AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
L’Association nationale des supporters a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Besançon, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, d’une part, de suspendre l’exécution de l’arrêté du 15 janvier 2020 par lequel le préfet du Territoire de Belfort a interdit le déplacement de supporters du club de football de l’association sportive Nancy Lorraine (ASNL) aux abords du stade Serzian de Belfort le 18 janvier 2020 et, d’autre part, à titre principal, d’indiquer quel régime juridique sera opposable aux supporters nancéiens dans le périmètre dédié à l’occasion de la rencontre sportive et, à titre subsidiaire, de réexaminer la situation et de prendre une mesure mieux proportionnée. Par une ordonnance n° 2000077 du 17 janvier 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Besançon a rejeté cette requête.
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 17 et 18 janvier 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’Association nationale des supporters demande au juge des référés du Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’ordonnance du 17 janvier 2020 ;
2°) de faire droit à ses conclusions de première instance ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– la condition d’urgence est remplie dès lors que, d’une part, le match de football doit se dérouler le samedi 18 janvier 2020 à 15h00 et, d’autre part, que l’arrêté litigieux porte une atteinte grave et manifestement illégale aux intérêts de ses adhérents et à ceux d’autres supporters nancéiens ;
– le juge des référés du tribunal administratif de Besançon a entaché son ordonnance d’une erreur de droit en considérant que la circulaire du 18 novembre 2019 relative aux mesures de police administrative pour lutter contre la violence dans les stades n’avait aucune valeur réglementaire ;
– il a entaché son ordonnance d’une erreur d’appréciation des faits dès lors que c’est à tort que, d’une part, il a estimé que la procédure prévue par la circulaire du 18 novembre 2019 a été respectée par le préfet du Territoire de Belfort et, d’autre part, il a considéré que les atteintes à cette procédure ne sont pas de nature à caractériser une atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale ;
– il a entaché son ordonnance d’une erreur de droit dès lors qu’elle a été prise en méconnaissance du principe de proportionnalité ;
– l’arrêté litigieux porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir, à la liberté d’association, à la liberté de réunion et à la liberté d’expression ;
– le préfet n’a pas respecté la procédure prévue par la circulaire du ministre de l’intérieur du 18 novembre 2019, à savoir l’organisation d’une réunion de sécurité au moins trois semaines avant la rencontre et la prise de son arrêté au moins 10 jours avant la rencontre ;
– l’arrêté litigieux est entaché d’une erreur d’appréciation dès lors qu’il ne précise ni les risques de troubles graves à l’ordre public ni les circonstances de temps et de lieu justifiant l’interdiction de déplacement alors que la plupart des rencontres disputées par l’ASNL et l’association sportive municipale belfortaine (ASMB), y compris les rencontres entre ces deux clubs, n’ont conduit à aucun incident grave ;
– jamais le club de l’ASNL n’a été sanctionné par un organe disciplinaire pour des chants homophobes, ce point étant en tout état de cause sans lien avec la qualité de supporter retenu par l’arrêté contesté ;
– la circonstance que le club aurait été interdit de commercialiser des billets dans le secteur visiteurs d’un stade est une mesure disciplinaire à caractère sportif qui ne saurait priver les citoyens de leur liberté d’aller et venir ;
– au demeurant, le stade de Belfort ne comporte pas d’espace visiteurs et les 50 Nancéiens qui ont acquis des billets l’ont fait auprès du club de Belfort ;
– le préfet a édicté une mesure manifestement disproportionnée dès lors que des mesures moins attentatoires aux libertés pouvaient être adoptées.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 janvier 2020, le ministre de l’intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient qu’il n’est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– la Constitution ;
– le code du sport ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part l’Association nationale des supporters et, d’autre part, le ministre de l’intérieur ;
Vu le procès-verbal de l’audience publique du samedi 18 janvier 2020 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :
– Me Gouz-Fitoussi, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de l’Association nationale des supporters ;
– le représentant de l’Association nationale des supporters ;
– la représentante du ministre de l’intérieur ;
et à l’issue de laquelle le juge des référés a prononcé la clôture de l’instruction ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : » Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures « .
2. Aux termes de l’article L. 332-16-2 du code du sport : » Le représentant de l’Etat dans le département ou, à Paris, le préfet de police peut, par arrêté, restreindre la liberté d’aller et de venir des personnes se prévalant de la qualité de supporter d’une équipe ou se comportant comme tel sur les lieux d’une manifestation sportive et dont la présence est susceptible d’occasionner des troubles graves pour l’ordre public. / L’arrêté énonce la durée, limitée dans le temps, de la mesure, les circonstances précises de fait et de lieu qui la motivent, ainsi que le territoire sur lequel elle s’applique. / Le fait pour les personnes concernées de ne pas se conformer à l’arrêté pris en application des deux premiers alinéas est puni de six mois d’emprisonnement et d’une amende de 30 000 . (…) « .
