Les sanctions scolaires sont inhérentes à l’apprentissage de la vie en collectivité et le quasi-abandon de la notion de « mesures d’ordre intérieur » a induit une juridicisation accrue des procédures suivies par l’administration et des « peines » encourues (CE Ass., 17 février 1995, Hardouin et Marie (2 espèces), concl. Frydman Rec. p. 82 et 85, GAJA n° 94).
La Fédération des conseils de parents d’élèves des écoles publiques (FCPE) et l’Union nationale lycéenne (UNL) ont saisi le Conseil d’Etat d’un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation du décret n° 2011‑728 du 24 juin 2011 relatif à la discipline scolaire. Ce texte prévoit notamment une évolution des règles applicables en la matière en instaurant de nouvelles obligations disciplinaires à la charge des élèves ainsi qu’en cas de méconnaissance, une obligation de poursuites disciplinaires par l’administration.
Les moyens soulevés par cette requête justifiaient le renvoi en formation d’Assemblée compte tenu des questions de principes soulevés qui avaient fait l’objet d’un réexamen récent par le Conseil constitutionnel (CC, 28 mars 2014, M. Joël M., n° 2014‑385 QPC) et sur lesquels il convenait de rechercher une convergence des jurisprudences entre les deux occupants du Palais royal. Les associations requérantes soulevaient en effet deux moyens principaux dont la résolution n’avait rien d’évident et qui pouvaient être généralisés à tout pouvoir de sanction administrative.
A l’appui de leur recours, les requérants soutenaient tout d’abord qu’en instaurant une obligation de poursuite à la charge de l’administration, le Premier ministre aurait méconnu un principe général du droit suivant lequel l’opportunité des poursuites aurait été consacrée. La formation la plus solennelle du Conseil n’a pas fait droit à cette consécration et a défini à cette occasion les conditions dans lesquelles l’administration doit apprécier la possibilité de sanctionner administrativement quelqu’un.
Enfin, il était également invoqué la violation du principe de légalité des délits et des peines en ce que le décret attaqué n’aurait pas prévu, avec précision, les actes et actions répréhensibles et les peines applicables en conséquence. L’Assemblée du contentieux ne suivra pas son rapporteur public qui proposait sa consécration. Ce faisant, cette question demeure réservée, ce qui n’est que partiellement satisfaisant.
C’est donc dans la grande tradition des arrêts de rejet que le Conseil d’Etat a consacré l’absence de deux principes généraux du droit relatifs à l’opportunité des poursuites (I) et à la légalité des « délits et des peines » (II) en matière de sanctions administratives.
I. L’absence d’une principe général du droit consacrant l’« opportunité des poursuites » en matière administrative
1°) Le droit pénal français consacre le principe suivant lequel le ministère public apprécie librement (Article 40‑1 du code de procédure pénale) si les actes dont il a connaissance, spontanément ou sur plainte d’un tiers, doivent donner lieu à des poursuites devant les juridictions répressives. Il est également possible au procureur de la République de préférer, dans certaines hypothèses, une procédure alternative aux poursuites (médiation pénale, composition pénale, etc., cf. Articles 41‑1 et 41‑2 du code de procédure pénale). Toutefois, le procureur est tenu d’engager les poursuites lorsqu’une instruction hiérarchique en ce sens est formulée par le procureur général (Article 33 du code de procédure pénale), le garde des Sceaux ne disposant désormais plus de cette prérogative (Loi n° 2013‑669 du 25 juillet 2013 relative aux attributions du garde des Sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l’action publique, JO p. 12441).
La proximité du droit pénal avec le droit administratif répressif encourage cependant la recherche de transposition de certains principes (Conseil d’Etat, Les pouvoirs de l’administration dans le domaine des sanctions, EDCE 1995 p. 73 et s). Le droit administratif français répressif, qui instaure des sanctions administratives, présente néanmoins des solutions plus contrastées qui auraient pu être de nature à fonder un principe général du droit (CE Sect., 26 juin 1959, Syndicat général des ingénieurs conseils, Rec. p. 394, concl. Fournier RDP 1959 p. 1004, note R. Drago S. 1959.202), consacrant une libre appréciation de l’opportunité des poursuites par l’administration, comme le soutenait les requérants (Il sera volontairement exclu la situation particulière des sanctions contractuelles que l’administration peut infliger à ses cocontractants).
