REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 11 mars et 8 juillet 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour le DEPARTEMENT DE MEURTHE-ET-MOSELLE, représenté par le président du conseil général en exercice domicilié en cette qualité au 48, rue du Sergent Blondau à Nancy (54035, cedex) ; le DEPARTEMENT DE MEURTHE-ET-MOSELLE demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 22 janvier 2004 de la cour administrative d’appel de Nancy en tant qu’il a rejeté sa requête tendant à l’annulation de l’article 1er du jugement du 7 septembre 1999 du tribunal administratif de Nancy annulant l’arrêté du 21 avril 1998 du président du conseil général refusant d’autoriser M. Bouchaïb A à abaisser la bordure du trottoir au droit de son immeuble sis … à Saulnes ;
2°) statuant au fond, d’annuler l’article 1er du jugement du tribunal administratif et de rejeter la demande présentée en première instance par M. A ;
3°) de mettre à la charge de M. A la somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Marc Lambron, Conseiller d’Etat,
– les observations de la SCP Parmentier, Didier, avocat du DEPARTEMENT DE MEURTHE-ET-MOSELLE, et de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat de M. A,
– les conclusions de M. Terry Olson, Commissaire du gouvernement ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête ;
Considérant que l’administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l’excès de pouvoir que la décision dont l’annulation est demandée, est légalement justifiée par un motif de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision ; qu’il appartient alors au juge, après avoir mis à même l’auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d’apprécier s’il résulte de l’instruction que l’administration aurait pris la même décision si elle s’était fondée initialement sur ce motif ; que, dans l’affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu’elle ne prive pas le requérant d’une garantie procédurale liée au motif substitué ;
Considérant que, par arrêté du 21 avril 1998, le président du conseil général du DEPARTEMENT DE MEURTHE-ET-MOSELLE a refusé d’accorder à M. A une permission de voirie en vue de réaliser des travaux d’abaissement de la bordure de trottoir au droit de sa propriété sise … à Saulnes en bordure d’une route départementale ;
Considérant qu’à la suite de l’annulation de cet arrêté par l’article 1er d’un jugement du 7 septembre 1999 du tribunal administratif de Nancy, le DEPARTEMENT DE MEURTHE-ET-MOSELLE a invoqué devant la cour administrative d’appel de Nancy, par un mémoire communiqué à M. A, un motif tiré de ce que la sécurité du trafic routier justifiait le refus de permission de voirie ; qu’en s’abstenant de rechercher si ce motif pouvait justifier légalement ce refus, la cour a entaché son arrêt d’une erreur de droit ; que, dès lors, le département est fondé à demander l’annulation de cet arrêt en tant qu’il a rejeté l’appel qu’il avait formé contre l’article 1er du jugement du tribunal administratif de Nancy annulant l’arrêté précité du 21 avril 1998 du président du conseil général de Meurthe-et-Moselle refusant d’accorder à M. A ladite permission de voirie ;
Considérant qu’en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 2213-1 du code général des collectivités territoriales : « Le maire exerce la police de la circulation sur les routes nationales, les routes départementales et les voies de communication à l’intérieur des agglomérations… » et qu’aux termes de l’article L. 3221-4 du même code : « Le président du conseil général gère le domaine du département. A ce titre, il exerce les pouvoirs de police afférents à cette gestion, notamment en ce qui concerne la circulation sur ce domaine, sous réserve des attributions dévolues au maire… » ; que, même à l’intérieur d’une agglomération, les permissions de voirie sur le domaine public départemental n’entrent pas dans le champ d’application de l’article L. 2213-1 et relèvent, en vertu de l’article L. 3221-4, de la seule compétence du président du conseil général ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le président du conseil général n’était pas lié par l’avis défavorable, fondé sur un motif tiré de la sécurité du trafic routier, émis le 27 mars 1998 par le maire de Saulnes sur la demande de permission de voirie présentée par M. A en vue de réaliser des travaux d’abaissement du trottoir au droit de sa propriété sise …, en bordure d’une route départementale ; que, toutefois, il y a lieu de rechercher si, comme le soutient le département, le refus de permission de voirie opposé à cette demande par l’arrêté du président du conseil général du 21 avril 1998 était justifié par un motif tiré de la sécurité du trafic routier ; qu’il ressort des pièces du dossier que l’importance du nombre de véhicules, notamment de camions, qui empruntaient quotidiennement la rue de Longwy ainsi que la situation, dans une courbe de cette rue dotée d’un trottoir étroit, de l’immeuble appartenant à M. A, justifiaient, pour le motif de sécurité du trafic routier invoqué, le refus de permission de voirie ; qu’il résulte de l’instruction que le président du conseil général aurait pris la même décision même en l’absence du motif de compétence liée primitivement invoqué ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que c’est à tort que, pour annuler l’arrêté attaqué, le tribunal administratif s’est fondé sur l’erreur de droit commise par le président du conseil général concernant l’étendue de sa compétence ;
Considérant toutefois qu’il appartient au Conseil d’Etat, saisi de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner l’autre moyen soulevé par M. A devant le tribunal administratif de Nancy ;
Considérant que, à supposer même que d’autres riverains de la rue de Longwy auraient obtenu une permission de voirie pour des travaux de même nature que ceux projetés par M. A, celui-ci, en raison de la situation particulière de sa propriété située dans une courbe de cette rue, n’est, en tout état de cause, pas fondé à invoquer une méconnaissance du principe d’égalité ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que le DEPARTEMENT DE MEURTHE-ET-MOSELLE est fondé à soutenir que c’est à tort que, par l’article 1er du jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a annulé l’arrêté du président de son conseil général du 21 avril 1998 ; que doivent être rejetées par voie de conséquence les conclusions présentées par M. A devant le tribunal administratif de Nancy et la cour administrative d’appel de Nancy tendant au bénéfice des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de M. A la somme que le DEPARTEMENT DE MEURTHE-ET-MOSELLE demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy du 22 janvier 2004, en tant qu’il a rejeté la requête d’appel du DEPARTEMENT DE MEURTHE-ET-MOSELLE, et l’article 1er du jugement du tribunal administratif de Nancy du 7 septembre 1999 sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par M. A devant le tribunal administratif de Nancy, en tant qu’elle tend à l’annulation de l’arrêté du 21 avril 1998 du président du conseil général du DEPARTEMENT DE MEURTHE-ET-MOSELLE, ainsi que ses conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du DEPARTEMENT DE MEURTHE-ET-MOSELLE est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au DEPARTEMENT DE MEURTHE-ET-MOSELLE, à M. Bouchaïb A, à la commune de Saulnes et au ministre d’Etat, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire.