Section V – Procédures de référé
881.- Diversité des procédures de référé.- Les procédures de référé permettent d’accélérer la procédure et d’obtenir en quelques semaines, voire en quelques jours, une décision qui n’aurait été obtenue que beaucoup plus tardivement dans le cadre d’une procédure ordinaire.
Le Code de justice administrative distingue trois grands types de référés : les référés d’urgence de droit commun, les référés de droit commun non conditionnés par l’urgence, et les référés spéciaux.
§I – Référés d’urgence de droit commun
882.- Catégories.- Jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi n°2000-597 du 30 juin 2000 il existait deux grands types de procédures d’urgence de droit commun : le sursis à exécution qui avait pour objet l’obtention de la suspension d’un acte administratif et le référé conservatoire ou référé mesures utiles, qui permettait principalement au juge de prononcer des injonctions à l’encontre de personnes privées qui refusaient de respecter des décisions administratives.
La loi du 30 juin 2000 a remplacé la procédure de sursis à exécution par une procédure de référé suspension. Si la procédure de référé mesures utiles subsiste, la loi a créé une nouvelle procédure de référé liberté qui permet notamment au juge de prononcer des injonctions à l’encontre de l’administration.
883.- Ordonnance de tri.- Notons également que, concernant l’ensemble des référés d’urgence de droit commun, l’article L. 522-3 du Code de justice administrative permet au juge d’opérer un tri des requêtes en amont de la procédure: lorsque la demande ne présente pas un caractère d’urgence ou lorsqu’il apparaît manifeste qu’elle ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu’elle est irrecevable ou qu’elle est mal fondée, la requête peut être rejetée par une ordonnance motivée. Lorsqu’il fait usage de ces dispositions, le juge des référés n’organisera pas d’audience publique et le principe du contradictoire n’aura pas vocation à s’appliquer.
884.- Ordonnance de révision.- L’article L. 521-4 du Code de justice administrative précise que « Saisi par toute personne intéressée, le juge des référés peut, à tout moment, au vu d’un élément nouveau, modifier les mesures qu’il avait ordonnées ou y mettre fin ». Le juge des référés du Conseil d’Etat a eu l’occasion de préciser que « les ordonnances modificatives rendues par le juge des référés en application des dispositions de l’article L. 521-4 participent de la même nature que celle des ordonnances ainsi modifiées » (CE, ord. réf., 7 novembre 2003, requête numéro 261475, SA d’HLM Trois vallées : Rec. tables, p. 911.- V. aussi CE, ord. réf., 6 janvier 2022, requête numéro 459750, Ministre de l’Intérieur : JCP A 2022, act. 95, obs. Youhnovsky Sagon). Ainsi, l’ordonnance modificative relève de la même voie de recours que l’ordonnance initiale : il s’agira donc d’un appel, lorsque le juge statue dans le cadre d’un référé liberté, et d’un pourvoi en cassation s’il statue dans le cadre d’un référé suspension ou d’un référé mesures utiles.
I – Référé suspension
885.- Règles applicables.- La procédure de référé suspension succède à l’ancienne procédure de sursis à exécution. Il conviendra d’en apprécier le champ d’application avant d’étudier ses conditions de mise en œuvre.
A – Référé suspension et sursis à exécution
886.- Possibilité de mettre en échec le privilège du préalable.- La suspension de l’exécution d’une décision administrative permet de faire échec au caractère exécutoire de cette décision qui constitue, selon la formule de l’arrêt d’Assemblée Huglo du 2 juillet 1982 « la règle fondamentale du droit public » (requête numéro 25288, requête numéro 25323 : Rec., p. 257 ; AJDA 1982, p. 657, concl. Biancarelli, note Lukaszewicz ; D. 1983, chron. p. 327, Dugrip ; Dr. adm. 1982, comm. 627). Comme on l’a vu, en effet, en droit administratif, les voies de recours ne sont pas suspensives. Pour obtenir cette mesure, l’intéressé doit assortir son recours contre la décision contestée d’une demande de suspension, ce qui implique le dépôt de requêtes distinctes, à défaut de quoi la demande de suspension serait irrecevable (CE, 26 janvier 2007, requête numéro 297991, Association la Providence : Rec. tables, p. 1009 ; AJDA 2007, p. 872). Il sera ensuite statué sur cette demande selon une procédure d’urgence, avant que le recours ne soit examiné sur le fond. Il s’agit ainsi d’éviter qu’une éventuelle annulation postérieure de la mesure soit rendue inutile du fait que celle-ci a été déjà exécutée, en partie ou partiellement.
887.- Procédure.- Le juge des référés – qui est en principe un juge unique (V. CJA, art. L. 511-2) – statue par voie d’ordonnances qui peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat. Ce pourvoi doit être présenté dans les 15 jours de la notification de l’ordonnance.
888.- Différences entre référé suspension et sursis à exécution.- Le régime de la suspension des décisions administratives a été assez profondément modifié par la loi n°2000-597 du 30 juin 2000 sur le référé devant les juridictions administratives.
Avant cette loi, deux conditions étaient exigées dans le cadre de la procédure de sursis à exécution de droit commun : l’existence de moyens sérieux, c’est-à-dire de moyens qui jettent un doute sérieux sur la légalité de la mesure contestée ; l’exécution de la décision contestée devait entraîner des conséquences difficilement réparables.
Ces règles ont été modifiées par la loi du 30 juin 2000 qui a créé une procédure de référé suspension. Selon l’article L. 521-1 du Code de justice administrative « quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. Lorsque la suspension est prononcée, il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision dans les meilleurs délais. La suspension prend fin au plus tard lorsqu’il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision ».
B – Domaine du référé suspension
889.- Actes unilatéraux exprès ou implicites.- Une demande de référé suspension peut être dirigée contre l’ensemble des actes administratifs unilatéraux, qu’ils soient exprès ou implicites.
890.- Décisions de rejet.- En revanche, les juges ont longtemps considéré que les décisions de rejet ne pouvaient faire l’objet d’un sursis à exécution, en application de l’arrêt d’Assemblée du Conseil d’Etat du 23 janvier 1970, Ministre d’Etat chargé des Affaires sociales c. Amoros (requête numéro 77861 : Rec., p. 51 ; AJDA 1970, p. 174, note Delcros ; RDP 1970, p. 1035, Waline).
Cette position était justifiée par le fait que la suspension d’un acte ne serait utile qu’à l’encontre des décisions exécutoires, le caractère exécutoire des actes administratifs impliquant que l’administration peut, par ses décisions, modifier l’état du droit, créer une règle opposable aux administrés. Or, une décision de rejet ne fait généralement qu’entériner l’état du droit existant. Par conséquent, elle ne présenterait pas de caractère exécutoire, et une demande de sursis dirigée contre une telle décision serait donc sans objet.
La jurisprudence Amoros était également justifiée par le fait que, à l’époque où cet arrêt a été rendu, le juge administratif n’avait pas le pouvoir d’adresser des injonctions à l’encontre de l’administration, excepté dans le cadre de l’instruction des affaires portées devant lui (CE Ass., 28 mai 1954, requête numéro 28238, requête numéro 28493, requête numéro 28524, requête numéro 30237, requête numéro 28238, requête numéro 28493, requête numéro 28524, requête numéro 30237, requête numéro 30256, Barel et a., préc.). Or, prononcer le sursis à exécution d’un acte de rejet revient à enjoindre à l’administration de prendre une décision contraire.
Exemple :
– Si le juge suspend l’exécution d’une décision rejetant une demande de permis de construire, cela revient à enjoindre à l’administration d’accorder ce permis ou au moins de réexaminer la demande.
En dépit de ces justifications, la jurisprudence Amoros était toutefois assez largement critiquée par la doctrine. D’une part, il faut en effet constater que les décisions de rejet ont des conséquences sur la situation des personnes intéressées, ne serait-ce que parce que si elles ne modifient pas leur situation juridique, elles ne leur accordent pas de droits. Ainsi, par exemple, il est difficile d’affirmer qu’une décision de rejet d’une demande d’obtention d’un permis de construire ne présente pas de caractère exécutoire. D’autre part, la législation récente a multiplié les hypothèses dans lesquelles le juge administratif s’est vu reconnaître un pouvoir d’injonction. C’est le cas de la loi n°80-539 du 16 juillet 1980 relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à l’exécution des jugements par les personnes morales de droit public et de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative.
Pour toutes ces raisons, le Conseil d’Etat a finalement abandonné la jurisprudence Amoros à l’occasion de l’arrêt de Section Ouatah du 20 décembre 2000 (requête numéro 200647 : AJDA 2001, p. 146, chron. Guyomar et Collin ; RFDA 2001, p. 371 s., concl. Lamy).
Cependant, cet arrêt n’a fait qu’anticiper l’entrée en vigueur, au premier janvier 2001, de la loi du 30 juin 2000. En effet, cette loi précise expressément que les demandes de référé suspension sont recevables à l’encontre des décisions de rejet.
Exemples :
– CE, 5 décembre 2001, requête numéro 237189, Commune de Contes (BJDU 1/2002, p. 60, concl. Austry) : en application de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, le juge des référés suspend l’exécution d’un certificat d’urbanisme négatif et enjoint à l’autorité administrative de délivrer un nouveau certificat dans un délai de deux mois après réexamen de la demande.
– CE, ord. réf., 17 octobre 2014, requête numéro 384757, Rigollet (AJDA 2015 : p. 200) : l’exécution de la circulaire du 2 juillet 2014 de la ministre de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, relative aux modalités d’attribution des bourses d’enseignement supérieur sur critères sociaux et des aides à la mobilité internationale pour l’année 2014-2015 est suspendue en tant qu’elle supprime l’aide au mérite pour les étudiants qui ne bénéficiaient pas pendant l’année universitaire 2013-2014 de cette aide. Cette solution revient à enjoindre à la ministre de verser aux étudiants concernés l’aide au mérite que la circulaire avait voulu supprimer.
– CE, 1er juin 2017, requête numéro 406103, SCI La Marne Fourmies : le juge des référés suspend le refus du préfet d’accorder le concours de la force publique à l’exécution d’une décision de justice ordonnant l’expulsion d’occupants sans titre d’un bien. Il est enjoint au préfet de la Gironde de prendre toutes mesures nécessaires afin de procéder à cette expulsion dans un délai de trois mois.
Le Conseil d’Etat a récemment précisé les contours des pouvoirs du juge des référés dans une telle hypothèse. L’idée, dans tous les cas, est de lui permettre de pouvoir prendre une mesure d’injonction sans pour autant que les conséquences en résultant puissent être définitives (CE Sect., 7 octobre 2016, requête numéro 395211, Commune de Bordeaux : Rec., p. 4; AJDA 2016, p. 2155, chron. Dutheillet de Lamothe et Odinet ; Dr. adm. 2017, comm. 8, note Eveillard ; JCP G 2016, comm. 1360, note Cassia ; JCP N 2016, comm. 1310, note Debouy ; Procédures 2016, comm. 386, note Deygas ; RFDA 2016, p. 1177, concl. de Lesquen). Dans une telle hypothèse, s’il n’y pas nécessairement lieu pour l’administration d’accorder au demandeur la mesure qu’il sollicite, elle devra au moins réexaminer sa demande ce qui peut être ordonné par une injonction du juge des référés. Dans ce cas, elle ne pourra renouveler son refus pour un motif identique à celui qui a suscité un doute sérieux sur la légalité de la décision prise. Si elle favorable au demandeur, la nouvelle décision aura, comme l’ordonnance de référé, un caractère provisoire. En conséquence, l’administration pourra la retirer une fois que la juridiction se sera prononcée sur le fond, ou si le demandeur se désiste de son action, toujours sur le fond, ou si le juge des référés met lui-même fin à la suspension. Ce retrait doit intervenir « dans un délai raisonnable » qui est celui du retrait des actes créateurs de droit. Ce délai est décompté, soit à partir de la notification de la décision de justice infirmative, soit de l’infirmation de sa position initiale par le juge des référés lui-même (V. Code de justice administrative, art. L. 521-4) ou au terme de l’exercice d’une voie de recours en référé, soit à compter du désistement par le requérant de son recours au fond.
C – Conditions d’obtention des mesures de suspension
891.- Possibilité de ne pas suspendre l’acte lorsque les conditions exigées sont remplies.- Selon l’article L. 521-1 du Code de justice administrative l’obtention d’une mesure de suspension est conditionnée par la réunion de deux conditions : l’urgence et l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de la décision.