L’opportunité des poursuites doit être ici appréciée différemment suivant que la sanction puisse être prononcée directement par l’administration active ou par l’intermédiaire du juge administratif, agissant ici en qualité de juge répressif non pénal, car il s’agit là de situation différentes. Dans le premier cas, l’administration dispose de la compétence pour sanctionner mais refuse d’y procéder ; dans le second cas, l’administration ne dispose pas de cette capacité et fait obstacle à ce que l’organe compétent puisse se prononcer.
2°) Lorsque les sanctions doivent être prononcées par l’administration active, la jurisprudence la plus classique fait état d’une large liberté conférée à celle-ci pour apprécier, s’il y a lieu, de prononcer une sanction. Ainsi, en matière de fonction publique, l’autorité hiérarchique est libre de prononcer une sanction, dans le respect des textes, si elle l’estime opportun dès lors qu’une faute existe (CE, 8 juin 1966, Banse, Rec. p. T. 876).
Lorsqu’une autorité administrative indépendante dispose d’un pouvoir de sanction qu’elle peut directement exercer, elle se doit d’apprécier, d’office ou lorsqu’elle est saisie d’une « plainte » en ce sens formée par un tiers, s’il est opportun de prononcer une quelconque sanction (CE Sect., 30 novembre 2007, M. Tinez et autres, n° 293952, Rec. p. 459). Cette solution se justifie aisément : en effet, si les règles du droit public confèrent à cette autorité une indépendance, une obligation de poursuite nuirait à cette dernière.
En réalité, et comme le relevait le professeur Delzangles (H. Delzangles, « Le refus de sanctionner », Actes de la journée d’études de l’AFDA, JCP (A) 2013.2078), les solutions se trouvaient être éparses et difficilement généralisables même s’il semblait se distinguer une large marge de manœuvre et d’appréciation au profit de l’administration.
La solution consacrée par l’Assemblée du contentieux le 6 juin 2014 systématise celles-ci. En l’absence de texte contraire (CE, 23 avril 1997, Société des auteurs et compositeurs dramatiques et autres, n° 131688), l’administration apprécie seule l’opportunité des sanctions administratives, ce qui exclu tout principe général du droit. Toutefois, la Haute juridiction prend le soin de préciser que cette appréciation est conditionnée par « les autres intérêts généraux » (L’usage du pluriel est peu fréquent et souligne bien le fait qu’il s’agit de la conciliation d’éléments multiples compte tenu des données de chaque espèce) dont les chefs d’établissements ont la charge en particulier les considérations tirées de l’ordre public (L’articulation entre pouvoirs de police administrative et sanction est ici marquée : cf. J. Petit, « Police et sanction », Actes de la journée d’études de l’AFDA, JCP (A) 2013.2073). Il s’agit là d’une solution à la fois pragmatique, conférant une marge de manœuvre à l’administration lorsque les circonstance l’exigent, et réaliste, afin que l’inertie administrative ne soit pas tentée d’omettre l’édiction de certains actes afin qu’aucune sanction ne puisse être prononcée. Cette solution s’inscrit dans une lignée ancienne de jurisprudences de principe qui permet la prise en compte, en toutes circonstances, des impératifs tirés de l’ordre public suivant les nécessités immédiates (Ainsi, l’exécution d’une décision de justice s’impose sauf si des considérations d’intérêt général y font obstacle : CE, 30 novembre 1923, Couiteas, Rec. p. 789, concl. Rivet, obs. Jèze RDP 1924 p. 75 et 208). On notera à cet égard que le principal texte imposant des sanctions systématiques à l’égard des fonctionnaires cumulant de manière irrégulière plusieurs activités a été abrogé (Article 6 du décret-loi du 29 octobre 1936 relatif aux cumuls de retraites, de rémunérations et de fonctions ; Loi n° 2007‑148 du 2 février 2007 de modernisation de la fonction publique, JO p. 2160) ; en effet, le caractère irrégulier pouvait résulter de l’administration elle même, cette circonstance étant alors inopérante (L’administration s’abstenait alors de prononcer les sanctions qu’elle était cependant tenue de prendre) ce qui n’était pas sans soulever des difficultés pratiques.
