REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat les 18 novembre 1991 et 18 mars 1992, présentés pour la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, la Société civile des auteurs réalisateurs producteurs, la Société civile des auteurs multimédia, l’Administration Droits Artistes musiciens Interprètes et la Société des réalisateurs de films ; les sociétés requérantes demandent au Conseil d’Etat d’annuler la décision en date du 9 octobre 1991 par laquelle le Conseil supérieur de l’audiovisuel a refusé de mettre les sociétés TF 1, La Cinq et M 6 en demeure de respecter les obligations qui leur sont imposées en matière de diffusion et de production d’oeuvres d’origine communautaire ou d’expression française et de condamner le Conseil supérieur de l’audiovisuel à leur verser une somme de 20 000 F en application de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1988 modifiée relative à la liberté de communication ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu l’ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
– le rapport de Mlle Laigneau, Maître des Requêtes,
– les observations de la SCP Vier, Barthélemy, avocat de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques-SACD,
– les conclusions de Mme Pécresse, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la loi susvisée du 30 septembre 1986, le Conseil supérieur de l’audiovisuel « veille à la qualité et à la diversité des programmes, au développement de la production et de la création audiovisuelles nationales ainsi qu’à la défense et à l’illustration de la langue et de la culture françaises » ; qu’aux termes de l’article 42 de la même loi : « Le Conseil supérieur de l’audiovisuel peut mettre en demeure les titulaires d’autorisation pour l’exploitation d’un service de communication audiovisuelle de respecter les obligations qui leur sont imposées par les textes législatifs et réglementaires et par les principes définis à l’article premier de la présente loi. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel rend publiques ces mises en demeure. Les organisations professionnelles et syndicales, représentatives du secteur de la communication audiovisuelle, peuvent saisir le Conseil supérieur de l’audiovisuel de demandes tendant à ce qu’il engage la procédure prévue à l’alinéa premier du présent article » ; qu’aux termes de l’article 42-1 de la même loi : « Si le titulaire d’une autorisation pour l’exploitation d’un service de communication audiovisuelle ne respecte pas les obligations ci-dessus mentionnées ou ne se conforme pas aux mises en demeure qui lui ont été adressées, le Conseil supérieur de l’audiovisuel peut prononcer à son encontre, compte tenu de la gravité du manquement, une des sanctions suivantes (…) » ;
Considérant que, par une lettre en date du 30 septembre 1991, la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) et quatre autres organisations professionnelles du secteur audiovisuel ont demandé au Conseil supérieur de l’audiovisuel, en application du 3è alinéa de l’article 42 précité, de mettre les sociétés TF 1, La Cinq et M 6 en demeure de respecter les obligations qui leur sont imposées en matière de diffusion et de production d’oeuvres d’origine communautaire ou d’expression française ; que, par la décision attaquée en date du 9 octobre 1991, le Conseil supérieur de l’audiovisuel a fait savoir aux organisations requérantes qu’il n’envisageait pas d’adresser une mise en demeure à ces services de télévision mis en cause pour les manquements constatés à leurs obligations durant les années 1988, 1989 et 1990 ;
Considérant que les dispositions susmentionnées de la loi du 30 septembre 1986 modifiée, n’ont pas pour effet d’obliger le Conseil supérieur de l’audiovisuel, qui dispose d’autres moyens pour conduire les titulaires d’autorisation pour l’exploitation d’un service de communication audiovisuelle à respecter les obligations qui leur sont imposées, à adresser auxdits titulaires une mise en demeure lorsqu’il est saisi d’une telle demande en application du 3ème alinéa de l’article 42 précité ; que ces dispositions laissent au Conseil supérieur de l’audiovisuel le soin d’apprécier sous le contrôle du juge si, compte tenu des circonstances et de la nature des manquements constatés, il y a lieu pour lui de prendre immédiatement une telle mesure ; qu’il s’ensuit que c’est à tort que les sociétés requérantes soutiennent que le Conseil supérieur de l’audiovisuel était tenu de prononcer les mises en demeure qui lui étaient demandées ;