Toutefois, il faut relever au préalable que même si les deux conditions sont réunies, le juge n’est pas tenu de prononcer la mesure de suspension. En effet, le texte actuellement en vigueur, qui reprend une solution qui avait déjà été consacrée par la jurisprudence dans l’arrêt d’Assemblée du Conseil d’Etat du 13 février 1976, Association de sauvegarde du quartier Notre-dame (requête numéro 99708 : Rec., p. 100 ; D. 1977, chron. p. 115, Pellet ; AJDA 1976, p. 300, Nauwelaers et Fabius ; RDP 1976, p. 303, Drago ; Rev. adm. 1976, p. 381, concl. Morisot), précise que si ces deux conditions sont réunies, le juge « peut » prononcer la suspension de la décision contestée, ce qui implique qu’il n’est pas obligé de le faire. Cette faculté, qui a vocation à demeurer d’application « exceptionnelle » (CE, 15 juin 2001, requête numéro 230637, Société Robert Nioche et ses fils SA), s’explique par le fait que, selon la formule de l’arrêt Huglo (préc.), le caractère exécutoire des décisions administratives demeure « la règle fondamentale du droit public ».
Exemple :
– CE, 15 juin 2001, requête numéro 230637, Société Robert Nioche et ses fils SA, préc. : ne commet pas d’erreur de droit le juge des référés qui rejette une demande de suspension d’un arrêté interdisant la circulation sur un pont en jugeant que les moyens de légalité externe soulevés devant lui ne sont pas, quels que soient leurs mérites, de nature à justifier la suspension de cet arrêté, alors que n’existe aucun doute sérieux sur le fait que celui-ci repose sur des faits matériellement exacts et a été rendu nécessaire, compte tenu du mauvais état du pont, par des motifs de sécurité publique.
1° Urgence
892.- Urgence et préjudice difficilement réparable.- La condition d’urgence remplace la condition tenant à l’existence d’un préjudice difficilement réparable qui était exigée dans l’ancienne procédure de référé suspension, ce qui conduit à s’interroger sur la portée de cette modification.
Il faut relever, d’une part, que si l’exécution de la décision contestée est susceptible de créer un préjudice difficilement réparable, il sera nécessairement urgent d’y mettre fin. Par conséquent, l’ancienne condition est entièrement incluse dans la nouvelle. D’autre part, si l’urgence recouvre la condition d’existence d’un préjudice difficilement réparable, l’inverse n’est pas vrai.
Ainsi, avant l’entrée en vigueur de la loi du 30 juin 2000, les juges refusaient très fréquemment de reconnaître l’existence d’un préjudice difficilement réparable dès lors que ce préjudice pouvait être réparé ultérieurement par le versement d’une somme d’argent. Or, dans un tel cas, il peut désormais y avoir urgence à prononcer la mesure de référé suspension.
Dans l’arrêt de Section Confédération nationale des radios libres du 19 janvier 2001 (requête numéro 228815 : Rec., p. 29 ; AJDA 2001, p. 150, chron. Guyomar et Collin ; LPA 2001, n°30, p. 10, note Chahid-Nouraï et Lahami-Depinay ; Dr. adm. 2001, comm. 153, note L.T ; RFDA 2001, p. 378, concl. Touvet ; D. 2001, p. 1414, note Seiller ; D. 2002, p. 2220, note Vandermeeren ; RDP 2002, p. 756, chron. Guettier), le Conseil d’Etat a ainsi estimé que la condition d’urgence pouvait être remplie « alors même que cette décision n’aurait un objet ou des répercussions que purement financières et que, en cas d’annulation, ses effets pourraient être effacés par une réparation pécuniaire ».
Exemple :
– CE, ord. réf., 8 mars 2001, requête numéro 230748, Association pour la protection de la population et de l’environnement des vallées de la Creuse et de la Gartempe : en matière d’expropriation, le juge avait tendance à rejeter systématiquement les demandes de suspension des arrêtés portant déclaration d’utilité publique. En effet, la mesure n’était pas considérée comme ayant des conséquences difficilement réparables puisque le Code de l’expropriation prévoit l’indemnisation ultérieure des personnes évincées. Désormais, une mesure de référé suspension contre de telles décisions peut être prononcée.
893.- Définition de la condition d’urgence.- La loi du 30 juin 2000 n’a pas défini la condition d’urgence, mais ce point a été précisé par l’arrêt Confédération nationale des radios libres (requête numéro 228815, préc.) selon lequel « la condition d’urgence … doit être considérée comme remplie lorsque la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate a un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il défend ».
Cette formule a été précisée par l’arrêt de Section du 28 février 2001, Préfet des Alpes-maritimes et société sud-est assainissement (requête numéro 229562, requête numéro 229563 requête numéro 229721 : AJDA 2001, p. 46 ; Collectivités-Intercommunalité 2001, comm. 126) dont il résulte que l’urgence s’apprécie « objectivement et compte tenu de l’ensemble des circonstances de chaque espèce ».
C’est donc au cas par cas, de façon globale et concrète, que sera appréciée l’urgence, ce qui explique le caractère très casuistique de la jurisprudence dans ce domaine.
Exemples :
– Comme on l’a vu, le juge des référés accepte désormais de considérer qu’il peut y avoir urgence à demander la suspension d’une déclaration d’utilité publique (CE, ord. réf., 8 mars 2001, Association pour la protection de la population et de l’environnement des vallées de la Creuse et de la Gartempe, préc.). Toutefois, les conséquences qui s’attachent à une déclaration d’utilité publique ne sont pas par elles-mêmes de nature à caractériser une situation d’urgence (CE, ord. réf., requête numéro 345466, 26 décembre 2002, Association pour la protection des intérêts de Cazaubon-Barbotan : AJDA 2003, p. 674, note Hostiou). Cependant, si les travaux sont sur le point de commencer – en tout cas s’ils sont susceptibles de débuter avant l’intervention du jugement au fond – la condition d’urgence sera en principe satisfaite (CE, 3 juillet 2002, requête numéro 245236, Commune de Beauregard-de-Terrasson, Association Alerte 89 et a. c. Société autoroutes du sud de la France : AJDA 2002, p. 751, concl. Chauvaux ; RD imm. 2003, p. 52, obs. F.D. ; Ann. de la voirie 2002, n° 72, p. 233, note Duval ; Collectivités-Intercommunalité 2002, comm. 237, obs. Célérier).
– CE, 24 février 2022, requête numéro 454047, Société Hivory : eu égard à l’intérêt public qui s’attache à la couverture du territoire national par le réseau de téléphonie mobile tant 3G que 4G et à l’objet même du certificat de non-opposition à l’implantation d’une antenne de téléphonie mobile qui répond à la nécessité, pour la société requérante, d’attester auprès de tiers intéressés ou participant à l’exécution des travaux autorisés de l’existence de la décision de non-opposition, la condition d’urgence doit être regardée comme remplie.
894.- Présomption d’urgence.- C’est en principe au requérant d’apporter la démonstration de l’urgence, celle-ci ne pouvant découler de manière automatique du caractère irréversible d’une situation de fait. Pour certains types de décisions, cependant, l’urgence est présumée.
Il en va ainsi concernant la suspension des permis de construire (CE, 27 juillet 2001, requête numéro 230231, Commune de Tulle : RD imm. 2001, p. 542, chron. Soler-Couteaux ; BJDU 2001, p. 381, concl. Chauvaux) et des permis d’aménagement (CE, 3 juillet 2009, requête numéro 321634, Lelin : Rec. tables, p. 992 ; AJDA 209, p. 1345 ; BJDU 2009, p. 285, concl. Geffray), pour les arrêtés de cessibilité (CE, 5 décembre 2014, requête numéro 369522, Consorts Le Breton : Dr. adm. 2015, comm. 26, note Eveillard), pour un arrêté portant dissolution d’un EPCI (CE, 28 décembre 2005, requête numéro 283249, Syndicat intercommunal de Lens-Avion : Rec. tables, p. 1029 ; AJDA 2006, p. 63.- CE, 17 mars 2017, requête numéro 404891, Ministre de l’Intérieur c/ Communautés de communes du Cordais et du Causse), ou encore pour une décision de mise à l’isolement d’un détenu (CE, 7 juin 2019, requête numéro 426777.- Cet arrêt abandonne la solution contraire qui avait été initalement retenue V. CE, 29 décembre 2004, requête numéro 268826, Garde des Sceaux : AJDA 2005, p. 511; AJ pénal 2005, p. 164, obs. Céré; RSC 2006, p. 423, obs. Poncela).
Cependant, il ne s’agit pas ici de présomptions irréfragables.
Exemples :
– CE, 22 mars 2010, requête numéro 324763, Seghier (AJDA 2010, p. 646, obs. Biget) : s’agissant d’un permis de construire, compte tenu de l’intérêt public qui s’attache à l’exécution de la décision litigieuse et de la faible dimension de la construction autorisée, alors que la requérante fait seulement valoir en termes généraux que cet ouvrage offrira à ses utilisateurs un point de vue sur sa propriété et pourra être source de désagréments, la condition d’urgence, qui doit s’apprécier objectivement et globalement, ne peut être regardée comme remplie.
– CE, 27 janvier 2021, requête numéro 437237 (JCP A 2021, act. 102, obs. Erstein : en matière d’expropriation, le délai entre la date où l’arrêté de cessibilité intervient et l’envoi en possession de l’expropriant est bref ce qui justifie l’existence d’une présomption d’urgence. Toutefois « il peut (…) en aller autrement dans le cas où l’expropriant justifie de circonstances particulières, en particulier si un intérêt public s’attache à la réalisation rapide du projet qui a donné lieu à l’expropriation ». Mais en l’espèce, le Conseil d’Etat précise que la présomption a vocation à s’appliquer « alors même que l’ordonnance du juge de l’expropriation procédant au transfert de propriété est intervenue ». Dans la présente affaire, si l’ordonnance d’expropriation était effectivement déjà intervenue, elle n’était pas devenue définitive, le bénéficiaire n’avait pas encore fait usage du bien pour y entamer les travaux de construction projetés, et les maisons devant être édifiées sur la parcelle en cause ne représentaient qu’une part très minoritaire du programme de logements envisagé. Ainsi « aucun élément n’étant de nature à établir qu’il était nécessaire de permettre l’exécution immédiate de la décision contestée ».
Au demeurant, la présomption ne joue pas concernant les décisions de retrait d’un permis de construire (CE, 30 juillet 2003, requête numéro 255368, Ministre de l’Equipement, du Transport, du Logement, du Tourisme et de la Mer : Rec. tables, p. 923 ; BJDU 2003, p. 411, note Maugüé, obs. J.-C B. ; Dr. Adm. 2003, comm. 232, note C.M.) ou de sursis à statuer sur une demande de permis de construire (CE, 23 janvier 2004, requête numéro 257779, Commune de Meyreuil : BJDU 2004, p. 63, concl. de Silva). Elle ne joue pas non plus si la construction objet du permis est achevée (CE, 26 mai 2004, requête numéro 260462, Société Alsatia) ou quasiment achevée (CE, 26 juin 2002, requête numéro 240487, Demblas : Rec. tables, p. 863). Il en va de même lorsqu’est en cause un refus de dresser un procès-verbal pour méconnaissance des prescriptions d’un permis de construire (CE, 23 septembre 2019, requête numéro 424270, Petre).
On retrouve le même type de raisonnement dans des cas où sont en cause des décisions de préemption. En effet, si le juge des référés accepte de présumer l’urgence en faveur de l’acquéreur évincé sollicitant la suspension d’une décision de préemption (CE, 13 novembre 2002, requête numéro 248851, Hourdin : Rec., p. 396 ; BJDU 2002, p. 460, concl. Stahl, obs. J.-C B.; RFDA 2003, p. 203 ; RDI imm.2003, p. 205, obs. P. S.-C.), il refuse d’en faire bénéficier le vendeur (CE, 14 novembre 2003, requête numéro 258248, Colladant : Rec., p. 924 ; Constr.-urb. 2004, 89, note Rousseau).
Dans un tout autre domaine, le juge des référés du Conseil d’Etat a pu considérer qu’une décision d’un département refusant de poursuivre la prise en charge d’un jeune majeur (CE, 21 décembre 2018, requête numéro 421323, Diakhaby). En revanche l’urgence n’est pas présumée dans l’hypothèse où est contesté un arrêté de carence en matière de logement social (CE, 3 octobre 2018, requête numéro 418700, Commune de Neuilly-sur-Seine).
2° Moyen propre à créer un doute sérieux quant à légalité de la décision
895.- Une appréciation au cas par cas.- L’appréciation d’un tel moyen soulevé par le requérant doit s’opérer, précise le texte, « en l’état de l’instruction » ce qui signifie que le juge des référés doit soupeser les chances d’aboutir de la requête présentée sur le fond. Là encore, tout est question d’appréciation, le juge des référés devant déterminer au cas par cas s’il existe un doute véritablement sérieux sur la légalité de la décision.
