AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 15 mai et 15 septembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SOCIETE EUROPE FINANCE ET INDUSTRIE, dont le siège est 37, avenue des Champs-Elysées à Paris (75008) ; la SOCIETE EUROPE FINANCE ET INDUSTRIE demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler la décision en date du 19 janvier 2006 par laquelle la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers a prononcé à son encontre une sanction pécuniaire de 100 000 euros et a ordonné la publication de cette sanction au Bulletin des annonces légales obligatoires, dans la revue mensuelle et sur le site internet de l’Autorité des marchés financiers ;
2°) d’enjoindre, sous astreinte, à l’Autorité des marchés financiers, de retirer de son site internet la décision du 19 janvier 2006 ;
3°) de mettre à la charge de cette dernière le versement de la somme de 6 000 euros en application de l’ article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 13 mars 2007, présentée pour l’Autorité des marchés financiers ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code monétaire et financier ;
Vu le règlement général du Conseil des marchés financiers ;
Vu le règlement n° 98-08 de la Commission des opérations de bourse homologué par l’arrêté du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie du 22 janvier 1999 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Bertrand Dacosta, Maître des Requêtes,
– les observations de la SCP Monod, Colin, avocat de la SOCIÉTÉ EUROPE FINANCE ET INDUSTRIE et de la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat de l’Autorité des marchés financiers,
– les conclusions de M. Mattias Guyomar, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’aux termes de l’ article L. 533-4 du code monétaire et financier , dans sa rédaction alors applicable : « Les prestataires de services d’investissement (?) sont tenus de respecter des règles de bonne conduite destinées à garantir la protection des investisseurs et la régularité des opérations (?). / Elles obligent notamment à : (?) / 4. S’enquérir de la situation financière de leurs clients, de leur expérience en matière d’investissement et de leurs objectifs en ce qui concerne les services demandés » ; qu’aux termes de l’article 3-1-1 du règlement général du Conseil des marchés financiers, alors applicable : « Les règles de bonne conduite édictées au présent titre établissent (?) les principes généraux de comportement et leurs règles essentielles d’application et de contrôle auxquels doivent se conformer le prestataire habilité et les personnes agissant pour son compte ou sous son autorité./ Les dirigeants du prestataire habilité veillent au respect des présentes dispositions et à la mise en oeuvre des ressources et des procédures adaptées./ Les activités mentionnées à l’article 2-1 sont exercées avec diligence, loyauté, équité, dans le respect de la primauté des intérêts des clients et de l’intégrité du marché » ; qu’aux termes de l’ article 6 du règlement n° 98-08 de la Commission des opérations de bourse, alors applicable : « Le prospectus simplifié comporte l’indication du nom et de la fonction de la ou des personnes qui l’ont établi. Ces personnes attestent qu’à leur connaissance les données du prospectus sont conformes à la réalité et que celui-ci ne comporte pas d’omission de nature à en altérer la portée (?). Lorsque l’opération est réalisée avec l’intervention d’un intermédiaire, celui-ci atteste qu’il a accompli les diligences d’usage pour s’assurer de la sincérité du prospectus simplifié » ;
Considérant que, par une décision en date du 19 janvier 2006, la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers a prononcé, à l’encontre de la SOCIETE EUROPE, FINANCE ET INDUSTRIE, une sanction pécuniaire de 100 000 euros pour avoir méconnu ces dispositions lors de l’introduction en bourse, en 2000, de la société CST France ;
Sur le moyen tiré de la violation du principe d’impartialité résultant du visa accordé par la Commission des opérations de bourse au prospectus simplifié de la société CST France :
