AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
M. K… G… et autres ont demandé au tribunal administratif de Grenoble, d’une part, d’annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé sur leur demande reçue par le maire de Saint-Pierre d’Alvey le 4 avril 2016, tendant à ce que soit retirée du domaine public communal une statue de la Vierge Marie et, d’autre part, d’enjoindre au maire de procéder à l’enlèvement de la statue. Par un jugement n° 1603908 du 3 octobre 2019, ce tribunal a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 19LY04186 du 29 avril 2021, la cour administrative d’appel de Lyon, sur appel de M. G… et autres, a annulé le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 3 octobre 2019, annulé la décision du maire de Saint-Pierre d’Alvey refusant de procéder à l’enlèvement de la statue de la Vierge installée sur la parcelle cadastrée section AO n° 2 et enjoint au maire de procéder à l’enlèvement de cette statue.
I – Sous le n° 454076, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 30 juin et 22 septembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la commune de Saint-Pierre d’Alvey demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler cet arrêt ;
2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel de M. G… et autres ;
3°) de mettre à la charge de M. G… et autres une somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
II – Sous le n° 456932, par une requête enregistrée le 22 septembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la commune de Saint-Pierre d’Alvey demande au Conseil d’Etat :
1°) d’ordonner le sursis à exécution de l’arrêt du 29 avril 2021 en application de l’article R. 821-5 du code de justice administrative ;
2°) de mettre à la charge de M. G… et autres une somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code civil ;
– le code général de la propriété des personnes publiques ;
– la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat ;
– la loi du 2 janvier 1907 concernant l’exercice public des cultes ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Jean-Claude Hassan, conseiller d’Etat,
– les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Buk Lament – Robillot, avocat de la commune de Saint-Pierre-d’Alvey et à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de M. G…, de Mme M…, de M. B…, de Mme F…, de M. E… et de M. D… ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 23 février 2022, présentée par la commune de Saint-Pierre d’Alvey ;
Considérant ce qui suit :
1. Le pourvoi n° 454076 et la requête n° 456932 présentés pour la commune de Saint-Pierre d’Alvey, qui tendent à l’annulation et au sursis à exécution du même arrêt, présentent à juger des questions semblables. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
2. Il résulte, en premier lieu, des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, devant le tribunal administratif de Grenoble, la commune de Saint-Pierre d’Alvey a fait valoir que la demande de M. G… et autres tendant à l’annulation de la décision née du silence gardé par son maire sur leur demande du 30 mars 2016 tendant à ce que la statue de la Vierge Marie installée par des personnes privées sur le site du Mont Chatel soit déplacée en dehors du domaine communal aux frais de ses propriétaires était tardive, au motif qu’elle était en réalité dirigée contre une délibération du conseil municipal du 1er février précédent, dont les demandeurs avaient acquis connaissance plus de deux mois avant l’enregistrement de leur demande au tribunal administratif. Ce tribunal a rejeté la demande de M. G… et autres » sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la commune « . Cette dernière soutient, à l’appui de son pourvoi dirigé contre l’arrêt par lequel la cour administrative d’appel de Lyon, sur appel de M. G… et autres, a annulé la décision implicite de son maire ainsi que le jugement du tribunal administratif de Grenoble, et ordonné qu’il soit procédé à l’enlèvement de la statue en cause, que la cour administrative d’appel aurait commis une erreur de droit et insuffisamment motivé son arrêt en omettant de statuer, dans le cadre de l’effet dévolutif de l’appel, sur la fin de non-recevoir qu’elle avait opposée en première instance. Il résulte cependant des écritures de la commune devant la cour, et notamment des termes mêmes de son mémoire en défense du 20 mars 2020, que celle-ci qualifiait désormais la demande du 30 mars 2016 de » recours gracieux » contre la délibération du 1er février 2016 et indiquait qu’une décision implicite de rejet de ce recours gracieux était née le 4 juin 2016 à la suite du silence gardé par son maire et que c’est de cette décision que M. G… et autres avaient demandé le 11 juillet 2016 l’annulation au tribunal. La commune doit par suite être regardée comme ayant abandonné en appel la fin de non-recevoir qu’elle avait opposée en première instance et son moyen de cassation tiré de ce que la cour n’a pas expressément écarté cette fin de non-recevoir ne saurait par suite être retenu.
3. En deuxième lieu, la décision de refus du maire de déplacer la statue de la Vierge Marie de l’emplacement sur lequel elle a été implantée a, alors même que l’emplacement en cause serait une dépendance du domaine privé communal, la nature d’un acte administratif relevant de la compétence des juridictions de l’ordre administratif. La cour administrative d’appel n’a par suite pas commis d’erreur de droit en ne relevant pas d’office que l’appartenance alléguée du site du Mont Chatel au domaine privé communal aurait eu pour effet de donner compétence au juge judiciaire pour connaître du litige.
4. En troisième lieu, aux termes de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat : » Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions « .
5. Il ressort des énonciations non contestées sur ce point de l’arrêt de la cour que la statue de la Vierge mentionnée au point 2 a été réalisée en 2014, à l’initiative de personnes privées qui ont assuré son financement, puis a été installée sur le territoire de la commune de Saint-Pierre d’Alvey, sur une parcelle appartenant à la commune située au sommet du Mont Chatel. En estimant que cette parcelle, alors même que depuis le XVIIIème siècle des processions partant de l’église communale convergent traditionnellement à l’occasion des cérémonies de la Pentecôte vers une ancienne croix romaine qui y est implantée, ne saurait être regardée comme constituant par elle-même un édifice servant au culte, la cour n’a pas inexactement qualifié les faits dont elle était saisie. Il est par ailleurs constant que cette parcelle ne constitue ni un terrain de sépulture, ni un monument funéraire, ni un lieu d’exposition. La cour administrative d’appel de Lyon n’a, par suite, pas commis d’erreur de droit en ne regardant pas cet emplacement public comme relevant de l’une des exceptions limitativement énumérées par l’article 28 précité de la loi du 9 décembre 1905 au principe général d’interdiction d’élever ou d’apposer un signe ou un emblème religieux sur quelque emplacement public que ce soit.
6. En quatrième lieu, aux termes de l’article 12 de la loi du 9 décembre 1905 : » Les édifices qui ont été mis à la disposition de la nation et qui, en vertu de la loi du 18 germinal an X, servent à l’exercice public des cultes ou au logement de leurs ministres (cathédrales, églises, chapelles, temples, synagogues, archevêchés, évêchés, presbytères, séminaires), ainsi que leurs dépendances immobilières et les objets mobiliers qui les garnissaient au moment où lesdits édifices ont été remis aux cultes, sont et demeurent propriétés de l’Etat, des départements, des communes et des établissements publics de coopération intercommunale ayant pris la compétence en matière d’édifices des cultes « . Aux termes de l’article 13 de cette même loi : » Les édifices servant à l’exercice public du culte, ainsi que les objets mobiliers les garnissant, seront laissés gratuitement à la disposition des établissements publics du culte, puis des associations appelées à les remplacer auxquelles les biens de ces établissements auront été attribués (…) « . L’article 5 de la loi du 2 janvier 1907 concernant l’exercice public des cultes dispose que : » A défaut d’associations cultuelles, les édifices affectés à l’exercice du culte, ainsi que les meubles les garnissant, continueront, sauf désaffectation dans les cas prévus par la loi du 9 décembre 1905, à être laissés à la disposition des fidèles et des ministres du culte pour la pratique de leur religion « . A supposer que l’emplacement dont il s’agit puisse être qualifié de » dépendance immobilière nécessaire » de l’église, ainsi qu’il a été soutenu par la commune de Saint-Pierre d’Alvey devant les juges du fond, il pourrait seulement en résulter, à condition qu’il y ait un lien fonctionnel entre cette dépendance et l’église, une soumission de cet emplacement au même régime juridique que l’église elle-même pour l’application des dispositions précitées, c’est-à-dire pour sa propriété et son affectation cultuelle. Une telle circonstance demeure toutefois sans incidence sur la légalité de la présence de la statue sur cet emplacement, la notion d » édifice servant au culte « , au sens et pour l’application de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 relatif à l’interdiction d’élever ou d’apposer un signe ou emblème religieux, étant distincte de celle de dépendance d’un édifice du culte laissé à la disposition des fidèles et des ministres du culte au sens et pour l’application des articles 12 et 13 de la loi du 9 décembre 1905 et 5 de la loi du 2 janvier 1907. Le moyen soulevé devant les juges du fond, tiré de ce que l’emplacement public en litige serait constitutif d’une dépendance de l’église de Saint-Pierre d’Alvey et affecté de ce fait à l’exercice du culte était par suite inopérant, les juges du fond devant uniquement se prononcer au regard des dispositions précitées de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905. Il convient de l’écarter pour ce motif, qui doit être substitué à celui retenu par les juges du fond.
