Vu 1°, sous le n° 329570, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 9 juillet et 12 octobre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la Fédération Force Ouvrière Énergie et Mines, dont le siège est 60, rue Vergniaud à Paris (75013), représentée par son représentant statutaire ; la Fédération Force Ouvrière Énergie et Mines demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir, d’une part, la décision du 15 juin 2009 par laquelle le directeur général délégué de la société Électricité de France (EDF) a décidé la réquisition de salariés chargés des opérations d’arrêt de tranches de centrales nucléaires, et d’autre part, la décision du 15 juin 2009 par laquelle le directeur » optimisation amont aval et trading » d’EDF a demandé la disponibilité au plus tôt à la sollicitation du réseau électrique des tranches nucléaires Cattenom 1, Dampierre 1, Dampierre 4, Cruas 1, Paluel 1 et Bugey 3 ;
2°) de mettre à la charge de la société EDF le versement d’une somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu 2°, sous le n° 329683, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 13 juillet et 13 octobre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la Fédération nationale des mines et de l’énergie CGT, dont le siège est 263, rue de Paris à Montreuil (93516), représentée par ses dirigeants légaux en exercice ; la Fédération nationale des mines et de l’énergie CGT demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir, d’une part, la décision du 15 juin 2009 par laquelle le directeur général délégué de la société Electricité de France (EDF) a décidé la réquisition de salariés chargés des opérations d’arrêt de tranches de centrales nucléaires et, d’autre part, la décision du 15 juin 2009 par laquelle le directeur » optimisation amont aval et trading » d’EDF a demandé la disponibilité au plus tôt à la sollicitation du réseau électrique des tranches nucléaires Cattenom 1, Dampierre 1, Dampierre 4, Cruas 1, Paluel 1 et Bugey 3 ;
2°) de mettre à la charge de la société EDF le versement d’une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
…………………………………………………………………………
Vu 3°, sous le n° 330539, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 5 août et 5 novembre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la Fédération des syndicats Sud Energie, dont le siège est 93 bis, rue de Montreuil à Paris (75011), représentée par son représentant légal en exercice ; la Fédération des syndicats Sud Energie demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir, d’une part, la décision du 15 juin 2009 par laquelle le directeur général délégué de la société Electricité de France (EDF), a décidé la réquisition de salariés chargés des opérations d’arrêt de tranches de centrales nucléaires, d’autre part, la décision du même jour par laquelle le directeur » optimisation amont aval et trading » d’EDF a demandé la disponibilité au plus tôt à la sollicitation du réseau électrique des tranches nucléaires Cattenom 1, Dampierre 1, Dampierre 4, Cruas 1, Paluel 1 et Bugey 3 et, enfin, les décisions du même jour par lesquelles le directeur général adjoint » production et ingénierie » d’EDF a appliqué la décision du directeur général délégué ;
2°) de mettre à la charge de la société EDF le versement d’une somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
…………………………………………………………………………
Vu 4°, sous le n° 330847, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 14 août et 16 novembre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la Fédération Chimie Energie CFDT, dont le siège est 47-49, avenue Simon Bolivar à Paris (75019), représentée par ses dirigeants légaux en exercice ; la Fédération Chimie Energie CFDT demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir, d’une part, la décision du 15 juin 2009 par laquelle le directeur général délégué de la société Electricité de France (EDF) a décidé la réquisition de salariés chargés des opérations d’arrêt de tranches de centrales nucléaires, d’autre part, la décision du 15 juin 2009 par laquelle le directeur » optimisation amont aval et trading » d’EDF a demandé la disponibilité à la sollicitation du réseau électrique au plus tôt des tranches nucléaires Cattenom 1, Dampierre 1, Dampierre 4, Cruas 1, Paluel 1 et Bugey 3, enfin, chacune des décisions mettant en oeuvre les décisions précitées et des décisions individuelles réquisitionnant les salariés d’EDF ;
2°) de mettre à la charge de la société EDF le versement d’une somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le traité instituant la Communauté européenne, notamment son article 82 et le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, notamment son article 102 ;
Vu la Constitution ;
Vu le code de commerce ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code de l’énergie ;
Vu le code du travail ;
Vu la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 ;
Vu la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 ;
Vu le décret n° 2004-1224 du 17 novembre 2004 ;