3°) Lorsque les sanctions sont prononcées par un organe de nature juridictionnelle, l’état du droit est proche, bien que quelque peu différent, mais semble être exclu de l’évolution opérée par la décision FCPE et autre du 6 juin 2014. L’administration n’est pas tenue de saisir la juridiction compétente (CE Ass., 20 mars 1974, Ministre de l’Aménagement du territoire c. Navarra, n° 90547, Rec. p. 200) sauf lorsqu’un texte impose obligatoirement cette transmission (Par exemple : Loi n° 2002‑303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, JO p. 4118). Toutefois il existe à cette règle deux éléments de différenciation envers les règles régissant les sanctions prononcées par l’administration elle-même.
En premier lieu, l’autorité administrative est obligée de saisir les tribunaux administratifs des contraventions de grande voirie dont elle a connaissance (CE Sect., 23 février 1979, Ministre de l’Equipement c. Association des Amis des chemins de Ronde, n° 4467, Rec. p. 75). Cette solution n’a néanmoins pas été transposée aux autres situations dans lesquelles les juridictions administratives (Il s’agit ici des juridictions ordinales, universitaires et professionnelles ainsi que de la Cour de discipline budgétaire et financière) peuvent prononcer directement des sanctions. Mais, dans la mesure où le juge administratif spécialisé peut désormais sanctionner un comportement sans prononcer de sanction, une systématisation n’est pas exclue à l’avenir (CE, 10 avril 2014, Ministre des Affaires sociales et de la santé, n° 360382, avec nos obs. RGD <https://www.revuegeneraledudroit.eu/?p=15113>).
En second lieu, le refus de saisir une juridiction interne (En ce qui concerne les juridictions internationales, un tel refus est qualifié d’« acte de Gouvernement », cf. CE, 9 juin 1952, Gény) est toujours susceptible d’être déféré au juge de l’excès de pouvoir même si ce dernier n’exerce en ce cas qu’un contrôle restreint (CE Sect., 11 janvier 1935, Colombino, Rec. p. 44 ; CE, 13 janvier 2014, M. B., n° 372804, obs. S. Biagini-Girard Droit administratif octobre 2014 n° 63).
4°) Ceci augure également d’une probable évolution du contrôle du juge sur les refus de sanction par l’administration elle-même qui permettrait de se rapprocher de la solution admise envers les refus de saisir le juge à cette fin. Si l’intérêt à agir contre les refus de prononcer des sanctions par l’administration est dénié aux personnes lésées (CE, 11 mars 1998, Société NRJ, Rec. p. 1153 ; CE, 17 mai 2006, Bellanger, n° 268938, Rec. p. 257), et aux agents de la même administration (CE, 17 février 1992, Potton, Rec. p. 1083 ; CE Sect., 10 juillet 1995, Laplace, n° 141654, obs. F. Mallol AJDA 1995 p. 849), lorsque la sanction relève d’une administration « classique », tel n’est pas le cas devant les autorités de régulation (CE, 28 mars 1997, Solana, n° 182912 ; CE 28 juillet 2000, Société Copper Communication, n° 199773), notamment, les autorités administratives indépendantes eu égard à leurs missions légales ou devant les juridictions (CE Sect., 11 janvier 1935, Colombino, op. cit. ; CE, 13 janvier 2014, M. B., op. cit).
Il semble donc possible d’envisager une ouverture du prétoire en ce qui concerne toutes les décisions de refus de sanction au profit des tiers (Un tel procédé existe déjà à l’égard des magistrats de l’ordre judiciaire ; cf. article 14 de la loi organique n° 2010‑830 du 22 juillet 2010 relative à l’application de l’article 65 de la Constitution, JO p. 13562) mais également des organisations syndicales. Le Conseil d’Etat a d’ailleurs pris soin d’indiquer que des considérations d’intérêt général étaient ici seules à prendre en compte en l’absence de texte imposant des poursuites systématiques et, s’agissant d’un contrôle minimum, l’administration conserverait néanmoins une très grande latitude en la matière tant dans le principe de la poursuite que du prononcé éventuel d’une sanction au regard des circonstances propres à chaque espèce.
