RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 4 janvier 1985 et 6 mai 1985 au secrétariat du Contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la société anonyme SAPVIN, demeurant …, et tendant à ce que le Conseil d’Etat :
°1- annule le jugement du 6 novembre 1984 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes tendant d’une part à l’annulation de la décision en date du 3 mars 1983 par laquelle le ministre des relations extérieures a rejeté sa demande de protection diplomatique, d’autre part à l’annulation de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé pendant plus de quatre mois par le ministre des relations extérieures sur la réclamation qui lui avait été adressée par cette société le 29 avril 1983 tendant à ce que l’Etat lui verse la somme de 58 525 930,76 F ainsi qu’à la condamnation de l’Etat à lui verser la somme de 58 525 930,76 F avec intérêts de droit,
°2- annule la décision en date du 3 mars 1983 par laquelle le ministre des relations extérieures a rejeté sa demande de protection diplomatique, la décision implicite par laquelle ce ministre a rejeté sa demande en date du 29 avril 1983 tendant à ce que l’Etat lui verse la somme de 58 525 930,76 F et condamne l’Etat à lui verser la somme de 58 525 930,76 F avec intérêts de droit, ceux-ci étant capitalisés à la date d’introduction de la requête,
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le décret °n 70-262 du 18 mars 1970 portant publication de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement espagnol sur la reconnaissance et l’exécution des décisions judiciaires et arbitrales et des actes authentiques en matière civile et commerciale du 28 mai 1969 ;
Vu le code des tribunaux administratifs ;
Vu l’ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu :
– le rapport de M. Honorat, Auditeur,
– les observations de la S.C.P. Piwnica, Molinié, avocat de la société anonyme SAPVIN,
– les conclusions de M. Massot, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que, par lettre en date du 25 janvier 1983, la « Société d’approvisionnement vinicole » (SAPVIN) a demandé au ministre des relations extérieures d’engager des négociations diplomatiques avec le gouvernement espagnol ou, à défaut, de saisir la Cour Internationale de Justice, en raison de l’impossibilité dans laquelle elle se trouvait de faire exécuter à l’encontre de la société espagnole SANIVO le jugement de la cour d’appel d’Aix-en-Provence en date du 9 mars 1979 résiliant aux torts et griefs de cette dernière société deux contrats en date du 4 juin 1973 et la condamnant à verser à la SOCIETE SAPVIN 38 638 892,07 F de dommages intérêts, la cour suprême d’Espagne ayant rejeté, par une décision en date du 6 octobre 1981, la demande d’exequatur de ce jugement ; que le ministre des relations extérieures ayant refusé e 3 mars 1983 de faire droit à la demande de la SOCIETE SAPVIN, celle-ci a saisi le 2 mai et le 22 septembre 1983 le tribunal administratif de Paris de deux demandes tendant respectivement à l’annulation de la décision de refus du ministre et à la condamnation de l’Etat à lui verser une somme de 58 525 930,76 F en réparation du préjudice qu’elle subissait du fait de l’inexécution du jugement précité de la cour d’appel d’Aix-en-Provence ;
Considérant que le refus opposé le 3 mars 1983 par le ministre des relations extérieurs à la demande de la SOCIETE SAPVIN tendant à l’ouverture de négociations avec l’Espagne ou, à défaut, à la saisine de la cour internationale de justice constitue une décision qui n’est pas détachable de l’exercice des pouvoirs du gouvernement dans la conduite des relations diplomatiques ; que les conclusions par lesquelles cette société demande l’annulation de cette décision et la réparation du préjudice qu’elle lui a causé soulèvent des questions qui ne sont pas susceptibles, par leur nature, d’être portées devant la juridiction administrative ; que, par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les moyens de la requête sur ce point, c’est à tort que les premiers juges ont rejeté comme irrecevables les conclusions tendant à l’annulation de cette décision et comme non fondées les conclusions à fin d’indemnité ; qu’il y a lieu pour le Conseil d’Etat, d’une part, d’annuler le jugement attaqué en tant qu’il rejette lesdites conclusions et, d’autre part, de rejeter ces conclusions comme portées devant une juridiction incompétente ;
Considérant que si la responsabilité de l’Etat est susceptible d’être engagée sur le fondement du principe de l’égalité des citoyens devant les charges publiques pour assurer la réparation du préjudice né de conventions conclues par la France avec d’autres Etats et incorporées régulièrement dans l’ordre juridique interne cette réparation est notamment subordonnée à la condition que le préjudice invoqué présenté un caractère spécial ; qu’eu égard à la généralité des stipulations contenues dans la convention judiciaire franco-espagnole et du nombre des ressortissants français auxquels de telles stipulations peuvent s’appliquer le dommage qu’allègue la SOCIETE SAPVIN ne peut être regardé comme revêtant un caractère spécial de nature à engager la responsabilité sans faute de l’Etat envers ladite société ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la SOCIETE SAPVIN n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à ce que l’Etat soit condamné à lui verser la somme de 58 525 930,76 F avec intérêts de droit ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris, en date du 6 novembre 1984, est annulé en tant qu’il rejette les conclusions de la SOCIETE SAPVIN tendant à l’annulation de la décision du ministre des relations extérieures en date du 3 mars 1983 et à la réparation du préjudice que lui a causé cette décision.
Article 2 : Les conclusions de la SOCIETE SAPVIN tendant à l’annulation de la décision du ministre des relations extérieures en date du 3 mars 1983 et à la réparation du préjudice que lui a causé cette décision sont rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE SAPVIN et au ministre des affaires étrangères.