REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête sommaire, enregistrée au secrétariat du Contentieux du Conseil d’Etat le 1er décembre 1980 et le mémoire complémentaire, enregistré le 26 juin 1981 présentés pour : 1° la Confédération nationale des sociétés de protection des animaux de France et des pays d’expression française, 2° la Ligue française des droits de l’animal, 3° la Ligue internationale de la protection du cheval, 4° l’Oeuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs, 5° l’assistance aux animaux, 6° la Fédération mondiale pour la protection des animaux et tendant à ce que le Conseil d’Etat annule le décret n° 80-791 du 1er octobre 1980 pris pour l’application de l’article 276 du code rural ; Vu le code rural ; Vu l’ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ; Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Sur la régularité en la forme du décret attaqué : Considérant qu’aux termes de l’article 22 de la constitution du 4 octobre 1958 « les actes du premier ministre sont contresignés, le cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution » ; qu’il résulte de ces dispositions que les ministres concernés sont ceux qui ont compétence pour signer ou contresigner les mesures réglementaires ou individuelles que comporte nécessairement l’exécution de ces actes ; que le décret 80-791 du 1er octobre 1980 a été contresigné par le ministre de l’agriculture, le garde des Sceaux ministre de la justice, le ministre de l’intérieur, le ministre du budget, le ministre de l’environnement et du cadre de vie, le ministre du travail et de la participation et le ministre des transports ; que les associations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que des ministres autres que ceux qui sont mentionnés ci-dessus devaient être regardés comme chargés de l’exécution dudit décret et auraient dû, à ce titre, être appelés à le contresigner ;
Sur les moyens tirés de ce que le décret attaqué méconnaîtrait tant la convention européenne sur la protection des animaux dans les élevages, publié par le décret du 2 novembre 1978 que certains principes de la loi du 10 juillet 1976 modifiant l’article 276 du code rural : Considérant que les associations requérantes n’ont assorti les moyens susénoncés d’aucune précision qui permette d’en apprécier le bien-fondé ;
Sur les moyens tirés de ce que certaines dispositions du décret attaqué méconnaîtraient tant les stipulations de l’article 189 du traité instituant la communauté économique européenne que la convention européenne sur la protection des animaux en transport international publiée par le décret du 29 juillet 1974 au Journal officiel du 6 août 1974 : Considérant que pour « éviter, dans la mesure du possible, toute souffrance aux animaux transportés », la convention européenne sur la protection des animaux en transport international énonce un ensemble de prescriptions précises relatives notamment au chargement, au convoiement, à l’alimentation et au contrôle sanitaire des animaux faisant l’objet d’un transport international ; que ces prescriptions ont été littéralement reprises dans une directive du conseil des communautés européennes en date du 18 juillet 1977 publiée au Journal officiel des communautés européennes du 8 août 1977 en vue d’éliminer, en application de l’article 100 du traité, les disparités, en la matière, des législations nationales ayant une incidence directe sur le fonctionnement du marché commun ; que, pour le même motif et sur le même fondement, le conseil des communautés européennes avait pris, le 18 novembre 1974, une directive publiée au Journal officiel des communautés européennes le 26 novembre 1974 relative à l’étourdissement des animaux avant leur abattage ;
Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article 1er de la convention européenne « chacune des parties contractantes mettra en application les dispositions relatives aux transports internationaux contenues dans la présente convention » ; qu’aux termes de l’article 189 du traité instituant la communauté économique européenne « la directive lie tout Etat membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens » ;
Considérant, d’autre part, qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article 276 du code rural, dans la rédaction que lui a donnée la loi du 10 juillet 1976, « des décrets en Conseil d’Etat déterminent les mesures propres à assurer la protection des animaux contre les mauvais traitements ou les utilisations abusives et à leur éviter des souffrances lors des manipulations inhérentes aux diverses techniques d’élevage, de parcage, de transport et d’abattage des animaux » ;
