Vu la procédure suivante :
Par une requête et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 16 février, 10 et 11 mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. B… E…, M. F… I…, Mme D… A…, M. J… H… et Mme C… G… demandent au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l’exécution du décret n° 2022-176 du 14 février 2022 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire.
Ils soutiennent que :
– la condition d’urgence est satisfaite dès lors que le décret contesté porte une atteinte grave et immédiate aux intérêts moraux des requérants, dont certains ont été privés à compter de l’entrée en vigueur du décret contesté de leur passe vaccinal, jusque-là valide, et devront se soumettre à une nouvelle vaccination dans un délai plus rapproché que celui initialement prévu ;
– il existe un doute sérieux quant à la légalité de la mesure contestée ;
– le décret contesté est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation dès lors, d’une part, qu’aucune étude scientifique ne justifie la nécessité de conditionner le maintien du passe vaccinal à la l’administration d’une dose de rappel à toutes les personnes âgées de 18 ans ou plus dès l’expiration d’un délai de 3 mois suivant l’administration de la deuxième dose de vaccin et, d’autre part, que la durée de validité des certificats de rétablissement est réduite de six à quatre mois alors qu’il est scientifiquement établi que l’immunité naturelle demeure acquise entre huit mois et douze mois après une infection à la Covid-19 ;
– la mesure contestée n’est pas proportionnée à la situation sanitaire dès lors qu’elle s’applique à l’ensemble des personnes âgées de 18 ans ou plus, alors qu’une étude réalisée par la DREES entre le 14 octobre et le 18 novembre 2021 démontre que la baisse de l’immunité 6 mois après une vaccination varie en fonction de la tranche d’âge, et que la protection contre les formes graves de la maladie pour les personnes disposant d’un schéma complet de vaccination ne s’érode que très faiblement à l’issue de ce délai pour celles âgées de moins de 60 ans ;
– le décret contesté est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation dès lors, d’une part, qu’aucune contrainte technique ou médicale ne faisait obstacle à ce que soit mise en place une politique de vaccination différenciée en fonction des tranches d’âge de la population, tenant compte de critères particuliers de fragilité et, d’autre part, que l’exigence de simplicité et de lisibilité des mesures de police administrative ne saurait justifier à elle seule une application indifférenciée des nouvelles règles à l’ensemble de la population âgée de plus de 18 ans.
Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 8 et 10 mars 2022, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d’urgence n’est pas satisfaite et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée au Premier ministre qui n’a pas produit d’observations.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 ;
– la loi n° 2022-46 du 22 janvier 2022 ;
– le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, M. B… E…, M. F… I…, Mme D… A…, M. J… H… et Mme C… G… et, d’autre part, le Premier ministre et le ministre des solidarités et de la santé ;
Ont été entendus lors de l’audience publique du 9 mars 2022, à 10 heures 30 :
– M. B… E… et Mme C… G… ;
– le représentant des requérants ;
– les représentants du ministre des solidarités et de la santé ;
à l’issue de laquelle le juge des référés a reporté la clôture de l’instruction au 10 mars 2022 à 18 heures puis au 11 mars 2022 à 15 heures ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : » Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision « .
2. L’article 1er de la loi du 22 janvier 2022 renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique a modifié le paragraphe II de l’article 1er de la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire afin notamment de permettre au Premier ministre de subordonner l’accès à certains lieux à la présentation d’un justificatif de statut vaccinal concernant la Covid-19, dit » passe vaccinal « . Ces dispositions prévoient que le Premier ministre peut subordonner à la présentation d’un justificatif de statut vaccinal l’accès des personnes âgées d’au moins seize ans à certains lieux, établissements, services ou événements où sont exercées des activités de loisir et des activités de restauration ou de débit de boissons ainsi qu’aux foires, séminaires et salons professionnels, aux transports publics interrégionaux pour des déplacements de longue distance et à certains grands magasins et centres commerciaux. Cette règle s’applique également aux déplacements de longue distance par transports publics interrégionaux, sauf motif impérieux d’ordre familial ou de santé ou en cas d’urgence faisant obstacle à l’obtention du justificatif requis, sous réserve de présenter le résultat d’un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la Covid-19.
3. Sur ce fondement, le décret du 22 janvier 2022 a modifié le décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de la crise sanitaire pour fixer les conditions d’application de ce dispositif. Notamment, le 5° de son article 1er a modifié l’article 47-1 du décret du 1er juin 2021 pour prévoir que les personnes âgées d’au moins 16 ans doivent, pour être accueillies dans les établissements, lieux, services et événements mentionnés aux II et III de l’article 47-1, présenter un justificatif de leur statut vaccinal attestant d’un schéma vaccinal complet dans les conditions définies au 2° de l’article 2-2 du même décret. A défaut de présentation d’un tel justificatif, l’accès à l’établissement, au lieu, au service ou à l’évènement est refusé, sauf pour les personnes bénéficiant d’un certificat de rétablissement délivré dans les conditions mentionnées au 3° de l’article 2-2 ou justifiant d’une contre-indication médicale à la vaccination dans les conditions prévues à l’article 2-4.
4. Par ailleurs, le décret du 14 février 2022 a modifié le du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de la crise sanitaire en raccourcir la durée de validité du passe vaccinal. Ainsi, dans sa nouvelle rédaction issue de ce texte, le troisième alinéa du a du 2° de l’article 2-2 prévoit que les personnes de dix-huit ans et un mois ou plus ayant reçu le vaccin doivent, pour que leur schéma vaccinal reste reconnu comme complet, avoir reçu une dose complémentaire d’un vaccin à acide ribonucléique (ARN) messager au plus tard 4 mois suivant l’injection de la dernière dose requise, alors que ce délai était précédemment fixé à 7 mois. De la même manière, la durée de validité du certificat de rétablissement délivré à la suite d’une contamination à la covid-19, mentionnée au 3° de l’article 2-2, a été réduite de 6 à 4 mois.
5. M. E… et autres demandent la suspension de l’exécution des dispositions citées au point précédent. Ils soutiennent qu’elles leur portent préjudice, dès lors qu’ils sont, selon les cas, privés de leur passe vaccinal ou contraints de se soumettre à une nouvelle vaccination dans un délai plus bref que celui qu’ils avaient initialement anticipé, alors, d’une part, que s’agissant des certificats de rétablissement, aucune étude scientifique ne justifie la nécessité de réduire de 6 à 4 mois leur durée de validité et, d’autre part, que l’administration d’une troisième dose de vaccin à l’ensemble de la population âgée de 18 ans ou plus dans un délai raccourci de 3 mois pour garantir la persistance d’un schéma de vaccination complète n’est ni nécessaire, ni proportionnée au regard de la situation sanitaire actuelle, marquée par la prédominance du variant Omicron qui entraîne des formes moins graves de la maladie.
6. En premier lieu, il résulte toutefois de l’instruction, notamment des éléments produits lors de l’audience publique, que si le variant Omicron provoque des formes moins graves que les variants précédents, il présente une transmissibilité plus élevée. Au 20 février 2022, le taux d’incidence était de 832 pour 100 000 habitants, 80 000 nouveaux cas ayant été en moyenne relevés par jour pour la semaine du 14 au 20 février 2022. Par ailleurs, 69 % des admissions à l’hôpital étaient dues à la Covid-19 ainsi que 79 % des admissions en soins critiques à l’hôpital, l’admission en hospitalisation conventionnelle approchant le nombre de patients atteint lors des pics des trois premières vagues épidémiques et dépassant ceux de la quatrième vague. Au niveau national, plus de la moitié de la capacité hospitalière était dédiée au traitement de patients atteints de la Covid-19, l’activité hospitalière hors traitement épidémique étant de 20 % inférieure à la moyenne d’avant la crise sanitaire. Dans certaines régions, comme la Provence-Alpes-Côte d’Azur ou l’Ile-de-France, les taux d’occupation des services de soins critiques étaient proches de la saturation. Au 6 mars 2022, malgré un ralentissement de l’épidémie se traduisant par un taux d’incidence de 538 pour 100 000 habitants, la circulation de la Covid-19 demeure toujours à un niveau élevé et l’activité des services hospitaliers reste soutenue avec un taux d’occupation des services de réanimation par des patients atteints de la Covid de 41 %. Enfin, en dépit de certaines disparités régionales, la situation sanitaire touche l’ensemble du territoire national et les