REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 28 juin 1996 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour l’Union nationale des associations familiales (UNAF), dont le siège est … ; l’Union nationale des associations familiales demande l’annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet par laquelle le Premier ministre, à la suite du recours gracieux en date du 29 décembre 1995, a refusé de prendre des décrets d’application prévus à l’article 36 de la loi n° 94-629 du 25 juillet 1994 et demande au Conseil d’Etat d’enjoindre au Premier ministre de prendre les décrets décidant la revalorisation des allocations familiales pour 1995 et 1996 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la famille et de l’aide sociale ;
Vu le code de la sécurité sociale et notamment son article L. 511-1 ;
Vu la loi n° 94-629 du 25 juillet 1994 et notamment son article 36 ;
Vu l’ordonnance n° 96-51 du 24 janvier 1996 et notamment son article 2-I ;
Vu le décret n° 94-1231 du 30 décembre 1994 relatif à la revalorisation de la base mensuelle de calcul des allocations familiales à compter du 1er janvier 1995 ;
Vu l’ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
– le rapport de M. Lafouge, Conseiller d’Etat,
– les observations de la SCP Rouvière, Boutet, avocat de l’Union nationale des associations familiales,
– les conclusions de Mme Maugüé, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que l’Union nationale des associations familiales défère au Conseil d’Etat la décision par laquelle le Premier ministre, saisi le 2 janvier 1996 d’une demande tendant à ce que soit revalorisée la base mensuelle de calcul des prestations familiales tant pour l’année 1995 que pour l’année 1996, en a prononcé implicitement le rejet le 2 mai 1996 ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre du travail et des affaires sociales :
Considérant qu’en vertu de l’article 8 du code de la famille et de l’aide sociale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 75-629 du 11 juillet 1975, l’Union nationale des associations familiales est administrée par un Conseil dont la composition est définie audit article ; qu’il ressort des pièces du dossier qu’au cours de sa séance du 13 avril 1996, le conseil d’administration a autorisé son président à former un recours contre tout refus qui serait opposé à la demande de revalorisation susmentionnée ; qu’ainsi, le président de l’union requérante, qui est habilité par les statuts à la représenter en justice, avait, contrairement à ce que soutient le ministre du travail et des affaires sociales, qualité pour introduire la présente requête ;
Sur les conclusions à fin d’annulation :
En ce qui concerne l’année 1995 :
Considérant qu’antérieurement à l’intervention de la loi du 25 juillet 1994 relative à la famille, la base mensuelle de calcul des prestations familiales visée à l’article L. 551-1 du code de la sécurité sociale avait été fixée par le décret n° 93-1344 du 29 décembre 1993, applicable à compter du 1er janvier 1994 ;
Considérant que, pour la période allant du 1er janvier 1995 au 31 décembre 1999, l’article 36 du 25 juillet 1994 a entendu déroger aux critères de revalorisation de la base mensuelle de calcul des prestations familiales définis par l’article L. 551-1 du code de la sécurité sociale ; qu’à cet effet, le premier alinéa de l’article 36 de la loi précitée a posé en principe que, pour la période considérée, les bases mensuelles de calcul des prestations familiales « sont revalorisées une ou plusieurs fois par an conformément à l’évolution des prix à la consommation hors tabac prévue dans le rapport économique et financier annexé à la loi de finances pour l’année civile à venir » ; qu’il a été spécifié cependant par le second alinéa de l’article 36 que, si l’évolution constatée des prix à la consommation hors tabac est différente de celle qui avait été initialement prévue, il est procédé à un ajustement « destiné à assurer pour l’année civile suivante » une évolution des bases mensuelles conforme à l’évolution des prix à laconsommation hors tabac ;
Considérant que les dispositions susmentionnées de l’article 36 de la loi du 25 juillet 1994 susvisée s’appliquent à compter du 1er janvier 1995 ; que, si l’ordonnance n° 96-51 du 24 janvier 1996 a dérogé aux dispositions de l’article 36, cette dérogation ne concerne pas la revalorisation des bases mensuelles de calcul des prestations familiales en 1995 ;
Considérant qu’il est constant que l’évolution des prix à la consommation hors tabac prévue dans le rapport économique et financier annexé à la loi de finances pour 1995 était de 1,7 % ; qu’eu égard aux prescriptions du premier alinéa de l’article 36 de la loi du 25 juillet 1994, la base mensuelle de calcul des prestations familiales à compter du 1er janvier 1995 devait être revalorisée dans la même proportion par l’adoption soit avec effet immédiat, soit de façon échelonnée, d’un ou plusieurs décrets permettant pour l’année 1995 d’atteindre une augmentation moyenne de 1,7 % ;
