Si l’articulation entre les pouvoirs de police administrative générale du maire et spéciale des diverses autorités étatiques a donné lieu à des solutions jurisprudentielles aussi classiques que subtiles, l’articulation entre les pouvoirs des autorités de police et ceux des gestionnaires du domaine public donne lieu à des solutions également complexes.
Le maire de la commune de Chambord a adopté, le 23 mai 2011, un arrêté portant autorisation de stationnement au profit d’un commerçant pour installer sa terrasse place Saint-Louis. Cet acte, qui pourrait constituer l’exemple même de l’« acte banal » d’administration, a cependant fait l’objet d’un déféré du préfet du Loir-et-Cher et d’un recours pour excès de pouvoir de l’établissement public du Domaine national de Chambord. En effet, cette commune présente la particularité d’avoir une très grande partie de son territoire propriété de l’Etat et sa gestion est confiée par la loi à un établissement public.
Le Tribunal administratif d’Orléans va, par un jugement du 6 mars 2012, annuler cet arrêté au motif tiré de ce que cette place ne constituant pas une voie de communication, le maire n’avait pas compétence pour l’édicter. La Cour administrative d’appel de Nantes, saisie par la commune, va alors infirmer ce jugement par un arrêt du 28 décembre 2012. L’établissement public du Domaine de Chambord se pourvoira alors en cassation estimant que ses prérogatives légales avaient été méconnues par les seconds juges. Cependant, le Conseil d’Etat va rejeter ce pourvoi donnant ainsi une ligne de partage entre les compétences domaniales et policières.
1°) Les places et autres voies mises à la disposition directe du public constituent des dépendances du domaine public (article L.2111‑1 du code général de la propriété des personnes publiques) et, de ce fait, sont placées sous le strict régime protecteur applicable à de telles dépendances.
L’autorité gestionnaire du domaine public peut toujours, sauf texte contraire, délivrer des autorisations d’utilisations privatives du domaine public à titre onéreux sous la seule réserve de la comptabilité de cette utilisation avec la finalité du domaine en cause (CE, 1er juin 1939, Commune d’Uzès, concl. Lagrange D. 1939.III.41).
Mais les dispositions de l’article L.2213‑1 du code général des collectivités territoriales prévoient que le maire exerce la police de la circulation sur les routes et les voies de communication à l’exception des routes à grande circulation. Il est également précisé par l’article L.2213‑6 de ce code qu’il peut également délivrer des permis de stationnement sur les lieux publics.
La jurisprudence a pu préciser que la compétence de droit commun est celle de l’autorité domaniale, l’autorité de police n’agissant que dans les strictes limites du champ d’application de l’article L.2213‑1 du code général des collectivités territoriales (Conseil d’Etat, SSR., 15 novembre 2006, Département de Meurthe-et-Moselle, requête n° 265453, Rec. T. p. 748).
Il résulte donc de ces textes qu’il convient de distinguer l’autorité compétente suivant l’objet même de l’autorisation en cause ce qui n’est pas toujours simple à déterminer, ces dernières s’excluant logiquement.
S’il s’agit d’une autorisation de nature domaniale, telle une permission de voirie, c’est l’autorité gestionnaire du domaine qui est compétente (CE Sect., 29 avril 1966, Société d’affichage Giraudy, n° 60127, Rec. p. 293).
Inversement, s’il s’agit d’une autorisation de police, tel un permis de stationnement, c’est l’autorité de police (maire, préfet ou toute autre autorité spécialement désignée) qui est seule fondée à leur édiction (Conseil d’Etat SSR., 14 juin 1972, Elkoubi, requête n° 83682, Rec. p. 436).
La distinction entre les deux types d’autorisation est parfois délicate à opérer mais une occupation dépourvue d’emprise est normalement possible avec une simple autorisation de stationnement alors que la présence d’une emprise implique une autorisation domaniale (CE, 15 juillet 1964, Longuefosse, Rec. 423).
2°) Toutefois, ces règles nationales ne sont pas totalement applicables au cas de la commune de Chambord.
En effet, le château de Chambord, ses forêts et ses dépendances sont propriété de l’Etat et, depuis 2005, sont données en dotation à un établissement public à caractère industriel et commercial de l’Etat dont le directeur général assure la gestion domaniale. Or, la place litigieuse se trouvait incluse dans ce domaine et non dans le domaine communal. Une configuration similaire bien qu’atypique se trouve dans certaines parties de la commune de Versailles, autre « domaine royal », et à Paris du fait de son statut de capitale.
Les compétences domaniales d’une administration peuvent parfaitement s’exercer sur un domaine qui appartient à une autre personne publique lorsque la loi le prévoit (Conseil d’Etat, SSR., 1er février 2012, Société RTE EDF Transport , requête n° 338665 ; Conseil d’Etat, SSR., 1er février 2012, Padureanu, requête n° 349749) et c’est la solution qui a été retenue par l’article 230 de la loi n° 2005‑157 du 23 février 2005 pour le domaine de Chambord qui est propriété de l’Etat mais se trouve remis en dotation à l’établissement public gestionnaire.
Or, la rédaction retenue par le Conseil d’Etat dans son arrêt rend la solution transposable à toute combinaison entre une règle domaniale spéciale avec les pouvoirs de police du maire ; ce dernier n’est jamais mis en échec lorsqu’il s’agit de voies ouvertes à la circulation, même piétonne. Ceci semble logique car ce pouvoir de police du stationnement résulte d’une règle spéciale.
Une telle solution prolonge, en matière domaniale, la capacité du pouvoir de police du maire à intervenir en complément de règles dont l’application est plus générale comme c’est traditionnellement le cas en matière de police (Conseil d’Etat, Section, 18 avril 1902, Commune de Néris-les-Bains, requête numéro 04749, Rec. p. 275 ; Conseil d’Etat, Section, 18 décembre 1959, Société « Les films Lutetia » et autre, requête numéro 36385, Rec. p. 693 ; Conseil d’Etat, Assemblée, 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge, requête numéro 136727, Rec. p. 372).
3°) Toutefois, si le raisonnement tenu par le Conseil d’Etat a parfaitement vocation à faire jurisprudence, telle n’est pas exactement le cas de la solution propre à l’espèce en cause, du fait de l’intervention de la loi n° 2014‑58 du 27 janvier 2014 qui modifie quelque peu les règles en la matière.
L’article 62 de cette loi, transfère au maire la compétence de la police de la circulation en dehors des agglomérations sur les domaines publics routiers communaux et intercommunaux en lieu et place du préfet.
L’article L.2333‑87 du code général des collectivités territoriales, inséré par l’article 63 de cette loi, prévoit au surplus qu’à compter du 1er janvier 2016, les redevances de stationnement constitueront une recette non fiscale de la commune et, donc par voie de conséquence, une forme de recette domaniale ce qui ne sera pas sans constituer une difficulté nouvelle à Chambord.
Il semble donc que la délicate recherche de l’autorité compétente pour délivrer des autorisations portant sur le domaine public soit loin d’être achevée.