REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 14 février 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour M. Bruno A, demeurant … ; M. A demande au Conseil d’Etat : 1°) la condamnation de l’Etat à lui verser une indemnité d’un montant de 1 378 569,36 euros en réparation du préjudice qu’il estime avoir subi du fait de la méconnaissance de son droit à une durée raisonnable de procédure par la juridiction administrative, augmentée des intérêts de droit à compter du 19 décembre 2006 ; 2°) la mise à la charge de l’Etat de la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 3761 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique : – le rapport de M. Philippe Barbat, Auditeur, – les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de M. A, – les conclusions de M. Yves Struillou, Commissaire du gouvernement ;
Sur la responsabilité : Considérant qu’il résulte des principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives que les justiciables ont droit à ce que leurs requêtes soient jugées dans un délai raisonnable ; Considérant que, si la méconnaissance de cette obligation est sans incidence sur la validité de la décision juridictionnelle prise à l’issue de la procédure, les justiciables, tant en demande qu’en défense, doivent néanmoins pouvoir en faire assurer le respect ; qu’ainsi, lorsque la méconnaissance du droit à un délai raisonnable de jugement leur a causé un préjudice, ils peuvent obtenir la réparation de l’ensemble des préjudices, tant matériels que moraux, directs et certains, ainsi causés par le fonctionnement défectueux du service public de la justice ; Considérant qu’il résulte de l’instruction que le préfet du Gard a autorisé M. A, par arrêté du 12 septembre 1995, en vertu des dispositions dérogatoires alors en vigueur prévues à l’article L. 571 du code de la santé publique, à ouvrir une officine pharmaceutique dans le centre commercial du Mas de Mingue à Nîmes ; que Mme B, qui souhaitait également ouvrir une officine pharmaceutique à Nîmes, a saisi le tribunal administratif de Montpellier par requête enregistrée le 8 janvier 1996 d’une demande tendant à l’annulation de cet arrêté et à l’octroi de la licence d’exploitation d’une officine ; que M. A qui avait la qualité de partie en défense, a produit un mémoire en défense le 19 mars 1996 concluant au rejet de la demande ; que le tribunal administratif n’a statué que le 31 décembre 2001 alors que l’affaire, qui ne présentait pas de difficulté particulière, était en état d’être jugée à la fin de l’année 1996 ; que M. A a fait appel du jugement du tribunal administratif du 31 décembre 2001 par un mémoire introductif enregistré le 17 mars 2002 ; que la cour administrative d’appel de Marseille a statué sur cet appel par un arrêt du 5 septembre 2002 ; qu’ainsi un délai de 6 ans 7 mois et 3 semaines sépare la date d’introduction de la première instance de la date à laquelle l’affaire a été jugée en appel ; que, dans les circonstances de l’espèce, ce délai de jugement est excessif ; Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. A est fondé à soutenir que son droit à un délai raisonnable de jugement a été méconnu ; Sur le préjudice : Considérant, en premier lieu, que les préjudices matériels dont M. A demande la réparation, qui sont liés à la fermeture de l’officine qu’il avait ouverte, résultent de l’annulation par le tribunal administratif de Montpellier de l’arrêté préfectoral autorisant l’ouverture de cette officine, et non de la durée mise par le juge administratif à statuer sur la demande d’annulation de cette autorisation ; que dès lors la demande de réparation présentée à ce titre doit être rejetée ; Considérant, en deuxième lieu, que, si M. A soutient que le délai excessif mis, pour statuer, par le tribunal administratif de Montpellier l’a privé de la possibilité de demander et d’obtenir une nouvelle autorisation pour ouvrir une officine pharmaceutique, sur le fondement des dispositions dérogatoires prévues par l’article L. 571 du code de la santé publique, avant que cellesci soient supprimées par la loi du 27 juillet 1999, il n’établit pas qu’il aurait eu, si le tribunal administratif s’était prononcé avant l’intervention de cette nouvelle loi, des chances sérieuses d’obtenir une nouvelle autorisation ; que, d’ailleurs, la cour administrative d’appel de Marseille, saisie par le requérant, a, dans son arrêt du 5 septembre 2002, confirmé l’annulation de l’autorisation accordée à M. A par l’arrêté préfectoral du 12 septembre 1995 ; qu’il suit de là qu’il ne saurait être fait droit à la demande d’indemnisation de M. A au titre d’une perte de chance sérieuse ; Considérant, en troisième lieu, qu’il résulte de l’instruction que M. A a subi, du fait du délai excessif de la procédure de jugement, des désagréments allant audelà de ceux provoqués habituellement par un procès ; qu’eu égard aux circonstances de l’espèce il sera fait une juste appréciation du préjudice moral qu’il a ainsi subi en lui allouant une somme de 5 000 euros tous intérêts compris ; Sur les conclusions de M. A tendant à l’application des dispositions de l’article L. 7611 du code de justice administrative : Considérant qu’il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros demandée par M. A au titre des frais exposés par le requérant et non compris dans les dépens ;
D E C I D E : ————– Article 1er : L’Etat est condamné à verser à M. A la somme de 5 000 euros. Article 2 : L’Etat versera à M. A la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 7611 du code de justice administrative. Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté. Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Bruno A et au garde des sceaux, ministre de la justice. Copie en sera adressée pour information au chef de la mission permanente d’inspection des juridictions administratives.