II. A la recherche d’un principe de légalité des délits et des peines en matière de sanctions administratives
1°) Les sanctions administratives ne sont pas l’objet d’une définition exhaustive et unique mais apparaissent comme étant d’avantage le produit de législations éparses que d’une construction générale ordonnée, ce qui n’est pas de nature à en faciliter l’étude. Le Conseil d’Etat (Conseil d’Etat, Les pouvoirs de l’administration dans le domaine des sanctions, op. cit. 1995 p. 35) et la doctrine (M. Guyomar, Les sanctions administratives, coll. Systèmes, LGDJ, 2014, 246 p. ; H. Pauliat, « L’émergence du concept de sanction administrative », Actes de la journée d’études de l’AFDA, JCP (A) 2013.2072 ; R. Andersen et al (dir), Les sanctions administratives, Bruylant, 2007 ; M. Delmas-Marty et C. Teitgen-Colly, Punir sans juger ? De la répression administrative au droit administratif pénal, Economica, 1992, 191 p) ont pourtant cherché à en cerner la substance. C’est donc en réalité, la jurisprudence administrative qui en a initialement défini la notion et le régime, d’une manière autonome et distincte des solutions mises en œuvre dans la sphère du droit pénal. Par la suite, les jurisprudences du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’Homme sont venues faire évoluer fortement ce régime administratif en y imposant une convergence progressive avec le droit privé sur certains points.
Le Conseil constitutionnel va ainsi juger que l’existence même des sanctions administratives n’était pas prohibée en soi par les règles constitutionnelles, au premier rang desquelles se trouve le principe de séparation des pouvoirs (Article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen ; CC, 17 janvier 1989, « Communication audiovisuelle », n° 88‑248 DC, obs. B. Genevois RFDA 1989 p. 215, obs. L. Favoreu et L. Phillip, GDCC, p. 87 ; CC, 28 juillet 1989, « Loi relative à la sécurité et à la transparence du marché financier », n° 89‑260 DC, obs. B. Genevois RFDA 1989 p. 671 ; CC, 10 juin 2009, « Loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet », n° 2009‑580 DC, obs. W. Benessiano RFDC 2010 p. 168), sous la double réserve d’être nécessaires à l’accomplissement de la mission confiée à l’administration en cause et que des garanties propres à sauvegarder les droits fondamentaux des administrés existent. La Haute juridiction va également préciser que si certaines règles et principes constitutionnels, normalement dévolus à la matière pénale, sont susceptibles d’être applicables à l’égard des sanctions administratives, certaines adaptations peuvent être admises notamment quant au principe de légalité des sanctions administratives (CC, 17 janvier 1989, « Communication audiovisuelle », n° 88‑248 DC, op. cit).
L’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 prévoit bien le principe de légalité des délits et des peines et le Conseil constitutionnel a expressément jugé que ce dernier était applicable aux sanctions administratives (CC, 17 janvier 1989, « Communication audiovisuelle », n° 88‑248 DC, op. cit). Le terrain était plus favorable à l’administration, mais il n’était cependant pas exempt de toute difficulté.
Le Conseil constitutionnel a expressément précisé que l’application de cette règle n’était pas conditionnée à la nature de l’organisme qui prononce la sanction (CC, 30 décembre 1982, « Loi de finances pour 1983 », n° 82‑155 DC, obs. L. Favoreu RDP 1983 p. 333). Il a même précisé récemment que celle-ci ne concerne « pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales mais s’étendent à toute sanction ayant le caractère d’une punition ; que tel est le cas des peines disciplinaires instituées par l’article 3 de l’ordonnance du 28 juin 1945 [relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels] » (CC, 28 mars 2014, M. Joël M., n° 2014‑385 QPC, op. cit). C’est donc le critère de la « punition » qui est ici pris en compte par le Conseil constitutionnel pour déterminer l’applicabilité du principe de légalité des délits et des peines.
Le Conseil d’Etat avait une position plus complexe qui distinguait la légalité de la peine (ou de la sanction) et la légalité du délit (ou du comportement). Historiquement, la soumission de l’administration à la règle de droit imposait nécessairement qu’une sanction soit prévue par une disposition de nature législative (CE, 11 mars 1938, Hirigoyen, Rec. p. 255 ; CE Ass., 6 mars 1959, Syndicat des grandes pharmacies de la région de Paris, Rec. p 164 ; CE Ass., 30 mars 1962, Bertaux, Rec. p. 237) ou, dans certaines matières limitées tels les contrats administratifs, par la jurisprudence suppléant la carence législative (CE, 30 mars 1928, Ville de Lohans, Rec. p. 482). Mais cette soumission au principe de légalité ne s’appliquait pas, sauf texte contraire comme en matière de contraventions de grande voirie (CE, 6 février 1914, Barbarin, Rec. p. 157 ; CE, 4 avril 1916, Abbé Prudhommeaux, Rec. p. 354 ; CE, 9 janvier 1935, Voortsman, Rec. p. 22), à la légalité des délits (CE Sect., 8 mars 1957, Fédération nationale des syndicats du personnel des industries électriques et gazières CFTC, Rec. p. 156). Autrement dit, le législateur se devait de définir a prioriles peines possibles, l’administration pouvant apprécier librement les comportements prohibés, le cas échéant a posteriori.
