REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 30 mai et 29 septembre 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SA MARTELL et CO, dont le siège social est Place E. Martell à Cognac (16101), représentée par son directeur-général en exercice ; la SA MARTELL et CO demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 25 mars 2003 par lequel la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté sa requête tendant à l’annulation de l’article 3 du jugement du 22 octobre 1998 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant, à titre principal, à la décharge des suppléments d’impôt sur les sociétés mis à sa charge au titre des exercices clos les 30 juin 1987, 30 juin 1988, 31 décembre 1988 et 31 décembre 1989 et des pénalités mentionnées à l’article 1763 A du code général des impôts et, à titre subsidiaire, à la réduction de ces pénalités ;
2°) statuant au fond, de prononcer, à titre principal, la décharge des impositions et pénalités en litige et, à titre subsidiaire, la réduction des pénalités en litige ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ensemble le premier protocole additionnel à cette convention ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mlle Emmanuelle Cortot, Auditeur,
– les observations de la SCP Lesourd, avocat de la SA MARTELL et CO,
– les conclusions de M. Laurent Vallée, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SA MARTELL et CO, qui exerce une activité de production et de commercialisation d’eaux-de-vie de cognac, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité qui a porté sur les exercices clos les 30 juin 1987, 30 juin 1988, 31 décembre 1988 et 31 décembre 1989 ; qu’à la suite de cette vérification, l’administration fiscale a remis en cause le droit de la SA MARTELL et CO de déduire de son résultat imposable, d’une part, des provisions constituées en vue de faire face au versement des charges sociales afférentes aux allocations dues à ses salariés en raison de leur départ à la retraite, et d’autre part, les frais et amortissements afférents à la résidence que celle-ci possède à Chanteloup ; que les suppléments d’impôt sur les sociétés correspondants ont été mis en recouvrement les 31 octobre et 30 novembre 1993, et assortis par l’administration, pour les exercices clos le 30 juin 1988 et les 31 décembre 1988 et 1989, de la pénalité mentionnée à l’article 1763 A du code général des impôts ; que la SA MARTELL et CO se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 25 mars 2003 par lequel la cour administrative d’appel de Bordeaux a confirmé le jugement rendu le 22 octobre 1998 par le tribunal administratif de Poitiers, en tant qu’il n’a fait que partiellement droit à ses demandes tendant à la décharge des suppléments d’impôt sur les sociétés auxquels elle a été assujettie au titre des exercices clos entre le 30 juin 1987 et le 31 décembre 1989, et des pénalités dont ils ont été assortis pour les exercices clos entre le 30 juin 1988 et le 31 décembre 1989 ;
Sur la déductibilité des provisions pour charges sociales afférentes aux indemnités de départ à la retraite :
Considérant qu’aux termes du 1 de l’article 39 du code général des impôts, applicable à l’impôt sur les sociétés en vertu de l’article 209 du même code : Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : (…) / 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu’elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l’exercice. Toutefois, ne sont pas déductibles les provisions que constitue une entreprise en vue de faire face au versement d’allocations en raison du départ à la retraite ou préretraite des membres ou anciens membres de son personnel, ou de ses mandataires sociaux (…) ;
Considérant qu’il résulte de ces dispositions que les allocations dues par une entreprise à ses salariés en raison de leur départ à la retraite ne peuvent donner lieu à la constitution d’une provision déductible du résultat imposable ; que, compte tenu de leur nature et du fait que leur exigibilité est liée au versement effectif d’une allocation de départ à la retraite, les charges sociales afférentes à cette dernière présentent, du point de vue fiscal, le même caractère que celle-ci et ne peuvent suivre un régime différent de celui de l’allocation de départ à la retraite proprement dite ; qu’ainsi, en estimant que les provisions constituées par la SA MARTELL et CO, en vue de faire face au versement des charges sociales afférentes