établissements, lieux, services et événements visés par les dispositions relatives au » passe vaccinal « . Par ailleurs, le conseil scientifique Covid-19 a relevé, dans son avis du 13 janvier 2022 » que la situation sanitaire et vaccinale actuelle est caractérisée par les points suivants : / – Une baisse significative, après 3-4 mois, de l’efficacité de la vaccination (2 doses) pour la prévention des formes sévères et graves, y compris chez les plus jeunes. / – La vague liée au variant Delta a été remplacée, fin décembre 2021, très majoritairement par le variant Omicron. / – On observe une explosion du nombre de nouvelles contaminations liées au variant Omicron depuis fin décembre 2021, avec un pic de contamination qui devrait être atteint à court terme, avec une hétérogénéité régionale. / – Le variant Omicron a un niveau de transmission très élevé, mais avec un degré de gravité plus faible que le variant Delta. – Le retentissement sur le système de soins va être important jusqu’à au moins début mars 2022, avec un niveau élevé d’occupation des lits de soins intensifs et d’hospitalisations conventionnelles conduisant à des déprogrammations de patients non-COVID. L’immense majorité des patients hospitalisés en réanimation sont des personnes non-vaccinées ou n’ayant pas reçu la 3ème dose/rappel, y compris chez les 18-65 ans. / – L’efficacité confirmée de la 3ème dose/rappel pour à nouveau protéger à plus de 90 % contre la survenue de formes sévères et graves associées au variant Omicron. / – L’efficacité, à un niveau moindre, de la protection contre la transmission qui est cependant en partie conservée « . En outre, dans son avis du 14 février 2022 rendu sur le projet de décret contesté par les requérants, le conseil scientifique Covid-19 a relevé que » (…) Les connaissances scientifiques sur l’effet des vaccins se sont précisées : / – Diminution de l’efficacité vaccinale 3 à 4 mois après 2 doses, en particulier chez les personnes les plus âgées. / Grande efficacité, supérieure à 90 %, après une 3ème dose pour limiter la survenue de formes sévères et graves. / Efficacité réduite des vaccins sur la transmission et l’infection (de l’ordre de 30 à 40 % 3 à 4 mois après deux doses, augmentée mais de façon transitoire après la dose de rappel. » De la même manière, la Haute autorité de santé a recommandé, dans un avis du 23 décembre 2021, qu’un rappel puisse être réalisé à partir de trois mois après la primovaccination. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le raccourcissement de 6 à 4 mois de la durée de validité du certificat de rétablissement délivré après une infection à la Covid-19 et l’obligation de se soumettre dans le même délai à l’administration d’une troisième dose de vaccination pour les personnes ayant déjà reçu 2 doses afin de conserver leur passe vaccinal constitueraient des mesures inadaptées, inutiles et disproportionnées au regard de l’objectif de protection de la santé publique, en particulier en ce qu’elles s’appliquent à l’ensemble de la population âgée de 18 ans ou plus sans opérer de distinction dans ses modalités d’application selon les tranches d’âge, n’est pas, en l’état de l’instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité des dispositions contestées.
7. En second lieu, la circonstance que la définition du schéma vaccinal complet fasse l’objet de modifications liées à l’évolution de l’épidémie et des connaissances scientifiques relatives à la durée de persistance de l’immunité naturelle ou vaccinale est sans incidence sur la légalité des dispositions contestées. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret contesté serait entaché d’erreur manifeste d’appréciation en ce qu’il ferait peser une contrainte disproportionnée sur les personnes disposant d’un passe vaccinal ou d’un certificat de rétablissement dont la durée de validité se trouve réduite à 4 mois n’est pas, en l’état de l’instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à sa légalité.
8. Il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la condition d’urgence mentionnée à l’article L. 521-1 du code de justice administrative, la requête de M. E… et autres doit être rejetée.
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de M. E… et autres est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B… E…, premier requérant dénommé, et au ministre des solidarités et de la santé.