Considérant que le Conseil supérieur de l’audiovisuel fait valoir que les mesures qu’il a prises ont pour objet d’amener progressivement les sociétés mises en cause à respecter leurs obligations en ce qui concerne la production d’oeuvres audiovisuelles et la diffusion d’oeuvres communautaires et d’expression originelle française ; que si les organisations requérantes soutiennent que ces mesures seraient insuffisantes au regard de l’importance des manquements qu’elles invoquent, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’en refusant de prononcer les mises en demeure qui lui étaient demandées et de faire usage des pouvoirs que lui confère l’article 42 de la loi précitée, le Conseil supérieur de l’audiovisuel aurait commis une erreur manifeste d’appréciation, dès lors, notamment, que le refus de procéder à une mise en demeure pour des manquements déterminés n’excluait pas la possibilité pour le Conseil supérieur de l’audiovisuel d’engager ultérieurement les procédures de sanction prévues à l’article 47 de la même loi ;
Considérant que si, dans la décision attaquée, le Conseil supérieur de l’audiovisuel a indiqué qu’il estimait nécessaire que soit « mis en oeuvre un dispositif de quotas modulés selon les capacités de chaque opérateur », il ressort des termes même de cette décision que cette considération, qui s’inscrivait dans le cadre d’une réflexion sur une éventuelle révision des textes alors en vigueur, n’a pas servi de fondement au refus opposé par le Conseil supérieur de l’audiovisuel aux organisations requérantes ; que, pour justifier ce refus, le Conseil supérieur de l’audiovisuel a précisé qu’il estimait préférable d’accorder aux sociétés mises en cause un délai supplémentaire afin de leur permettre de respecter leurs obligations, tout en n’excluant pas la possibilité de mettre ultérieurement ces sociétés en demeure de se conformer à leurs obligations dans l’hypothèse où la mesure décidée ne serait pas suivie d’effets ; qu’ainsi qu’il a été dit ci-dessus, les dispositions de la loi du 30 septembre 1986 modifiée laissent au Conseil supérieur de l’audiovisuel le soin de prendre les mesures qu’il estime les plus appropriées à la réalisation de l’objectif poursuivi ; que, dès lors, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que la décision attaquée serait fondée sur un motif illégal ;
Considérant que si le Conseil supérieur de l’audiovisuel a accordé aux sociétés mises en cause un délai supplémentaire afin de leur permettre de respecter leurs obligations, il ressort de la décision attaquée qu’il n’a pas pour autant renoncé à user des pouvoirs de mise en demeure et de sanction qui lui sont conférés par les articles 42 et 42-1 précités de la loi du 30 septembre 1986 ; que, dès lors, c’est à tort que les sociétés requérantes soutiennent que le Conseil supérieur de l’audiovisuel, en prenant la décision attaquée, aurait illégalement renoncé à exercer les prérogatives de puissance publique qu’il tient de la loi en contrepartie d’engagements de nature contractuelle qui auraient été souscrits par les sociétés concernées ;
Considérant que les organisations requérantes soutiennent qu’en prenant par ailleurs à l’encontre des sociétés TF 1, La Cinq et M 6 des sanctions financières plus ou moins lourdes au regard des capacités financières de chacune des sociétés sanctionnées, le Conseil supérieur de l’audiovisuel aurait méconnu les principes d’égalité de traitement et de liberté de la concurrence, respectivement posés aux articles 28 et 41-4 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée ; qu’un tel moyen est inopérant à l’égard de la décision du 9 octobre 1991 par laquelle le Conseil supérieur de l’audiovisuel ne prononce aucune sanction et se borne à refuser d’adresser à cette date la mise en demeure demandée par lesdites organisations ;
Considérant que le détournement de pouvoir allégué n’est pas établi ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que les organisations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que la décision par laquelle le Conseil supérieur de l’audiovisuel a refusé d’adresser une mise en demeure aux sociétés TF 1, La Cinq et M6 doitêtre annulée ;
Sur l’application des dispositions de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant que les dispositions de l’article 75-I de la loi susmentionnée du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que l’Etat, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamné à payer aux organisations requérantes la somme qu’elles demandent au titre des frais qu’elles ont exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens ;
Article 1er : La requête présentée par la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, la Société civile des auteurs réalisateurs producteurs, la Société civile des auteurs multimédia, l’Administration Droits Artistes musiciens Interprètes et la Société des réalisateurs de films est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, à la Société civile des auteurs réalisateurs producteurs, à la Société civile des auteurs multimédia, à l’Administration Droits Artistes musiciens Interprètes, à la Société des réalisateurs de films, au Conseil supérieur de l’audiovisuel et au ministre de la culture.