Vu l’arrêté du 5 juillet 1990 modifié fixant les consignes générales de délestages sur les réseaux électriques ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Olivier Gariazzo, Maître des Requêtes en service extraordinaire,
– les observations de Me Haas, avocat de la Fédération Force Ouvrière Energie et Mines, de la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de la société Electricité de France, de la SCP Baraduc, Duhamel, avocat de la Fédération nationale des mines et de l’énergie CGT (FNME-CGT), de Me Spinosi, avocat de la Fédération des syndicats Sud Energie et de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, avocat de la Fédération Chimie Energie CFDT,
– les conclusions de M. Frédéric Aladjidi, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à Me Haas, avocat de la Fédération Force Ouvrière Energie et Mines, à la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de la société Electricité de France, à la SCP Baraduc, Duhamel, avocat de la Fédération nationale des mines et de l’énergie CGT (FNME-CGT), à Me Spinosi, avocat de la Fédération des syndicats Sud Energie et à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, avocat de la Fédération Chimie Energie CFDT ;
1. Considérant que les requêtes de la Fédération Force Ouvrière Énergie et Mines, de la Fédération nationale des mines et de l’énergie CGT, de la Fédération des syndicats Sud Énergie et de la Fédération Chimie Énergie CFDT sont dirigées contre les mêmes décisions ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
2. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier qu’au début du printemps 2009, 17 des 58 réacteurs du parc nucléaire de la société Électricité de France (EDF) étaient arrêtés pour la réalisation d’opérations de maintenance et de renouvellement du combustible usagé, conformément à la programmation pluriannuelle de ces opérations ; que des mouvements de grève ont affecté, à compter du 9 avril 2009, les réacteurs ainsi placés à l’arrêt, entraînant un décalage important dans les opérations nécessaires à leur redémarrage ; qu’à la date du 15 juin 2009, les opérations de maintenance et de renouvellement du combustible étaient encore bloquées, du fait de la poursuite de la grève, pour huit réacteurs ; que, par décision du 15 juin 2009, le directeur général délégué de la société EDF a décidé que seraient requis, sous peine de sanctions disciplinaires, certains des salariés chargés de ces opérations perturbées par les mouvements de grève ; qu’en application de cette décision, le même jour, le directeur » optimisation amont aval et trading » d’EDF a demandé la disponibilité au plus tôt à la sollicitation du réseau électrique des réacteurs nucléaires Cattenom 1, Dampierre 1, Dampierre 4, Cruas 1, Paluel 1 et Bugey 3 ; que, par des notes du 15 juin 2009, le directeur général adjoint » production et ingénierie » a transmis aux directeurs des centres nucléaires de production d’électricité concernés les décisions du directeur général délégué et du directeur » optimisation amont aval et trading » ; que les fédérations requérantes demandent l’annulation de ces décisions et notes, la Fédération Chimie Énergie CFDT demandant en outre l’annulation des décisions individuelles réquisitionnant les salariés de la société EDF ;
Sur les conclusions aux fins d’annulation des décisions prises le 15 juin 2009 par le directeur général délégué et le directeur » optimisation amont aval et trading » de la société Électricité de France :
En ce qui concerne la légalité externe des décisions attaquées :
3. Considérant, en premier lieu, qu’en indiquant dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, que le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent, l’Assemblée Constituante a entendu inviter le législateur à opérer la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels dont la grève constitue l’une des modalités et la sauvegarde de l’intérêt général, auquel elle peut être de nature à porter atteinte ; qu’en l’absence de la complète législation ainsi annoncée par la Constitution, la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour conséquence d’exclure les limitations qui doivent être apportées à ce droit, comme à tout autre, en vue d’en éviter un usage abusif, ou bien contraire aux nécessités de l’ordre public ou aux besoins essentiels du pays ;
4. Considérant qu’en l’état de la législation, il appartient à l’autorité administrative responsable du bon fonctionnement d’un service public de fixer elle-même, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, la nature et l’étendue de ces limitations pour les services dont l’organisation lui incombe ; que dans le cas d’un établissement public responsable de ce bon fonctionnement, ainsi que dans celui d’un organisme de droit privé responsable d’un service public, seuls leurs organes dirigeants, agissant en vertu des pouvoirs généraux d’organisation des services placés sous leur autorité, sont, sauf dispositions contraires, compétents pour déterminer les limitations à l’exercice du droit de grève ;
5. Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité, alors applicable : » Le service public de l’électricité a pour objet de garantir l’approvisionnement en électricité sur l’ensemble du territoire, dans le respect de l’intérêt général. / Dans le respect de la politique énergétique, il contribue à l’indépendance et à la sécurité d’approvisionnement (…), à la maîtrise de la demande d’énergie, à la compétitivité de l’activité économique (…) / Il concourt à la cohésion sociale, en assurant le droit à l’électricité pour tous (…) » ; qu’aux termes du dernier alinéa du même article : » Le service public de l’électricité est organisé, chacun pour ce qui le concerne, par l’État et les communes ou leurs établissements publics de coopération » ; qu’il résulte de ces dispositions législatives que la garantie de l’approvisionnement sur l’ensemble du territoire national constitue l’objet du service public de l’électricité, qui doit répondre notamment, dans des considérations de sécurité suffisantes, aux besoins essentiels des consommateurs ;
6. Considérant qu’à la date des décisions attaquées, le parc de production nucléaire contribuait à hauteur de près de 80 % à la production de l’électricité en France, le fonctionnement des centres nucléaires de production d’électricité implantés sur le territoire national apportant ainsi une contribution indispensable à l’approvisionnement sur le territoire métropolitain ;
7. Considérant que la société Électricité de France, qui en l’état actuel du système de production électrique exploite la totalité de ces centres, est chargée, à ce titre, d’une mission d’intérêt général répondant à un besoin essentiel du pays ; que, par ailleurs, en vertu de l’article 24 de la loi du 9 août 2004 relative au service public de l’électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, l’État détient plus de 70 % du capital de cette société dont le président du conseil d’administration et le directeur général sont nommés par décret en conseil des ministres ; qu’au demeurant, en adoptant les dispositions aujourd’hui codifiées aux articles L. 336-1 et suivants du code de l’énergie relatives à l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, le législateur a tiré les conséquences de la spécificité des 58 réacteurs du parc nucléaire français mis en service entre 1978 et 2002, dont l’entreprise EDF, sous le statut d’établissement public à caractère industriel et commercial puis de société anonyme, a depuis l’origine assuré le bon fonctionnement ; qu’ainsi, et alors même qu’en vertu du dernier alinéa de l’article 1er de la loi du 10 février 2000 précité, le service public de l’électricité est organisé, chacun pour ce qui le concerne, par l’État et les communes ou leurs établissements publics de coopération et qu’en vertu du II de l’article 15 de la même loi, la société Réseau de Transport d’Electricité (RTE), gestionnaire du réseau public de transport, assure à tout instant l’équilibre des flux d’électricité sur le réseau, la société EDF est responsable d’un service public en ce qu’elle exploite les centres nucléaires de production d’électricité ;
8. Considérant que les organes dirigeants de la société EDF sont, dès lors, compétents, dans les conditions mentionnées aux points 3 et 4 ci-dessus, pour déterminer les limitations à apporter au droit de grève de ses agents, sans préjudice des dispositions de l’article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales définissant les pouvoirs de réquisition du représentant de l’État dans le département et de l’article 21 de la loi du 10 février 2000 concernant les pouvoirs du ministre chargé de l’énergie en cas d’atteinte grave et immédiate à la sécurité et à la sûreté des réseaux publics de transport et de distribution d’électricité, et nonobstant les clauses du contrat de service public signé le 24 octobre 2005 entre l’État et Électricité de France, qui, en tout état de cause, a un caractère exclusivement contractuel et ne peut être utilement invoqué dans le présent litige d’excès de pouvoir ;
9. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce que soutiennent les fédérations requérantes, les dirigeants de la société Électricité de France avaient compétence pour édicter les règles applicables, en cas de poursuite de la grève, aux agents dont la présence à leur poste était indispensable au redémarrage des réacteurs dont l’interruption prolongée du fonctionnement aurait porté atteinte aux besoins essentiels du pays ;
10. Considérant, en deuxième lieu, qu’aux termes de l’article L. 2323-6 du code du travail : » Le comité d’entreprise est informé et consulté sur les questions intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise et, notamment, sur les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail, les conditions d’emploi, de travail et de formation professionnelle » ; qu’aux termes de l’article L. 4612-8 du même code : » Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail est consulté avant toute décision d’aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l’outillage, d’un changement de produit ou de l’organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail » ;