Considérant que la société requérante soutient que le principe d’impartialité faisait obstacle à ce que la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers pût prononcer une sanction à son encontre à raison des conditions dans lesquelles elle avait procédé à l’introduction en bourse de la société CST France, dès lors que la Commission des opérations de bourse, à laquelle a succédé l’Autorité des marchés financiers, avait, lors de cette introduction en bourse, apposé son visa sur le prospectus simplifié prévu par le règlement n° 98-08 de la Commission des opérations de bourse et engagé ainsi sa propre responsabilité ; que, cependant, un tel visa se borne à attester que le document satisfait aux exigences du règlement et n’a ni pour objet, ni pour effet, d’exonérer le prestataire de services de ses obligations ; qu’en tout état de cause, l’impartialité de la commission des sanctions, dont le législateur a assuré l’indépendance à l’égard des autres organes de l’Autorité des marchés financiers, ne saurait être utilement contestée à ce titre ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le moyen tiré, par la SOCIETE EUROPE, FINANCE ET INDUSTRIE, de ce que le principe d’impartialité faisait obstacle à ce que la commission des sanctions pût prononcer une sanction à son encontre qui, s’il était fondé, exclurait qu’après l’annulation de sa décision, la commission des sanctions reprenne les poursuites, ne peut qu’être écarté ;
Sur le moyen tiré de la violation du principe d’impartialité résultant de la composition de la commission des sanctions :
Considérant qu’il résulte de l’instruction que l’un des membres de la formation de la commission des sanctions qui a pris la décision attaquée appartenait au comité exécutif d’un groupe bancaire français dont l’une des filiale était impliquée dans un différend financier persistant avec la SOCIETE EUROPE, FINANCE ET INDUSTRIE, porté à la connaissance des instances centrales de ce groupe et notamment d’une personne siégeant comme l’intéressé au comité exécutif ; que, dans les circonstances de l’espèce, cette situation, qui était de nature à susciter un doute quant à l’impartialité de celui-ci, faisait obstacle à ce qu’il pût, sans que soit méconnu le principe d’impartialité résultant des principes généraux du droit et de l’article 6, § 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, participer à la délibération par laquelle la commission des sanctions a apprécié la responsabilité de la SOCIETE EUROPE, FINANCE ET INDUSTRIE ; qu’il s’ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance du principe d’impartialité doit être accueilli ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que la SOCIETE EUROPE, FINANCE ET INDUSTRIE est fondée à demander l’annulation de la décision attaquée en tant qu’elle prononce à son encontre une sanction pécuniaire de 100 000 euros et ordonne la publication de cette sanction au Bulletin des annonces égales obligatoires, dans la revue mensuelle et sur le site internet de l’Autorité des marchés financiers ; que, par suite, il y a lieu d’enjoindre à l’Autorité des marchés financiers de supprimer de la décision publiée sur son site internet toutes les mentions relatives à la SOCIETE EUROPE, FINANCE ET INDUSTRIE ; qu’en revanche, il n’y a pas lieu d’assortir cette injonction d’une astreinte ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’ article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l’Autorité des marchés financiers le versement à la SOCIETE EUROPE, FINANCE ET INDUSTRIE d’une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; que les dispositions du même article font, en revanche, obstacle à ce qu’il soit fait droit aux conclusions présentées au même titre par l’Autorité des marchés financiers ;
Article 1er : La décision du 19 janvier 2006 de la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers est annulée en tant qu’elle a prononcé à l’encontre de la SOCIETE EUROPE, FINANCE ET INDUSTRIE une sanction pécuniaire de 100 000 euros et a ordonné sa publication au Bulletin des annonces égales obligatoires, dans la revue mensuelle et sur le site internet de l’Autorité des marchés financiers.
Article 2 : Il est enjoint à l’Autorité des marchés financiers de supprimer de la décision publiée sur son site internet toutes les mentions relatives à la SOCIETE EUROPE, FINANCE ET INDUSTRIE.
Article 3 : L’Autorité des marchés financiers versera à la SOCIETE EUROPE FINANCE ET INDUSTRIE une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées par l’Autorité des marchés financiers au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE EUROPE FINANCE ET INDUSTRIE, à l’Autorité des marchés financiers et au ministre de l’économie, des finances et de l’emploi.