hauteur des concours apportés et leur permette ainsi d’exercer une influence suffisante sur les décisions des organes dirigeants de ces dernières ; que le moyen tiré de ce qu’un tel objet, qualifié par les représentants de l’Union d’économie sociale du logement au cours de l’audience publique d’ enjeu de gouvernance des sociétés HLM , est étranger aux fins poursuivies par les conventions conclues en application du 2° de l’article L. 313-19 précité du code de la construction et de l’habitation, pour la seule exécution desquelles l’Union dispose d’un pouvoir de recommandation, est de nature, en l’état de l’instruction, à créer un doute sérieux sur la légalité de la recommandation attaquée ;
Considérant que les deux conditions exigées par l’article L. 521-1 du code de justice administrative étant remplies, il y a lieu d’ordonner la suspension demandée ;
Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que la SOCIETE LOGIREP, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamnée à payer à l’Union d’économie sociale du logement la somme que celle-ci demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu, en application des mêmes dispositions, de condamner l’Union d’économie sociale du logement à payer à la SOCIETE LOGIREP une somme de 3 000 euros au titre de ces frais ;
O R D O N N E :
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Article 1er : L’exécution de la recommandation en date du 18 décembre 2002 de l’Union d’économie sociale du logement est suspendue jusqu’à ce qu’il soit statué sur la requête tendant à l’annulation de cet acte.
Article 2 : L’Union d’économie sociale du logement paiera à la SOCIETE LOGIREP une somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions de l’Union d’économie sociale du logement présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la SOCIETE LOGIREP, à l’Union d’économie sociale du logement et au ministre de l’équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.