REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 2 août 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par M. Jean-Louis B, demeurant … ; M. B demande au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir le décret du 25 juillet 2006 portant nomination dans la magistrature, en tant qu’il nomme M. Bertrand A, vice-procureur de la République près le tribunal de grande instance de Perpignan, aux fonctions de procureur de la République près le tribunal de grande instance de Narbonne ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Rémi Decout-Paolini, chargé des fonctions de Maître des Requêtes,
– les conclusions de M. Mattias Guyomar, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que M. B demande l’annulation du décret du 25 juillet 2006 portant nomination dans la magistrature, en tant qu’il nomme M. Bertrand A procureur de la République près le tribunal de grande instance de Narbonne ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête :
Considérant que, par une circulaire du 29 septembre 2005, le garde des sceaux, ministre de la justice, a fixé, comme il était fondé à le faire en vertu de ses pouvoirs d’organisation du service pour mettre en oeuvre les dispositions de l’ordonnance du 22 décembre 1958 dans le cadre de la préparation du mouvement annuel de magistrats de l’année 2006, les modalités de transmission des candidatures ; qu’aux termes de cette circulaire : » seuls seront (…) pris en considération les desiderata des magistrats parvenus à la direction des services judiciaires par la voie hiérarchique au plus tard le 4 novembre 2005 » ; qu’il n’est pas contesté que le dossier de candidature de M. A a été transmis à la direction des services judiciaires le 13 janvier 2006 ; qu’en procédant à la nomination de M. A, qui avait présenté sa demande après l’expiration du délai fixé par la circulaire précitée, le garde des sceaux a méconnu des dispositions qui avaient pour objet et pour effet de permettre le respect du principe d’égalité de traitement des magistrats dans le déroulement de leur carrière ; que si le garde des sceaux entend soutenir que l’exceptionnelle qualité de la candidature de M. A justifiait que, dans l’intérêt du service, sa candidature fût retenue, cette seule circonstance ne pouvait justifier la méconnaissance des dispositions précitées ; qu’il résulte de ce qui précède que M. B est fondé à demander l’annulation du décret du 25 juillet 2006 portant nomination de magistrats, en tant qu’il procède à la nomination de M. A aux fonctions de procureur de la République près le tribunal de grande instance de Narbonne ;
Sur les conséquences de l’illégalité du décret attaqué :
Considérant que l’annulation d’un acte administratif implique, en principe, que cet acte est réputé n’être jamais intervenu ; que, toutefois, s’il apparaît que cet effet rétroactif de l’annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu’il était en vigueur que de l’intérêt général pouvant s’attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif – après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l’ensemble des moyens, d’ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l’acte en cause – de prendre en considération, d’une part, les conséquences de la rétroactivité de l’annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d’autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l’annulation ; qu’il lui revient d’apprécier, en rapprochant ces éléments, s’ils peuvent justifier qu’il soit dérogé à titre exceptionnel au principe de l’effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l’affirmative, de prévoir dans sa décision d’annulation que tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à l’annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l’annulation ne prendra effet qu’à une date ultérieure qu’il détermine ;
Considérant que l’irrégularité de la nomination d’un magistrat est de nature à entraîner la nullité des jugements et procédures auxquels il a concouru ; qu’il résulte du supplément d’instruction auquel il a été procédé que, compte tenu de la nature du motif d’annulation retenu et alors qu’aucun autre moyen n’est de nature à justifier l’annulation prononcée par la présente décision, l’annulation rétroactive de la nomination de M. A porterait, eu égard à la nature et à la durée des fonctions qu’il a exercées en qualité de procureur de la République près le tribunal de grande instance de Narbonne, une atteinte manifestement excessive au fonctionnement du service public de la justice ; que, dès lors, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de ne prononcer l’annulation de la nomination de M. A qu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de la présente décision ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le décret du 25 juillet 2006 portant nomination de magistrats est annulé à compter de l’expiration d’un délai d’un mois courant de la date de la présente décision, en tant qu’il procède à la nomination de M. A aux fonctions de procureur de la République près le tribunal de grande instance de Narbonne.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Jean-Louis B, au garde des sceaux, ministre de la justice et au Premier ministre.