REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 23 août et 26 novembre 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la chambre de commerce et d’industrie de Rouen, la chambre de commerce et d’industrie de la région Haute-Normandie, la chambre de commerce et d’industrie de l’Eure, Transrégion – FNTR/FNTV – Union nationale des transports Haute-Normandie, la Fédération régionale des travaux publics de Normandie, la Confédération générale des petites et moyennes entreprises de Haute-Normandie, l’association Logistique Seine Normandie, le syndicat Organisation des transporteurs routiers européens Normandie, l’association Comité normand des professionnels du transport, la chambre d’agriculture de Seine-Maritime, le Mouvement entreprises de France Rouen-Dieppe, le syndicat Union nationale des carrières et matériaux de construction Normandie et l’Union portuaire rouennaise demandent au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir le décret du 26 juin 2013 portant classement parmi les sites des départements de l’Eure et de la Seine-Maritime de la Vallée de la Seine-Boucle de Roumare, sur le territoire des communes d’Anneville-Ambourville, Bardouville, Berville-sur-Seine, La Bouille, Canteleu, Grand-Couronne, Hautot-sur-Seine, Hénouville, Mauny, Moulineaux, Quevillon, Sahurs, Saint-Martin-de-Boscherville, Saint-Pierre-de-Manneville, Val-de-la-Haye (Seine-Maritime), Barneville-sur-Seine, Caumont et La Trinité-de-Thouberville (Eure) ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– la Constitution, notamment son préambule ;
– le code de l’environnement ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Sophie Roussel, maître des requêtes,
– les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de la chambre de commerce et d’industrie de Rouen et autres ;
Sur la légalité externe :
1. Considérant, en premier lieu, que, contrairement à ce qui est soutenu, il ressort des pièces du dossier que, d’une part, les préfets signataires de l’arrêté inter-préfectoral portant ouverture de l’enquête étaient compétents pour signer un tel arrêté, d’autre part, les mesures de publicité prévues par l’article R. 341-4 du code de l’environnement, dans sa rédaction alors applicable, ont été respectées, enfin, la notice explicative du projet ainsi que le plan de délimitation du site ont été mis à disposition du public durant l’enquête ; qu’il suit de là que le moyen tiré de l’irrégularité de l’enquête publique préalable au décret de classement attaqué manque en fait ;
2. Considérant, en deuxième lieu, qu’aux termes de l’avant-dernier alinéa de l’article L. 341-6 du code de l’environnement : » Le classement d’un lac ou d’un cours d’eau pouvant produire une énergie électrique permanente d’au moins 50 kilowatts ne peut être prononcé qu’après avis des ministres intéressés. Cet avis doit être formulé dans le délai de trois mois, à l’expiration duquel il peut être passé outre. » ; que, contrairement à ce qui est soutenu, le ministre chargé de l’égalité des territoires ne peut être regardé comme intéressé par la production d’énergie électrique au sens de ces dispositions ; que, par suite, le moyen d’irrégularité du décret faute de consultation préalable de ce ministre ne peut qu’être écarté ;
3. Considérant, en dernier lieu, que contrairement à ce qui est soutenu, il ressort du procès-verbal de la réunion de la commission supérieure des sites du 10 juin 2010 relative au projet de classement que la règle de quorum résultant des dispositions combinées des articles R. 341-29 et R. 341-31 du code de l’environnement a été respectée ; que le moyen tiré de l’irrégularité, pour ce motif, de cet avis ne peut, par suite, qu’être écarté ;
Sur la légalité interne :
4. Considérant, en premier lieu, d’une part, qu’aux termes de l’article 6 de la Charte de l’environnement : » Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. A cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social. » ; qu’il appartient aux pouvoirs publics et aux autorités administratives, dans le respect de leurs compétences respectives, de veiller à concilier, dans la conception des politiques publiques, la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social ; que le cadre de la politique de protection des monuments naturels et des sites dont la conservation ou la préservation présente, au point de vue artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque, un intérêt général, a été définie par le législateur aux articles L. 341-1 et suivants du code de l’environnement ; que la légalité des décisions administratives prises dans ce cadre s’apprécie au regard de ces dispositions ;
5. Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article L. 110-1 du code de l’environnement : » I. – Les espaces, ressources et milieux naturels, les sites et paysages, la qualité de l’air, les espèces animales et végétales, la diversité et les équilibres biologiques auxquels ils participent font partie du patrimoine commun de la nation. / II. – Leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état et leur gestion sont d’intérêt général et concourent à l’objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. (…) » ; que les dispositions citées ci-dessus se bornent à énoncer des principes dont la portée a vocation à être définie dans le cadre d’autres lois ; que leur méconnaissance ne peut être directement invoquée à l’encontre du décret attaqué ;
6. Considérant que le décret attaqué portant classement de l’ensemble formé par la boucle de Roumare, méandre de la Seine le plus proche de Rouen, situé sur les communes d’Anneville-Ambourville, Bardouville, Berville-sur-Seine, La Bouille, Canteleu, Grand-Couronne, Hautot-sur-Seine, Hénouville, Mauny, Moulineaux, Quevillon, Sahurs, Saint-Martin-de-Boscherville, Saint-Pierre-de-Manneville, Val-de-la-Haye (Seine-Maritime), Barneville-sur-Seine, Caumont et La Trinité-de-Thouberville (Eure), n’a pas lui-même pour objet de définir une politique publique mais constitue une décision prise en application du régime de protection des monuments naturels et des sites, tel que défini par les articles L. 341-1 et suivants du code de l’environnement ; qu’il résulte de ce qui précède qu’eu égard à l’objet et la portée de ce décret, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article 6 de la Charte de l’environnement ainsi que de celle de l’article L. 110-1 du code de l’environnement, au motif que le classement du site entraverait les perspectives économiques de développement de la zone considérée, ne peut qu’être écarté ;
7. Considérant, en dernier lieu, que les dispositions des articles L. 341-1 et L. 341-2 du code de l’environnement confèrent à l’autorité administrative compétente le pouvoir de procéder au classement non seulement des terrains qui présentent en eux-mêmes, au point de vue artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque, un intérêt général mais également, dans la mesure où la nature du site le justifie, les parcelles qui contribuent à la sauvegarde du site et à la cohérence de sa protection ; que l’ensemble formé par la boucle de Roumare constitue un site pittoresque au sens de l’article L. 341-1 du code de l’environnement ; que les parcelles dont les requérants contestent l’inclusion dans le périmètre du classement au motif qu’elles ne présenteraient aucune particularité, le paysage étant constitué de carrières, de zones industrielles, ou de simples prairies ou champs, font partie intégrante du site et contribuent à la cohérence de protection de l’ensemble, défini d’une rive à l’autre, d’une part, en prenant appui sur les lignes de crêtes implantées de part et d’autre du fleuve et, d’autre part, en excluant les terrains portuaires, les zones d’activités et les terrains urbanisés ; que, par suite, le moyen d’erreur d’appréciation doit être écarté ;
8. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la chambre de commerce et d’industrie de Rouen et autres ne sont pas fondés à demander l’annulation du décret attaqué ; que leur requête ne peut qu’être rejetée, y compris leurs conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la chambre de commerce et d’industrie de Rouen et autres est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la chambre de commerce et d’industrie de Rouen, premier requérant dénommé, au Premier ministre et à la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Les autres requérants seront informés de la présente décision par la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, qui les représente devant le Conseil d’Etat.