Exemple :
– CE, ord. réf., 31 janvier 2020, requête numéro 437675, requête numéro 437795, requête numéro 437805, requête numéro 437824, requête numéro 437910, requête numéro 437933, Laroche et a. (Dr. adm. 2020, comm. 12, note Montay) : posent un doute sérieux quant à leur légalité et doivent en conséquent être suspendues, les dispositions d’une circulaire relative aux élections municipales limitant excessivement le seuil d’attribution des nuances politiques, instituant une différence de traitement entre les partis, et classant une liste dans un bloc de clivage sans considération d’indices objectifs.
Toutefois, le juge a l’obligation de relever d’office un moyen d’ordre public qui ressort des pièces du dossier qui lui est soumis (CE Sect., 16 mai 2001, requête numéro 230631, Epoux Duffaut : AJDA 2001, p. 465, chron. Guyomar et Collin ; D. 2002, p. 2223, obs. Vandermeeren).
II – Référé liberté
896.- Une procédure récente.- Le référé liberté est la grande innovation de la loi du 30 juin 2000. On évoquera la question des pouvoirs du juge du référé liberté, avant d’examiner les conditions de mise en œuvre de cette procédure.
A – Pouvoirs du juge du référé liberté
897.- Pouvoirs du juge.- Cette procédure permet au juge des référés, en cas d’urgence, « d’ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle l’administration aurait porté, dans l’exercice de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale » (Code de justice administrative, art. L. 521-2). Le juge des référés devra alors se prononcer dans un délai de 48 heures, son ordonnance pouvant ensuite faire l’objet d’un appel devant le Conseil d’Etat dans les quinze jours de sa notification. En cas d’appel, le juge des référés du Conseil d’Etat doit statuer dans un délai de quarante-huit heures.
La principale innovation de ce texte est qu’il permet au juge des référés d’ordonner toutes mesures visant à faire cesser le trouble causé par l’administration. Ceci signifie que le juge des référés se voit reconnaître, entre autres, un pouvoir d’injonction à l’encontre de l’administration : ce n’est donc pas seulement une décision qui peut être mise en cause, mais un agissement de l’administration. Ceci explique que, contrairement à la procédure de référé suspension, la recevabilité de la demande de référé liberté n’est pas subordonnée au dépôt d’un recours sur le fond.
Un pouvoir d’injonction avait été certes attribué au Conseil d’Etat, par la loi n°80-539 du 16 juillet 1980, puis aux tribunaux administratifs et aux cours administratives d’appel en application de la loi n°95-125 du 8 février 1995, mais seulement pour contraindre l’administration à exécuter une décision de justice. Désormais, ce pouvoir leur est reconnu pour imposer à l’administration de réparer les conséquences d’un comportement illicite. Toutefois, la possibilité ainsi reconnue est subordonnée au respect d’un certain nombre de conditions. On ne reviendra pas ici sur les rapports entretenus entre la voie de fait et la procédure de référé liberté, et sur le fait que la jurisprudence ne limite plus la compétence du juge du référé liberté aux seuls cas où l’administration a agi « dans l’exercice de ses pouvoirs » (V. sur ces questions supra Troisième Partie, Chapitre deux, Section deux).
898.- Limites aux pouvoirs du juge.- « Toutes mesures » ne signifie pas toutefois « n’importe qu’elle mesure ». Si le juge du référé liberté peut adresser une injonction à l’administration, ou seulement suspendre cette décision, la mesure prise, parce qu’elle émane du juge du provisoire, ne saurait avoir un effet rétroactif (CE, 17 avril 2019, requête numéro 428359, Barry: AJDA 2019, p. 901, obs. Maupin).
Exemple :
– Dans cette affaire il a ainsi été jugé que si le juge du référé liberté, afin de faire cesser l’atteinte grave et manifestement illégale au droit d’asile qui pourrait résulter d’une privation des conditions matérielles d’accueil peut enjoindre à l’administration de les rétablir, et en particulier de reprendre le versement de l’allocation mentionnée à l’article L. 744-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, il ne lui appartient pas, en principe, d’enjoindre le versement de cette allocation à titre rétroactif pour une période écoulée.
De même, le juge du référé liberté refuse d’ordonner « des mesures d’ordre structurel reposant sur des choix de politique publique qui sont insusceptibles d’être mises en œuvre ». Ceci s’explique principalement pour deux raisons complémentaires. D’une part, le juge du référé liberté n’est pas un administrateur. D’autre part, eu égard au délai qui lui est imparti pour statuer, il n’est compétent que pour prendre des mesures de nature à sauvegarder, à très bref délai, une liberté fondamentale.
Exemples :
– CE, ord. réf., 26 juillet 2018, requête numéro 422237 : rejet de demandes tendant au maintien pérenne de la production ou de la commercialisation en France de l’ancienne formule d’un médicament.
– CE, ord. réf., 8 avril 2020, requête numéro 439827, Section française de l’Observatoire international des prisons : rejet de nombreuses demandes d’injonction concernant la situation des détenus dans le contexte de l’épidémie de covid-19.
– CE, ord. réf., 22 juillet 2020, requête numéro 441902 (Dr. adm. 2021, comm. 5, note Martinez) : s’agissant de demandes tendant à ce qu’il soit enjoint à la ville de Marseille de se doter de moyens matériels et humains propres à lui permettre de résorber le stock de signalements de suspicion de péril non traités et d’immeubles en péril non suivis, de passer des marchés publics afin de se mettre en situation de pouvoir réaliser sans délai, sur l’ensemble de la ville, des travaux sur les immeubles faisant l’objet d’arrêtés de péril en lieu et place des propriétaires défaillants et d’assurer la formation juridique des agents du service de la sécurité des immeubles, de telles demandes tendent, eu égard à leur objet, au prononcé de mesures d’ordre structurel reposant sur des choix de politique publique insusceptibles d’être mises en œuvre, et dès lors de porter effet, à très bref délai. Elles ne sont pas au nombre des mesures de sauvegarde que la situation permet de prendre utilement dans les délais d’intervention du juge des référés statuant en application de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative.
C’est cette limite de l’office du juge du référé liberté qui a récemment conduit la Cour européenne des droits de l’homme à juger que le référé liberté ne constituait pas un recours effectif pour protéger les droits garantis à ces derniers par la Convention (CEDH, 30 janvier 2020, affaire numéro 9671/15, J. M. B. c/ France : AJDA 2020, p. 1064, note Avvenire ; D. 2020, p. 753, note Renucci). Pour autant, le juge des référés du Conseil d’Etat a maintenu sa jurisprudence dans une affaire mettant en cause l’état des prisons et le droit à la vie et à la dignité des détenus : si l’Etat français doit tirer les conséquences de sa condamnation, c’est au législateur qu’il incombe de mettre en œuvre les réformes structurelles qui s’imposent (CE, 19 octobre 2020, requête numéro 439372, Ministre de la Justice et Section française de l’Observatoire international des prisons : AJDA 2021, p. 41, note Schmitz ; Dr. adm. 2021, comm. 7, note Eveillard ; JCP A 2020, comm. 2295, note Parinet-Hodimont ; JCP G 2020, comm. 1227, obs. Erstein ; Procédures 2021, comm. 26, note Chifflot.– V. aussi TA Bordeaux, ord . réf, 11 octobre 2022, requête numéro 2205214 : D. act., 19 octobre 2022, obs. Dominati)
Dans une affaire récente, également en lien avec l’épidémie de covid-19, le juge du référé liberté n’a toutefois pas hésité à interférer dans l’exercice d’une compétence normative au niveau national (CE, ord. réf., 22 mars 2020, requête numéro 439674, Syndicat des jeunes médecins, préc.). S’il a rejeté la demande des requérants demandant à ce qu’il soit enjoint au Premier ministre d’ordonner le confinement total de la population, le juge a ordonné au gouvernement de préciser la portée des mesures déjà prises en application du décret n°2020-260 du 16 mars 2020. Suite à cette ordonnance, le décret n°2020-293 du 23 mars 2020 a redéfini les différentes dérogations à l’obligation de confinement dans le sens plus restrictif prescrit par le juge des référés du Conseil d’Etat.
Le Conseil d’Etat reconnaît également que le juge du référé liberté peut « ordonner à l’autorité compétente de prendre, à titre provisoire, une mesure d’organisation des services placés sous son autorité lorsqu’une telle mesure est nécessaire à la sauvegarde d’une liberté fondamentale ». Certes, il « ne peut, au titre de la procédure particulière prévue par l’article L. 521-2, qu’ordonner les mesures d’urgence qui lui apparaissent de nature à sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave et manifestement illégale ». Néanmoins, « il peut également, le cas échéant, décider de déterminer dans une décision ultérieure prise à brève échéance les mesures complémentaires qui s’imposent et qui peuvent être très rapidement mises en œuvre » (CE, 30 juillet 2015, requête numéro 392043, Section française de l’Observatoire international des prisons, Ordre des avocats au barreau de Nîmes : JCP A 2015, act. 721).
Exemple :
– CE ord. réf., 18 mai 2020, requête numéro 440366, requête numéro 440410, requête numéro 440531, requête numéro 440550, requête numéro 440562, requête numéro 440563, requête numéro 440590 (préc.) : le juge des référés enjoint au ministre de l’Intérieur de modifier, dans un délai de huit jours les dispositions du décret numéro 2020-548 du 11 mai 2020 interdisant les réunions dans les lieux de culte en prenant les mesures strictement proportionnées aux circonstances de temps et de lieu dans une période de début de « déconfinement » dans le contexte de l’épidémie de covid 19, pour encadrer les rassemblements dans ces établissements (V. faisant suite à cette ordonnance le écret n°2020-618 du 22 mai 2020 complétant le décret n°2020-548 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire).
Dans le cadre du référé liberté, les conditions suivantes sont exigées : une situation d’urgence, une atteinte à une liberté fondamentale qui doit être à la fois « grave » et « manifestement illégale ».
B – Conditions
899.- Pluralité de conditions.- Dans le cadre du référé liberté, les conditions suivantes sont exigées : une situation d’urgence, une atteinte à une liberté fondamentale qui doit être à la fois « grave » et « manifestement illégale ».
1° Urgence
900.- Une appréciation stricte de la condition d’urgence.- La condition d’urgence s’apprécie de façon plus restrictive dans la procédure de référé liberté que dans celle de référé suspension, comme l’a précisé une ordonnance du juge des référés du Conseil d’Etat du 28 février 2003 Commune de Pertuis (requête numéro 254411 : Rec., p. 68 ; AJDA 2003, p. 1171, note Cassia et Béal ; BJCL 2003, p. 606, concl. Austry ; JCP A 2003, 1584, note Quillien.- V. également CE, ord. réf., 28 mars 2008, requête numéro 314368, Commune de Raincy : AJDA 2008, p. 729 ; Constr.-urb. 2008, comm. 87, note Février ; BJDU 2008, p. 133, obs. J.-C B. ; LPA 17 avril 2009, note Le Bot ; Gaz. Pal. 4 décembre 2008, jurispr. p. 16, note Graveleau).
901.- Une appréciation concrète et globale.- Cette différence n’est toutefois pas radicale dans la mesure où l’urgence doit d’abord être appréciée de façon concrète et globale, comme cela est le cas pour la procédure de référé suspension en application de la jurisprudence Confédération nationale des radios libres (requête numéro 228815, préc.). De même, comme dans le cadre du référé suspension, dans certains cas, l’urgence peut être présumée. Il en va ainsi en cas de référé liberté dirigé contre une mesure d’assignation à résidence prononcée dans le cadre de l’état d’urgence (CE Sect., 11 décembre 2015, requête numéro 395009, Domenjoud, préc.). Il existe même une hypothèse de présomption irréfragable d’urgence lorsque le droit à la vie est menacé par la décision attaquée (CE Ass., 14 février 2014, requête numéro 375081, requête numéro 375090, requête numéro 375091, Mme Lambert et a. : Rec., p. 31, concl. Keller ; AJDA 2014, p. 790, chron. Bretonneau et Lessi ; JCP A 2014, comm. 2234, obs. Moquet-Anger ; LPA 4 avril 2014, p. 8, note Mémeteau ; RDSS 2014, p. 506, note Thouvenin).
902.- Une urgence immédiate.- L’ordonnance Commune de Pertuis ajoute toutefois un élément supplémentaire à cette définition : l’urgence doit être immédiate, ce qui veut dire que la situation doit rendre nécessaire l’intervention du juge des référés dans le délai de 48 heures qui lui est spécifiquement imparti dans le cadre de la procédure de référé liberté. Si la nécessité qu’il soit statué aussi rapidement n’apparaît pas, la procédure de référé liberté ne pourra être mise en œuvre.
Exemples :
– Dans l’affaire Commune de Pertuis, était en cause une délibération d’un conseil municipal modifiant le règlement intérieur de ce conseil. Cette mesure portait atteinte à la liberté d’expression, qui est une liberté fondamentale, mais la condition d’urgence propre à la procédure de référé liberté n’était pas remplie en l’espèce.
