AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société Euro Cargo Rail a demandé au tribunal administratif de Paris, par deux demandes, d’annuler les dispositions des documents de références » Horaires de service » pour les années 2012, 2013 et 2014, adoptées par Réseau ferré de France (RFF) devenu SNCF Réseau, relatives à la redevance de sûreté sur le site du faisceau du tunnel de Calais-Fréthun, le refus d’abroger ces dispositions, la décision du 26 octobre 2012 par laquelle RFF a rejeté sa demande tendant à ce qu’il renonce à lui appliquer la redevance et les décisions rejetant les recours formés contre seize factures relatives à la redevance, et d’enjoindre à RFF de lui adresser les avoirs correspondant aux factures émises à son encontre au titre de la redevance.
Par un jugement n°s 1306517/2-1, 1402804/2-1 du 19 décembre 2014, le tribunal administratif de Paris a rejeté ces demandes.
Par un arrêt n° 15PA00819 du 28 juin 2017, rectifié pour erreur matérielle par un arrêt n° 17PA02279 du 24 octobre 2017, la cour administrative d’appel de Paris a, sur appel de la société Euro Cargo Rail, annulé ce jugement ainsi que les dispositions des documents de référence » Horaires de service » de 2012 modifié, de 2013 version 1 et de 2014 version 2 relatives à la redevance de sûreté, le refus de Réseau ferré de France d’abroger ces dispositions, et a condamné SNCF Réseau à verser à la société Euro Cargo Rail la somme de 53 726,72 euros correspondant aux sommes acquittées par cette dernière au titre de la redevance de sûreté sur le faisceau du tunnel de Calais-Fréthun.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat les 30 août et 24 novembre 2017 et le 1er octobre 2018, SNCF Réseau demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler cet arrêt ;
2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel de la société Euro Cargo Rail ;
3°) de mettre à la charge de la société Euro Cargo Rail la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le traité entre la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord concernant la construction et l’exploitation par des sociétés concessionnaires d’une liaison fixe transmanche, signé à Cantorbéry le 12 février 1986 ;
– le règlement de la Commission intergouvernementale concernant l’utilisation du tunnel sous la Manche, signé à Londres le 23 juillet 2009 ;
– le code des transports ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Clément Malverti, maître des requêtes,
– les conclusions de M. Guillaume Odinet, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de SNCF Réseau, et à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la société Euro cargo rail ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 9 novembre 2018, présentée par la la société Euro Cargo Rail ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 13 novembre 2018, présentée par SNCF Réseau ;
1. Considérant que le traité entre la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord concernant la construction et l’exploitation par des sociétés privées concessionnaires d’une liaison fixe transmanche, signé à Cantorbéry le 12 février 1986, prévoit que les deux gouvernements prendront des mesures relatives aux contrôles frontaliers et à la sûreté de la liaison et met en place une commission intergouvernementale chargée de suivre, au nom des deux gouvernements et par délégation de ceux-ci, l’ensemble des questions liées à la construction et à l’exploitation de cette liaison ; que, sur le fondement de ce traité, les gouvernements français et britannique ont fixé des règles de sûreté, qui imposent en particulier aux entreprises ferroviaires de procéder à des contrôles visant notamment à prévenir la présence de personnes non autorisées à bord des trains empruntant la liaison fixe transmanche ; que, comme le prévoit l’article 6 du règlement de la Commission intergouvernementale concernant l’utilisation du tunnel sous la Manche, signé à Londres le 23 juillet 2009, l’accès des entreprises ferroviaires à cette liaison est subordonné au respect par ces dernières » des dispositions en matière de sûreté édictées par les gouvernements » ;
2. Considérant que, pour permettre la mise en oeuvre de ces exigences, l’établissement public Réseau ferré de France (RFF) a, à partir de l’horaire de service pour 2012, proposé aux entreprises ferroviaires de marchandises circulant sur le site du faisceau du tunnel de Calais-Fréthun, point de passage obligatoire pour l’ensemble des trains de marchandises empruntant la liaison fixe transmanche, une prestation dite » de sûreté « , comprenant la détection de personnes non autorisées à bord des trains, la surveillance par le poste de vidéosurveillance ainsi que le gardiennage de la rame après contrôle et jusqu’au départ du train ; que Réseau ferré de France a institué, en contrepartie de cette prestation, une » redevance pour prestation complémentaire « , dite » redevance de sûreté « , introduite dans les documents de référence pour les horaires de service 2012, 2013 et 2014 ;
