Conseil d’État
N° 405476
ECLI:FR:CEORD:2016:405476.20161206
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
lecture du mardi 6 décembre 2016
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Vu la procédure suivante :
L’association islamique Malik Ibn Anas a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Versailles, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l’exécution de l’arrêté du 2 novembre 2016 par lequel le préfet des Yvelines a ordonné la fermeture de la salle de prière dite » mosquée d’Ecquevilly « , située 7 rue Jules Ferry, à Ecquevilly, jusqu’à la fin de l’état d’urgence, sur le fondement de l’article 8 de la loi du 3 avril 1955. Par une ordonnance n° 1607754 du 17 novembre 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.
Par une requête, enregistrée le 28 novembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association islamique Malik Ibn Anas demande au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d’annuler cette ordonnance ;
2°) de faire droit à sa demande de première instance ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– la condition d’urgence est remplie dès lors que la fermeture administrative du lieu de prière constitue une atteinte à la liberté de culte, au droit de propriété et au principe d’égalité ;
– l’ordonnance attaquée ne répond pas entièrement à ses conclusions et se borne à faire état des motifs contenus dans la note blanche alors que la matérialité des faits doit s’apprécier au regard des motifs invoqués dans l’arrêté et non de ceux invoqués dans une note de renseignement ;
– l’ordonnance attaquée est entachée d’erreurs d’appréciation ;
– l’arrêté contesté est entaché d’un défaut de motivation au regard de la loi du 11 juillet 1979 dès lors que l’administration ne caractérise à aucun moment les propos constituant une provocation à la haine ou à la violence ou une provocation à la commission d’actes de terrorisme ou faisant l’apologie de tels actes ;
– l’arrêté contesté est entaché d’erreurs manifestes d’appréciation, notamment concernant la mosquée d’Ecquevilly et les propos imputés à l’actuel imam.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 décembre 2016, le ministre de l’intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d’urgence n’est pas remplie et que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code des relations entre le public et l’administration ;
– la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 modifiée ;
– la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 ;
– la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 ;
– le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, l’association islamique Malik Ibn Anas, d’autre part, le ministre de l’intérieur ;
Vu le procès-verbal de l’audience publique du lundi 5 décembre 2016 à 17 heures au cours de laquelle ont été entendus :
– les représentants de l’association islamique Malik Ibn Anas ;
– la représentante du ministre de l’intérieur ;
et à l’issue de laquelle le juge des référés a clos l’instruction ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : » Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures « . Le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale.
2. En application de la loi du 3 avril 1955, l’état d’urgence a été déclaré par le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015, à compter du même jour à zéro heure, sur le territoire métropolitain, prorogé pour une durée de trois mois, à compter du 26 novembre 2015, par l’article 1er de la loi du 20 novembre 2015, puis prorogé en dernier lieu pour une durée de six mois par l’article premier de la loi du 21 juillet 2016 relative à l’état d’urgence et portant mesures de renforcement de la lutte anti terroriste ; qu’aux termes de l’article 8 de la loi du 3 avril 1955 modifié par l’article 3 de la loi du 21 juillet 2016 : » Le ministre de l’intérieur, pour l’ensemble du territoire où est institué l’état d’urgence, et le préfet, dans le département, peuvent ordonner la fermeture provisoire […] des lieux de culte au sein desquels sont tenus des propos constituant une provocation à la haine ou à la violence ou une provocation à la commission d’actes de terrorisme ou faisant l’apologie de tels actes […] ».
3. Il résulte de l’instruction que, par un arrêté du 2 novembre 2016, le préfet des Yvelines a, sur le fondement de l’article 8 de la loi du 3 avril 1955, ordonné la fermeture de la salle de prière dite » mosquée d’Ecquevilly « , située au 7 rue Jules Ferry à Ecquevilly, à compter de la notification de cet arrêté à l’association islamique Malik Ibn Anas, qui assure la gestion de cette salle, et jusqu’à la fin de l’état d’urgence. Par une ordonnance n° 1607754 du 17 novembre 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté la demande de l’association islamique Malik Ibn Anas tendant à la suspension de l’exécution de cet arrêté. L’association islamique Malik Ibn Anas relève appel de cette ordonnance.
4. Le juge des référés statue en urgence en adaptant la procédure contradictoire à la situation. Ainsi la circonstance que la défense du préfet devant le tribunal administratif ait été communiquée à l’association requérante une demie heure avant l’audience, alors qu’il n’est pas allégué que les débats n’auraient pas permis d’en aborder le contenu ou prévenu une réponse effective de la requérante, est demeurée sans incidence sur la régularité de la procédure suivie. Il n’appartenait pas au juge des référés, par ailleurs, d’aborder chaque argument présenté au soutien des différents moyens à aucun desquels il n’a omis de répondre.
5. Il appartient au juge des référés de s’assurer, en l’état de l’instruction devant lui, que l’autorité administrative, opérant la conciliation nécessaire entre le respect des libertés et la sauvegarde de l’ordre public, n’a pas porté d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, que ce soit dans son appréciation de la menace que constitue le lieu de réunion, compte tenu de la situation ayant conduit à la déclaration de l’état d’urgence, ou dans la détermination des modalités de la fermeture.
