Conseil d’État, 6ème et 5ème chambres réunies, 05/12/2018, 416487
Conseil d’État – 6ème et 5ème chambres réunies
N° 416487
ECLI:FR:CECHR:2018:416487.20181205
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
Lecture du mercredi 05 décembre 2018
Rapporteur
Mme Marie-Laure Denis
Rapporteur public
M. Louis Dutheillet de Lamothe
Avocat(s)
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 décembre 2017, 9 mars 2018 et 2 novembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, Mme B…demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir la circulaire de transparence du 12 octobre 2017 par laquelle le Conseil supérieur de la magistrature a notamment envisagé la nomination de M. C…D…au poste de président du tribunal de grande instance de Douai, la proposition du 15 novembre 2017 du Conseil supérieur de la magistrature de nommer ce candidat au poste précité et le décret du 4 décembre 2017 du Président de la République portant nomination de ce candidat en qualité de président du tribunal de grande instance de Douai ;
2°) d’enjoindre au Conseil supérieur de la magistrature de proposer sa nomination au poste de président du tribunal de grande instance de Douai ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– la Constitution, notamment son Préambule ;
– l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;
– la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 ;
– le décret n° 93-21 du 7 janvier 1993 ;
– le décret n° 94-199 du 9 mars 1994 ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Marie-Laure Denis, conseiller d’Etat,
– les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de MmeB….
Considérant ce qui suit :
1. D’une part, aux termes du quatrième alinéa de l’article 65 de la Constitution : » La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du siège fait des propositions pour les nominations des magistrats du siège à la Cour de cassation, pour celles de premier président de cour d’appel et pour celles de président de tribunal de grande instance. Les autres magistrats du siège sont nommés sur son avis conforme « . D’autre part, les deux premiers alinéas de l’article 15 de la loi organique du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature disposent que : » Les candidatures aux emplois pourvus sur proposition du Conseil supérieur sont adressées simultanément au Conseil supérieur de la magistrature et au ministre de la justice. / Pour chaque nomination de magistrat du siège à la Cour de cassation, de premier président de cour d’appel ou de président de tribunal de grande instance, la formation compétente du Conseil supérieur arrête, après examen des dossiers des candidats et sur le rapport d’un de ses membres, la proposition qu’elle soumet au Président de la République « .
2. Il ressort des pièces du dossier que MmeB…, qui est magistrate du siège, s’est portée candidate au poste de président du tribunal de grande instance de Douai. Par circulaire dite de » transparence » du 30 août 2017, le Conseil supérieur de la magistrature, dans sa formation compétente pour les magistrats du siège, a indiqué qu’il envisageait de proposer la nomination de l’intéressée dans ce poste, en invitant les personnes intéressées à présenter leurs observations sur ce projet avant le 5 septembre, à minuit. Après examen des observations, le Conseil supérieur de la magistrature a décidé, le 6 septembre 2017, de » retirer » le projet de nomination de l’intéressée, a lancé un nouvel appel à candidature le 7 septembre et a diffusé, le 12 octobre 2017, une autre circulaire de » transparence « , indiquant que le Conseil supérieur envisageait désormais de proposer la nomination de M. D…au poste précité. Cette nomination a été proposée le 15 novembre 2017 au Président de la République qui, par un décret du 4 décembre 2017, a procédé à cette nomination. Mme B…demande l’annulation pour excès de pouvoir de la circulaire de » transparence » du 12 octobre 2017, en tant qu’elle concerne M.D…, de la proposition du 15 novembre 2017 de nommer l’intéressé et du décret du 4 décembre 2017 procédant à cette nomination.
Sur la recevabilité des conclusions dirigées contre la circulaire de » transparence » du 12 octobre 2017 et la proposition de nommer M. D…:
3. La circulaire, dite » de transparence « , par laquelle le Conseil supérieur de la magistrature informe, en vue de recueillir leurs observations, l’ensemble des magistrats de ce qu’il envisage de proposer la nomination d’un magistrat dans un poste déterminé, comme la proposition de nomination qu’il formule après avoir recueilli ces observations, constituent des actes préparatoires au décret de nomination du Président de la République et n’ont, dès lors, pas le caractère de décisions faisant grief susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Il y a lieu, en conséquence, par un moyen qui, étant d’ordre public doit être relevé d’office, de rejeter comme irrecevables les conclusions de Mme B…dirigées contre ces deux mesures.
