AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
1°) d’annuler pour excès de pouvoir l’article 1er du décret n° 2008-546 du 10 juin 2008 relatif au régime de détention et modifiant le code de procédure pénale ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 3000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu, 2° sous le n° 319580, la requête et les mémoires complémentaires, enregistrés les 8 août 2008, 5 décembre 2009 et 15 avril 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. François A, demeurant … ; M. A demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir l’article 1er du même décret n° 2008-546 du 10 juin 2008, ainsi que les dispositions issues du décret n° 75-402 du 23 mai 1975 codifiées aux articles D. 145 et D. 146 du code de procédure pénale, en tant qu’elles instaurent une discrimination entre les détenus au regard du régime des permissions de sortie ;
2°) de lui allouer une somme de 20 000 euros en réparation du préjudice moral qu’il a subi du fait de l’édiction de l’article 1er du décret du 10 juin 2008, et une somme de 120 000 euros en réparation du préjudice moral qu’il a subi du fait du régime de permission de sortie auquel il a été soumis au cours de l’année 2007, en application des dispositions des articles D. 145 et D. 146 du code de procédure pénale ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 3000 euros à la SCP Le Bret-Desaché, avocat de M. A au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu loi n° 2003-495 du 12 juin 2003 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Richard Senghor, Maître des requêtes,
– les observations de Me Spinosi, avocat de la SECTION FRANÇAISE DE L’OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS et de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de M. A,
– les conclusions de M. Mattias Guyomar, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à Me Spinosi, avocat de la SECTION FRANÇAISE DE L’OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS et à la SCP Le Bret-Desaché, avocat de M. A ;
Considérant que les requêtes de la SECTION FRANÇAISE DE L’OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS et de M. A sont dirigées contre le même décret du 10 juin 2008 relatif au régime de détention et modifiant le code de procédure pénale ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sur la requête n° 319043 :
Considérant que l’article 1er du décret attaqué a inséré dans le code de procédure pénale un article D. 53-1 en vertu duquel, lorsqu’un prévenu entend bénéficier d’un régime d’emprisonnement individuel alors que la distribution intérieure de la maison d’arrêt ou le nombre de détenus présents ne le permet pas, il lui revient de déposer une demande en ce sens auprès du chef d’établissement, qui dispose d’un délai de deux mois pour lui adresser des propositions de transfert vers une autre maison d’arrêt, lequel devra intervenir dans les meilleurs délais, si le prévenu retient l’une des propositions et sous réserve de l’accord du magistrat saisi du dossier de l’information ;
En ce qui concerne la méconnaissance de l’article 714 du code de procédure pénale :
Considérant qu’aux termes de l’article 714 du code de procédure pénale : Les personnes mises en examen, prévenus et accusés soumis à la détention provisoire la subissent dans une maison d’arrêt. / Il y a une maison d’arrêt près de chaque tribunal de grande instance, de chaque cour d’appel et de chaque cour d’assises, sauf auprès des tribunaux et des cours qui sont désignés par décret. Dans ce dernier cas, le décret détermine la ou les maisons d’arrêt où sont retenus les prévenus, appelants ou accusés ressortissant à chacune de ces juridictions. ;
Considérant qu’en vertu de l’article D. 53 du même code, les prévenus placés en détention provisoire sont en principe incarcérés à la maison d’arrêt de la ville où siège la juridiction d’instruction ou de jugement devant laquelle ils ont à comparaître, sauf dans les cas où il n’y a pas de maison d’arrêt dans cette ville ou lorsque la maison d’arrêt ne comporte pas de locaux appropriés à l’âge ou à l’état de santé des intéressés, ou en ce qui concerne les femmes, de quartiers aménagés pour elles, ou encore lorsque cet établissement n’offre pas une capacité d’accueil ou des garanties de sécurité suffisantes ; que le pouvoir réglementaire pouvait, pour organiser l’exercice du droit de placement en cellule individuelle des prévenus, prévoir par les dispositions attaquées un nouveau cas de dérogation à la règle de principe édictée par l’article D. 53 sans méconnaître l’article 714 du code de procédure pénale ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de ce dernier article ne peut qu’être écarté ;
En ce qui concerne la méconnaissance de l’article 716 du code de procédure pénale :
Considérant qu’aux termes de l’article 716 du code de procédure pénale, dans sa rédaction applicable à la date d’entrée en vigueur du décret attaqué : Les personnes mises en examen, prévenus et accusés soumis à la détention provisoire sont placés au régime de l’emprisonnement individuel de jour et de nuit. Il ne peut être dérogé à ce principe que dans les cas suivants : / 1° Si les intéressés en font la demande ; / 2° Si leur personnalité justifie, dans leur intérêt, qu’ils ne soient pas laissés seuls ; / 3° S’ils ont été autorisés à travailler, ou à suivre une formation professionnelle ou scolaire et que les nécessités d’organisation l’imposent ;