Sous les auspices des jurisprudences constitutionnelles et européennes, la position du juge administratif suprême a évolué sur ce dernier point. Il a ainsi été admis l’applicabilité du principe de la légalité des délits aux sanctions professionnelles prononcées par les autorités administratives indépendantes (CE, 9 octobre 1996, Société Prigest, Rec. p. T. 690. ) avant que la situation ne soit généralisée aux sanctions prononcées par l’administration active envers les membres des professions réglementés (CE Ass., 7 juillet 2004, Ministre de l’Intérieur c. Benkerrou, concl. M. Guyomar Rec. p. 297 ; CE Sect., 12 octobre 2009, Petit, n° 311641, Rec. p. 367) et les usagers d’un service public (CE, 21 octobre 2013, Occansey, n° 367107). Demeuraient cependant exclus de cette évolution, la discipline des agents publics (CE, 30 mars 2005, Voydeville ; CE, 9 avril 2010, Matelly, n° 312251, Rec. p. T. 825) et certains domaines de discipline purement « interne » dont les sanctions scolaires (Cass. civ. 1ère, 11 mars 2010, Teboul, n° 09‑12.543).
Il convient de préciser que le contenu matériel du comportement répréhensible par les autorités administratives fait l’objet d’une approche pragmatique qui peut faire appel aussi bien aux sources formelles de légalité administrative (lois, règlements) ou certains sources indirectes (précédentes décisions des organes de sanction, jurisprudence, etc., cf. CE Ass., 7 juillet 2004, Ministre de l’Intérieur c. Benkerrou, op. cit) ce qui est parfaitement conforme à la Convention européenne des droits de l’Homme (En effet la notion de « loi » est envisagée sous un angle matériel par la Cour de Strasbourg. Cf. le raisonnement tenu dans l’arrêt : Cour EDH, 22 novembre 1995, S. W. c. Royaume-Uni, n° 20166/92 ; Cour EDH, 4 décembre 2008, Dogru c. France, n° 31645/04 et Cour EDH, 4 décembre 2008, Kervanci c. France, n° 27058/05, chron. F. Sudre JCP (G) 2006.I.109, nos obs. REDCEE n° 19‑2009).
L’Assemblée du contentieux était invitée par son rapporteur public, M. Keller, à unifier ces solutions en opérant une évolution jurisprudentielle substantielle. Celle-ci aurait pu être opérée sous la forme de la consécration du principe de légalité des délits et des peines, dans son ensemble, comme « principe général du droit » (CE Sect., 26 juin 1959, Syndicat général des ingénieurs-conseils, Rec. p 394, concl. J. Fournier RDP 1959 p. 1004, GAJA n° 74) pour le rendre applicable à l’ensemble des sanctions administratives. Ce procédé jurisprudentiel, qui multiplie les qualifications juridiques d’une même règle de droit présente l’inconvénient de complexifier formellement l’état du droit tout en le simplifiant matériellement le maniement. Son usage a ainsi permis d’unifier la question de la responsabilité de l’Etat du fait des délais anormalement longs de jugement d’une manière indépendante du champ d’application de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CE Ass., 28 juin 2002, Garde des Sceaux, ministre de la Justice c. Magiera, concl. F. Lamy Rec. p. 248, GACA n° 5). Cette solution avait le mérite de renforcer l’intelligibilité du droit pour les administrés.
Malheureusement la rédaction de l’arrêt adoptée par la plus haute formation de jugement du Conseil d’Etat a permis d’éluder ce point, la configuration du litige n’imposant pas de trancher explicitement ce point.