7. En cinquième lieu, il ne résulte ni des dispositions précitées de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 ni d’aucune autre disposition législative que l’interdiction » à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux (…) en quelque emplacement public que ce soit » serait limitée aux seules dépendances du domaine public, sans devoir aussi trouver application au domaine privé des personnes publiques. Etait par suite inopérant le moyen soulevé devant les juges du fond, tiré de ce que l’interdiction posée par ces dispositions ne pouvait trouver à s’appliquer dans le cas de l’espèce, dès lors que la parcelle sur laquelle la statue de la Vierge a été érigée relèverait du domaine privé de la commune par détermination de la loi. La cour n’a, par suite, pas entaché son arrêt d’irrégularité en s’abstenant d’y répondre.
8. En sixième et dernier lieu, la commune de Saint-Pierre d’Alvey demande à titre subsidiaire l’annulation de l’article 3 de l’arrêt qu’elle attaque, par lequel la cour a enjoint à son maire de » procéder à l’enlèvement de la statue de la Vierge présente sur la parcelle » en litige, au motif qu’elle ne pouvait sans erreur de droit prononcer une telle injonction s’agissant d’une statue qui n’appartenait pas à la commune mais à des personnes privées.
9. Aux termes, respectivement, des articles 552 et 555 du code civil : » Toutes constructions, plantations et ouvrages sur un terrain ou dans l’intérieur sont présumés faits par le propriétaire à ses frais et lui appartenir (…) » et : » Lorsque les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers et avec des matériaux appartenant à ce dernier, le propriétaire du fonds a le droit, (…) soit d’en conserver la propriété, soit d’obliger le tiers à les enlever « . Il résulte de ces dispositions que la commune, propriétaire de la parcelle, est devenue propriétaire de la statue édifiée par des tiers sur celle-ci et qu’elle pouvait la déplacer elle-même ou requérir de ces tiers qu’ils la déplacent. Quand bien même l’exécution de la mesure d’enlèvement ordonnée par la cour pourrait, si la commune ne souhaitait pas y procéder elle-même, exiger la saisine du juge compétent en cas de refus des personnes ayant installé la statue de se conformer à une demande en ce sens, la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit en prononçant l’injonction contestée.
10. Il résulte de ce qui précède que le pourvoi formé par la commune de Saint-Pierre d’Alvey contre l’arrêt du 29 avril 2021 de la cour administrative d’appel de Lyon est rejeté. Par suite, les conclusions aux fins de sursis à exécution de cet arrêt sont devenues sans objet.
11. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de M. G… et autres qui ne sont pas, dans les présentes instances, la partie perdante. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la commune de Saint-Pierre d’Alvey une somme de 3000 euros à verser à M. G… et autres.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la commune de Saint-Pierre d’Alvey est rejeté.
Article 2 : Il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de la commune tendant à ce que soit prononcé le sursis à exécution de l’arrêt du 29 avril 2021 de la cour administrative d’appel de Lyon.
Article 3 : Les conclusions de la commune de Saint-Pierre d’Alvey tendant, dans sa requête n° 456932, à la mise en œuvre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La commune de Saint-Pierre d’Alvey versera à M. G… et autres une somme de 3000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la commune de Saint-Pierre d’Albey et à M. K… G…, en sa qualité de représentant unique désigné pour l’ensemble des défendeurs.
Délibéré à l’issue de la séance du 23 février 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. P… H…, M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. N… R…, M. I… Q…, M. A… S… et M. O… L…, M. Pierre Boussaroque, conseillers d’Etat et M. Jean-Claude Hassan, conseiller d’Etat-rapporteur.
Rendu le 11 mars 2022.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Jean-Claude Hassan
La secrétaire :
Signé : Mme C… J…