Considérant que si le pouvoir réglementaire devait, pour satisfaire à l’obligation qui lui incombait en vertu tant de l’article 1er de la convention européenne que de l’article 189 précité du traité, édicter des dispositions soit identiques soit d’effet équivalent à celles de la convention et de la directive du 18 juillet 1977, le Gouvernement pouvait, dans le décret attaqué, se borner à définir avec une précision suffisante les principes qu’il entendait retenir pour atteindre le résultat exigé et renvoyer à des arrêtés ministériels ultérieurs à la fixation des modalités d’application de ces principes ;
En ce qui concerne l’article 3 du décret attaqué : Considérant que la convention européenne, qui interdit le transport des animaux inaptes au voyage, dispose en son article 4 dont les stipulations sont reprises au paragraphe 2 de l’annexe à la directive du conseil des communautés européennes en date du 18 juillet 1977 que les animaux qui doivent mettre bas dans la période correspondant au transport ou ayant mis bas depuis moins de quarante-huit heures ne doivent pas être regardés comme aptes au voyage ; qu’aux termes de l’article 3 du décret attaqué : « Il est interdit à tout propriétaire ou expéditeur d’animaux domestiques ou d’animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivité d’effectuer ou de faire effectuer le transport d’un animal inapte au déplacement envisagé et spécialement d’un animal manifestement malade ou blessé ou d’une femelle sur le point de mettre bas. Cette disposition n’est pas applicable : 1° dans le cas où le transport est prévu à des fins sanitaires ou en vue de l’abattage d’urgence ; 2° dans le cas de transport d’animaux de compagnie accompagnés par leur propriétaire ou leur gardien » ;
Considérant, d’une part, qu’en interdisant le transport d’un animal inapte au déplacement envisagé par son propriétaire ou par l’expéditeur et en mentionnant que cette interdiction concerne, notamment, les animaux manifestement malades ou blessés ou les femelles sur le point de mettre bas, les dispositions réglementaires précitées définissent avec une précision suffisante l’obligation contenue dans la convention et la directive de ne pas transporter un animal inapte au voyage ; que, dès lors, le décret attaqué a pu, sans méconnaître cette obligation, ne pas préciser qu’elle s’étendait aux femelles ayant mis bas depuis moins de quarante-huit heures et renvoyer cette modalité à un arrêté ministériel ultérieur ;
En ce qui concerne l’article 4 du décret attaqué : Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article 6 par. 4 de la convention dont les stipulations sont reprises par l’article 4-d, de l’annexe à la directive du 18 juillet 1977 « au cours du transport, les animaux doivent être abreuvés et recevoir une alimentation appropriée à des intervalles convenables. Ces intervalles ne doivent pas dépasser vingt-quatre heures ; la période de 24 heures peut toutefois être prolongée si le transport peut atteindre le lieu de débarquement des animaux dans un délai raisonnable » et qu’aux termes de l’article 10 de la convention repris à l’article 8 de l’annexe à la directive : « Afin d’assurer en cours de transport les soins nécessaires aux animaux, les animaux doivent être accompagnés par un convoyeur sauf lorsque a les animaux sont remis au transport dans un emballage clos ; b le transporteur prend en charge les fonctions de convoyeur : c l’expéditeur a chargé un mandataire de prendre soin des animaux dans des points d’arrêt appropriés » ; qu’aux termes de l’article 11-2 de la convention repris par l’article 9-b de l’annexe à la directive : « les vaches en lactation doivent être traites à des intervalles ne dépassant pas douze heures » ; qu’enfin, la convention comporte, dans ses articles 17 à 37, des dispositions spéciales à chaque mode de transport ;
Considérant que l’article 4 du décret attaqué oblige les propriétaires ou expéditeurs qui se proposent d’effectuer ou de faire effectuer le transport d’animaux domestiques ou d’animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivité, à le faire – et quel que soit le mode de transport – dans les véhicules « conçus ou aménagés de telle sorte que les animaux y disposent d’un espace et d’une aération suffisants et d’une protection appropriée contre les intempéries et les écarts climatiques plus graves ainsi que contre les chocs possibles en fonction de l’espèce considérée et des conditions normales de transports » et les oblige à prendre les dispositions convenables « lorsque la durée du transport le justifie, pour que soient assurés en cours de route la nourriture et l’abreuvement des animaux ainsi que, le cas échéant, les soins qui pourraient être nécessaires » ; que ces dispositions définissent avec une précision suffisante les principes qui assurent le respect des objectifs poursuivis tant par la convention que par la directive. Que, par suite, l’article 4 n’est pas illégal pour n’avoir pas repris celles des prescriptions incluses dans les articles précités de la convention et de la directive qui constituent des modalités d’application des principes ainsi définis par le décret et dont la fixation pouvait donc être renvoyée à un arrêté ministériel ultérieur ; que notamment après avoir prévu dans le décret que dans les transports les animaux doivent disposer d’un espace suffisant, le Gouvernement a pu renvoyer à l’arrêté ministériel qu’il prévoit les modalités de séparation de certaines catégories d’animaux ;