3. En application des dispositions citées au point 2, le préfet du Territoire de Belfort a pris, le 15 janvier 2020, un arrêté portant interdiction, à toute personne se prévalant de la qualité de supporter du club de l’ASNL, de circuler ou de stationner aux abords du stade Serzian de Belfort et d’accéder au stade à l’occasion du match de football du 18 janvier 2020 opposant l’ASNL et l’ASM. L’Association nationale des supporters a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Besançon, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, d’une part, de suspendre l’exécution de l’arrêté du 15 janvier 2020 par lequel le préfet du Territoire de Belfort a interdit le 18 janvier 2020 le déplacement de supporters du club de football de l’ASNL aux abords du stade Serzian de Belfort et, d’autre part, à titre principal, d’indiquer quel régime juridique sera opposable aux supporters nancéiens dans le périmètre dédié à l’occasion de la rencontre sportive et, à titre subsidiaire, de réexaminer la situation et de prendre une mesure mieux proportionnée. Par une ordonnance n° 2000077 du 17 janvier 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Besançon a rejeté cette requête. L’Association nationale des supporters relève appel de cette ordonnance.
4. Si la circulaire du ministre de l’intérieur en date du 18 novembre 2019 contient d’utiles et nécessaires recommandations quant aux conditions limitatives d’utilisation des pouvoirs dévolus aux autorités préfectorales par les dispositions précitées de l’article L. 332-16-2 du code du sport, l’association requérante ne saurait en tout état de cause se prévaloir de ces recommandations pour contester la régularité de l’ordonnance attaquée ni celle de l’arrêté préfectoral du 15 janvier 2020.
5. Il résulte de l’instruction, que lors de précédents matchs, des supporters du club de l’ASNL ou des personnes se prévalant de cette qualité ont provoqué des incidents violents, notamment des rixes avec des supporters de l’équipe adverse, avec l’utilisation d’engins pyrotechniques. Pour le match du 18 janvier 2020, il ressort des indications fournies tant devant le juge des référés du tribunal administratif de Besançon que devant le Conseil d’Etat, notamment lors de l’audience de ce jour, qu’il existe un risque que des personnes se prévalant de la qualité de supporter utilisent l’occasion donnée par ce match pour provoquer des troubles graves à l’ordre public. Eu égard à la très forte mobilisation des forces de l’ordre dans la ville de Belfort dans un contexte de mouvements sociaux divers, notamment contre la réforme des retraites, les mesures prises par le préfet dans l’arrêté litigieux pour assurer la sécurisation du stade et des lieux avoisinants ne portent pas, en elles-mêmes, une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir et aux autres libertés fondamentales au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative.
6. Toutefois, il appartient à l’administration de justifier dans le détail, devant le juge, la portée des interdictions prises sur le fondement des dispositions de l’article L. 332-16-2 du code du sport tant en ce qui concerne les risques de troubles graves pour l’ordre public que la proportionnalité des mesures prises.
7. A cet égard, dans les circonstances propres de l’espèce et compte tenu des indications fournies lors de l’audience de ce jour, il résulte de l’instruction que l’interdiction de la venue en car d’une cinquantaine de personnes qui se prévalent de la qualité de supporter de l’ASNL et sont déjà titulaires d’un billet pour le match de ce jour ne peut être légalement justifiée par un risque de trouble grave à l’ordre public.
8. Il résulte de tout ce qui précède que l’association requérante est fondée à demander l’annulation de l’ordonnance attaquée et la suspension de l’arrêté préfectoral du 15 janvier 2020 en tant qu’ils s’appliquent aux personnes définies au point 7 de la présente ordonnance et qu’il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : L’ordonnance du 17 janvier 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Besançon est annulée en tant qu’elle s’applique aux personnes définies au point 7 de la présente ordonnance.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Territoire de Belfort de ne pas mettre à exécution l’article 1er de son arrêté du 15 janvier 2020 en tant qu’il s’applique aux personnes définies au point 7 de la présente ordonnance.
Article 3 : L’Etat versera à l’Association nationale des supporters la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à l’Association nationale des supporters, au préfet du Territoire de Belfort et au ministre de l’intérieur.
ECLI:FR:CEORD:2020:437733.20200118