AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu les procédures suivantes :
La société Les Sénioriales en ville de Juvignac a demandé au tribunal administratif de Montpellier d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 19 novembre 2015 par lequel le maire de Juvignac (Hérault) a délivré un permis de construire à la société Corim Associés, ainsi que la décision implicite de rejet de sa demande de retrait pour fraude de cet arrêté. Par un jugement n° 1804805 du 2 juillet 2020, le tribunal administratif de Montpellier a annulé la décision par laquelle le maire de Juvignac a refusé de retirer le permis de construire délivré le 19 novembre 2015, en tant seulement que ce permis autorise 1’édification du bâtiment C en dehors de la zone d’implantation initialement définie dans le lot D1.
1° Sous le n° 443625, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 2 septembre et 2 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société Corim Associés demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler ce jugement ;
2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter la demande de la société Les Sénioriales en ville de Juvignac ;
3°) de mettre à la charge de la société Les Sénioriales en ville de Juvignac la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 443633, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 septembre et 2 décembre 2020 et le 19 avril 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la commune de Juvignac demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler ce jugement ;
2°) de mettre à la charge de la société Les Sénioriales en ville de Juvignac la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
…………………………………………………………………………
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
– le code des relations entre le public et l’administration ;
– le code de l’urbanisme ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Carine Chevrier, conseillère d’Etat,
– les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat de la société Corim Associés, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Les Sénioriales en ville de Juvignac et à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de la commune de Juvignac ;
Considérant ce qui suit :
1. Les deux pourvois sont dirigés contre le même jugement du 2 juillet 2020 du tribunal administratif de Montpellier. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 19 novembre 2015, le maire de la commune de Juvignac a délivré à la société Corim Associés un permis de construire pour la réalisation d’un ensemble immobilier comportant 111 logements collectifs, sur un terrain situé 143, rue Jupiter, au sein de la ZAC des Constellations. Par un courrier du 1er juin 2018, la société Les Sénioriales en ville de Juvignac a demandé au maire de Juvignac de procéder au retrait pour fraude de cette autorisation d’urbanisme. Par un jugement du 2 juillet 2020 contre lequel la commune de Juvignac et la société Corim Associés se pourvoient en cassation, le tribunal administratif de Montpellier a annulé la décision implicite de rejet née du silence gardé par le maire de Juvignac sur cette demande de retrait de l’arrêté du 19 novembre 2015, en tant que le permis de construire autorise 1’édification du bâtiment C en dehors de la zone d’implantation initialement définie dans le lot D1, et rejeté le surplus des conclusions, notamment celles tendant à l’annulation du permis de construire délivré le 19 novembre 2015. Eu égard aux moyens qu’elles soulèvent, la commune de Juvignac et la société Corim Associés doivent être regardées comme contestant ce jugement en tant seulement qu’il statue sur les conclusions dirigées contre le refus du maire de Juvignac de retirer ce permis.
3. D’une part, un tiers justifiant d’un intérêt à agir est recevable à demander, dans le délai du recours contentieux, l’annulation de la décision par laquelle l’autorité administrative a refusé de faire usage de son pouvoir d’abroger ou de retirer un acte administratif obtenu par fraude, quelle que soit la date à laquelle il l’a saisie d’une demande à cette fin. Dans un tel cas, il incombe au juge de l’excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, d’une part, de vérifier la réalité de la fraude alléguée et, d’autre part, de contrôler que l’appréciation de l’administration sur l’opportunité de procéder ou non à l’abrogation ou au retrait n’est pas entachée d’erreur manifeste, compte tenu notamment de la gravité de la fraude et des atteintes aux divers intérêts publics ou privés en présence susceptibles de résulter, soit du maintien de l’acte litigieux, soit de son abrogation ou de son retrait.