– CE, ord. réf., 14 mars 2003, requête numéro 254827, Commune d’Evry : ne crée pas par lui-même une situation d’urgence au sens de l’article L. 521-2 le refus pour un employeur de verser la rémunération correspondant à un service fait ou celui de délivrer une attestation permettant de percevoir un revenu de remplacement.
– CE, ord. réf., 20 septembre 2022, requête numéro 451129, Panchaud (AJDA 2002, p. 2002, chron. Janicot et Pradines ; Dr. adm. 2023, comm. 2, note Deffairi ; Energie-Env.-Infrastr. 2022, comm. 90, note Fonbaustier ; JCP A 2022, act. 1090, obs. Erstein ; JCP G 2022, act. 2173, obs. Parance ; JCP A 2022, comm. 2309, note Radiguet ; Procédures 2022, comm. 266, note Chifflot ; RFDA 2022, p. 1091, concl. Ranquet) : le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, présente le caractère d’une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative. Toute personne justifiant, au regard de sa situation personnelle, notamment si ses conditions ou son cadre de vie sont gravement et directement affectés, ou des intérêts qu’elle entend défendre, qu’il y est porté une atteinte grave et manifestement illégale du fait de l’action ou de la carence de l’autorité publique, peut saisir le juge des référés sur le fondement de cet article. Il lui appartient alors de faire état de circonstances particulières caractérisant la nécessité pour elle de bénéficier, dans le très bref délai prévu par ces dispositions, d’une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de cet article. Dans tous les cas, l’intervention du juge des référés dans les conditions d’urgence particulières prévues par l’article L. 521-2 est subordonnée au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires. Compte tenu du cadre temporel dans lequel se prononce le juge des référés saisi sur le fondement de l’article L. 521-2, les mesures qu’il peut ordonner doivent s’apprécier en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente et des mesures qu’elle a déjà prises. Au cas d’espèce cette condition n’est pas remplie concernant une demande tendant à enjoindre à un département de suspendre les travaux de recalibrage d’une route départementale.
La différence d’appréhension de la condition d’urgence dans les procédures de référé suspension et de référé liberté est parfaitement résumée par une ordonnance du juge des référés du Conseil d’Etat du 20 novembre 2019 (requête numéro 435785: AJDA 2019, p. 2411, obs. Pastor ; AJ pénal 2020, p. 40, obs. David), concernant un recours dirigé contre une mesure de mise à l’isolement d’un détenu : si en principe « eu égard à son objet et à ses effets sur les conditions de détention » cette mesure crée une situation d’urgence au titre de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, « il appartient, en revanche, à la personne détenue qui saisit le juge des référés sur le fondement de l’article L. 521-2 du même code de justifier de circonstances particulières caractérisant, au regard notamment de son état de santé ou des conditions dans lesquelles elle est placée à l’isolement, la nécessité, pour elle, de bénéficier à très bref délai du prononcé d’une mesure de sauvegarde sur le fondement de ce dernier article ».
De même, l’action en référé liberté ne peut prospérer que si elle permet « le prononcé de mesures de sauvegarde à très bref délai et qu’il est possible de prendre utilement de telles mesures ».
Exemple :
– CE, ord. réf., 20 avril 2020, requête numéro 439983, requête numéro 440008, Ordre des avocats au barreau de Marseille, Ordre des avocats au barreau de Paris : saisi par plusieurs ordres des avocats, dans le contexte de la crise du covid-19, le juge des référés du Conseil d’Etat a estimé qu’il « n’apparaît pas, en l’état de l’instruction et à la date de la présente ordonnance, que l’absence de distribution de masques de protection aux avocats lors des entretiens de garde à vue dans les locaux des commissariats, lors de la préparation de la défense dans le cadre des comparutions immédiates et, plus généralement, dans les circonstances où la présence d’un avocat est requise auprès d’un justiciable pour l’exercice des droits de la défense révèlerait une carence portant, de manière caractérisée, une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées justifiant que le juge des référés ordonne les mesures de sauvegarde demandées ». Toutefois, même si cela ne figure pas dans le dispositif de l’ordonnance, le juge des référés demande à l’Etat d’aider les avocats à s’approvisionner en masques et de mettre à leur disposition, en tant que de besoin, du gel hydro-alcoolique (V. aussi dans le même contexte concernant l’absence de mesures réglementaires propres à assurer le dépistage systématique et régulier au sein des EHPAD et propres assurer la fourniture de matériel de protection et d’oxygénation CE, ord. réf., 15 avril 2020, requête numéro 440002 : JCP A 2020, comm. 526, note Reynier et Viala.- V. également sur l’accès aux soins des personnes en EPAHD CE, ord. réf., 15 avril 2020, requête numéro 439910, Assoc. Coronavictimes et a.).
2° Atteinte à une liberté fondamentale
903.- Appréciation de cette condition.- La procédure de référé liberté ne peut être utilisée qu’en cas d’atteinte à une liberté fondamentale. Si le droit de propriété n’est pas expressément visé par l’article L. 521-2 du Code de justice administrative, il résulte de la jurisprudence que ce droit est également protégé par la procédure de référé liberté. Enfin, il est nécessaire que l’atteinte portée à une liberté fondamentale ou au droit de propriété présente un caractère de gravité suffisant et qu’elle soit manifestement illégale.
α- Notion de liberté fondamentale
904.- Une notion autonome ?.- La notion de liberté fondamentale est difficile à saisir. Si, très souvent, elle se rattache à des principes de valeur constitutionnelle, certaines décisions qui font référence à des libertés fondamentales « au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative » paraissent indiquer le caractère autonome de cette notion dans le cadre de la procédure de référé liberté. Il en résulte une jurisprudence assez casuistique emprunte d’une grande subjectivité.
Ainsi, par exemple, constituent des libertés fondamentales :
– La liberté d’aller et de venir (CE, ord. réf., 9 janvier 2001, requête numéro 228928, Deperthes.- CE ord. réf., 30 avril 2020, requête numéro 440179, Fédération française des usagers de la bicyclette.– CE, ord. réf., 18 janvier 2020, requête numéro 437733, Association nationale des supporters : JCP A 2020, comm. 2242, note Simonneaux) ;
– Le droit fondamental qu’a tout français de rejoindre le territoire national (CE, ord. réf., 12 mars 2021, requête numéro 449743.- V. aussi dans le cadre du recours pour excès de pouvoir et dans le contexte de la pandémie de covid 19 : CE, 28 janvier 2022, requête numéro 454927, Cornut de Lafontaine de Coincy : AJDA 2022, p. 510, chron. Pradines et Janicot ; JCP A 2022, act. 111, obs. Youhnovsky Sagon) ;
– Le principe du caractère pluraliste de l’expression des courants d’opinion et de pensée (CE, ord. réf., 24 février 2001, requête numéro 230611, Tibéri : Rec., p. 85 ; D. 2001, p. 1748, note Ghevontian ; RFDA 2001, p. 629, note Malignier) ;
– Le droit constitutionnel d’asile et son corollaire, le droit de solliciter le statut de réfugié et de demeurer en France le temps nécessaire à l’examen de la demande (CE, ord. réf., 12 janvier 2001, requête numéro 229039, Hyacinthe : Rec., p. 12 ; AJDA 2001, p. 589, note Morri et Slama ; Droit adm. 2001, comm. 102 ; JCP A 2001, I, comm. 318, obs. Boiteau) ;
– Le principe de libre administration des collectivités territoriales (CE Sect., 18 janvier 2001, requête numéro 229247, Commune de Venelles et Morbelli : Rec., p. 18, concl. Touvet ; AJDA 2001, p. 153, chron. Guyomar et Collin ; D. 2002, somm. comm. p. 227, obs. Vandermeeren ; D. 2001, inf. rap., p. 525 ; RDP 2002, p. 753, obs. Guettier ; LPA février 2001, n°30, note Chahid-Nouraï et Lahami-Depinay ; Droit adm. 2001, comm. 155, obs. L.T.) ;
– Le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants (CE, ord. réf., 23 novembre 2015, requête numéro 394540, Ministre de l’Intérieur et Commune de Calais.- CE, ord. réf., 31 juillet 2017, requête numéro 412125, Commune de Calais et a. : JCP A 2017, 2225, concl. Dieu ; JCP G 2018, 2065, note Le Bot) ;
– La liberté d’association (TA Dijon, 2 mars 2001, Association pour les adultes et jeunes handicapés, comité de l’Yonne : AJDA 2001, p. 783, note Laidié ; Dr. adm. 2001, comm. 153, obs. Sauvageot) ;
– La liberté de culte (CE, ord. réf., 18 mai 2020, requête numéro 440366, requête numéro 440410, requête numéro 440531, requête numéro 440550, requête numéro 440562, requête numéro 440563, requête numéro 440590, préc.) ;
– Le droit au respect de la vie privée (CE, ord. réf., 18 mai 2020, requête numéro 440442, requête numéro 440445, Association La quadratude du net et Ligue des droits de l’homme) ;
– Le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, tel que proclamé par l’article premier de la Charte de l’environnement (CE, ord. réf., 20 septembre 2022, requête numéro 451129, préc.).
En revanche, d’autres libertés n’ont pas été considérées comme fondamentales par le juge administratif.
Exemples :
– CE, ord. réf., 22 octobre 2001, requête numéro 239194, Caillat, Maleczki et Smajlagic et Association Livry-Gargan Handball (D. 2002, somm. p. 2709, obs. Lachaume) : droit de participer à une activité sportive et de concourir aux compétitions organisées par une fédération.
– CE, 29 novembre 2002, requête numéro 247518, Arakino (Rec., p. 422 ; AJDA 2003, p. 1072) : une mesure d’exclusion d’un élève d’un lycée pour motif disciplinaire ne peut être regardée comme portant atteinte à une liberté fondamentale.
– CE, ord. réf., 8 septembre 2005, requête numéro 284803, garde des Sceaux c/B. (Rec., p. 388 ; AJDA 2006, p. 376, note Laudijois ; D. 2006, p. 124, note Bioy) : si la protection de la santé publique constitue un principe à valeur constitutionnelle, il n’en résulte pas que le droit à la santé soit au nombre des libertés fondamentales au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative.
β- Extension aux atteintes portées au droit de propriété
905.- Libertés du propriétaire.- Le droit de propriété n’est pas expressément visé par l’article L. 521-2 du Code de justice administrative. Ceci étant, certains aspects de ce droit sont indirectement protégés par cette procédure.
Exemple :
– CE, ord. réf., 23 mars 2001, requête numéro 231559, Société Lidl (préc.) : une mesure de référé liberté peut être prononcée à l’encontre d’une décision portant atteinte à la libre disposition de son bien par un propriétaire.
– CE, 29 mars 2002, requête numéro 243338, SCI Stephaur (Rec., p. 117 ; AJDA 2003, p. 345, note Grosieux ; D. 2003, p. 1114, note Martin ; JCP G 2002, I, comm. 142, chron. Braconnier et comm. 10179, note Zarka ; RFDA 2003, p. 386, note Lequette) : il en va de même lorsqu’est en cause le droit du locataire de disposer librement des biens pris à bail, qui est qualifié de corollaire du droit de propriété.
Cette solution a ensuite été reprise concernant les atteintes au droit de propriété des personnes publiques qui a été expressément qualifié de liberté fondamentale par le Conseil d’Etat (CE, ord. réf., 9 octobre 2015, requête numéro 393895, Commune de Chambourcy : AJDA 2015, p. 1888, obs. Pastor et AJDA 2015, p. 2388, note Foulquier ; Dr. adm. 2016, comm. 2, note Cornille ; JCP A 2015, comm. 2360, note Pauliat).
γ – Gravité de l’atteinte portée à une liberté fondamentale
906.- Exemples.- L’atteinte à la liberté fondamentale doit être grave, ce qui doit être apprécié au cas par cas par le juge des référés.
Exemples :
– CE Sect., 30 octobre 2001, requête numéro 238211, Dame Tliba (AJDA 2001, p. 1055 ; RFDA 2002, p. 324, concl. de Silva ; JCP G 2002, IV, comm. 2468, obs. Rouault) : la condition de gravité de l’atteinte portée à la liberté de vivre avec sa famille par une décision d’expulsion doit être regardée comme remplie si trois éléments sont présents : la mesure contestée doit pouvoir faire l’objet d’une exécution d’office par l’autorité administrative ; elle ne doit pas être susceptible de recours suspensif devant le juge de l’excès de pouvoir ; elle doit faire directement obstacle à la poursuite de la vie en commun des membres d’une famille. Doit ainsi faire l’objet d’une mesure de suspension, « une mesure d’expulsion du territoire français, susceptible d’une exécution d’office, s’opposant au retour en France de la personne qui en fait l’objet, et prononcée à l’encontre d’un ressortissant étranger qui justifie qu’il mène une vie familiale en France ».