11. Considérant que les décisions attaquées ne peuvent, eu égard à leur objet consistant, pour l’une, à décider que seraient requis, sous peine de sanctions disciplinaires, certains salariés chargés des opérations de maintenance de réacteurs nucléaires, et pour l’autre, à désigner les réacteurs concernés par cette décision de réquisition, être regardées comme figurant au nombre des mesures pour lesquelles la consultation du comité d’entreprise dans les conditions prévues à l’article L. 2323-6 précité est obligatoire ; qu’elles n’affectent pas les conditions d’hygiène et de sécurité ou les conditions de travail des salariés en cause ; que, par suite, l’adoption des décisions litigieuses n’avait pas à être précédée de la consultation du comité d’entreprise et du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail concernés ;
12. Considérant, en troisième lieu, que les décisions attaquées, qui présentent un caractère réglementaire, n’avaient pas à être motivées ;
En ce qui concerne la légalité interne des décisions attaquées :
13. Considérant, en premier lieu, que si, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, les dirigeants de la société EDF sont compétents, dans les conditions mentionnées aux points 3 et 4, pour déterminer les limitations à apporter au droit de grève de ses salariés travaillant dans les centres nucléaires de production d’électricité en vue d’en éviter des conséquences graves dans l’approvisionnement du pays en électricité, c’est dans la mesure où les solutions alternatives à l’exercice d’un tel pouvoir font défaut ; qu’il y a lieu ainsi, compte tenu du caractère non directement substituable de l’énergie électrique, de ses caractéristiques physiques en vertu desquelles elle ne peut être stockée en quantité importante et des contraintes techniques du fonctionnement des centres nucléaires de production d’électricité, de rechercher préalablement la possibilité de mettre en oeuvre d’autres moyens de production, de recourir aux capacités d’importation des réseaux transfrontières ou de faire appel à la diminution volontaire ou contractuelle de la demande d’électricité ;
14. Considérant que s’il appartient à la société EDF, seule exploitante des centres nucléaires de production d’électricité, de prendre les dispositions nécessaires pour assurer le bon fonctionnement du service public dont elle a la charge, elle doit le faire au vu, non seulement de ses propres données mais aussi des analyses prévisionnelles de l’équilibre entre offre et demande d’électricité en France établies par la société RTE, gestionnaire du réseau public de transport ; que, contrairement, par ailleurs, à ce que soutiennent les fédérations requérantes, l’arrêté du 5 juillet 1990 modifié fixant les consignes générales de délestages sur les réseaux électriques a pour unique objet de définir le service prioritaire à maintenir en toutes circonstances, et ne saurait avoir pour effet de limiter, dans la durée, l’alimentation en électricité aux seuls usagers relevant des catégories qu’il définit ;
15. Considérant, en deuxième lieu, qu’il ressort des pièces du dossier, notamment des notes de la société RTE des 5 et 22 juin 2009, que les mouvements de grève mentionnés au point 2 ci-dessus ont entraîné des retards dans les opérations de maintenance et de renouvellement du combustible usagé de huit réacteurs nucléaires, qui, à la date du 15 juin 2009, faisaient craindre à juste titre, au vu des informations et des prévisions météorologiques alors disponibles, que ni les capacités de production électrique françaises mobilisables, ni les importations possibles, ni la mise en oeuvre des procédures de diminution volontaire ou contractuelle de la demande d’électricité, qui relevaient chacune, en l’espèce, pour l’essentiel de la société EDF, ne permettent au gestionnaire du réseau public de transport de préserver, à la mi-juillet, l’équilibre entre la demande et l’offre d’électricité avec la marge de sécurité minimale indispensable, de telle sorte que toute nouvelle dégradation de la disponibilité du parc de production nucléaire aurait alors directement menacé la garantie de l’approvisionnement en électricité ;
16. Considérant, en troisième lieu, que, par les décisions attaquées, les dirigeants de la société EDF, après avoir vainement adressé des sommations interpellatives aux représentants des syndicats de salariés ayant déposé des préavis de grève, ont décidé que seraient requis les salariés dont l’intervention était strictement nécessaire à la bonne exécution, pour six des huit réacteurs encore affectés par les mouvements de grève, dix semaines après leur déclenchement et alors qu’ils étaient périodiquement reconduits, des opérations destinées à permettre le redémarrage de ces réacteurs dans les meilleurs délais ; que le dispositif contesté, mis en place par la direction de la société EDF par les décisions attaquées, n’a eu ni pour objet ni pour effet de contraindre l’ensemble des personnels concernés à remplir un service normal, mais seulement de répondre de la continuité des fonctions indispensables pour assurer la remise en service des réacteurs arrêtés et éviter, en l’absence de solution alternative, des conséquences graves dans l’approvisionnement du pays en électricité ;
17. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les fédérations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les décisions attaquées seraient entachées d’erreur de droit, reposeraient sur des faits inexacts ou porteraient une atteinte disproportionnée au droit de grève du personnel de la société Electricité de France ;
18. Considérant, enfin, qu’aux termes de l’article 82 du Traité instituant la Communauté européenne, devenu l’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : » Est incompatible avec le marché commun et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d’en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci (…) » ; que les articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce prohibent, lorsqu’elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises d’une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci ainsi que, dès lors qu’elle est susceptible d’affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises de l’état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur ;
19. Considérant que les décisions attaquées ne caractérisant ni une action concertée, ni l’exploitation abusive d’une position dominante ou de l’état de dépendance économique d’une entreprise cliente ou fournisseur, le moyen tiré de la violation de l’article 82 du Traité instituant la Communauté européenne et des articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce ne peut qu’être écarté ;
20. Considérant que, par suite, les fédérations requérantes ne sont pas fondées à demander l’annulation pour excès de pouvoir des décisions du directeur général délégué et du directeur » optimisation amont aval et trading » de la société Électricité de France du 15 juin 2009 ;
Sur les conclusions aux fins d’annulation des notes du directeur général adjoint » production et ingénierie » du 15 juin 2009 :
21. Considérant que, par ces notes, le directeur général adjoint » production et ingénierie » se borne à transmettre aux directeurs des centres nucléaires de production d’électricité concernés les décisions du directeur général délégué et du directeur » optimisation amont aval et trading » de la société ; que, par suite, les conclusions dirigées contre ces notes, qui n’ont pas le caractère de décisions faisant grief, sont irrecevables ;
Sur les conclusions aux fins d’annulation des décisions individuelles réquisitionnant les salariés de la société EDF :
22. Considérant qu’en tant qu’elle tend à l’annulation de ces décisions, la requête de la Fédération Chimie Énergie CFDT, qui n’est d’ailleurs pas accompagnée des actes ainsi attaqués, concerne des décisions relatives à la situation individuelle de salariés de droit privé à l’égard des dirigeants d’établissements locaux d’une société anonyme ; qu’il n’appartient pas au juge administratif de connaître de telles décisions ; que les conclusions en cause doivent, par suite, être rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître ;
Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
23. Considérant que les dispositions de cet article font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société Électricité de France, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement des sommes réclamées par les fédérations requérantes au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;
24. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de chacune de ces fédérations, au titre des mêmes dispositions, le versement au profit de la société Électricité de France d’une somme de 1 000 euros ;
D E C I D E :
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Article 1er : Les conclusions de la requête de la Fédération Chimie Énergie CFDT qui sont dirigées contre les décisions individuelles réquisitionnant les salariés de la société EDF sont rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la Fédération Chimie Énergie CFDT et les requêtes de la Fédération Force Ouvrière Énergie et Mines, de la Fédération nationale des mines et de l’énergie CGT et de la Fédération des syndicats Sud Énergie sont rejetés.
Article 3 : La Fédération Force Ouvrière Énergie et Mines, la Fédération nationale des mines et de l’énergie CGT, la Fédération des syndicats Sud Énergie et la Fédération Chimie Énergie CFDT verseront chacune à la société Électricité de France une somme de 1 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la Fédération Force Ouvrière Énergie et Mines, à la Fédération nationale des mines et de l’énergie CGT, à la Fédération des syndicats Sud Énergie, à la Fédération Chimie Energie CFDT, à la société Électricité de France et à la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.
ECLI:FR:CEASS:2013:329570.20130412