En ce qui concerne l’article 6 du décret attaqué : Considérant qu’aux termes de l’article 12 de la convention et de l’article 10 de l’annexe à la directive du 18 juillet 1977, « les animaux malades ou blessés en cours de transport doivent recevoir le plus tôt possible les soins d’un vétérinaire et s’il est nécessaire de procéder à leur abattage, celui-ci doit être effectué de manière à éviter dans la mesure du possible toute souffrance » ; qu’aux termes de l’article 6 du décret attaqué : « Lorsque, pour une cause quelconque, à l’occasion d’un transport, quelle qu’en soit la destination, l’acheminement des animaux est interrompu ou retardé, ou lorsqu’il est constaté par l’autorité compétente que les dispositions relatives à leur protection en cours de transport ne sont pas respectées, le préfet prend les mesures nécessaires pour que toute souffrance soit épargnée aux animaux ou qu’elle soit réduite au minimum. L’abattage peut être ordonné, après accord du propriétaire ou de son mandataire, dans les cas où des soins appropriés ne pourraient être utilement donnés aux animaux … » ;
Considérant, d’une part, qu’il résulte du rapprochement de ces prescriptions que les moyens tirés de ce que le décret attaqué serait illégal pour n’avoir pas prévu l’obligation de dispenser des soins avant de recourir à l’abattage ou, en cas d’abattage, la nécessité d’épargner toute souffrance aux animaux, manquent en fait ;
Considérant, d’autre part, qu’en subordonnant dans tous les cas à l’accord du propriétaire ou de son mandataire l’abattage des animaux lorsque celui-ci se révèle nécessaire pour leur épargner des souffrances inutiles, le décret soumet cette obligation d’abattage à une condition supplémentaire qui va à l’encontre du but poursuivi tant par la convention que par la directive du 18 juillet 1977 ; qu’il est, dans cette mesure, entaché d’illégalité ;
En ce qui concerne l’article 9 du décret attaqué : Considérant que si l’article 9 du décret attaqué qui impose l’étourdissement des animaux avant leur mise à mort, exclut de son champ d’application l’abattage rituel, il n’est pas pour autant contraire à la directive du conseil des communautés européennes en date du 18 novembre 1974 relative à l’étourdissement des animaux avant leur abattage dont l’article 4 précise qu’elle « n’affecte pas les dispositions nationales relatives aux méthodes particulières d’abattage nécessitées par certains rites religieux » ;
En ce qui concerne l’article 10 du décret attaqué : Considérant que le gouvernement qui, dans le décret attaqué, a usé des pouvoirs que lui confère l’article 276 du code rural pour assurer l’application de conventions internationales et de directives du conseil des communautés européennes dont le champ d’application ne comprend pas l’abattage rituel, n’était pas tenu de réglementer cet abattage dans ledit décret ; que l’abattage rituel a d’ailleurs fait l’objet d’un décret ultérieur en date du 18 mai 1981 qui prévoit l’institution de sacrificateurs habilités par les organismes religieux agréés ;
DECIDE Article 1er : Le décret du 1er octobre 1980 est annulé en tant qu’il subordonne, en son article 6, dans tous les cas, à l’accord du propriétaire ou de son mandataire l’abattage des animaux lorsque celui-ci se revèle nécessaire pour leur épargner des souffrances inutiles. Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la confédération nationale des sociétés de protection des animaux de France et des pays d’expression française, de la ligue française des droits de l’animal, de la ligue internationale de la protection du cheval, de l’oeuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs, de l’assistance aux animaux et de la fédération mondiale pour la protection aux animaux est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la confédération nationale des sociétés de protection des animaux de France et des pays d’expression française, à la ligue française des droits de l’animal, à la ligue internationale de la protection du cheval, à l’oeuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs, à l’assistance aux animaux, à la fédération mondiale pour la protection des animaux, au Premier ministre, au ministre de l’agriculture, au garde des Sceaux, ministre de la justice, au ministre de l’intérieur et de la décentralisation, au ministre de l’économie, des finances et du budget et au ministre de l’urbanisme, du logement et des transports.