– CE, ord. réf., 2 mai 2001, requête numéro 232997, Ministre de l’Intérieur c. Dziri (Rec., p. 227 ; D. 2001, p. 3478, note Julien-Laferrière ; JCP G 2001, I, comm. 344, obs. Ondoua) : était en cause en l’espèce une demande d’asile qui avait été rejetée par l’administration. Il y avait donc atteinte à une liberté fondamentale. Cependant, cette requête aurait dû être présentée devant un autre Etat, l’administration ne faisant ici que rejeter la possibilité que lui ouvrent les textes de traiter elle-même la demande. L’existence de ce qui est, non pas une obligation, mais une simple faculté, explique que l’atteinte à la liberté fondamentale n’est pas assez grave pour que soit prononcée une mesure d’urgence.
– CE, ord. réf., 3 mai 2005, requête numéro 279999, CFTC : la liberté du salarié de ne pas être astreint à accomplir un travail forcé est une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative. Cependant, pour la mise en œuvre des dispositions de cet article, le degré de gravité que peut revêtir une mesure affectant la liberté du travail doit prendre en compte les limitations de portée générale apportées à cette liberté qui ont été introduites par le législateur pour permettre certaines interventions jugées nécessaires de la puissance publique dans les relations du travail notamment sur la durée du travail, les jours fériés et les congés. La demande du requérant, qui tendait à ce que soit enjoint au ministre de l’Emploi, du Travail et de la Cohésion sociale de suspendre l’exécution de la « journée de solidarité » fixée au lundi de Pentecôte est donc rejetée.
δ- Caractère manifestement illégal de l’atteinte portée à une liberté fondamentale
907.- Notion d’illégalité manifeste.- Le référé liberté est conçu comme une procédure d’exception. Ainsi, l’existence d’une simple illégalité ne suffit pas à permettre sa mise en œuvre. Cette illégalité doit en effet présenter un caractère manifeste.
Exemple :
– CE, ord. réf., 8 septembre 2005, requête numéro 284803, garde des Sceaux (JCP A, act. 568, obs. Rouault) : le consentement libre et éclairé du patient aux soins médicaux qui lui sont prodigués ainsi que le droit de chacun au respect de sa liberté personnelle qui implique en particulier qu’il ne puisse subir de contraintes excédant celles qu’imposent la sauvegarde de l’ordre public ou le respect des droits d’autrui est une liberté fondamentale. Cependant, l’installation d’un détenu atteint d’un cancer du myocarde, avec deux non-fumeurs et un fumeur qui « s’efforce de ne pas fumer en cellule par égard pour ses voisins », n’est pas manifestement illégale.
Il résulte également de la jurisprudence du Conseil d’Etat que n’est pas manifeste, au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative, l’illégalité susceptible d’entacher une décision prise sur le fondement de dispositions comportant une ambiguïté.
Exemple :
– CE, ord. réf., 18 mars 2002, requête numéro 244081, GIE Sport libre (JCP G 2002, I, comm. 142, chron. Boiteau) : est en cause en l’espèce une décision de la ligue nationale de football de lancer une procédure d’appel d’offres pour la commercialisation des droits radiophoniques relatifs aux compétitions qu’elle organise. Il s’agit de déterminer si la commercialisation de ces droits est conforme aux dispositions de la loi du 16 juillet 1984 relative à l’organisation des activités sportives qui prévoit la possibilité de percevoir des droits d’exploitation. Pour les requérants, ce texte ne s’applique qu’aux retransmissions télévisuelles, la loi se référant à la commercialisation « d’images ». Le juge relève cependant que le texte est ambigu puisqu’il se réfère également aux « services de communication audiovisuelle » ce qui peut donc également concerner les radios. Compte tenu de cette ambiguïté, l’illégalité susceptible d’entacher la décision contestée n’est pas manifeste.
908.- Référé liberté et procédure de question prioritaire de constitutionnalité.- Enfin, dans une ordonnance Diakité du 16 juin 2010 (requête numéro 340250, 16 juin 2010 : AJDA 2010, p. 1355, chron. Liéber et Botteghi, note Le Bot ; Constitutions 2010, p. 399, obs. Barthélemy et Boré ; JCP A 2010, act. 510 ; JCP 2010, comm. 739, note Cassia ; Procédures 2010, comm. 332, obs. Deygas ; RTDE 2010, p. 975, chron. Ritleng, Kovar et Bouveresse), le juge du référé liberté du Conseil d’Etat a considéré qu’une question prioritaire de constitutionnalité peut être soulevée devant lui. Il peut, dans cette hypothèse, rejeter la requête pour défaut d’urgence, irrecevabilité ou incompétence de la juridiction administrative. S’il ne rejette pas les conclusions qui lui sont soumises pour l’un de ces motifs, il lui appartient de se prononcer sur la transmission de la question. Il peut aussi prendre immédiatement toutes les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires. A ce stade, il ne s’agit toutefois pas de paralyser l’action du législateur, mais uniquement de vérifier si l’administration ne méconnaît pas la loi de façon grossière. Ce n’est qu’après la réponse du Conseil constitutionnel à la QPC qu’il appartiendra au juge des référés d’en tirer toutes les conséquences (CE Sect., 11 décembre 2015, requête numéro 395009, Domenjoud, préc.).
Il est à noter que cette problématique d’articulation des référés à la procédure de QPC concerne également les autres référés d’urgence de droit commun, c’est-à-dire le référé suspension et le référé mesures utiles.
Le Conseil d’Etat a eu l’occasion de préciser qu’un rejet de la demande en référé, effectué dans le cadre des procédures des articles L. 521-1 et L. 521-2 du Code de justice administrative, ou de la procédure simplifiée visée par l’article L. 522-3 du même code, le dispense d’examen de la question prioritaire de constitutionnalité. Ce rejet emporte en effet refus de transmettre cette question au Conseil d’Etat – si la question est soulevée en première instance – ou au Conseil constitutionnel si elle l’est pour la première fois devant le Conseil d’Etat – que ce soit à l’occasion d’un appel dans le cadre de la procédure de référé liberté, ou d’un pourvoi en cassation dans le cadre des procédures de référé suspension et de référé mesures utiles. Si c’est le Conseil d’Etat qui est saisi, il aura pour seule obligation de respecter le délai de trois mois à compter de la présentation du moyen pour rendre sa décision que lui impose l’article 23-5 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel (CE, 28 janvier 2022, requête numéro 457987, Subirat: Dr. adm. 2022, comm. 21, note Eveillard ; JCP A 2022, act. 135, obs. Friedrich).
La même solution s’applique dans l’hypothèse où, en cassation, le requérant critique également le refus de transmission de la QPC. Dans ce cas « le juge de cassation qui estime, au stade de la procédure d’admission des pourvois en cassation, qu’aucun moyen sérieux n’est de nature à justifier l’admission du pourvoi, peut, les griefs d’inconstitutionnalité étant par suite inopérants, rejeter la contestation du refus de transmission » (CE, 1er février 2022, requête numéro 457121, Dupuch : Dr. adm. 2022, comm. 21, note Eveillard ; JCP A 2022, act. 135, obs. Friedrich).
909.- Référé liberté et ordres juridiques internationaux.- Par ailleurs, il avait été jugé qu’eu égard à l’office du juge du référé liberté, un moyen tiré de l’incompatibilité de dispositions législatives avec les règles du droit de l’Union européenne n’est de nature à être retenu qu’en cas de méconnaissance manifeste des exigences qui découlent du droit de l’Union (CE, ord. réf., 16 juin 2010, requête numéro 340250, Diakité : préc.).
Dans une autre décision, très médiatique, le Conseil d’Etat avait également décidé d’ignorer l’interdiction de connaître en référé d’un moyen tiré de l’incompatibilité de la loi Leonetti relative aux droits de malades et à la fin de vie avec les stipulations de la Convention européenne des droits de l’homme (CE Ass., 24 juin 2014, requête numéro 375081, Lambert et a., préc.- V. également CE Sect., 11 décembre 2015, requête numéro 395009, Domenjoud, préc.).
De même, le Conseil d’Etat avait précisé que « eu égard à l’office du juge des référés, un moyen tiré de la contrariété de la loi à des engagements internationaux n’est pas, en l’absence d’une décision juridictionnelle ayant statué en ce sens, rendue soit par le juge saisi au principal, soit par le juge compétent à titre préjudiciel, susceptible d’être pris en considération ». A contrario, si l’un de ces juges a conclu à l’illégalité des dispositions en cause, le juge du référé liberté est susceptible de retenir l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité des actes administratifs dont la suspension est demandée (CE, 21 octobre 2005, requête numéro 285577, Association aides et a. : Rec., p. 438 ; AJDA 2006, p. 944, note Rihal).
Le principe retenu a donc longtemps été qu’un moyen tiré de la contrariété de la loi à des engagements internationaux n’était pas, en l’absence d’une décision juridictionnelle ayant statué en ce sens, rendue soit par le juge saisi au principal, soit par le juge compétent à titre préjudiciel, susceptible d’être pris en considération. Cette solution, qui n’est ni plus ni moins qu’une réminiscence de la théorie de la loi-écran, est d’abord apparue dans le contentieux du référé suspension (CE, 30 décembre 2002, requête numéro 240430, Ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement c/ Carminati : Rec., p. 510 ; AJDA 2003, p. 1065, obs. Le Bot) et avait ensuite été transposée dans le cadre du référé liberté (CE, ord. réf., 9 décembre 2005, requête numéro 287777, Allouache : Rec., p. 562 ; AJDA 2006, p. 1875, étude Girardot).
Cette solution, dont la rigueur avait déjà été atténuée par les arrêts Diakité, Lambert et Association aides susvisés, a été abandonnée à l’occasion de l’arrêt d’Assemblée Mme. Gonzalez-Gomez du 31 mai 2016 (requête numéro 396848 : Rec., p. 208, concl. Bretonneau ; AJDA 2016, p. 1398, chron. Dutheillet de Lamothe et Odinet ; D. 2016, p. 1472, note Fulchiron ; RFDA 2016, p. 740, concl. Bretonneau, note Delvolvé ; RTD civ. 2016, p. 578, obs. Deumier). Cet arrêt aligne le traitement du droit international ordinaire sur celui qui était déjà appliqué au droit de l’Union. Désormais, en effet, le juge du référé liberté « eu égard à son office, qui consiste à assurer la sauvegarde des libertés fondamentales » peut prendre en cas d’urgence « toutes les mesures qui sont de nature à remédier aux effets résultant d’une atteinte grave et manifestement illégale portée, par une autorité administrative, à une liberté fondamentale, y compris lorsque cette atteinte résulte de l’application de dispositions législatives qui sont manifestement incompatibles avec les engagements européens ou internationaux de la France, ou dont la mise en œuvre entraînerait des conséquences manifestement contraires aux exigences nées de ces engagements ».
L’arrêt Gonzalez-Gomez présente un autre intérêt en ouvrant au juge la possibilité d’opérer un contrôle de conventionnalité concret de la loi. Plus précisément, la démarche du juge se fait en deux étapes. Il opère d’abord un contrôle in abstracto en vérifiant si la règle nationale en elle-même porte ou non atteinte aux droits et libertés en cause et, le cas échéant, si cette atteinte est proportionnée à l’objectif légitime poursuivi par le législateur. Il contrôle ensuite in concreto la conformité de la règle dans son application au cas particulier. Ainsi, dans cette affaire, si la règle nationale est bien conforme à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, son application dans un cas particulier peut causer une atteinte excessive aux droits et libertés de la personne ou des personnes concernées et dans ce cas le droit subjectif du requérant l’emporte sur la règle législative (en l’espèce celle qui interdit les inséminations post-mortem.- V. aussi CE, 28 décembre 2017, requête numéro 396571, Molenat).
III – Référé mesures utiles
910.- Textes.- L’article L. 521-3 du Code de justice administrative prévoit que « en cas d’urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l’absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative ».
Cette procédure, qui avait été instituée par l’ordonnance du 31 juillet 1945 relative à l’organisation du Conseil d’Etat, a été reprise, dans ses grandes lignes, par la loi du 30 juin 2000. Sorte de « boîte à outils », elle permet au juge de prendre une grande variété de décisions, mais sa mise en œuvre est soumise au respect de conditions précises.
A – Mesures prononçables
911.- Variété des mesures prononçables.- Comme l’expose René Chapus, les mesures prononcées par le juge des référés dans le cadre de la procédure de référé mesures utiles « ont pour objet de prévenir la survenance ou l’aggravation d’une situation dommageable, la prolongation d’une situation illicite, ou d’assurer la protection des droits et intérêts d’une partie ou de sauvegarder l’intérêt général » (Droit du contentieux administratif, Montchrestien, ouv. précité, p. 1404).