4. D’autre part, en vertu de l’article L. 112-3 du code des relations entre le public et l’administration : » Toute demande adressée à l’administration fait l’objet d’un accusé de réception (…) « . Aux termes de l’article L. 112-6 du même code : » Les délais de recours ne sont pas opposables à l’auteur d’une demande lorsque l’accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications exigées par la réglementation (…) « . Aux termes, enfin, de l’article L. 411-3 de ce code : » Les articles L. 112-3 et L. 112-6 relatifs à la délivrance des accusés de réception sont applicables au recours administratif adressé à une administration par le destinataire d’une décision « . Les dispositions précitées de l’article L. 112-6 du code des relations entre le public et l’administration s’appliquent uniquement aux recours formés par les personnes contestant une décision prise à leur égard par une autorité administrative et sont sans incidence sur les règles applicables aux recours administratifs formés par des tiers à l’encontre d’autorisations individuelles créant des droits au profit de leurs bénéficiaires. Par suite, en cas de naissance d’une décision implicite de rejet du recours administratif formé par un tiers contre un permis de construire, résultant du silence gardé par l’administration pendant le délai de deux mois prévu à l’article R. 421-2 du code de justice administrative, le nouveau délai ouvert à l’auteur de ce recours pour saisir la juridiction court dès la naissance de cette décision implicite, qu’il ait été ou non accusé réception de ce recours.
5. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 et 4 que si un tiers justifiant d’un intérêt à agir est recevable à demander l’annulation de la décision implicite par laquelle l’autorité administrative a refusé de faire usage de son pouvoir d’abroger ou de retirer un permis obtenu par fraude, quelle que soit la date à laquelle il l’a saisie d’une demande à cette fin, le délai du recours contentieux qui lui est ouvert pour saisir la juridiction court dès la naissance de cette décision implicite, sans que l’absence d’accusé de réception de sa demande y fasse obstacle.
6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la commune de Juvignac a été saisie, le 4 juin 2018, par la société Les Sénioriales en ville de Juvignac, d’une demande de retrait pour fraude du permis de construire délivré le 9 novembre 2015 à la société Corim Associés, qu’une décision implicite de rejet de cette demande est née le 4 août 2018 du silence gardé par le maire de Juvignac et que la requête de la société Les Sénioriales en ville de Juvignac tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de cette décision implicite de rejet a été enregistrée au greffe du tribunal administratif de Montpellier le 8 octobre 2018, soit postérieurement à l’expiration du délai de deux mois prévu à l’article R. 421-2 du code de justice administrative. Il résulte de ce qui est dit au point 5 qu’en se fondant sur l’absence d’accusé de réception de la demande de retrait pour fraude du permis de construire formée par la société Les Sénioriales en ville de Juvignac, qui était tiers au permis, pour juger qu’aucun délai de recours ne pouvait lui être opposé et que la requête formée devant lui par la société n’était pas tardive, le tribunal administratif a commis une erreur de droit.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens des pourvois, que la société Corim Associés et la commune de Juvignac sont fondées à demander l’annulation du jugement attaqué en tant qu’il statue sur les conclusions dirigées contre le refus du maire de Juvignac de retirer le permis litigieux.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond dans cette mesure, en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.
9. Il résulte de ce qui a été dit aux points 5 et 6 que le délai du recours contentieux ouvert contre la décision implicite du maire de Juvignac née le 4 août 2018 du silence gardé sur la demande de retrait du permis de construire présentée par la société Les Sénioriales en ville de Juvignac avait expiré à la date à laquelle la requête de cette société a été enregistrée au greffe du tribunal administratif de Montpellier. Il suit de là que la commune est fondée à opposer une fin de non-recevoir aux conclusions dirigées contre cette décision.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société Les Sénioriales en ville de Juvignac la somme de 1 500 euros à verser, d’une part, à la commune de Juvignac et, d’autre part, à la société Corim Associés, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Corim Associés et de la commune de Juvignac, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes.
D E C I D E :
————–
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 2 juillet 2020 est annulé en tant qu’il statue sur les conclusions tendant à l’annulation du refus implicite du maire de Juvignac de retirer le permis délivré le 19 novembre 2015 à la société Corim Associés.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société Les Sénioriales en ville de Juvignac devant le tribunal administratif de Montpellier tendant à l’annulation de cette décision sont rejetées.
Article 3 : La société Les Sénioriales en ville de Juvignac versera à la société Corim Associés et à la commune de Juvignac la somme de 1 500 euros chacune au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la société Les Sénioriales en ville de Juvignac au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la SARL Corim Associés, à la commune de Juvignac et à la SCI Les Sénioriales en ville de Juvignac.
Copie en sera adressée à la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Délibéré à l’issue de la séance du 25 mai 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, Mme Suzanne von Coester, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, conseillers d’Etat et Mme Carine Chevrier, conseillère d’Etat-rapporteure.