REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 21 mai et 19 août 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la BANQUE DE FRANCE, dont le siège est 39, rue Croix des Petits Champs à Paris (75001), représentée par son gouverneur en exercice ; la BANQUE DE FRANCE demande au Conseil d’Etat d’annuler l’arrêt n° 05MA01167 du 18 mars 2008 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille a, à la demande de M. Alain A, d’une part, annulé le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 9 mars 2005 ayant rejeté sa requête tendant à l’annulation de la décision du 25 janvier 2002 par laquelle le gouverneur de la BANQUE DE FRANCE l’a mis à la retraite d’office et à ce qu’il soit ordonné à son employeur de le réintégrer et, d’autre part, annulé la décision susvisée du gouverneur de la BANQUE DE FRANCE et enjoint à celle-ci de prononcer la réintégration juridique de M. A entre le 25 janvier 2002 et le 14 décembre 2005 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de monétaire et financier ;
Vu le code du travail ;
Vu la loi n° 83-675 du 26 juillet 1983 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Philippe Mettoux, Conseiller d’Etat,
– les observations de la SCP Delvolvé, Delvolvé, avocat de LA BANQUE DE FRANCE et de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de Mme Géralde A et autres,
– les conclusions de M. Nicolas Boulouis, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Delvolvé, Delvolvé, avocat de LA BANQUE DE FRANCE et à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de Mme Géralde A et autres ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par décision du 17 juin 1996, le gouverneur de la BANQUE DE FRANCE a, par mesure disciplinaire, mis M. Alain A, adjoint de direction, à la retraite d’office à compter du 30 mai 1996 ; que par arrêt du 30 mai 2000, notifié à la BANQUE DE FRANCE le 3 juillet suivant, la cour administrative d’appel de Marseille a annulé la décision du 17 juin 1996 pour irrégularité de la procédure de licenciement ; que par deux décisions en date du 31 août 2000, le gouverneur de la BANQUE DE FRANCE a, d’une part, réintégré M. A en qualité d’adjoint de direction à compter du 30 mai 1996 et, d’autre part, l’a suspendu de ses fonctions sans traitement avec effet immédiat ; que par décision du 25 janvier 2002, le Gouverneur de la BANQUE DE FRANCE a prononcé à l’encontre de M. A la sanction de la mise à la retraite d’office ; que par jugement du 9 mars 2005 le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande de M. A tendant à l’annulation de cette sanction ; que par l’arrêt attaqué du 18 mars 2008, la cour administrative d’appel de Marseille a annulé ce jugement et la décision du 25 janvier 2002 plaçant M. A à la retraite d’office ;
Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article L. 142-1 du code monétaire et financier : La Banque de France est une institution dont le capital appartient à l’Etat ; qu’elle constitue une personne publique chargée par la loi de missions de service public qui n’a cependant pas le caractère d’un établissement public, mais revêt une nature particulière et présente des caractéristiques propres ; qu’au nombre des caractéristiques propres à la BANQUE DE FRANCE, figure l’application à son personnel des dispositions du code du travail qui ne sont incompatibles ni avec son statut, ni avec les missions de service public dont elle est chargée, ainsi que le confirment les dispositions de la loi du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public applicables au litige ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 122-44 du code du travail, alors applicable, Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales. ; que ces dispositions posant une règle de prescription à l’engagement d’une procédure disciplinaire, ne sont incompatibles ni avec le statut de la BANQUE DE FRANCE, ni avec les missions de service public dont elle est chargée ; que la BANQUE DE FRANCE ne peut utilement invoquer la circonstance, étrangère à son statut et aux missions dont elle est chargée, que le point de départ de l’engagement de la procédure disciplinaire pourrait être difficile à déterminer ;
Considérant, d’autre part, que la prescription de deux mois mentionnés à l’article L. 122-44 du code du travail est interrompue par l’engagement des poursuites disciplinaires ; que la suspension provisoire de fonctions, prévue par les dispositions de l’article 239 du statut du personnel de la BANQUE DE FRANCE relatives à la discipline, constitue un engagement de la procédure disciplinaire pour l’application de l’article L. 122-44 du code du travail ; que par suite, si la cour administrative d’appel de Marseille a pu juger à bon droit, compte tenu de l’annulation de la première sanction pour vice de procédure, que le cours de la prescription avait repris à compter de la notification de son arrêt du 30 mai 2000 annulant la première sanction infligée à M. A, elle ne pouvait, toutefois, sans erreur de droit, juger que la suspension de fonctions, prononcée à son encontre après la notification de cet arrêt, ne pouvait être regardée comme susceptible d’interrompre ce nouveau délai ; que par suite, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, la BANQUE DE FRANCE est fondée à demander l’annulation de l’arrêt du 18 mars 2008 de la cour administrative d’appel de Marseille ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Considérant, ainsi qu’il a été dit, que suite à l’annulation pour vice de procédure de la mesure disciplinaire du 17 juin 1996 par l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 30 mai 2000, notifié à la BANQUE DE FRANCE le 3 juillet 2000, celle-ci avait deux mois à compter de la notification de cet arrêt pour engager, au stade précédant celui qui avait été vicié, une nouvelle procédure disciplinaire à l’encontre de M. A en application des dispositions de l’article L. 122-44, du code du travail alors en vigueur; qu’il ressort des pièces du dossier que si la décision du 31 août 2000 prononçant la suspension sans traitement de l’agent constitue un engagement de la procédure disciplinaire au sens de l’article L. 122-44 , cette décision n’a été adressée à M. A au plus tôt que le 11 septembre 2000, soit après l’expiration du délai de deux mois prévu par ces dispositions ; que la BANQUE DE FRANCE ne pouvait donc prononcer une sanction à l’encontre de M. A pour les faits ayant donné lieu à la première sanction annulée par l’arrêt du 30 mai 2000 ; que la décision contestée du 25 janvier 2002 prononçant la mise à la retraite d’office de M. A est ainsi entachée d’illégalité ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la demande, que M. A est fondé à demander l’annulation du jugement du tribunal administratif de Montpellier du 9 mars 2005 et de la décision du 25 janvier 2002 du Gouverneur de la BANQUE DE FRANCE ;
Considérant qu’en application des dispositions de l’article L. 911-1 du code de justice administrative, il y a lieu d’enjoindre à la BANQUE DE FRANCE, en exécution de la présente décision, de procéder à la reconstitution de carrière de M. A, du 25 janvier 2002, date de sa mise à la retraite, au 14 décembre 2005, date de son décès, dans le délai d’un mois à compter de la notification ;
Considérant enfin, que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge de M. A, qui n’est pas au final la partie perdante dans la présente instance, les sommes que demande la BANQUE DE FRANCE au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la BANQUE DE FRANCE, les sommes que demande M. A au titre des mêmes frais ;
D E C I D E :
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Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 18 mars 2008 et le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 9 mars 2005 sont annulés.
Article 2 : La décision du Gouverneur de la BANQUE DE FRANCE du 25 janvier 2002 est annulée.
Article 3 : Il est enjoint à la BANQUE DE FRANCE de reconstituer la carrière de M. A, du 25 janvier 2002 au 14 décembre 2005, dans le délai d’un mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 4 : Les conclusions de la BANQUE DE FRANCE et de M. A tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la BANQUE DE FRANCE, à Mme Géralde A, à Mlle Gaëlle A et à M. Valéry A.