912.- Injonctions à l’encontre de personnes privées.- Elles consisteront, en général, en des injonctions prononcées à l’encontre de personnes privées, éventuellement assorties d’astreintes.
Exemple :
– CE Sect., 13 juillet 1956, requête numéro 37656, Office HLM de la Seine (Rec., p. 343, concl. Chardeau ; AJDA 1956, II, p. 312, concl. Chardeau et p. 398, chron. Fournier et Braibant ; RDP 1957, p. 296, note Waline) : le juge ordonne à un entrepreneur de travaux publics de rapporter les matériels qu’il a retirés d’un chantier où il travaillait.
Fréquemment ces injonctions pourront être prononcées à l’encontre d’occupants sans titre du domaine public.
Exemple :
– TA Grenoble, ord. réf., 20 Mars 2006, requête numéro 0601123, Université Joseph Fourier, Université Pierre Mendès France, Université Stendhal (AJDA 2006, p. 629, obs. Brondel) : le juge enjoint aux personnes occupant les trois universités grenobloises « de mettre fin au blocage de l’accès à ces bâtiments et de libérer les lieux sans délai ». L’occupation « qui ne permet plus aux personnels enseignants et administratifs comme aux étudiants d’accéder aux locaux fait obstacle au fonctionnement régulier et continu du service public … elle met en cause la sécurité des bâtiments qui n’est plus assurée par des personnes qualifiées ».
913.-Variante en droit des étrangers.- Notons qu’il existe une variante du référé mesures utiles prévu par l’article L. 744-5 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile qui prévoit que lorsqu’il est mis fin à l’accueil d’un demandeur d’asile dans un lieu d’hébergement « l’autorité administrative compétente ou le gestionnaire du lieu d’hébergement peut demander en justice, après mise en demeure restée infructueuse, qu’il soit enjoint à cet occupant sans titre d’évacuer ce lieu ». Le même article renvoie, quant aux règles d’instruction et de jugement, à la procédure du référé mesures utiles. Il prévoit en effet que « la demande est portée devant le président du tribunal administratif, qui statue sur le fondement de l’article L. 521-3 du Code de justice administrative et dont l’ordonnance est immédiatement exécutoire » (V. CE, 21 avril 2017, requête numéro 405164, Ministre de l’Intérieur c/ Gjeta : AJDA 2017, p. 1338, concl. Domino.- CE, 21 avril 2017, requête numéro 406065, Ministre de l’Intérieur c/ Makiese.- CE, 22 mars 2022, requête numéro 450047 : AJDA 2022, p. 656).
914.- Injonctions à l’encontre de personnes publiques.- Plus rarement, les injonctions seront prononcées à l’encontre de personnes publiques.
Exemples :
– CE Sect., 6 février 2004, requête numéro 256719, Masier (Rec., p. 45 ; RDP 2005, p. 521, obs. Guettier ; RFDA 2004, p. 1170, concl. Stahl ; Collectivités-Intercommunalité 2004, comm. 92, obs. Pelissier ; JCP A 2004, comm. 1180, obs. Noguellou ; Dr. adm. 2004, comm. 221) : le juge peut, sur le fondement de l’article L. 521-3 du Code de justice administrative, et alors que des travaux étaient en cours malgré un référé suspension, suivi de l’annulation du permis construire, enjoindre à l’administration de procéder à un procès-verbal, de prononcer l’interruption desdits travaux et de transmettre copie dudit procès-verbal au procureur de la République.
– CE, 5 mars 2018, requête numéro 414859, M. A…B… (AJDA 2018, p. 801, concl. Bretonneau) : les données archivées par un détenu sur ses comptes de messagerie électronique doivent être regardés comme des biens personnels. Eu égard à sa qualité de détenu, le requérant ne pouvait être autorisé à utiliser un ordinateur connecté à un réseau informatique relié avec l’extérieur du centre de détention afin d’accéder à ses comptes de messagerie électronique pour prévenir la destruction des données y figurant et en conserver l’usage. Dans ces conditions, les demandes formées par l’intéressé, qui présentent un caractère conservatoire et ne font obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative, notamment de refus, sont, sous réserve de l’existence d’une situation d’urgence, de leur utilité pour la sauvegarde du droit mis en cause et de l’absence de contestation sérieuse, au nombre de celles dont peut être saisi le juge des référés sur le fondement de l’article L. 521-3 du Code de justice administrative.
– CE, 23 septembre 2019, requête numéro 427923, garde des Sceaux : lorsque la loi attache un caractère suspensif à l’exercice d’un recours administratif ou contentieux, l’exécution de la décision qui fait l’objet de ce recours ne peut plus être poursuivie jusqu’à ce qu’il ait été statué sur ce recours. Si, malgré cela, l’administration poursuit l’exécution de la décision en dépit d’un recours, c’est alors sans faire obstacle à l’exécution de cette décision, en principe déjà paralysée, en vertu de la loi, par l’effet même du recours, que le juge des référés peut, sur le fondement de l’article L. 521-3 du Code de justice administrative, prescrire à l’administration, à titre provisoire dans l’attente d’une décision se prononçant sur le bien-fondé du recours, toutes mesures justifiées par l’urgence propres à faire cesser la méconnaissance du caractère suspensif du recours.
915.- Des mesures provisoires et conservatoires.- Il ne faut pas non plus perdre de vue que le juge du référé mesures utiles est aussi un juge du provisoire, comme le rappelle la lettre de l’article L. 511-1 du Code de justice administrative. Ainsi, il ne peut ordonner que des mesures « de nature provisoire ou conservatoire » (CE, 29 avril 2002, requête numéro 240322, Capellari : Rec. tables, p. 876).
Exemple :
– CE Sect., 27 mars 2015, requête numéro 385332, Section française de l’Observatoire international des prisons : une demande tendant à ce qu’il soit enjoint à l’administration pénitentiaire de mettre en place, au sein d’un établissement soit, à titre principal, un comité consultatif des personnes détenues, soit, à titre subsidiaire, un cahier de doléances ou, à défaut, de prendre toutes autres mesures utiles d’organisation du service permettant une expression collective des détenus sur les problèmes de leur vie quotidienne ainsi que sur leurs conditions de détention ne peut qu’être rejetée, ces mesures, qui revêtent le caractère de mesures réglementaires, n’étant pas de celles qu’il appartient au juge des référés de l’article L. 521-3 du Code de justice administrative d’ordonner.
B – Conditions
916.- Enoncé des conditions.- Le juge des référés est susceptible de prononcer une mesure conservatoire lorsque trois conditions sont réunies : il faut qu’il y ait une situation d’urgence, que la mesure requise soit utile et qu’elle ne fasse pas échec à l’exécution d’une décision administrative.
1° Urgence
917.- Appréciation de l’urgence.- Il est nécessaire, tout d’abord, qu’il y ait urgence, c’est-à-dire que le comportement litigieux soit de nature à créer une situation dommageable ou une situation dangereuse difficilement réversible.
Le Conseil d’Etat a pu préciser que le juge du référé mesures utiles ne pouvait pas subordonner la reconnaissance de l’urgence au caractère irréversible de la situation invoquée par le demandeur (CE, 26 octobre 2005, requête numéro 279441, Société des crématoriums de France : Rec., p. 447).
La façon dont est appréhendée l’urgence dans le cadre de cette procédure s’apparente donc à la façon dont elle est appréhendée dans le cadre du référé suspension, de manière globale et concrète, ce qui donne nécessairement lieu – là encore – à une jurisprudence casuistique.
Exemples :
– CE Sect., 18 juillet 2006, requête numéro 283474, Elissondo Labat (Rec., p. 369 ; AJDA 2006, p. 1839, chron. Landais et Lenica ; RFDA 2007, p. 314, concl. Chauvaux) : en vue de « prévenir ou faire cesser un dommage dont l’imputabilité à des travaux publics ou à un ouvrage public ne se heurte à aucune contestation sérieuse », le juge des référés peut « enjoindre au responsable du dommage de prendre des mesures conservatoires destinées à faire échec ou mettre un terme aux dangers immédiats présentés par l’état de l’immeuble ».
– CE, 11 avril 2012, requête numéro 355356, Société Prathotels : la poursuite sur le domaine public de l’activité de la société requérante, en violation tant des dispositions régissant l’occupation du domaine public que des règles de police administrative en matière d’hygiène et de sécurité, circonstances ayant conduit à la fermeture de l’établissement, constituait un trouble manifeste à l’ordre public qu’il était urgent de faire cesser.
– CE, 28 février 2019, requête numéro 424005 : le juge des référés, peut pour prévenir ou faire cesser un dommage dont l’imputabilité à des travaux publics ou à un ouvrage public ne se heurte à aucune contestation sérieuse, enjoindre au responsable du dommage de prendre des mesures conservatoires destinées à faire échec ou mettre un terme à des dangers immédiats.
918.- Cas particulier de l’occupation non autorisée de la zone des cinquante pas géométriques.- Par exception aux règles de droit commun, l’article L. 521-3-1 du Code de justice administrative précise que la condition d’urgence n’est pas requise en cas de requête relative à une occupation non autorisée de la zone des cinquante pas géométriques, ce qui renvoie à la protection du domaine public maritime outre-mer. Toutefois, lorsque la demande tend à l’expulsion d’occupants sans titre d’une parcelle du domaine public provenant pour partie seulement de la zone des cinquante pas géométriques, la condition d’urgence demeure requise pour l’autre partie de la parcelle (CE, 3 décembre 2014, requête numéro 375364, Province sud de Nouvelle-Calédonie). Le même article précise qu’en cas d’évacuation forcée, l’autorité chargée de l’exécution de la décision du juge doit s’efforcer par tous moyens de proposer un relogement aux occupants sans titre en situation régulière sur le territoire national. Dès lors qu’une proposition adaptée de relogement a été faite, le juge peut ensuite ordonner la démolition de la construction illégale.
2° Utilité de la mesure requise
919.- Notion de mesure utile.- La mesure doit être « utile », ce qui implique principalement que le juge des référés n’a pas la possibilité de prendre une mesure que l’administration pourrait prendre elle-même, en vertu de la jurisprudence Préfet de l’Eure (CE, 30 mai 1913, requête numéro 47115 : S. 1915, III, p. 9, note Hauriou).
Exemple :
– CE, 15 novembre 2006, requête numéro 293370, Ministre des Transports, de l’Equipement, du Tourisme et de la Mer (Rec., p. 464 ; Dr. adm. 2007, comm. 6) : le juge judiciaire est compétent pour connaître de la demande d’une commune visant à ce que soit ordonnée l’évacuation de « résidences mobiles » stationnées sur une propriété privée ou publique située sur son territoire dans l’hypothèse où ce stationnement méconnaîtrait un arrêté d’interdiction de stationnement, ou risquerait de porter atteinte à la salubrité, à la sécurité ou à la tranquillité publiques. Les juges estiment néanmoins que les textes en vigueur n’ont pas pour effet de priver un « propriétaire public, autre que la commune, ou un propriétaire privé de la faculté de faire valoir ses droits en cas d’occupation sans droit ni titre par des résidences mobiles d’un bien lui appartenant ». En cas d’occupation sans titre de terrains appartenant au domaine public de l’Etat, le juge administratif peut donc être saisi dans le cadre de la procédure de l’article L. 521-3 du Code de justice administrative.
L’utilité de la mesure sollicitée s’apprécie également eu égard à l’existence d’un recours au fond. Ainsi, un référé mesures utiles ne peut être utilisé pour obtenir la communication d’un document administratif dans le cas où un recours au fond a déjà été formé, le juge du fond pouvant ordonner cette communication en vertu des pouvoirs généraux d’instruction dont il dispose (CE, 20 février 2012, requête numéro 353134, Valery : Dr. adm. 2012, comm. 58, note Ferrari). Une solution comparable a été retenue dans une affaire où l’expertise sollicitée avait déjà été diligentée dans le cadre d’une procédure de règlement amiable (CE, 4 octobre 2010, requête numéro 332836, Jeljeli : Rec. tables, p. 896).
En revanche, l’existence d’une procédure spéciale d’expulsion des gens du voyage occupant irrégulièrement un terrain prévue par II de l’article 9 de la loi n°2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, n’empêche pas le propriétaire de ce terrain, lorsque ce dernier appartient au domaine public, d’utiliser la procédure de référé mesures utiles (CE, 16 juillet 2020, requête numéro 437113, Département de l’Essonne : Dr. adm. 2020, comm. 49, note Eveillard).
