Vu la procédure suivante :
Par un jugement n° 1907051 du 25 novembre 2019, enregistré le 27 novembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le tribunal administratif de Lyon, avant de statuer sur la demande de M. B… C… et Mme A… D…, épouse C…, tendant, d’une part, à l’annulation des décisions du 9 août 2019 par lesquelles le préfet du Rhône les a convoqués au guichet d’accueil de la direction des migrations et de l’intégration de la préfecture le 18 mars 2020 en vue du dépôt de demandes de titre de séjour, ainsi que des décisions implicites du 27 octobre 2019 par lesquelles le préfet du Rhône a refusé d’avancer à bref délai la date de ces convocations, d’autre part, à ce qu’il soit enjoint au préfet du Rhône de les convoquer dans un délai de cinq jours à compter de la notification du jugement, a décidé, par application des dispositions de l’article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d’Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :
1°) La convocation à un rendez-vous en préfecture en vue de déposer personnellement une demande de titre de séjour constitue-t-elle un acte préparatoire insusceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, ou une décision faisant grief, éventuellement sous réserve que le délai fixé excède ce qui peut apparaître comme raisonnable ? Si la décision proposant un rendez-vous pour le dépôt d’une demande de séjour ne fait pas grief par elle-même, la décision refusant d’avancer le rendez-vous, à la demande de l’intéressé, est-elle en revanche susceptible de revêtir ce caractère ?
2°) L’autorité administrative compétente en matière de délivrance de titres de séjour autres qu’au titre de l’asile est-elle tenue, lorsqu’elle est saisie d’une demande de rendez-vous pour le dépôt d’un dossier de demande de séjour, de convoquer les étrangers dans un délai déterminé, ou à défaut dans un délai raisonnable ? Le cas échéant, quels en seraient les critères d’appréciation ? Notamment, celui-ci doit-il être déterminé par référence au délai de naissance des décisions implicites de rejet des demandes de titre de séjour ou en tenant compte de la situation personnelle des intéressés, ou encore au regard d’autres éléments, en particulier les moyens dont dispose la préfecture concernée ? Quelle est l’étendue du contrôle du juge sur la fixation de ce délai ?
3°) Dans l’hypothèse de l’annulation d’une décision relative au délai de rendez-vous, quels sont les éléments que le juge doit prendre en compte s’il entend, en conséquence de l’annulation, enjoindre à l’administration d’en tirer les conséquences en fixant une nouvelle date de rendez-vous ? Peut-il en particulier prendre en compte les difficultés particulières d’organisation du service, ainsi que la situation personnelle particulière du demandeur ?
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
– le code de justice administrative et l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseiller d’Etat,
– les conclusions de M. Guillaume Odinet, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Potier de la Varde, Buk Lament, Robillot, avocat de M. et Mme C…,
Rend l’avis suivant :
Sur le cadre juridique :
1. L’article L. 311-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dispose que tout étranger âgé de plus de dix-huit ans qui souhaite séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois doit être titulaire d’un visa de long séjour ou d’un titre de séjour. Aux termes de l’article L. 311-4 de ce code : “La détention d’une attestation de demande de délivrance ou de renouvellement d’un titre de séjour (…) autorise la présence de l’étranger en France sans préjuger de la décision définitive qui sera prise au regard de son droit au séjour (…) ».
2. Les articles R. 311-1 à R. 311-9 du même code organisent la procédure d’examen des demandes de titres de séjour susceptibles d’être présentées par des étrangers, autres que ceux qui sollicitent l’asile. En vertu de l’article R. 311-1, la demande de titre de séjour doit être déposée, soit en préfecture ou dans les lieux désignés par le préfet de département, soit par voie postale dans l’hypothèse où l’autorité administrative l’aurait autorisée pour des catégories de titre déterminées. Selon l’article R. 311-2, elle est présentée par l’intéressé « dans les deux mois de son entrée en France (…) » ou, s’il séjournait déjà en France, dans des délais qu’il définit. Aux termes de l’article R. 311-4 : « Il est remis à tout étranger admis à souscrire une demande de première délivrance (…) de titre de séjour un récépissé qui autorise la présence de l’intéressé sur le territoire pour la durée qu’il précise. (…) ». L’article R. 311-6 établit la liste des cas dans lesquels le récépissé autorise son titulaire à travailler.
3. Enfin, il résulte des dispositions combinées des articles R.*311-12 et R. 311-12-1 que le silence gardé par l’administration sur les demandes de titre de séjour vaut décision implicite de rejet.
