AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés le 2 mars 2021, le 1er juin 2021 et le 18 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le Syndicat CGT de la société Cofiroute demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler la décision implicite par laquelle le ministre délégué chargé des transports a rejeté sa demande tendant au retrait de la directive du 26 septembre 1980 relative au service minimum à assurer en cas de grève, sur les autoroutes concédées ;
2°) d’enjoindre à l’Etat de procéder au retrait, ou à tout le moins à l’abrogation, de la directive relative au service minimum à assurer en cas de grève, sur les autoroutes concédées, et ce dans un délai d’un mois, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– la Constitution et, notamment, son Préambule ;
– le code du travail ;
– la loi n° 63-777 du 31 juillet 1963;
– le décret du 11 septembre 1980 approuvant la modification apportée aux cahiers des charges annexés aux conventions de concession passées entre l’Etat et certaines sociétés d’autoroute ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Bertrand Mathieu, conseiller d’Etat en service extraordinaire,
– les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public,
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat du syndicat CGT de la société Cofiroute ;
Considérant ce qui suit :
1. En indiquant dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, que le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent, l’Assemblée Constituante a entendu inviter le législateur à opérer la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels dont la grève constitue l’une des modalités et la sauvegarde de l’intérêt général, auquel elle peut être de nature à porter atteinte.
2. En vertu de l’article 3 de la loi du 31 juillet 1963 relative à certaines modalités de la grève dans les services publics, en vigueur à la date de la directive contestée, dont les dispositions étaient applicables, selon l’article 1er de cette loi, aux personnels des entreprises et des établissements publics chargés de la gestion d’un service public, la cessation concertée du travail en cas de grève doit être précédée d’un préavis déposé par une organisation syndicale représentative. Aux termes de l’article 4 de la même loi : » En cas de cessation concertée de travail des personnels visés par l’article 1er de la présente loi, l’heure de cessation et celle de reprise du travail ne peuvent être différentes pour les diverses catégories ou pour les divers membres du personnel intéressé. / Sont interdits les arrêts de travail affectant par échelonnement successif ou par roulement concerté les divers secteurs ou catégories professionnelles d’un même établissement ou service ou les différents établissements ou services d’une même entreprise ou d’un même organisme « . Les dispositions des article 1er, 3 et 4 de la loi du 31 juillet 1963 ont été codifiées respectivement aux articles L. 2512-1, L. 2512-2 et L. 2512-3 du code du travail.
3. Les dispositions citées au point précédent, qui imposent le dépôt d’un préavis avant que les agents des services auxquels elles s’appliquent ne puissent recourir à la grève et interdisent à ces agents certaines modalités d’arrêt du travail, se bornent à opérer sur deux points particuliers la conciliation entre la défense des intérêts des agents et la sauvegarde de l’intérêt général. Il en résulte que ces dispositions ne constituent pas l’ensemble de la réglementation du droit de grève annoncée par la Constitution, leur codification dans le code du travail ayant en tout état de cause été sans incidence à cet égard.
4. En l’absence de la complète législation ainsi annoncée par la Constitution, la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour conséquence d’exclure les limitations qui doivent être apportées à ce droit, comme à tout autre, en vue d’en éviter un usage abusif, ou bien contraire aux nécessités de l’ordre public ou aux besoins essentiels du pays. Il appartient à l’autorité administrative responsable du bon fonctionnement d’un service public de fixer elle-même, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, la nature et l’étendue de ces limitations pour les services dont l’organisation lui incombe. Lorsque ce service est concédé, ce pouvoir appartient, sauf texte particulier, à l’autorité concédante, qui, s’agissant des concessions d’autoroutes, est l’Etat.
5. Le décret du 11 septembre 1980 approuvant la modification apportée aux cahiers des charges annexés aux conventions de concession passées entre l’Etat et certaines sociétés d’autoroute a inséré à l’article 14 du cahier des charges annexé à la convention passée entre l’Etat et la société Cofiroute un alinéa aux termes duquel : » Le ministre chargé de la voirie nationale arrêtera les dispositions du service minimum à assurer pour maintenir la permanence de la circulation dans de bonnes conditions de sécurité en cas de grève des agents de la société concessionnaire. » Par suite, contrairement à ce que soutient le syndicat requérant, le ministre chargé de la voirie publique était compétent pour déterminer les limitations applicables au droit de grève des agents de cette société.
6. Le ministre des transports a pu légalement et sans excéder sa compétence définir par la directive contestée les fonctions indispensables à la sécurité des personnes et des biens dont la continuité doit être assurée en période de grève, qui sont relatives aux interventions de sécurité, aux équipements de sécurité, à la surveillance de certains ouvrages, et aux informations et moyens nécessaires à ces tâches et au fonctionnement de ces équipements, et qui, contrairement à ce qui est soutenu, ne correspondent pas au maintien d’un service normal, ainsi que les obligations des sociétés concessionnaires s’agissant de la définition précise de ces tâches et de la désignation des agents concernés.
7. Par suite, le syndicat CGT de la société Cofiroute n’est pas fondé à demander l’annulation de la décision implicite par laquelle le ministre délégué chargé des transports a refusé de retirer ou d’abroger la directive du 26 septembre 1980 relative au service minimum à assurer en cas de grève sur les autoroutes concédées.
8. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de l’Etat qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête du Syndicat CGT de la société Cofiroute est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par le Syndicat CGT de la société Cofiroute sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au Syndicat CGT de la société Cofiroute et à la ministre de la transition écologique.