Considérant, il est vrai, que le gouvernement soutient que les dispositions du second alinéa de l’article 36 de la loi du 25 juillet 1994 l’autorisaient à soustraire de l’évolution prévisionnelle des prix de 1,7 % pour 1995, un pourcentage de 0,50 % représentant la différence entre l’évolution prévisionnelle des prix pour 1994 et l’évolution des prix constatée pour cette même année ; qu’il en déduit qu’il a pu ne retenir que la majoration de 1,2 % de la base mensuelle de calcul des prestations familiales applicable à compter du 1er janvier 1995 et résultant de l’intervention du décret n° 94-1231 du 30 décembre 1994 ;
Mais considérant que l’article 36 de la loi du 25 juillet 1994 ne prévoit aucune application rétroactive de ses dispositions ; qu’en particulier, son premier alinéa n’est susceptible de s’appliquer qu’à compter du 1er janvier 1995 et que le mécanisme d’ajustement découlant de son second alinéa se réfère à « l’année civile suivante » et en aucune façon à l’année 1994 ; qu’en outre, il est constant que l’évolution des prix à la consommation hors tabac constatée pour 1995 a été de 1,7 % ;
Considérant qu’il suit de là que l’Union requérante est fondée à demander l’annulation de la décision attaquée dans la mesure où elle refuse de procéder à une revalorisation de 0,50 % de la base mensuelle de calcul des prestations familiales pour l’année 1995 ;
En ce qui concerne l’année 1996 :
Considérant que l’article 1er de la loi n° 95-1348 du 30 décembre 1995 a autorisé le gouvernement, pendant un délai de quatre mois à compter de la promulgation de ladite loi, à prendre par ordonnance et conformément aux dispositions de l’article 38 de la Constitution toutes mesures « 2° Modifiant les dispositions législatives relatives aux prestations servies par les organismes débiteurs de prestations familiales en vue … d’assurer l’équilibre financier de la branche famille » ; que l’article 2 de la même loi précise que les mesures visées par le 2° de l’article 1er concernant la maîtrise des dépenses des régimes obligatoires de base de sécurité sociale « pourront prendre effet rétroactivement, au plus tôt le 1er janvier 1996 » ;
Considérant que, sur le fondement de ces dispositions, les auteurs de l’ordonnance n° 96-51 du 24 janvier 1996 ont pu légalement ne pas prévoir de revalorisation en 1996 des bases mensuelles de calcul des prestations familiales, dérogeant ainsi, comme le précise d’ailleurs l’article 2-I de ladite ordonnance, à l’article 36 de la loi du 25 juillet 1994 et, en tant que de besoin, à l’article L. 551-1 du code de la sécurité sociale ; que, par suite, l’Union requérante n’est pas fondée à demander l’annulation de la décision attaquée en tant qu’elle estrelative à l’année 1996 ;
Sur les conclusions tendant à ce qu’il soit fait application de l’article 6-1 de la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980 modifiée :
Considérant qu’aux termes de l’article 6-1 introduit dans la loi du 16 juillet 1980 par la loi du 8 février 1995 : « Lorsqu’il règle un litige au fond par une décision qui implique nécessairement une mesure d’exécution dans un sens déterminé, le Conseil d’Etat, saisi de conclusions en ce sens, prescrit cette mesure et peut assortir sa décision d’une astreinte à compter d’une date qu’il détermine » ; que l’annulation de la décision du Premier ministre, en tant qu’elle refuse de prendre pour l’année 1995 les mesures réglementaires indispensables à l’application de l’article 36 de la loi du 25 juillet 1994, implique nécessairement l’édiction de telles mesures ; qu’il y a lieu pour le Conseil d’Etat d’ordonner cette édiction dans un délai de huit mois ;
Article 1er : La décision implicite de rejet du Premier ministre en date du 2 mai 1996 est annulée en tant qu’elle refuse que la base mensuelle de calcul des prestations familiales pour l’année 1995 soit revalorisée à concurrence de 0,50 % en sus de la revalorisation découlant du décret n° 94-1231 du 30 décembre 1994.
Article 2 : Il y a lieu pour le Conseil d’Etat d’ordonner au Premier ministre de prendre les mesures réglementaires nécessaires à la pleine application de l’article 36 de la loi n° 94-629 du 25 juillet 1994 pour la détermination de la base mensuelle de calcul des prestations familiales pour l’année 1995 dans le délai de huit mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de l’Union nationale des associations familiales est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l’Union nationale des associations familiales, au Premier ministre et au ministre du travail et des affaires sociales.