aux allocations de départ à la retraite dues à ses salariés, n’étaient pas déductibles du résultat imposable de la société, la cour n’a pas commis d’erreur de droit ; que les stipulations de l’article premier du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne lui imposaient pas d’autre interprétation que celle qu’elle a retenue ; que le principe constitutionnel de clarté de la loi et l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité de la loi ne s’imposant qu’aux auteurs du texte législatif en cause, la SA MARTELL et CO ne peut utilement soutenir que ces principes auraient été méconnus par la cour lorsqu’elle a procédé à l’interprétation des dispositions précitées du 5° du 1 de l’article 39 du code général des impôts ;
Sur la déductibilité des frais et amortissements afférents à la résidence de Chanteloup :
Considérant qu’aux termes du premier alinéa du 4 de l’article 39 du code général des impôts, applicable à l’impôt sur les sociétés en vertu de l’article 209 du même code : … sont exclues des charges déductibles pour l’établissement de l’impôt … les charges, à l’exception de celles ayant un caractère social, résultant de l’achat, de la location ou de toute autre opération faite en vue d’obtenir la disposition de résidences de plaisance ou d’agrément, ainsi que de l’entretien de ces résidences … ; que ces dispositions visent les charges qu’expose une entreprise, fût-ce dans le cadre d’une gestion commerciale normale, du fait qu’elle dispose d’une résidence ayant vocation de plaisance ou d’agrément, à laquelle elle conserve ce caractère et dont elle ne fait pas une exploitation lucrative spécifique ;
Considérant, en premier lieu, que la cour, après avoir relevé que la résidence de Chanteloup est utilisée exclusivement à des fins publicitaires, pour l’organisation de manifestations au cours desquelles sont présentés les produits de la gamme Martell ainsi que pour la réception d’hôtes de marque, dont il n’est pas allégué qu’il s’agirait d’hôtes payants, a estimé que, sans qu’y fasse obstacle la circonstance que le nom de la résidence de Chanteloup serait associé à celui d’une cuvée prestigieuse des cognacs Martell, ladite résidence ne faisait pas l’objet, même pour partie, d’une exploitation lucrative spécifique ; que ce faisant, la cour a porté sur les faits de l’espèce une appréciation souveraine qui n’est entachée d’aucune dénaturation ;
Considérant, en deuxième lieu, que la circonstance que la résidence serait utilisée dans le prolongement direct de l’activité commerciale de la SA MARTELL et CO ne permet pas d’établir que cette résidence ferait l’objet d’une exploitation lucrative spécifique, pas plus que la circonstance que la résidence de Chanteloup aurait été pour partie aménagée en salles de réunions ne permet d’établir qu’il ne lui aurait pas été conservé son caractère de résidence de plaisance ou d’agrément ; qu’ainsi, la cour a pu légalement, par une décision suffisamment motivée, estimer que la résidence de Chanteloup devait être regardée comme une résidence de plaisance ou d’agrément au sens du premier alinéa du 4 de l’article 39 du code général des impôts ;
Considérant, en troisième lieu, que la SA MARTELL et CO a invoqué, sur le fondement de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales, les énonciations d’une note du 6 août 1962, reprise dans la documentation administrative 4 C 4741, en vertu desquelles la déduction des charges résultant de l’entretien des résidences de plaisance ou d’agrément est autorisée pour les entreprises qui justifient que l’acquisition de ces résidences est faite en vue de la location, de la sous-location ou de l’exploitation commerciale ; qu’ainsi qu’il a été dit ci-dessus, la cour a relevé que les hôtes qui sont reçus à la résidence de Chanteloup ne sont tenus au paiement d’aucune contribution financière directe en contrepartie de l’utilisation de la résidence ; qu’il suit de là qu’en estimant que la résidence de Chanteloup n’entrait pas dans les prévisions de la note et de la documentation susmentionnées, la cour n’a commis aucune erreur de droit ; que, ce faisant, la cour a, en outre, implicitement mais nécessairement écarté le moyen tiré par la SA MARTELL et CO de la méconnaissance des énonciations de la documentation administrative 4 C 4743, qui reprennent celles de la note du 6 août 1962 et de la documentation 4 C 4741 susmentionnées ;
Sur l’application du e de l’article 111 du code général des impôts :
Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article 111 du code général des impôts, dans sa rédaction issue de l’article 30 de la loi du 30 décembre 1987, portant loi de finances pour 1988 : Sont notamment considérés comme revenus distribués : / … e. Les dépenses et charges dont la déduction pour l’assiette de l’impôt sur les sociétés est interdite en vertu des dispositions des premier et cinquième alinéas du 4 de l’article 39 ; qu’aux termes de l’article 117 du même code : Au cas où la masse des revenus distribués excède le montant total des distributions tel qu’il résulte des déclarations de la personne morale visées à l’article 116, celle-ci est invitée à fournir à l’administration, dans un délai de trente jours, toutes indications complémentaires sur les bénéficiaires de l’excédent de distribution. / En cas de refus ou à défaut de réponse dans ce délai, les sommes correspondantes donnent lieu à l’application de la pénalité prévue à l’article 1763 A ; qu’aux termes de l’article 1763 A du code général des impôts : ‘Les sociétés et les autres personnes morales passibles de l’impôt sur les sociétés qui versent ou distribuent, directement ou par l’intermédiaire de tiers, des revenus à des personnes dont, contrairement aux dispositions des articles 117 et 240, elles ne révèlent pas l’identité, sont soumises à une pénalité égale à 100 % des sommes versées ou distribuées. Lorsque l’entreprise a spontanément fait figurer dans sa déclaration de résultat le montant des sommes en cause, le taux de la pénalité est ramené à 75 % ; qu’il résulte de ces dispositions que le bénéfice résultant de la réintégration dans le résultat imposable, à la suite d’un redressement, de dépenses et charges afférentes aux résidences de plaisance ou d’agrément, doit être regardé comme un revenu distribué, sans qu’il soit besoin, pour l’administration, d’établir que lesdites dépenses et lesdites charges, dont la déduction est, en tout état de cause, interdite en vertu d’une disposition législative spéciale, auraient réellement été distribuées ; qu’ainsi, en estimant que les suppléments de bénéfice résultant de la réintégration dans le bénéfice imposable de la SA MARTELL et CO des frais et amortissements afférents à la résidence de Chanteloup devaient être regardés comme des revenus distribués, susceptibles de donner lieu, lorsque l’entreprise qui les a exposés a manqué aux obligations résultant des dispositions combinées des articles 116 et 117 du code général des impôts, à l’application de la pénalité mentionnée à l’article 1763 A du code général des impôts, la cour n’a pas commis d’erreur de droit ;
Considérant, d’autre part, que les énonciations du paragraphe 15 de la note du 6 août 1962, relative aux frais et charges de caractère somptuaire ne concernent que les justifications prévues à l’article 81-II de la loi du 21 décembre 1961 ; que ces dispositions, selon lesquelles les frais et charges en cause ne pouvaient, dans certains cas, être regardés comme des revenus distribués, ont été abrogées par le 3 de l’article 27 de la loi du 12 juillet 1965 modifiant l’imposition des entreprises et des revenus de capitaux mobiliers, après qu’elles ont été codifiées au 5° de l’article 112 du code général des impôts, sans que leur substance ne soit reprise dans aucun texte ; qu’ainsi, les énonciations du paragraphe 15 de la note susmentionnée du 6 août 1962 doivent, compte tenu des textes applicables au présent litige, être regardées comme sans portée en l’espèce ; qu’il suit de là qu’en estimant que la SA MARTELL et CO n’était pas fondée à s’en prévaloir au titre des dispositions de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales, la cour n’a, en tout état de cause, pas commis d’erreur de droit ;
Sur les pénalités infligées en application de l’article 1763 A du code général des impôts :
Considérant qu’aux termes de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (…). / 2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ;