2°) La Cour européenne des droits de l’Homme ne distingue pas, à l’égard de la France, les sanctions pénales internes des sanctions administratives. Cela est logique puisqu’en droit de la Convention européenne, la « matière pénale » constitue une « notion autonome » indépendante de toute considération nationale (Cour EDH, 8 juin 1976, Engel et autres c. Pays-Bas ; Cour EDH, 24 février 1994, Bendemoun c. France ; F. Sudre, « Le recours aux « notions autonomes » », in L’interprétation de la Convention européenne des droits de l’Homme, Bruylant, 1998, p. 93). Il est donc nécessaire de mettre en œuvre les garanties prévues par ce texte européen dès lors que la sanction administrative, au sens interne du terme, revêt un caractère « pénal », entendu suivant le sens européen de cette notion. Or le principe de légalité des infractions et des peines est expressément consacré par cette Convention (Article 7 de la Convention européenne des droits de l’Homme).
Cette complexité normative a donné lieu à des solutions dans un premier temps peu satisfaisantes. Le Conseil d’Etat a recherché une mise en cohérence des solutions jurisprudentielles en matière de sanctions administratives ce qui n’a pas manqué de donner une impression d’incertitude sur la politique jurisprudentielle du juge administratif suprême (M. Collet, « Les sanctions administratives et l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales », Actes de la journée d’études de l’AFDA, JCP (A) 2013.2077). Par un arrêt d’Assemblée Didier (CE Ass., 3 décembre 1999, Didier, Rec. p. 399, concl. Seban RFDA 2000 p. 584, GAJA n° 101), le Palais royal va admettre pleinement l’applicabilité des garanties européennes, au profit de l’administré, lorsqu’une procédure de sanction se déroule devant l’administration active. Il l’avait déjà admis devant la juridiction administrative lorsqu’elle prononce une sanction ou contrôle une sanction préalablement prononcée par l’administration (CE Sect., avis, 31 mars 1995, Ministre du Budget c. Société Auto-industrie Méric, Rec. p. 154, note M. Dreifuss AJDA 2995 p. 739).
Toutefois, ces principes n’étaient ici pas applicables car les sanctions qui peuvent être prononcées en vertu des dispositions réglementaires contestées ne sont pas des « sanctions pénales » au sens européen du terme (Cour EDH, 24 novembre 1958, Brown c. Royaume-Uni, n° 38644/97). Il est vrai que la position de la Cour européenne ne facilitait pas l’adoption d’une position de principe interne claire et univoque au regard des données de l’espèce. En effet, le principe de légalité des délits et des peines, s’il est consacré par le texte conventionnel (Article 7 de la Convention européenne des droits de l’Homme), n’a vocation à s’appliquer que lorsqu’une « peine » peut être prononcée. Or cette notion de « peine » se trouve être l’une des notions autonomes qui échappent aux qualifications nationales (F. Sudre, « Le recours aux « notions autonomes » », op. cit) et, au cas présent, les sanctions scolaires ne constituent pas des « peines » au sens européen du terme.
Cependant, ce refus de consécration jurisprudentiel appelle plusieurs remarques.
En premier lieu, la rédaction volontairement minimaliste de l’arrêt du 6 juin 2014, laisse la possibilité pour le juge administratif de réexaminer cette question le cas échéant. La règle officieuse suivant laquelle nul revirement de jurisprudence ne doit intervenir avant une période de l’ordre de 10 années ne trouve pas application lorsqu’une juridiction « supérieure » se prononce sur cette question (Conseil constitutionnel, Cour européenne des droits de l’Homme ou Cour de justice de l’Union européenne) ; cette dynamique faisant désormais partie du « dialogue des juges ».
En deuxième lieu, les adaptations matérielles du principe de légalité des délits et des peines au regard des spécificités de la répression administrative laisseraient parfaitement au Conseil d’Etat la possibilité d’adapter, en tant que de besoin, tel ou tel élément d’appréciation. La jurisprudence européenne est, en la matière, souple et tolérante envers l’administration (Cour EDH, 22 novembre 1995, S. W. c. Royaume-Uni, n° 20166/92, op. cit).
En troisième lieu, une telle unification aurait le mérite de la clarté suivant les domaines de mise en œuvre du droit administratif. Il est en effet délicat de justifier en opportunité qu’un agent public, passible d’une sanction disciplinaire n’est pas soumis à ce principe (CE, 9 avril 2010, Matelly, op. cit), alors qu’un usager du service public l’est (CE, 21 octobre 2013, Occansey, op. cit), surtout lorsque les organes de sanction sont identiques et, a fortiori, lorsque celui-ci est de nature juridictionnelle (C’est le cas, par exemple, des sections disciplinaires des conseils d’administration des Universités, cf. Articles R.712‑9 à 46 du code de l’éducation).
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