Considérant que, dans un contexte caractérisé par une situation de surpopulation carcérale, l’application du régime de l’emprisonnement individuel des personnes mises en examen, prévenus ou accusés soumis à la détention provisoire, posé par l’article 716 du code de procédure pénale, avait été différée pendant un délai de cinq ans par la loi du 12 juin 2003 ; que les dispositions attaquées de l’article D. 53-1 se sont bornées à définir des modalités propres à permettre aux détenus concernés de bénéficier d’un encellulement individuel à compter du 13 juin 2008, tout en tenant compte des contraintes résultant de la situation des établissements pénitentiaires ; qu’il ressort des pièces du dossier que seule l’adoption de mesures d’adaptation particulières était de nature à rendre le droit au bénéfice de l’encellulement individuel effectif, malgré la diversité des situations dans lesquelles se trouvent les personnes incarcérées et les établissements pénitentiaires eux-mêmes ; que le droit reconnu au profit des personnes mentionnées à l’article 716 du code de procédure pénale à être placées sous le régime de l’encellulement individuel n’a pas un caractère absolu, cet article, qui prévoit au demeurant des cas de dérogation, n’impliquant pas nécessairement qu’il soit satisfait à ce droit dans la maison d’arrêt où se trouve le détenu qui demande à en bénéficier ; que les dispositions édictées par le décret attaqué ne peuvent avoir par elles-mêmes pour effet de fonder une décision de refus au regard des demandes des détenus souhaitant bénéficier d’un encellulement individuel ; que, dès lors, en prévoyant de soumettre l’accès au bénéfice de ce droit à une demande expresse des intéressés ainsi que, lorsque la distribution intérieure de la maison d’arrêt et le nombre de détenus présents ne permettent pas de bénéficier sur place de ce régime, à une procédure de transfèrement dans une autre maison d’arrêt, dont la mise en oeuvre est subordonnée à un accord des intéressés, le décret attaqué n’a pas, eu égard aux contraintes matérielles pesant sur l’administration pénitentiaire, méconnu la portée de la disposition législative dont il assure l’application ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 716 du code de procédure pénale doit être écarté ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la SECTION FRANCAISE DE L’OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS n’est pas fondée à demander l’annulation de l’article 1er du décret du 10 juin 2008 ; que ses conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, dès lors, qu’être rejetées ;
Sur la requête n° 319580 :
En ce qui concerne les conclusions à fin d’annulation :
Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article R. 421-1 du code de justice administrative : Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée ; que les conclusions de la requête de M. A tendant à l’annulation des dispositions du décret du 23 août 1975 relatives au régime des permissions de sortir des personnes condamnées, en tant qu’elles ont introduit dans le code de procédure pénale les articles D. 145, modifié en dernier lieu par un décret du 13 décembre 2004, et D. 146, modifié en dernier lieu par un décret du 8 décembre 1998, sont tardives et, par suite, irrecevables ;
Considérant, en second lieu, que M. A, en sa qualité de détenu condamné, ne justifie pas d’un intérêt lui donnant qualité pour demander l’annulation des dispositions qu’il conteste du décret du 10 juin 2008, qui ne concernent que les prévenus ; que, dès lors, ses conclusions tendant à l’annulation de ces dispositions sont irrecevables ;
En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :
Considérant, d’une part, qu’il résulte de ce qui précède que les conclusions de M. A tendant à ce que l’Etat soit condamné à réparer le préjudice moral que lui aurait causé l’illégalité des dispositions du décret du 10 juin 2008 ne peuvent qu’être rejetées ; d’autre part, que la juridiction administrative n’est pas compétente pour connaître de ses conclusions tendant à la réparation du préjudice qu’il aurait subi du fait du régime de permission de sortie auquel il a été soumis au cours de sa détention pendant l’année 2007, dès lors que ce régime relève de décisions prises par le juge de l’application des peines, qui modifient les limites de la peine et ne se rattachent pas au fonctionnement administratif du service pénitentiaire ;
En ce qui concerne les conclusions tendant à l’application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu’il soit fait droit aux conclusions présentées sur le fondement de ces dispositions par la SCP Le Bret-Desaché, avocat de M. A ;
Sur l’intervention de M. B :
Considérant que cette intervention, présentée au soutien de la requête de M. A, est irrecevable du fait de l’irrecevabilité des conclusions principales ;
D E C I D E :
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Article 1er : L’intervention de M. B n’est pas admise.
Article 2 : Les requêtes de la SECTION FRANCAISE DE L’OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS et de M. A sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SECTION FRANCAISE DE L’OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS, à M. François A, à M. François B, au Premier ministre et à la ministre d’Etat, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.