Considérant, en premier lieu, que les dispositions précitées de l’article 1763 A du code général des impôts, qui prévoient des taux de majoration différents selon que le contribuable cumule ou non un manquement aux obligations déclaratives relatives à ses résultats avec un manquement aux obligations résultant de l’article 117 du même code, proportionnent les pénalités qu’elles instituent aux agissements du contribuable en vue de dissimuler des distributions de revenus ; que le juge de l’impôt, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués par l’administration pour établir l’existence de l’un ou l’autre de ces manquements, décide, dans chaque cas, selon les résultats de ce contrôle, soit de maintenir ou d’appliquer la majoration effectivement encourue au taux prévu par la loi, soit s’il estime que l’administration n’établit pas que le contribuable, interrogé à bon droit sur le fondement de l’article 117 du code général des impôts, aurait manqué à l’obligation résultant de cet article de répondre, dans un délai de trente jours, à la demande qui lui était faite de désigner les bénéficiaires des distributions de bénéfices auxquelles il a procédé, de le décharger de la pénalité mentionnée à l’article 1763 A du code général des impôts ; que les stipulations du §1 de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’obligent pas le juge à procéder différemment ; que, dès lors, en jugeant qu’elle n’avait pas à moduler le taux de la pénalité prévue par l’article 1763 A du code général des impôts, la cour n’a pas méconnu les stipulations précitées du §1 de l’article 6 de la convention susmentionnée ;
Considérant, en second lieu, que les dispositions précitées de l’article 1763 A du code général des impôts ne font pas peser la charge de la preuve sur le contribuable ; que, par suite, la cour n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant, alors même que la pénalité qu’elles prévoient est encourue du seul fait que l’intéressé s’est abstenu de répondre à la demande de l’administration dans le délai qui lui est imparti, que les dispositions du premier alinéa de l’article 1763 A du code général des impôts ne méconnaissent pas les stipulations du § 2 de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Sur le montant de la créance détenue sur le Trésor à raison du report en arrière du déficit constaté au titre de l’exercice clos le 30 juin 1988 :
Considérant qu’aux termes de l’article 220 quinquies du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable : I. Par dérogation aux dispositions des troisième et quatrième alinéas du I de l’article 209, le déficit constaté au titre d’un exercice ouvert à compter du 1er janvier 1984 par une entreprise soumise à l’impôt sur les sociétés peut, sur option, être considéré comme une charge déductible du bénéfice de l’antépénultième exercice et, le cas échéant, de celui de l’avant-dernier exercice puis de celui de l’exercice précédent, dans la limite de la fraction non distribuée de ces bénéfices. Cette option porte, pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 1985, sur les déficits reportables à la clôture d’un exercice en application des troisième et quatrième alinéas du I de l’article 209. / Le déficit imputé dans les conditions prévues au premier alinéa cesse d’être reportable sur les résultats des exercices suivant celui au titre duquel il a été constaté. / L’excédent d’impôt sur les sociétés résultant de l’application du premier alinéa fait naître au profit de l’entreprise une créance d’un égal montant. La constatation de cette créance, qui n’est pas imposable, améliore les résultats de l’entreprise et contribue au renforcement des fonds propres… ;
Considérant qu’il résulte de ces dispositions que la créance née du report en arrière du déficit constaté au titre de l’exercice clos le 30 juin 1988, sur le fondement de l’article 220 quinquies du code général des impôts, doit être diminuée à raison des redressements dont, ainsi qu’il a été dit plus haut, la SA MARTELL et CO a, à bon droit, fait l’objet ; qu’il suit de là qu’en jugeant que la créance qu’elle détient sur le Trésor devait être notamment réduite à raison de la réintégration, dans son bénéfice imposable, des provisions constituées en vue de faire face aux charges sociales afférentes aux allocations de départ en retraite dues à ses salariés et des dépenses se rapportant à la résidence de Chanteloup, la cour n’a, en tout état de cause, pas commis d’erreur de droit ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la SA MARTELL et CO n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;
Sur l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par la SA MARTELL et CO au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la SA MARTELL et CO est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SA MARTELL et CO et au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.