Vu le recours du MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DU BUDGET enregistré le 28 novembre 1985 au secrétariat du Contentieux du Conseil d’Etat, et tendant à ce que le Conseil d’Etat :
°1) annule le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 2 juillet 1985 en tant que, par ce jugement, le tribunal a accordé à M. Michel Y… Z… (les héritiers) une réduction de l’imposition à l’impôt sur le revenu à laquelle ce contribuable a été assujetti au titre de l’année 1977 ;
°2) rétablisse M. Michel Y… Z… (les héritiers) sera rétabli au rôle de l’impôt sur le revenu au titre de l’année 1977 à raison de l’intégralité des droits qui lui avaient été assignés ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code des tribunaux administratifs ;
Vu l’ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu :
– le rapport de Mme Denis-Linton, Maître des requêtes,
– les observations de la S.C.P. Martin Martinière, Ricard, avocat des héritiers de M. Michel Y… Z…,
– les conclusions de M. Martin-Laprade, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction que M. Michel Y… Z… a cédé à un tiers, le 31 décembre 1971, le domaine agricole qu’il exploitait et dont les bénéfices étaient imposables à l’impôt sur le revenu sous le régime du forfait légal ; qu’ayant procédé, en 1974, 1975 et 1977, à la vente de stocks d’eau de vie de cognac provenant du produit des récoltes levées sur ce domaine, il doit être regardé comme ayant, ce faisant, poursuivi, au cours de ces années, son activité d’exploitant agricole ; que les profits qu’il a réalisés de ce chef devaient, en vertu de l’article 63 du code général des impôts, être imposées à l’impôt sur le revenu en tant que bénéfices agricoles et, eu égard au montant des recettes brutes qu’il a perçues à cette occasion, selon le régime d’imposition d’après le bénéfice réel, par application des dispositions de l’article 69-A ;
Considérant, toutefois, que les héritiers de M. Michel Y… Z…, décédé en 1979, se sont, sur le fondement des dispositions de l’article 1649 quinquies E du code général des impôts, repris à l’article L.80-A du livre des procédures fiscales, prévalus devant le tribunal administratif de Paris de l’interprétation de la loi fiscale qui a été exprimée par le ministre des finances dans sa réponse à la question écrite de M. X…, député, publiée au journal officiel des débats de l’Assemblée Nationale du 24 août 1974, selon laquelle les ventes, par un exploitant qui cesse son activité agricole, de cognacs stockés pendant la période d’exploitation au cours de laquelle il relevait du régime forfaitaire ne peuvent être à nouveau soumises à l’impôt sur le revenu dès lors qu’elles sont censées avoir été déjà taxées ; que, par le jugement du 2 juillet 1985, le tribunal administratif de Paris, devant lequel lesdits héritiers ne faisaient valoir que les prétentions ci-dessus analysées, a prononcé la décharge du complément d’impôt sur le revenu auquel ils avaient été assujettis, par voie de rôle établi le 31 décembre 1980, au titre des années 1974, 1975, et 1977, en se fondant sur ce que ladite interprétation était opposable à l’administration ; que le ministre chargé du budget fait appel de ce jugement en tant qu’il concerne l’imposition établie au titre de l’année 1977 ;
Considérant qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article 1649 quinquies E du code général des impôts, repris au deuxième alinéa de l’article L.80 A du livre des procédures fiscales : « Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l’interprétation que l’administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu’elle n’avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente » ;
Considérant que, pour déterminer si une somme dont un contribuable a disposé au cours d’une année est passible de l’impôt sur le revenu et, le cas échéant, selon quelles modalités ou à quel taux, il y a lieu, sauf disposition législative contraire, de rechercher quelle est la loi en vigueur au 31 décembre de ladite année ou, lorsque l’impôt s’applique aux résultats d’un exercice, à la date de clôture de cet exercice ; que, lorsque le contribuable, pour faire échec à la loi fiscale, se prévaut, sur le fondement des dispositions précitées, d’une interprétation plus favorable que l’administration avait fait connaître, il y a lieu, pour le juge de l’impôt, de rechercher si, à la date du 31 décembre de l’année d’imposition ou à celle de la clôture de l’exercice, selon le cas, l’interprétation administrative propre à faire obstacle à la loi, ainsi invoquée, n’avait pas été rapportée ; que les dispositions précitées de l’article 1649 quinquies E ne contiennent sur ce point aucune dérogation aux règles qui gouvernent l’assiette des impositions à l’impôt sur le revenu ;
Considérant qu’il n’est pas allégué que M. Firino Z… aurait clos à une date autre que celle du 31 décembre 1977 l’exercice correspondant à son activité agricole imposable ;
Considérant que l’instruction administrative du 14 juin 1977 relative au régime d’imposition des bénéfices agricoles, publiée au bulletin officiel de la direction générale des impôts du même mois, précise que les profits que procure à un ancien agriculteur la vente de stocks qu’il a conservés après cession ou cessation de son exploitation constituent des bénéfices agricoles, sous réserve que les ventes ne soient pas faites au détail dans une installation commerciale permanente ou à l’aide d’un personnel spécial, et que les recettes provenant de la vente de stocks après cession ou cessation d’activité doivent, sous réserve qu’elles ne présentent pas un caractère commercial, être prises en compte pour l’appréciation de la limite de 500 000 F prévue à l’article 69 A du code général des impôts ; que ces dispositions, qui ne comportent aucune restriction à l’égard de certains produits agricoles, ont eu pour effet de mettre fin, selon un mode de publicité suffisant, à l’interprétation contraire que le ministre des finances avait fait connaître dans sa réponse susmentionnée ; que, dès lors, et nonobstant la circonstance que les ventes qui sont à l’origine du revenu imposable ont été réalisées, en mai 1977, par M. Michel Y… Z… à une date où le ministre des finances n’avait pas encore fait connaître qu’il abandonnait l’interprétation contenue dans cette réponse, aucune interprétation susceptible de faire échec à la loi fiscale n’était opposable à l’administration et, par suite, au juge de l’impôt, sur le fondement des dispositions de l’article 1649 quiquies E du code général des impôts, à la date du 31 décembre 1977 à laquelle, comme il a été dit, il convient de se placer en l’espèce pour apprécier les obligations du contribuable en matière d’impôt sur le revenu et, par suite, les droits du Trésor ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le ministre de l’économie, des finances et du budget est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a déchargé les héritiers de M. Michel Y… Z… du complément d’impôt sur le revenu auquel ils ont été assujettis à raison du profit provenant des ventes de cognac réalisées en 1977 par leur auteur ;
Article ler : M. Michel Y… Z… (les héritiers) est rétabli au rôle de l’impôt sur le revenu au titre de l’année 1977 à raison de l’intégralité des droits dont il a été déchargé par le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 2 juillet 1985.
Article 2 : Le jugement susvisé du tribunal administratif de Paris en date du 2 juillet 1985 est réformé en ce qu’il a de contraire à la présente décision.
Article 3 : La présente décision sera notifiée aux héritiers de M. Michel Y… Z… et au ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la privatisation, chargé du budget.