Sur les délais impartis pour recevoir un étranger en vue du dépôt d’une demande de titre de séjour :
4. Aucune disposition législative ou réglementaire, notamment pas les articles R.*311-12 et R. 311-12-1 précités, ni aucun principe ne fixe de délai déterminé dans lequel l’autorité administrative serait tenue de recevoir un étranger ayant demandé à se présenter en préfecture pour y déposer sa demande de titre de séjour.
5. Toutefois, eu égard aux conséquences qu’a sur la situation de l’étranger, notamment sur son droit à se maintenir en France et, dans certains cas, à y travailler, la détention du récépissé qui lui est en principe remis après l’enregistrement de sa demande, et au droit qu’il a de voir sa situation examinée au regard des dispositions relatives au séjour des étrangers en France, il incombe à l’autorité administrative, après lui avoir fixé un rendez-vous, de le recevoir en préfecture et, si son dossier est complet, de procéder à l’enregistrement de sa demande dans un délai raisonnable.
Sur les décisions susceptibles de recours en cas de convocation de l’étranger :
6. La convocation de l’étranger par l’autorité administrative à la préfecture afin qu’il y dépose sa demande de titre de séjour, qui n’a d’autre objet que de fixer la date à laquelle il sera, en principe, procédé à l’enregistrement de sa demande dans le cadre de la procédure devant conduire à une décision sur son droit au séjour, ne constitue pas une décision faisant grief, susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.
7. Si l’étranger souhaite que la date de convocation qui lui a été fixée soit avancée, il lui appartient de saisir l’autorité administrative d’une demande en ce sens. La décision par laquelle l’autorité administrative refuse de faire droit à une telle demande peut être déférée au juge de l’excès de pouvoir. S’il s’y croit fondé, l’intéressé peut assortir son recours en annulation d’une requête en suspension sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative.
8. Toutefois, alors même que le référé régi par l’article L. 521-3 de ce code revêt un caractère subsidiaire, l’étranger qui estime être dans une situation d’urgence immédiate ne lui permettant pas d’attendre une réponse de l’autorité administrative à la demande de rendez-vous rapproché qu’il a présenté, peut saisir le juge des référés sur le fondement de ces dispositions. S’il considère remplies les conditions qu’elles posent, le juge des référés peut enjoindre au préfet d’avancer la date précédemment proposée.
Sur l’office du juge de l’excès de pouvoir et les injonctions en cas d’annulation :
9. L’effet utile de l’annulation pour excès de pouvoir de la décision refusant de faire droit à la demande d’un étranger d’avancer son rendez-vous pour déposer sa demande de titre de séjour réside dans l’obligation, que le juge peut prescrire d’office en vertu des dispositions de l’article L. 911-1 du code de justice administrative, pour l’autorité administrative de proposer une autre date de rendez-vous.
10. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que lorsqu’il est saisi de conclusions aux fins d’annulation du refus de l’autorité administrative d’avancer un rendez-vous en vue du dépôt d’une demande de titre de séjour, le juge de l’excès de pouvoir est conduit à apprécier la légalité d’un tel refus au regard des circonstances prévalant à la date de sa décision. Il lui appartient alors d’exercer un contrôle normal sur le respect du délai raisonnable, qui doit s’apprécier notamment en fonction de la durée et des conditions du séjour de l’étranger en France, de la date et du fondement de sa demande de titre de séjour et de sa situation personnelle et familiale.
11. Dans l’hypothèse où il apparaît que la date de rendez-vous qu’il était demandé d’avancer est dépassée à la date à laquelle il statue, le juge de l’excès de pouvoir doit constater que le litige porté devant lui a perdu son objet.
12. Dans le cas contraire, en cas d’annulation et en fonction des éléments énoncés au point 10 mais aussi du nombre de demandes de rendez-vous en attente et des capacités de traitement de la préfecture concernée, il appartient au juge d’enjoindre au préfet de proposer à l’étranger, dans un délai qu’il fixe, une nouvelle date de rendez-vous. Si la situation de l’étranger le justifie, le juge peut préciser le délai maximal dans lequel ce rendez-vous doit avoir lieu. Il en va de même pour le juge des référés lorsqu’il prononce la suspension de l’exécution de la décision de refus sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative.
Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Lyon, à M. B… C… et Mme A… D…, épouse C…, et au ministre de l’intérieur.
Il sera publié au Journal officiel de la République française.