Enfin, l’utilité de la mesure doit également s’apprécier au regard des autres procédures que le requérant aurait pu utiliser. En effet, le référé mesures utiles présente un caractère subsidiaire par rapport au référé suspension et au référé liberté (CE Sect., 27 mars 2015, requête numéro 385332, Section française de l’Observatoire international des prisons ; Rec., p. 132, concl. Crepey ; AJDA 2015, p. 979, chron. Lessi et Dutheillet de Lamothe ; Dr. adm. 2015, comm. 47, note Eveillard ; JCP A 2015, act. 321, obs. Langelier ; RFDA 2015, p. 491). Par conséquent, « le juge saisi sur ce fondement ne peut prescrire les mesures qui lui sont demandées lorsque leurs effets pourraient être obtenus par les procédures de référé régies par les articles L. 521-1 et L 521-2 » (CE Sect., 5 février 2016, requête numéro 393540, Benabdellah : AJDA 2016, p. 474, chron. Dutheillet de Lamothe et Odinet ; Dr. adm. 2016, comm. 29, note Eveillard ; JCP A 2016, act. 125, obs. Touzeil-Divina et 2205, note Barque). Ainsi, en principe, dans le cas où un administré se plaint de l’inaction de l’administration, il lui appartient au préalable de l’inviter à agir ce qui lui permet, en cas de décision de refus implicite ou expresse, de contester cette décision par la voie d’un référé suspension.
Exemple :
– CE, 23 octobre 2015, requête numéro 383938, Selarl Docteur Debray : eu égard à son objet et aux pouvoirs que le juge des référés tient des articles L. 521-1 et L. 521-2 du Code de justice administrative, une demande tendant à ce qu’il soit ordonné à l’autorité compétente d’édicter des mesures générales de réglementation d’un secteur et de contrôle de leur mise en œuvre, alors que de telles mesures peuvent être sollicitées de l’autorité administrative compétente et que, en cas de refus, celui-ci peut être contesté devant la juridiction administrative par la voie d’une requête en annulation assortie, le cas échéant, d’une demande de suspension, n’est pas au nombre des mesures qui peuvent être présentées au juge des référés sur le fondement de l’article L. 521-3 du Code de justice administrative.
3° Absence d’obstacle à l’exécution d’une décision administrative
920.- Une condition difficile à remplir lorsque c’est l’administration qui est en cause.- Cette condition limite fortement la possibilité pour le juge de prononcer des injonctions à l’encontre de l’administration.
Exemple :
– CE, 30 décembre 2002, requête numéro 248787, Commune de Pont-Audemer : en ordonnant à un maire d’interrompre les travaux de démolition entrepris par la commune sur un bien relevant de son domaine public, le juge des référés, saisi en application de l’article L. 521-3 du Code de justice administrative, fait obstacle à l’exécution d’une décision administrative révélée par l’engagement desdits travaux et excède ainsi les compétences qu’il tenait de cet article.
Elle s’applique y compris pour une décision refusant d’adopter les mesures ensuite demandées au juge, sauf en matière de travaux publics (CE Sect., 18 juillet 2006, requête numéro 283474, Elissondo Labat, préc.), ce qui s’expliquait par le fait que ce contentieux était dispensé de la règle de la décision préalable. Cette solution devrait toutefois être remise en cause dès lors que le décret n°2016-1480 du 2 novembre 2016, modifiant l’article R. 421-1 du Code de justice administrative ne soustrait plus le contentieux des travaux publics à cette règle.
Dans les autres contentieux, toutefois, cette condition continue à être écartée dans l’hypothèse où la saisine du juge des référés a pour objet de « prévenir un péril grave » (CE Sect., 5 février 2016, requête numéro 393540, Benabdellah, préc.). Cette notion est toutefois appréciée de façon stricte par le juge.
Exemple :
– CE, 17 août 2022, requête numéro 464622, requête numéro 464652, requête numéro 464743, requête numéro 464760 requête numéro 464763, Société Orange et a. (JCP A 2022, act. 531, obs. Erstein ; JCP A 2023, comm. 2041, note Boda) : le juge du référé mesures utiles ne peut pas ordonner la suspension du fonctionnement de stations radioélectriques de téléphonie mobile dans le cadre d’un litige principal porté devant la juridiction judiciaire opposant les opérateurs à des riverains pour troubles anormaux de voisinage. En effet, la suspension demandée aurait pour effet d’interrompre la mise en oeuvre des obligations imposées par l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse et par arrêté ministériel de fournir des services de radiotéléphonie sur certains territoires. La preuve d’un « péril grave » qui résulterait du taux de mortalité du cheptel et de ma la baisse de la production laitière n’est pas rapportée.
Relevons également qu’une décision prise postérieurement à la saisine du juge n’a pas pour effet de rendre irrecevable la requête (CE, 28 novembre 2018, requête numéro 420343, Fock Sho Thien).
En dehors de ce cas particulier, la procédure de référé mesures utiles, lorsqu’elle est utilisée par un administré à l’encontre de l’administration est pratiquement limitée aux demandes de communication de documents détenus par elle.
Toutefois, les décisions qui accordent des autorisations et qui, ainsi, n’ont pas de caractère impératif, peuvent également donner lieu à une procédure de référé mesures utiles.
Exemple :
– CE, 16 janvier 1985, requête numéro 57106, Codorniu (Rec. tables, p. 176 ; Dr. adm. 1985, comm. 205) : le juge peut prescrire la suspension de travaux autorisés par un permis de construire devenu définitif jusqu’à ce que soit tranchée la question de l’appartenance de la parcelle litigieuse au domaine public maritime.
Il en va de même lorsqu’il s’agit d’enjoindre à l’administration de ne pas exécuter une décision administrative lorsqu’elle celle-ci a fait l’objet d’un recours suspensif sur lequel il n’a pas été statué au fond (CE, 23 septembre 2019, requête numéro 427923, garde des Sceaux, préc.)
§II – Référés de droit commun non conditionnés par l’urgence
921. Procédures concernées.- Même si elles ne sont pas conditionnées par l’urgence, ces procédures de droit commun donneront également lieu à un jugement rapide par un juge unique qui statuera au terme d’une procédure allégée. On distingue à ce titre : le référé constat, le référé instruction et le référé provision.
I – Référé constat
922.- Définition.- Selon l’article R. 531-1 du Code de justice administrative « s’il n’est rien demandé de plus que la constatation de faits, le juge des référés peut, sur simple requête qui peut être présentée sans ministère d’avocat et même en l’absence d’une décision administrative préalable, désigner un expert pour constater sans délai les faits qui seraient susceptibles de donner lieu à un litige devant la juridiction ». Depuis l’entrée en vigueur du décret n°2013-730 du 13 août 2013 il peut désigner une personne figurant sur le tableau d’expert auprès de la cour administrative d’appel ou toute autre personne de son choix.
923.- Recevabilité.- La recevabilité du référé constat est conditionnée par l’utilité de la mesure sollicitée. Cette condition s’apprécie, comme c’est normal en référé, à la date à laquelle le juge statue. Le Conseil d’Etat a pu ainsi récemment préciser que « ne présente pas de caractère utile une mesure qui se rapporte à des faits révolus dont les conséquences ne peuvent plus être constatées à la date à laquelle il est statué sur la demande » (CE, 13 mars 2019, requête numéro 418101). De façon tout à fait dérogatoire, et puisqu’il s’agit uniquement de faire constater des faits par un expert, cette procédure n’est pas soumise au respect du principe du contradictoire. Le juge des référés a pour simple obligation d’aviser de l’ordonnance les défendeurs éventuels. Toutefois, rien n’empêche le juge des référés d’organiser la contradiction (CE, 9 janvier 1985, requête numéro 58067, Société manufacture du Val de Vienne : Rec., p. 8 ; AJDA 2005, p. 235, note Moreau ; JCP 1986, comm. 205489, note Gohin). L’ordonnance est susceptible d’appel devant la cour administrative d’appel dans la quinzaine de sa notification (Code de justice administrative, art. R. 533-1).
II – Référé instruction
924.- Définition et conditions.- L’article R. 532-1 du Code de justice administrative prévoit que « le juge des référés peut, sur simple requête et même en l’absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d’expertise ou d’instruction ». Ceci lui permettra notamment d’enjoindre à l’administration de communiquer les motifs d’une décision, comme cela avait déjà été admis par le Conseil d’Etat à l’occasion des arrêts d’Assemblée Barel et a. du 28 mai 1954 (requête numéro 28238, requête numéro 28493, requête numéro 28524, requête numéro 30237, requête numéro 28238, requête numéro 28493, requête numéro 28524, requête numéro 30237, requête numéro 30256, préc.). En outre, ce pouvoir d’injonction peut également être mis en œuvre à l’égard de tiers et des administrations en vue qu’ils communiquent des pièces, documents ou informations nécessaires à la vérification des allégations des parties. Dans cette hypothèse, le juge devra soumettre le résultat de ses investigations à la contradiction des parties, dans la limite du respect des secrets protégés par la loi (CE Sect., 1er octobre 2014, requête numéro 349560, Erden : Rec., p. 288, concl. Hédéry ; AJDA 2014, p. 2185, note Lessi et Dutheillet de Lamothe ; Dr. adm. 2015, comm. 2, note Eveillard).
Le Conseil d’Etat a récemment précisé que la demande adressée au juge des référés d’ordonner une expertise sur le fondement de l’article R. 532-1 du code de justice administrative n’interrompt pas le délai de recours contentieux (CE, 28 septembre 2020, requête numéro 425630).
La mesure prononcée peut faire l’objet d’un appel dans un délai de 15 jours à l’issue duquel le président de la cour, ou le magistrat délégué par lui, pourra immédiatement suspendre provisoirement l’exécution de l’ordonnance si elle est « de nature à préjudicier gravement à un intérêt public ou aux droits de l’appelant » (Code de justice administrative, art. R. 533-2).
La seule condition posée par le texte est que la mesure d’instruction soit utile au règlement du litige principal. Il résulte de la jurisprudence que « l’utilité d’une mesure d’instruction ou d’expertise … doit être appréciée dans la perspective d’un litige principal, actuel ou éventuel, relevant lui-même de la compétence de la juridiction à laquelle ce juge appartient, et auquel cette mesure est susceptible de se rattacher » (CE, 30 décembre 2002, requête numéro 241793, Office public d’habitation de Nice et des Alpes-Maritimes : AJDA 2013, p. 960. – CE, 12 avril 2013, requête numéro 363282, SCI Châlet des Aulnes : Dr. adm. 2013, comm. 51, note Gillig).
Exemples :
– CAA Marseille, 21 octobre 2003, requête numéro 03MA00560, SA G. Vila et Cie : présente un caractère utile une mesure d’expertise visant à déterminer et évaluer les travaux de remise en état d’une grotte, à constater les désordres et dégradations et les disparitions de mobilier et à définir les mesures propres à y remédier ainsi que leur coût.
– CAA Bordeaux, 26 mars 2001, requête numéro 00BX01760, Lurton c. Commune de Haims : est inutile une demande d’expertise visant à établir un rapport entre des travaux d’entretien de fossés et l’inaccessibilité à des parcelles privées, ce lien étant évident et non contesté par la commune défenderesse.
– CE, 23 décembre 2016, requête numéro 401066, Davillé : est utile, dans un litige de responsabilité hospitalière, une mesure ordonnant une expertise judiciaire sur des faits qui ont donné lieu à une expertise amiable dès lors que celle-ci n’a pas présenté pas des garanties suffisantes d’objectivité.
Toutefois, même si cela n’est pas expressément visé par les textes, le juge n’a pas la possibilité de confier à un expert une mission comportant l’examen de questions de droit, celui-ci devant se borner à des constatations factuelles.
Exemple :
– CAA Paris, 27 novembre 2001, requête numéro 01PA02498, Port autonome de Paris : par l’ordonnance attaquée, le juge des référés avait donné pour mission à l’expert de fournir « les éléments susceptibles de caractériser les éventuelles fautes » du requérant. Même si cette mesure est utile au sens de l’article R. 532-1 du Code de justice administrative, elle implique qu’une appréciation soit portée par l’expert sur la qualification des faits constatés au cours de ses investigations, ce qui a pour effet de lui donner pour mission de trancher des questions de droit. L’ordonnance contestée est donc annulée.
III – Référé provision
925.- Définition et conditions.- L’article R. 541-1 du Code de justice administrative prévoit que « le juge des référés peut, même en l’absence d’une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l’a saisi lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Il peut, même d’office, subordonner le versement de la provision à la constitution d’une garantie ».
Cette procédure est l’équivalent du référé provision judiciaire qui est visé par l’article 849 du Code de procédure civile. Elle permet au requérant d’obtenir une avance sur les sommes qui leur seront allouées, en attendant que le montant exact de leur créance soit déterminé.
Toutefois, en application de jurisprudence Préfet de l’Eure (requête numéro 47115, préc.), cette procédure n’est en principe pas ouverte aux personnes publiques. Ainsi, est irrecevable une demande présentée par une personne publique qui aurait dû établir un état exécutoire susceptible de recouvrement forcé à l’encontre d’un usager avec qui elle n’était pas dans une situation contractuelle (CE, 3 février 2016, requête numéro 388643, Hôpital de Prades : JCPA 2016, comm. 2225, note Kerdéis-Cardinet ; RDSS 2016, p. 332, note Decout-Paolini). En revanche, une personne publique peut saisir le juge du référé provision au titre d’une créance d’origine contractuelle (CE, 24 février 2016, requête numéro 395194, Département de l’Eure : JCPA 2016, comm. 2073, note Colmant).
