REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 26 juin et 11 juillet 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour le PORT AUTONOME DE MARSEILLE, dont le siège est 23 place de la Joliette à Marseille (13002) ; le PORT AUTONOME DE MARSEILLE demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’ordonnance du 11 juin 2008 par laquelle le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Marseille, statuant en application de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, a annulé la procédure de passation du contrat relatif à la mise à disposition d’espaces du domaine public maritime et lui a enjoint de reprendre cette procédure ;
2°) de mettre la somme de 8 000 euros à la charge de la société Nigel Burgess Ltd au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 11 mai 2009, présentée pour la société Nigel Burgess Ltd ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 14 mai 2009, présentée pour le GRAND PORT MARITIME DE MARSEILLE ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 18 mai 2009, présentée pour la société Nigel Burgess Ltd ;
Vu le règlement (CE) n° 1564/2005 du 7 septembre 2005 ;
Vu le code des ports maritimes ;
Vu la loi n° 91-3 du 3 janvier 1991 modifiée ;
Vu la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 modifiée ;
Vu la loi n° 97-210 du 11 mars 1997 ;
Vu le décret n° 92-311 du 31 mars 1992 ;
Vu le décret n° 93-471 du 24 mars 1993 ;
Vu le décret n° 97-938 du 31 mai 1997 ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Agnès Fontana, chargée des fonctions de Maître des Requêtes,
– les observations de la SCP Vier, Barthélemy, Matuchansky, avocat du PORT AUTONOME DE MARSEILLE, de la SCP Peignot, Garreau, avocat du groupe CMA-CGM et de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de la société Nigel Burgess Ltd,
– les conclusions de M. Nicolas Boulouis, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Vier, Barthélemy, Matuchansky, avocat du PORT AUTONOME DE MARSEILLE, à la SCP Peignot, Garreau, avocat du groupe CMA-CGM et à la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de la société Nigel Burgess Ltd ;
Sur l’intervention du groupe CMA-CGM :
Considérant que le groupe CMA-CGM a intérêt à l’annulation de l’ordonnance attaquée ; qu’ainsi son intervention est recevable ;
Sur le bien-fondé de l’ordonnance :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 551-1 du code de justice administrative : le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu’il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation de marchés publics (…) et des conventions de délégation de service public (…)./ Les personnes habilitées à agir sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d’être lésées par ce manquement, ainsi que le représentant de l’Etat dans le département dans le cas où le contrat est conclu ou doit être conclu par une collectivité territoriale ou un établissement public local./ Le président du tribunal administratif peut être saisi avant la conclusion du contrat. Il peut ordonner à l’auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre la passation du contrat ou l’exécution de toute décision qui s’y rapporte. Il peut également annuler ces décisions et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. Dès qu’il est saisi, il peut enjoindre de différer la signature du contrat jusqu’au terme de la procédure et pour une durée maximum de vingt jours ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que le PORT AUTONOME DE MARSEILLE a lancé, par des avis de publicité publiés au bulletin officiel des annonces de marchés publics le 1er mars 2007 et au Journal officiel de l’Union européenne le 7 mars 2007, une procédure d’appel à projets pour la mise à disposition du domaine public maritime et d’équipements associés situés dans le secteur de la forme de réparation navale n° 10 ; que le conseil d’administration du PORT AUTONOME DE MARSEILLE a, par une délibération du 4 avril 2008, décidé de retenir l’offre du groupe CMA-CGM ; que la société Nigel Burgess Ltd, qui avait déposé une offre, a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Marseille d’une requête en référé précontractuel ; que le juge des référés a annulé la procédure par une ordonnance du 11 juin 2008 contre laquelle le PORT AUTONOME DE MARSEILLE se pourvoit en cassation ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi ;
Considérant qu’en vertu des dispositions précitées de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles susceptibles d’être lésées par de tels manquements ; qu’il appartient dès lors au juge des référés précontractuels de rechercher si l’entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l’avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente ; que, par suite, en annulant la procédure de passation litigieuse en se fondant sur la méconnaissance de l’exigence de publicité posée à l’article 1er du décret du 24 mars 1993, sur l’absence d’établissement d’une liste des candidats admis à présenter une offre en violation de l’article 38 de la loi du 29 janvier 1993, ainsi que sur l’absence de production par les candidats des documents permettant à l’autorité délégante de s’assurer du respect des prescriptions de l’article 8 du décret du 31 mai 1997, sans rechercher si ces irrégularités, à les supposer établies, étaient susceptibles d’avoir lésé ou risquait de léser la société Nigel Burgess Ltd, le juge des référés a commis une erreur de droit et a ainsi méconnu son office ; qu’il en résulte que le PORT AUTONOME DE MARSEILLE est fondé à demander l’annulation de l’ordonnance attaquée ;
Considérant que dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu, en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée par la société Nigel Burgess Ltd ;
Sur la compétence du juge du référé précontractuel :
Considérant qu’il résulte de l’instruction que la procédure engagée par le PORT AUTONOME DE MARSEILLE est susceptible d’aboutir soit à la conclusion d’une convention portant simplement occupation du domaine public maritime, dont la passation n’est soumise à aucune procédure particulière, soit à la signature d’une convention ayant pour objet la mise à disposition au bénéfice des tiers et l’exploitation de la forme de réparation navale n° 10 ainsi que la réalisation d’ importants équipements portuaires, notamment la réalisation d’un avant-port, la rémunération du cocontractant étant alors assurée par sa seule activité ; que cette convention peut donc être une concession d’outillage public déléguant une mission de service public au cocontractant dont la rémunération serait substantiellement assurée par les résultats de l’exploitation ; que le PORT AUTONOME DE MARSEILLE était ainsi susceptible de conclure, au terme de la procédure d’appel à projet, une délégation de service public relevant de la procédure prévue par les dispositions de l’article 38 de la loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques et de son décret d’application du 24 mars 1993 ; que dans cette hypothèse, il convient d’appliquer à la procédure de passation du contrat la procédure la plus rigoureuse, soit en l’espèce celle applicable aux conventions de délégation de service public ; que le juge des référés peut dès lors être valablement saisi de la régularité de sa passation sur le fondement des dispositions précitées de l’article L. 551-1 du code de justice administrative ;
Sur les manquements allégués aux obligations de publicité et de mise en concurrence :
Considérant, en premier lieu, que la société Nigel Burgess Ltd soutient que la procédure méconnaîtrait les règles de publicité, en l’absence, d’une part, d’un avis d’appel public à la concurrence conforme au règlement communautaire du 7 septembre 2005 et, d’autre part, d’une publication dans une revue spécialisée correspondant au secteur économique concerné, la publication dans la revue trimestrielle Dry Dock ne répondant pas aux exigences de l’article 1er du décret du 24 mars 1993 ; qu’elle soutient en outre que les candidats n’auraient pas produit les documents permettant à l’autorité délégante de s’assurer du respect des prescriptions de l’article 8 du décret du 31 mai 1997 pris pour l’application de la loi du 11 mars 1997 relative au renforcement de la lutte contre le travail illégal ; que, toutefois, il ne résulte pas de l’instruction que la société Nigel Burgess Ltd, dont la candidature a été admise, qui a pu présenter une offre sur la base de laquelle elle a été auditionnée à trois reprises, soit susceptible d’avoir été lésée ou risque d’être lésée par les irrégularités ainsi invoquées, à les supposer établies ; qu’elle ne peut dès lors se prévaloir de tels manquements à l’appui de sa requête ;