6. Pour prendre la mesure de fermeture provisoire contestée, le préfet des Yvelines s’est fondé, en substance, sur ce que, dans le contexte de l’état d’urgence caractérisé par une menace terroriste d’une ampleur exceptionnelle, la salle de prière, lieu de référence influent fréquenté par de nombreux fidèles, parcourant pour certains des distances importantes pour assister aux prêches, diffuse des messages appelant à la discrimination, la haine ou la violence envers les femmes et à l’encontre d’autres confessions, et représente un grave risque d’atteinte pour la sécurité et l’ordre publics.
7. D’une part, si la liberté de culte est une liberté fondamentale à laquelle la fermeture d’un lieu de culte est susceptible de porter atteinte, il n’a pas été démenti par les échanges lors de l’audience que trois autres lieux de culte sont distants de moins de cinq kilomètres de celui fermé, et que les habitants qui la fréquentaient assistent désormais au culte dans les villes proches de Chanteloup les Vignes et de Poissy. De même, si une atteinte au droit de propriété pourrait être regardée comme une violation d’une liberté fondamentale, les droits que l’association exerçait sur la salle fermée en vertu d’une convention d’occupation du domaine public précaire et révocable, dont la suspension a été prononcée, n’a pu créer une telle atteinte. Enfin, la méconnaissance alléguée du principe d’égalité résultant de ce que d’autres lieux de culte salafistes seraient restés ouverts, alors que l’arrêté de fermeture n’est nullement motivé par le rite pratiqué mais uniquement par la nature des propos tenus et qu’une mesure de police n’est pas illégale au seul motif que d’autres du même type auraient du être prises, n’est en tout état de cause pas constitutive d’une atteinte à un liberté fondamentale.
8. D’autre part, pour critiquer l’ordonnance et la décision attaquées à raison de l’erreur d’appréciation les entachant, l’association estime que les prêches cités comme appelant à la violence, refusant l’autorité des institutions publiques, discriminant les femmes et appelant au port du voile intégral en toutes circonstances, combattant les confessions chrétiennes et juive en soulignant leurs erreurs, leur infériorité et en assortissant la demande de conversion de leurs fidèles de menaces, ont été soit sortis de leur contexte, soit complétés ou nuancés par d’autres déclarations publiques. Cependant, les allégations précisément décrites par l’ordonnance critiquée soit n’ont pas été écartées, soit ne l’ont été qu’avec des arguments qui n’en diminuent pas la contribution à une appréciation du caractère dangereux du message véhiculé. Ainsi s’il est soutenu que la validation d’actes terroristes a été suivie de leur dénonciation, il n’est pas nié qu’a effectivement été déclaré, dans un prêche, que les personnes perpétuant les attentats ne devaient être blâmées que parce qu’elles s’étaient suicidées, qu’en mettant en cause la source de cette information, révélée par une note blanche protégeant l’identité du témoin. Il est de même soutenu que l’appel à battre une femme par son mari est dû à une erreur de traduction, l’iman n’ayant appelé qu’à les » tapoter » dans cette circonstance. Si l’hostilité aux juifs et aux chrétiens est présentée comme à rétablir dans un contexte où d’autres déclarations appellent à les respecter ou accueillir, les fidèles de ces confessions restent néanmoins dénoncés comme falsifiant les textes sacrés et appelés à se convertir sur un ton menaçant, dont la circonstance que la substance soit extraite de versets du Coran ne diminue pas la violence. L’appel à porter le voile intégral n’est pas nié mais ramené à celui à se couvrir intégralement le corps qui ne comporterait pas le visage. La mise à disposition d’ouvrages renfermant des propos de ce type est reconnue mais en arguant de ce qu’ils sont en vente libre, sans nier leur contenu hostile aux femmes, aux autres religions et à la démocratie, que valideraient leur libre accès et l’autorité de leurs auteurs. Les comportements fermés, agressifs, ou d’endoctrinement sont soit niés sans argumentation matérielle concrète, soit réduits à des erreurs d’interprétation, les réactions d’inquiétude ou les incidents allégués, tels que les violences entre enfants en milieu scolaire et le rejet de femmes non voilées, n’étant pas démentis mais estimés peu fréquents, artificiellement grossis, ou rapportés par la maire d’Ecquevilly sous l’influence du ministère.
9. Au total, les exhortations à des comportements violents, sectaires ou illégaux, alors même qu’ils n’induiraient aucune incitation à la pratique d’actes de terrorisme ou de participation à des combats d’organisation terroristes sur leurs théâtres d’opération, motifs qui n’ont pas été retenus par l’arrêté préfectoral, constituent, dans les circonstances de l’espèce des motifs tels que c’est sans erreur d’appréciation que le préfet a pu décider de faire usage des pouvoirs qu’il tient de l’article 8 de la loi du 3 avril 1955 afin de fermer un » lieu de culte au sein duquel sont tenus des propos constituant une provocation à la haine ou à la violence » et le juge des référés du tribunal administratif de Versailles de confirmer sur ce fondement que l’arrêté attaqué ne portait pas une atteinte grave et immédiate à une liberté fondamentale.
10. Il résulte de ce qui précède que la demande de l’association Malik Ibn Anas ne peut qu’être rejetée, y compris en ce qu’elle tendait à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de l’association islamique Malik Ibn Anas est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l’association islamique Malik Ibn Anas et au ministre de l’intérieur.