Le décret nº2000-1115 du 22 novembre 2000 ayant supprimé la condition tenant à l’exigence d’une « demande au fond », le succès du référé dépend désormais exclusivement de l’existence d’une obligation non sérieusement contestable.
L’ordonnance par laquelle le juge des référés accorde une provision constitue un titre exécutoire dont le recouvrement peut être poursuivi directement. De fait, si les décisions du juge des référés n’ont pas au principal l’autorité de la chose jugée, elles sont néanmoins exécutoires, conformément aux principes rappelés à l’article L. 11 du Code de justice administrative. En toute logique, un titre émis aux mêmes fins par l’ordonnateur de la collectivité n’a pas de portée juridique propre et ne peut recevoir aucune exécution en cas d’annulation de l’ordonnance du juge des référés (CE, 22 juillet 2020, requête numéro 426210, Société immobilière Massimi).
L’ordonnance peut faire l’objet d’un appel devant la cour administrative d’appel dans la quinzaine de sa notification (Code de justice administrative, art. R. 541-3). C’est toutefois un recours en cassation qui doit être exercé dans les hypothèses où l’obligation dont le requérant se prévaut pour demander la provision se rattache à l’une des matières qui, au fond, sont jugées en premier et dernier ressort par le tribunal administratif (CE, 9 décembre 2015, requête numéro 391626, Commune du Cannet et a. : Procédures 2016, comm. 78, note Deygas).
§III – Référés spéciaux
926.- Multiplicité des référés spéciaux.- Il existe de nombreuses procédures d’urgence spécifiques qui se caractérisent, pour la plupart, par un allégement des conditions d’obtention d’une mesure d’urgence exigées dans le cadre des procédures de droit commun.
927.- Référé et déféré préfectoral.- En premier lieu, le préfet peut assortir ses déférés en annulation des actes des collectivités territoriales d’une demande de suspension. Contrairement à la procédure de référé suspension de droit commun, la condition d’urgence n’est pas exigée. L’article L. 554-1 du Code de justice administrative, qui renvoie à l’article L. 2131-6, al. 3 du Code général des collectivités territoriales, prévoit en effet qu’il « est fait droit à cette demande si l’un des moyens invoqués paraît, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’acte attaqué ». Le juge des référés dispose d’un délai d’un mois pour statuer.
Par ailleurs, selon l’article L. 554-3 du Code de justice administrative, qui renvoie à l’article L. 2131-6, al. 5 du Code général des collectivités territoriales, « lorsque l’acte attaqué est de nature à compromettre l’exercice d’une liberté publique ou individuelle, le président du tribunal administratif ou le magistrat délégué à cet effet en prononce la suspension dans les quarante-huit heures ». La décision relative au sursis peut faire l’objet d’un appel devant le Conseil d’Etat dans la quinzaine de sa notification et dans ce cas, le juge des référés doit statuer dans un délai de 48 heures. Il s’agit donc ici d’une procédure qui est très proche de celle de référé liberté, mais qui ne peut viser qu’à obtenir la suspension d’un acte. Par ailleurs, cette procédure protège les « libertés publiques ou individuelles » alors que le référé liberté protège les « libertés fondamentales », ce qui est plus restrictif. Il existe également des procédures de suspension automatique en matière d’urbanisme, de marchés ou de délégations de service public (Code de justice administrative, art. L. 554-2. – renvoyant à Code général des collectivités territoriales, art. L. 2131-6, al. 4), ainsi que pour les actes pris dans le cadre d’une expérimentation normative (Code général des collectivités territoriales, art. LO 1113-4). Plus récemment ce régime de suspension automatique a été étendu aux actes de nature « à porter gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics » par la loi confortant le respect des principes de la République.
928.- Référé précontractuel.- La procédure de référé précontractuel visée par les articles L. 551-1 et suivants du Code de justice administrative permet quant à elle de censurer la violation des règles de publicité et de mise en concurrence qui doivent être respectées préalablement à la conclusion de certains contrats administratifs notamment ceux « qui ont pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, la délégation d’un service public ou la sélection d’un actionnaire opérateur économique d’une société d’économie mixte à opération unique». Le juge pourra ordonner à l’auteur du manquement « de se conformer à ses obligations et suspendre l’exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s’il estime, en considération de l’ensemble des intérêts susceptibles d’être lésés et notamment de l’intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l’emporter sur leurs avantages » (Code de justice administrative, art. L. 551-2). Il a également la possibilité d’annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations.
929.- Référé contractuel.- Il existe également une procédure de référé contractuel, visée par les articles L. 551-13 et suivants du Code de justice administrative, qui peut s’exercer après la conclusion du contrat par les personnes « qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d’être lésées par des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sont soumis ces contrats, ainsi que le représentant de l’Etat dans le cas des contrats passés par une collectivité territoriale ou un établissement public local » (CJA, art. L. 551-14). Le juge dispose d’une large gamme de pouvoirs qui vont de l’annulation du contrat – qu’il prononce obligatoirement dans certains cas notamment en l’absence de mesures de publicité (CJA, art. L. 551-18) – jusqu’à une simple pénalité financière (CJA, art. L. 551-19).
930.- Référé en matière d’aménagement.- La suspension d’une décision d’aménagement soumise à une enquête publique préalable prise après des conclusions défavorables du commissaire enquêteur ou de la commission d’enquête est accordée si cette demande comporte un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de celle-ci (Code de justice administrative, art. L. 554-12 renvoyant au Code de l’environnement, art. L. 123-16). Le Conseil d’Etat a toutefois décidé que le juge des référés pouvait ne pas prononcer la suspension de la décision, alors même que toutes les conditions susvisées sont remplies, dès lors que cette suspension « porterait à l’intérêt général une atteinte d’une particulière gravité » (CE, 16 avril 2012, requête numéro 355792, Commune de Conflans-Sainte-Honorine : Dr. adm. 2012, comm. 59, note Melleray ; RGD mai 2012, note Cossalter). Le même article précise également que le juge des référés fait droit à toute demande de suspension d’une décision prise sans que l’enquête publique requise ait eu lieu ou en l’absence d’évaluation environnementale, d’étude d’impact ou des documents visés aux articles L. 122-1-1 et L. 122-8 du Code de l’environnement s’ils sont exigés.
931.- Référé « secret des affaires ».- Le référé « secret des affaires » a été institué devant les juridictions administratives par la loi n°2018-670 du 30 juillet 2018. Cette loi transpose la directive 2016/943 du 8 juin 2016 relative à la protection du secret des affaires dont l’article 10 précise que « Les Etats membres veillent à ce que les autorités judiciaires compétentes puissent, à la demande du détenteur de secrets d’affaires, ordonner une ou plusieurs des mesures provisoires et conservatoires (…) à l’encontre du contrevenant supposé » (Cons. UE, dir. 2016/943, 8 juin 2016, relative à la protection du secret des affaires, art. 10). Cette procédure est codifiée aux articles L. 77-13-1 et R. 557-3 du Code de justive administrative. L’article L. 77-13-1 précise que « lorsque les actions tendant à prévenir, faire cesser ou réparer une atteinte portée au secret des affaires relèvent de la juridiction administrative, le juge peut mettre en œuvre les mesures prévues au chapitre II du titre V du livre Ier du code de commerce, sous réserve des adaptations réglementaires nécessaires ». Plus précisément il peut prendre toutes sortes de mesures prévues par l’article R. 152-1 du Code de commerce : interdiction d’actes d’utilisation ou de divulgation d’un secret des affaires, interdiction d’actes de production, d’offre, de mise sur le marché ou d’utilisation des produits soupçonnés de résulter d’une atteinte significative à un secret des affaires, etc. (V. CE, 10 février 2022, requête numéro 456503, CHU de Pointe-à-Pitre : JCP A 2022, act. 153 ; Dr. adm. 2022, alerte 54).
932.- Autres procédures de référé.- Il existe enfin des référés spéciaux en matière fiscale (Code de justice administrative, art. L. 552-1 et L. 552-3) et en matière de communication audiovisuelle et électronique (Code de justice administrative, art. L. 553-1). Dans la partie réglementaire du code sont également visés le référé en matière de sécurité des immeubles, locaux et installations (Code de justice administrative, art. R. 556-1) et le référé sur saisine du défenseur des droits (Code de justice administrative, art. R. 557-1 et s.). Il existe enfin des règles spéciales, concernant les recours relatifs aux conditions de détention (Code de justice administrative, art. R. 559-1 et s.).
Pour aller plus loin :
– Bailleul (D.), Les nouvelles méthodes du juge administratif : AJDA 2004, p. 1626.
– Blanco (F.), L’action de groupe en reconnaissance de responsabilité devant le juge administratif : AJDA 2016, p. 2256.
– Blanco (F.), La redécouverte du recours en interprétation des jugements sur renvoi de l’autorité judiciaire, AJDA 2018, p. 73.
– Broyelle (C.), De l’injonction légale à l’injonction prétorienne : le retour du juge administrateur : Droit adm. 2004, comm. 6.
– Broyelle (C.), Regard sur le référé-liberté à l’occasion de la crise sanitaire.
– Chifflot (N.), Accès collectif au juge administratif : l’action de groupe et l’action en reconnaissance de droits : Procédures 2017, étude 5.
– Defoort (B.), Retour sur six ans d’application du décret JADE : bilan et perspectives : Dr. adm. 2022, étude 13.
–Derosier (J.-P), La nouvelle réforme de la justice administrative. – Le décret du 13 août 2013 portant modification de la partie réglementaire du Code de justice administrative : JCPA 2013, comm. 2022.
– Dubos (O.), Melleray (F.), La modulation dans le temps des effets de l’annulation d’un acte administratif : Droit adm. 2004, étude n°15.
– Frier (P.-L.), L’ordre de recettes, acte charnière : RFDA 1987, p. 130 et p. 315.
– Ghevontian (R.), Un labyrinthe juridique : le contentieux des actes préparatoires en matière d’élections politiques : RFDA 1994, p. 793.
– Giraud (C.), Le pouvoir de réformation du juge administratif : RDP 2018, p. 1597.
– Glenard (C.), Les critères d’identification d’une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative : AJDA 2003, p. 2008.
– Hecquard-Theron (M.), De l’intérêt collectif : AJDA 1986, p. 65.
– Janicot (L.), Réflexions sur une nouvelle voie entre l’annulation sèche et l’annulation différée : la définition de règles provisoires par le juge de l’excès de pouvoir : RFDA 2021, p. 41.
– Laligant (M.), La notion d’intérêt pour agir et le juge administratif : RDP 1971, p. 43.
– Lepetit-Collin (H.), Perrin (A.), La distinction des recours contentieux en matière administrative. Nouvelles perspectives : RFDA 2011, p. 813.
– Lessi (J.), Dutheillet de Lamothe (O.), chron. sur CE Sect., 1er octobre 2014, Erden : AJDA 2014, p. 2185.
– Mazi (I.-G.), L’effet dévolutif de l’appel et l’évocation dans la procédure administrative contentieuse : RDP 2018, p. 1061.
– Melleray (F.), La distinction des contentieux est-elle un archaïsme ? : JCPA 2005, 1296.
– Mamoudy (O.), L’action en reconnaissance de droits : AJDA 2016, p.2264.
– Mignon (M.), Une évolution inachevée : la notion d’intérêt ouvrant le recours pour excès de pouvoir : D. 1953, chron. p. 121.
– Nandan (V.), Quelques remarques sur l’utilité d’une modulation à l’envers : l’inexistence en question, Dr. Adm. 2010, étude 12.
– Pacteau (B.), Du recours pour excès de pouvoir au recours de pleine juridiction ? : Rev. adm., numéro spécial 1999, p. 51.
– Renaudie (O.), L’intérêt à agir : coll. Au cœur du débat, Berger-Levrault 2016 (dir.).
– Tercinet (J.), Le retour de l’exception de recours parallèle : RFDA 1993, p.115.
– Toutée (H.), L’intérêt pour agir des syndicats pour la défense des intérêts individuels de leurs membres : RFDA 1993, p. 250.
– Truchet (D.), Office du juge et distinction des contentieux : renoncer aux branches : RFDA 2015, p. 657.
– Vier (Ch.-L), Le rapporteur public et la simplification, paradoxes d’une réforme : AJDA 2011, p. 1189.
– Waline (J.), Plein contentieux et excès de pouvoir : RDP 2015, p. 1551.
– Waline (M.), Vers un reclassement des recours contentieux ? : RDP 1935, p. 305.
Table des matières