Sur le décret du 4 décembre 2017 portant nomination de ce candidat en cette qualité :
En ce qui concerne la régularité de la procédure de nomination :
4. En premier lieu, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, la circulaire » de transparence » par laquelle le Conseil supérieur de la magistrature indique qu’il envisage de proposer la nomination d’un magistrat dans un poste déterminé, qui n’a pas le caractère d’une décision créatrice de droits, a pour objet, avant qu’il n’exerce le pouvoir de proposition qu’il tient du quatrième alinéa de l’article 65 de la Constitution, de lui permettre de recueillir les observations des autres magistrats intéressés. Il lui est, dès lors, loisible, au vu de ces observations, de renoncer à son intention initiale. Par suite, Mme B…ne peut utilement exciper de ce que les règles de retrait des décisions créatrices de droits n’auraient pas, en l’espèce, été respectées. Par ailleurs, le Conseil supérieur de la magistrature a la faculté, s’il n’entend pas proposer un candidat parmi ceux ayant déclaré leur intérêt pour un poste ayant fait l’objet d’un appel à candidature, de lancer un nouvel appel à candidature afin de susciter d’autres manifestations d’intérêt. Ainsi, Mme B…n’est pas fondée à soutenir que le Conseil supérieur de la magistrature, qui a usé de la faculté dont il disposait de lancer un nouvel appel à candidature, ne pouvait pas, sans méconnaître le principe d’égalité, proposer à la » transparence » puis à la nomination une personne autre que l’un des magistrats s’étant initialement portés candidats dans le délai initialement fixé par le premier appel à candidature.
5. En second lieu, selon des règles que le Conseil supérieur de la magistrature s’est lui-même fixées pour arrêter la proposition qu’il adresse au Président de la République en vertu de l’article 15 précité de la loi organique du 5 février 1994, les postes vacants sont, en principe, expressément désignés dans l’appel à candidature rendu public afin de les pourvoir. En l’espèce, le Conseil supérieur de la magistrature a publié un premier appel à candidature, faisant expressément mention de la vacance du poste de président du tribunal de grande instance de Douai, qui a suscité notamment la candidature de MmeB…. Après avoir fait état de son projet de nomination de cette dernière à ce poste dans la circulaire » de transparence » du 6 août 2017, le Conseil supérieur de la magistrature est revenu sur ce projet et l’a fait publiquement savoir par une circulaire du 6 septembre 2017, avant de procéder à un nouvel appel à candidature, le 7 septembre 2017, qui a suscité la candidature de M.D…. Cet appel à candidature indiquait qu’étaient concernés les postes de président de tribunal de grande instance et que pourraient » notamment » être examinées les nominations dans quatre d’entre eux, qu’il identifiait, sans toutefois mentionner expressément le poste de président du tribunal de grande instance de Douai, toujours vacant. Compte tenu de la concomitance de la diffusion à l’ensemble des magistrats de cet appel général à candidature et de la circulaire du 6 septembre 2017 par laquelle le Conseil supérieur de la magistrature leur a fait connaître qu’il avait retiré le projet de nomination initialement envisagé dans ce poste, cette absence d’indication expresse n’a, en l’espèce, ni exercé une influence sur le sens de la décision prise de proposer la nomination de M. D…ni privé les intéressés d’une garantie. Par suite, le moyen tiré de l’irrégularité de la procédure faute que la circulaire relative à l’appel à candidatures ait mentionné le poste vacant au tribunal de grande instance de Douai doit être écarté.
En ce qui concerne la légalité interne du décret attaqué :
6. En premier lieu, si Mme B…soutient qu’elle a été victime de discrimination, elle n’apporte aucun élément de fait précis permettant de la faire présumer. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que le retrait du projet de la nommer et la proposition de nommer M. D…seraient fondés sur des considérations étrangères à l’intérêt du service, au parcours et à la valeur professionnelle des candidats. Le moyen tiré du détournement de pouvoir doit donc être écarté.
7. En second lieu, pour établir l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation, la requérante se borne à faire valoir que, parmi les critères que retient le Conseil supérieur de la magistrature pour apprécier les candidatures qui lui sont soumises, un délai minimum de service de deux ans doit avoir été accompli dans le poste précédent. Mme B…soutient que le Conseil supérieur de la magistrature aurait méconnu cette règle, qu’il a lui-même fixée, en nommant comme président du tribunal de grande instance de Douai M.D…. Toutefois, si le Conseil supérieur de la magistrature peut légalement se fonder sur des critères de sélection qu’il détermine, tels que celui relatif à l’ancienneté des candidats dans leur précédent poste, ceux-ci ne revêtent qu’un caractère indicatif, comme le soulignent d’ailleurs ses rapports annuels d’activité. Il ressort au demeurant des pièces du dossier que M. D…a été installé dans ses fonctions de président du tribunal de grande instance de Douai le 8 janvier 2018, soit environ deux ans après son installation dans son poste précédent.
8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B…n’est pas fondée à demander l’annulation pour excès de pouvoir du décret attaqué. Ses conclusions à fins d’injonction et celles présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, en conséquence, être également rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de Mme B…est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A…B…et à la garde des sceaux, ministre de la justice.
Copie en sera adressée au Conseil supérieur de la magistrature.
ECLI:FR:CECHR:2018:416487.20181205