Conseil d’État
N° 370305
ECLI:FR:CEORD:2013:370305.20130723
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP GASCHIGNARD, avocat
lecture du mardi 23 juillet 2013
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Vu la requête et le mémoire, enregistrés les 18 et 19 juillet 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés par l’association » Envie de rêver « , dont le siège social est 92, rue de Javel à Paris (75015), représentée par son président, et par M. B…D…, demeurant … ; l’association » Envie de rêver » et M. D…demandent au juge des référés du Conseil d’Etat :
1°) d’ordonner, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, la suspension de l’exécution du décret du Président de la République du 12 juillet 2013 en tant qu’il a prononcé la dissolution de l’association » Envie de rêver » ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat le versement à M. D…de la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que le remboursement des dépens ;
ils soutiennent que la dissolution de l’association requérante :
– crée, par elle-même et par les conséquences financières et matérielles qu’elle aura pour cette dernière, une situation d’urgence particulière au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ;
– porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’association ;
– en effet, elle repose sur des faits matériellement inexacts ou interprétés de mauvaise foi et n’entre dans aucun des cas prévus par l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ;
Vu le décret contesté ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 22 juillet 2013, présenté par le ministre de l’intérieur, qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que :
– la condition d’urgence n’est pas remplie, l’association requérante ayant tardé à contester sa dissolution et invoquant un préjudice qui n’est pas la conséquence de cette dissolution ;
– la mesure de dissolution litigieuse, qui repose sur des faits multiples et avérés desquels il résulte que l’association requérante n’est qu’un élément de l’ensemble qu’elle constitue avec deux groupements de fait se livrant à des activités contraires aux 2° et 6° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure et dont elle est la base arrière, ne porte pas d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 23 juillet 2013, présenté par l’association » Envie de rêver » et M.D…, qui reprennent les conclusions et les moyens de leur requête ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la sécurité intérieure, notamment son article L. 212-1 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, l’association » Envie de rêver » et M.D…, d’autre part, le ministre de l’intérieur et le Premier ministre ;
Vu le procès-verbal de l’audience publique du 23 juillet 2013 à 11 heures au cours de laquelle ont été entendus :
– Me Gaschignard, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de l’association » Envie de rêver » et de M. D…;
– les représentants de l’association » Envie de rêver » et M. D…;
– la représentante du ministre de l’intérieur ;
et à l’issue de laquelle le juge des référés a clôturé l’instruction ;
1. Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : » Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures » ;
2. Considérant qu’aux termes de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure : » Sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait : / (…) 2° (…) qui présentent, par leur forme et leur organisation militaires, le caractère de groupes de combat ou de milices privées ; (…) / 6° (…) qui, soit provoquent à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ;(…) / Le maintien ou la reconstitution d’une association ou d’un groupement dissous en application du présent article, ou l’organisation de ce maintien ou de cette reconstitution, ainsi que l’organisation d’un groupe de combat sont réprimées dans les conditions prévues par la section 4 du chapitre Ier du titre III du livre IV du code pénal » ; que, par décret du 12 juillet 2013, publié au Journal Officiel le 13 juillet, le Président de la République a, sur le fondement des dispositions des 2° et 6° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, prononcé la dissolution de l’association » Envie de rêver » ainsi que des groupements de fait » Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires » et » Troisième Voie » ;
3. Considérant qu’eu égard aux conséquences qui sont attachées à sa nature, cette mesure porte une atteinte grave à la liberté d’association, qui constitue une liberté fondamentale, et crée pour les requérants une situation qui justifie l’urgence de leur demande ;
4. Considérant que, pour prononcer la dissolution de l’association » Envie de rêver « , le décret attaqué, après avoir retenu, dans sa partie non contestée, que les groupements de fait » Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires » et » Troisième Voie « , qui » sont étroitement imbriqués et ne constituent qu’une seule entité « , doivent être dissous en application des 2° et 6° de l’article L. 212-1 précité, relève que » l’association »Envie de Rêver » exploite un bar associatif dénommé »Le Local », qu’elle est dirigée par deux membres de »Troisième Voie », son président et son secrétaire, que »Troisième Voie » et »Envie de Rêver » ont déclaré leur siège social à la même adresse, ce local, que Le Local, ouvert principalement le soir, est un point de réunion de l’ultra droite parisienne, dirigée par M. C…A…, leader de »Troisième Voie » et fondateur des »Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires », que M. C…A…a personnellement souscrit la déclaration de licence II permettant la vente d’alcool au local alors qu’il n’en est ni président, ni secrétaire, qu’il y organise des soirées festives, notamment lors des »remises de couleurs » aux nouveaux membres des »Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires », que Le Local accueille, le jeudi, une conférence sur une thématique politique proche de l’extrême droite radicale, tout comme les intervenants qui les dispensent, que ces rencontres sont ouvertes aux sympathisants, que ces conférences sont relayées sur le site internet, la page facebook et le compte twitter du mouvement »Troisième Voie », que depuis la mort de Clément Méric le 5 juin 2013 la communication auprès de la presse de M. C…A…pour défendre » Troisième Voie » et les »Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires » a été exclusivement effectuée au Local, que deux membres des »Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires » exercent constamment la »garde » de ce lieu qu’ils considèrent comme le sanctuaire de leur groupement et de »Troisième Voie », qu’ainsi, l’association »Envie de Rêver » n’a pour seule activité réelle que de permettre la tenue des réunions de »Troisième Voie » et des »Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires » et de constituer … l’instrument de leur propagande de haine et de discrimination envers les personnes, à raison de leur non-appartenance à la nation française, (et) que, dépourvue de toute autre activité, elle se confond dans l’ensemble plus vaste de ces deux structures dont elle constitue un moyen matériel de leur activité illicite » ;
5. Considérant qu’il ne résulte pas de l’instruction qu’en se fondant sur l’ensemble de ces faits, dont ni les pièces versées au dossier, ni les échanges lors de l’audience publique ne permettent de retenir qu’ils seraient inexacts ou appréciés de manière erronée, pour en déduire que » ces trois organisations étroitement imbriquées présentent ensemble le caractère de milice privée « , qu’elles » propagent une idéologie incitant à la haine et à la discrimination envers les personnes à raison de leur non-appartenance à la nation française et de leur qualité d’immigré » et qu’en tout état de cause, l’association requérante, qui n’a d’autre objet que de permettre aux deux autres organisations d’exercer leur activité illicite, doit être dissoute par voie de conséquence de la dissolution de ces deux autres organisations, le décret contesté ait fait une application manifestement illégale des dispositions des 2° et 6° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ; que, par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que ce décret porterait une atteinte manifestement illégale et grave à une liberté fondamentale ;
6. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la requête de l’association » Envie de Rêver » et de M. D…doit être rejetée, y compris leurs conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu’il y a lieu de laisser à la charge des requérants les entiers dépens de l’instance ;
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de l’association » Envie de Rêver » et de M. D…est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l’association » Envie de Rêver « , à M. B…D…, au Premier ministre et au ministre de l’intérieur.