3. Considérant que la société Euro Cargo Rail (ECR), entreprise de transport ferroviaire de marchandises, a, d’une part, demandé au tribunal administratif de Paris l’annulation des dispositions des documents de référence » Horaire de service » 2012, 2013 et 2014 relatives à cette redevance de sûreté sur le faisceau du tunnel de Calais-Fréthun ainsi que de la décision par laquelle Réseau ferré de France a refusé d’abroger ces dispositions et, d’autre part, contesté les redevances mises à sa charge et demandé qu’il soit enjoint à Réseau ferré de France de constituer à son profit des avoirs correspondant aux factures afférentes à cette redevance émises à son encontre ; que, par un jugement du 19 décembre 2014, le tribunal administratif de Paris a rejeté les conclusions relatives au paiement de la redevance comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître et les conclusions tendant à l’annulation des dispositions relatives à la redevance de sûreté figurant dans les documents de référence » Horaire de service » 2012, 2013 et 2014 ainsi que du refus d’abroger ces dispositions ; que, par un arrêt du 28 juin 2017, rectifié pour erreur matérielle par un arrêt du 24 octobre 2017, la cour administrative d’appel de Paris a annulé ce jugement ainsi que les dispositions des documents de référence » Horaire de service » 2012, 2013 et 2014 relatives à la redevance de sûreté et la décision refusant d’abroger ces dispositions, a condamné RFF à reverser à la société Euro Cargo Rail la somme de 53 762,72 euros et a rejeté le surplus des conclusions présentées par cette société ; que SNCF Réseau, venant aux droits de Réseau ferré de France, se pourvoit en cassation contre cet arrêt ;
En ce qui concerne l’arrêt en tant qu’il statue sur les conclusions de la société Euro Cargo Rail relatives au refus de Réseau ferré de France de l’exonérer du paiement de la redevance de sûreté et de constituer des avoirs correspondant aux factures émises à son encontre :
4. Considérant que lorsqu’un établissement tient de la loi la qualité d’établissement public à caractère industriel et commercial, les litiges nés de ses activités relèvent de la compétence de la juridiction judiciaire, à l’exception de ceux qui sont relatifs à celles de ces activités qui, telles la réglementation, la police ou le contrôle, ressortissent par leur nature de prérogatives de puissance publique ;
5. Considérant que l’article L. 2111-9 du code des transports confère à l’établissement public Réseau Ferré de France un caractère industriel et commercial ; qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la prestation de sûreté sur le site du faisceau du tunnel de Calais-Fréthun prévue par les documents de référence » Horaire de service » 2012, 2013 et 2014, en contrepartie de laquelle a été perçue la redevance litigieuse, consiste à contrôler et à surveiller les installations et les trains de marchandises, notamment pour prévenir la présence éventuelle de personnes non autorisées à bord des trains devant emprunter le tunnel sous la Manche ; que lorsque la présence de personnes non autorisées est détectée, les agents de sécurité sont conduits à faire appel aux forces de police compétentes, sans pouvoir exercer de contrainte envers celles qui refuseraient d’obtempérer ; que les opérations matérielles en cause ne relèvent pas de l’exercice, par l’établissement public Réseau ferré de France, de prérogatives de puissance publique ; que, par suite, en jugeant que le litige relatif au paiement de la redevance par la société Euro Cargo Rail relevait de la compétence de la juridiction administrative, la cour administrative d’appel de Paris a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ;
En ce qui concerne l’arrêt en tant qu’il statue sur les conclusions de la société ECR relatives aux documents de référence » Horaire de service » 2012, 2013 et 2014 :
6. Considérant qu’une redevance pour service rendu peut être légalement établie à la condition, d’une part, que les opérations qu’elle est appelée à financer ne relèvent pas de missions qui incombent par nature à l’Etat et, d’autre part, qu’elle trouve sa contrepartie directe dans une prestation rendue au bénéfice propre d’usagers déterminés ;
7. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la redevance en litige finance une prestation de contrôle, de surveillance et de gardiennage des trains de marchandises stationnés sur le site du faisceau du tunnel de Calais-Fréthun, comprenant notamment la détection de la présence éventuelle de personnes non autorisées à bord des trains ; que, comme le prévoit l’article 6 du règlement de la Commission intergouvernementale concernant l’utilisation du tunnel sous la Manche signé à Londres le 23 juillet 2009, la réalisation de ces prestations de sûreté, qu’il est loisible aux entreprises ferroviaires de prendre directement en charge, est indispensable pour l’accès des trains de marchandises au tunnel sous la Manche ; que, dans ces conditions, la redevance litigieuse doit être regardée comme finançant des opérations qui ne relèvent pas de missions qui incombent par nature à l’Etat et comme trouvant sa contrepartie directe dans une prestation rendue au bénéfice propre des entreprises qui veulent faire circuler des trains de marchandise dans le tunnel sous la Manche ; que, dès lors, la cour administrative d’appel de Paris a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en jugeant que la prestation de sûreté litigieuse ne pouvait faire l’objet d’une redevance pour service rendu ;
8. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que SNCF Réseau est fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque ;
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de SNCF Réseau qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu’en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société Euro Cargo Rail la somme de 3 000 euros à verser à SNF Réseau, au titre de ces dispositions ;
D E C I D E :
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Article 1er : L’arrêt du 28 juin 2017 de la cour administrative d’appel de Paris est annulé.
Article 2 : L’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel de Paris.
Article 3 : Euro Cargo Rail versera à SNCF Réseau la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par Euro Cargo Rail au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à SNCF Réseau et à la société Euro Cargo Rail. Copie en sera adressée au ministre d’Etat, ministre de la transition écologique et solidaire.