Considérant, en deuxième lieu, qu’aux termes du troisième alinéa de l’article 38 de la loi du 29 janvier 1993 : La collectivité publique dresse la liste des candidats admis à présenter une offre après examen de leurs garanties professionnelles et financières et de leur aptitude à assurer la continuité du service public et l’égalité des usagers devant le service public ; qu’il résulte de l’instruction que le PORT AUTONOME DE MARSEILLE a procédé à une présélection des candidats jugés recevables à présenter une offre conformément aux dispositions précitées ; que s’il est soutenu que le port autonome n’aurait pas formellement établi la liste des candidats ainsi admis à présenter leur offre, la société requérante n’établit pas en quoi le non respect de cette formalité l’aurait lésée ou aurait été susceptible de la léser ; que, de même, elle ne précise pas la nature des documents dont le port aurait omis de demander aux candidats la production et dont l’absence l’aurait ainsi lésée ou aurait été susceptible de la léser ;
Considérant, en troisième lieu, que si le port autonome a estimé que l’offre présentée par le groupe CMA-CGM, fondée sur la solution de base, intégrait également des éléments de l’option 2 et l’a, par suite qualifiée de mixage entre ces deux possibilités, cette circonstance est sans incidence sur la régularité de la procédure dès lors que les différents éléments de cette offre étaient conformes au règlement de consultation ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le port autonome aurait à tort requalifié l’offre du groupe CMA-CGM ne saurait être retenu ;
Considérant, en quatrième lieu, qu’aux termes de l’article 2.1 du règlement de consultation : pour chaque lot, le P.A.M. privilégiera, dans son analyse et l’évaluation des offres, les réponses correspondant à la solution de base ; qu’il résulte de l’instruction que la nature de l’offre de la société Nigel Burgess Ltd, proposant une option alternative, a bien été prise en compte par le port autonome qui a, toutefois, conformément au règlement de consultation, privilégié la solution de base ; qu’ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 2.1 précité doit être écarté ;
Considérant, en cinquième lieu, qu’il résulte de l’instruction que les offres ont été analysées au regard des cinq critères de sélection des offres prévus par l’article 4.2 du règlement de consultation ; que, par suite, cet article n’a pas été méconnu ;
Considérant, en sixième lieu, que si le rapport du 26 mars 2008 au vu duquel a été adoptée la délibération du 4 avril 2008 indiquait que le port autonome demanderait à la société CMA-CGM de prendre intégralement la charge financière telle que cela était prévu dans le cahier des charges concernant la reprise en l’état des installations , que cette mention ne visait que le simple rappel à l’attributaire des obligations fixées par la consultation ; qu’ainsi, contrairement à ce que soutient la société requérante, il ne résulte pas de l’instruction que le groupe CMA-CGM aurait été retenu sur la base d’une offre méconnaissant sur ce point le cahier des charges ;
Considérant, en septième lieu, que, si le rapport précité du 26 mars 2008 mentionnait, parmi les points contractuels à finaliser dans le cadre de la mise au point du contrat définitif avec l’attributaire, la détermination d’un mécanisme de paiement progressif des loyers au fur et à mesure de la prise de possession des terrains concernés et de la durée des travaux programmés , il ne résulte pas de l’instruction que cette précision apportée dans le cadre des négociations contractuelles aurait constitué une modification a posteriori du règlement de la consultation susceptible d’entraîner un manquement aux règles de mise en concurrence ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les conclusions de la société Nigel Burgess Ltd tendant à l’annulation de la procédure ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d’injonction et celles présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu’être rejetées ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées par le GRAND PORT MARITIME DE MARSEILLE et le groupe CMA-CGM au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de la société Nigel Burgess Ltd à leur bénéfice chacun la somme de 5 000 euros ;
D E C I D E :
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Article 1er : L’intervention du groupe CMA-CGM est admise.
Article 2 : L’ordonnance du 11 juin 2008 du juge des référés du tribunal administratif de Marseille est annulée.
Article 3 : La demande présentée par la société Nigel Burgess Ltd devant le tribunal administratif de Marseille et les conclusions de cette société présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La société Nigel Burgess Ltd versera la somme de 5 000 euros au GRAND PORT MARITIME DE MARSEILLE et au groupe CMA-CGM chacun au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au GRAND PORT MARITIME DE MARSEILLE, à la Société Nigel Burgess Ltd et au groupe CMA-CGM.