REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 9 novembre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour la SNC LOGIDIS, dont le siège social est situé ZI, route de Paris, BP 17, Mondeville (14127), représentée par son président en exercice ; la SNC LOGIDIS demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt en date du 9 septembre 2005 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté sa requête tendant, d’une part, à l’annulation du jugement du 2 juillet 2002 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande de condamnation de l’Etat à lui verser une indemnité de 1. 203.165 euros en réparation des préjudices qu’elle a subis en raison des barrages routiers établis entre les 3 et 7 novembre 1997 et, d’autre part, à la condamnation de l’Etat au versement de la somme de 1. 203.165 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter de sa réclamation préalable, eux-mêmes capitalisés par année ;
2°) statuant au fond, d’annuler le jugement du 2 juillet 2002 et de faire droit à sa demande de première instance ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 3.500 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Herbert Maisl, Conseiller d’Etat,
– les observations de Me Foussard, avocat de la SNC LOGIDIS,
– les conclusions de M. Didier Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête ;
Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales : « L’Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens » ; que l’application de ces dispositions est subordonnée à la condition que les dommages dont l’indemnisation est demandée résultent de manière directe et certaine de crimes ou de délits commis par des rassemblements ou des attroupements précisément identifiés ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’à l’appui de sa demande tendant à ce que l’Etat soit condamné à réparer le préjudice ayant résulté pour elle des difficultés d’approvisionnement de ses magasins d’alimentation à partir de sa plate-forme logistique située dans la zone d’activités de la Crau à Aix-en-Provence pendant la première semaine du mois de novembre 1997 alors que se déroulait un mouvement national de grève des transports routiers, la SNC LOGIDIS a produit des constats quotidiens d’huissiers décrivant le barrage installé, du 2 novembre à 23 h 30 jusqu’au 8 novembre au matin à l’entrée de la zone d’activités au moyen de véhicules de tourisme par des représentants de l’union départementale CGT, qui rendait impossible les entrées et sorties de camions ; que, par suite, en jugeant que la société requérante se bornait à faire état d’une situation générale de blocage ayant affecté le réseau routier et autoroutier national sans établir de lien direct avec un crime ou un délit déterminé ni avec un rassemblement ou un attroupement précisément identifié, la cour administrative d’appel de Marseille a entaché son arrêt de dénaturation ; qu’il y a lieu, dès lors, d’en prononcer l’annulation ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au fond ;
Sur la responsabilité :
Considérant qu’il résulte de l’instruction que le préjudice résultant pour la SNC LOGIDIS de l’impossibilité dans laquelle elle s’est trouvée d’assurer l’approvisionnement de son circuit de magasins d’alimentation à partir de son dépôt de la zone de Crau résulte du délit d’entrave à la circulation commis par un rassemblement précisément identifié ; qu’elle est par suite fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à ce que l’Etat soit déclaré, en application de l’article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales, responsable des dommages qui en sont la conséquence directe ;
Sur le préjudice :
Considérant qu’il résulte de l’instruction que la SNC LOGIDIS a produit un tableau intitulé « estimation du coût relatif à la grève des routiers 1997 » comportant 15 rubriques, accompagné de nombreux documents et de listes de gestion de stocks et fixé son préjudice à la somme globale de 1.203.164,99 euros ; que, toutefois, à l’exception des rubriques relatives à la destruction des fruits et légumes (99.705,12 euros), aux frais d’huissiers (1.874,08 euros) et à la perte d’exploitation de l’entrepôt (271.054 euros), elle n’apporte pas d’éléments explicatifs sur la nature des préjudices dont elle demande réparation et leur mode de calcul ; que par suite son préjudice doit être évalué à la somme de 372.633,20 euros ;
Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :
Considérant que la SNC LOGIDIS a droit aux intérêts au taux légal afférents à la somme de 372.633,20 euros, à compter du 26 février 1998, date de la réception de sa demande d’indemnisation au préfet des Bouches-du-Rhône ; que la SNC LOGIDIS a demandé la capitalisation des intérêts par un mémoire enregistré le 9 septembre 2002 ; qu’à cette date les intérêts étaient dus pour au moins une année entière ; qu’il y a lieu dès lors de faire droit à cette demande tant à cette date qu’à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l’Etat une somme de 6.000 euros au titre des frais exposés par la société tant devant le Conseil d’Etat que devant les juges du fond et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille en date du 9 septembre 2005, et le jugement du tribunal administratif de Marseille en date du 2 juillet 2002 sont annulés.
Article 2 : L’Etat est condamné à verser à la SNC LOGIDIS une indemnité de 372.633, 20 euros, assortie des intérêts légaux à compter du 26 février 1998. Les intérêts échus à la date du 9 septembre 2002, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : L’Etat versera une somme de 6.000 euros à la SNC LOGIDIS au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la SNC LOGIDIS est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la SNC LOGIDIS et au ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales.