AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
1°) d’annuler l’arrêt n° 07MA01950 du 16 avril 2009 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté leur requête tendant, d’une part, à l’annulation du jugement n° 0425908 du 16 mars 2007 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté leur demande tendant à l’annulation du certificat d’urbanisme délivré le 20 avril 2004 par le maire d’Aubignan et à la condamnation de cette commune à leur payer la somme de 507 144 euros en réparation du préjudice subi du fait du classement de leurs terrains en zone inconstructible et du retard avec lequel leur a été délivré un certificat d’urbanisme, d’autre part, à l’annulation pour excès de pouvoir de cette décision et à la condamnation de la commune à leur payer cette somme ;
2°) de mettre à la charge de la commune d’Aubignan le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l’urbanisme, modifié notamment par la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 ;
Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Pascal Trouilly, Maître des Requêtes,
– les observations de Me Le Prado, avocat de M. et Mme B et de la SCP Baraduc, Duhamel, avocat de la commune d’Aubignan,
– les conclusions de Mme Claire Landais, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à Me Le Prado, avocat de M. et Mme B et à la SCP Baraduc, Duhamel, avocat de la commune d’Aubignan ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 410-1, dans sa rédaction applicable à l’espèce, issue de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains : » Le certificat d’urbanisme indique les dispositions d’urbanisme et les limitations administratives au droit de propriété et le régime des taxes et participations d’urbanisme applicables à un terrain ainsi que l’état des équipements publics existants ou prévus. / Lorsque la demande précise l’opération projetée, en indiquant notamment la destination des bâtiments projetés et leur superficie de plancher hors oeuvre, le certificat d’urbanisme précise si le terrain peut être utilisé pour la réalisation de cette opération. / Lorsque toute demande d’autorisation pourrait, du seul fait de la localisation du terrain, être refusée en fonction des dispositions d’urbanisme et, notamment, des règles générales d’urbanisme, la réponse à la demande de certificat d’urbanisme est négative (…) / Si la demande formulée en vue de réaliser l’opération projetée sur le terrain, notamment la demande de permis de construire prévue à l’article L. 421-1 est déposée dans le délai d’un an à compter de la délivrance d’un certificat d’urbanisme et respecte les dispositions d’urbanisme mentionnées par ledit certificat, celles-ci ne peuvent être remises en cause (…) » ; qu’eu égard aux effets qu’ils sont susceptibles d’avoir pour leurs destinataires et pour les tiers intéressés, les certificats d’urbanisme délivrés sur le fondement de ces dispositions doivent être regardés, que la demande à laquelle ils répondent ait ou non précisé une opération particulière, comme des décisions administratives susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ;
Considérant que pour juger, par l’arrêt attaqué, que les conclusions de M. et Mme B dirigées contre le certificat d’urbanisme qui leur avait été délivré par le maire d’Aubignan étaient irrecevables, la cour administrative d’appel de Marseille s’est fondée sur ce que ce certificat, qui ne statuait sur aucune opération précise et se bornait à informer les intéressés que leurs parcelles étaient situées dans une zone dans laquelle les constructions neuves étaient interdites, présentait de ce fait un caractère purement informatif et n’était, dès lors, pas susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ; qu’il résulte de ce qui précède qu’elle a, ce faisant, commis une erreur de droit ; que, par suite, son arrêt doit être annulé en tant qu’il statue sur les conclusions d’excès de pouvoir de M. et Mme B dirigées contre le certificat d’urbanisme du 20 avril 2004 ;
Considérant, par ailleurs, qu’aux termes de l’article R. 410-9 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction applicable au litige : » Le certificat d’urbanisme est délivré dans un délai de deux mois à compter de la date figurant sur l’avis de réception postal ou sur la décharge visés à l’article R. 410-3. » ; que ces dispositions faisaient ainsi obligation à l’administration de délivrer, dans un délai de deux mois, sur demande, un certificat d’urbanisme ; que s’agissant d’une demande présentée sur le fondement du premier alinéa de l’article L. 410-1 du code de l’urbanisme, ni l’expiration de ce délai, ni celle du délai de quatre mois au terme duquel le silence de l’administration était susceptible, à l’époque, de faire naître une décision implicite de refus de certificat, ne pouvaient valoir délivrance d’un certificat d’urbanisme et ne permettaient donc pas au demandeur de connaître les dispositions d’urbanisme applicables à son terrain ni de bénéficier, pendant un an, du droit à l’absence de remise en cause de ces dispositions ;
Considérant, dès lors, qu’en estimant que le retard de plusieurs années mis par le maire d’Aubignan à délivrer un certificat d’urbanisme n’était pas constitutif d’une faute, au motif que, sans attendre la délivrance du certificat du 20 avril 2004, la demande de M. et Mme B avait été implicitement rejetée à l’expiration d’un délai de quatre mois, la cour administrative d’appel de Marseille a commis une autre erreur de droit ; que, dès lors, son arrêt doit également être annulé en tant qu’il statue sur les conclusions indemnitaires de M. et Mme B ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen de leur pourvoi, M. B et autres sont fondés à demander l’annulation de l’arrêt qu’ils attaquent ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu, en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au fond ;
Sur la légalité du certificat d’urbanisme du 20 avril 2004 :
Considérant que, contrairement à ce que soutient en défense la commune d’Aubignan, les conclusions de M. B et autres tendant à l’annulation de ce certificat d’urbanisme ne sont pas privées d’objet du seul fait que serait expiré le délai d’un an pendant lequel les dispositions d’urbanisme mentionnées dans un certificat d’urbanisme ne peuvent être remises en cause par l’autorité qui statue sur une demande de permis de construire ;
Considérant, en premier lieu, que pour blâmables qu’ils soient, ni le retard du maire d’Aubignan à délivrer un certificat d’urbanisme, ni le fait qu’après l’annulation de son refus implicite de certificat par le juge administratif, il n’ait pas respecté le délai qui lui était imparti par le jugement du 20 novembre 2003 du tribunal administratif de Marseille pour procéder à cette délivrance, ne sont, par eux-mêmes, susceptibles d’entacher d’illégalité le certificat d’urbanisme du 20 avril 2004 ;
Considérant, en deuxième lieu, qu’en fondant le certificat d’urbanisme litigieux sur les dispositions du règlement du plan d’occupation des sols applicables à la date de délivrance de ce certificat, et non sur celles du règlement du plan d’occupation des sols encore en vigueur en 1999, lors de l’introduction de leur demande par M. et Mme B, le maire d’Aubignan n’a pas commis d’erreur de droit ;
Considérant, en troisième lieu, que, compte tenu notamment de l’ampleur des inondations résultant des débordements du Brégoux survenues en 1992 dans la zone concernée, il ne ressort pas des pièces du dossier que la commune d’Aubignan aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en classant les parcelles des requérants en zone NDi et en décidant de n’autoriser, dans cette zone, que des travaux réalisés sur des constructions déjà existantes, alors même que des constructions auraient été autorisées avant 1999 dans cette même zone et que des mesures de prévention des inondations auraient été prises ; que M. B et autres ne sont, dès lors, pas fondés à soutenir que le certificat d’urbanisme litigieux serait illégal en raison de l’illégalité du plan d’occupation des sols sur la base duquel il a été pris ;
Sur les conclusions indemnitaires :
En ce qui concerne la responsabilité de la commune d’Aubignan sur le fondement des dispositions de l’article L. 160-5 du code de l’urbanisme et du principe d’égalité devant les charges publiques :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 160-5 du code de l’urbanisme : » N’ouvrent droit à aucune indemnité les servitudes instituées par l’application du présent code en matière de voirie, d’hygiène et d’esthétique ou pour d’autres objets et concernant, notamment, l’utilisation du sol, la hauteur des constructions, la proportion des surfaces bâties et non bâties dans chaque propriété, l’interdiction de construire dans certaines zones et en bordure de certaines voies, la répartition des immeubles entre diverses zones. / Toutefois, une indemnité est due s’il résulte de ces servitudes une atteinte à des droits acquis ou une modification de l’état antérieur des lieux déterminant un dommage direct, matériel et certain » ; que ces dispositions ne font pas obstacle à ce que le propriétaire dont le bien est frappé d’une servitude prétende à une indemnisation dans le cas exceptionnel où il résulte de l’ensemble des conditions et circonstances dans lesquelles la servitude a été instituée et mise en oeuvre, ainsi que de son contenu, que ce propriétaire supporte une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l’objectif d’intérêt général poursuivi ;
Considérant qu’il résulte toutefois de l’instruction que le classement en zone inconstructible des parcelles appartenant à M. et Mme B n’a ni porté atteinte à des droits acquis ni modifié l’état antérieur des lieux ; que par ailleurs, eu égard notamment à l’objet de ce classement qui vise à prévenir les risques que font courir les constructions en zone inondable, la perte de valeur vénale de ces terrains, auparavant constructibles, ne peut être regardée comme faisant peser sur les requérants une charge spéciale et exorbitante hors de proportion avec les justifications d’intérêt général sur lesquelles reposait ce document d’urbanisme ; que M. B et autres ne sont, dès lors, pas fondés à soutenir que la réglementation que leur oppose le certificat d’urbanisme du 20 avril 2004 engagerait la responsabilité de la commune d’Aubignan sur le fondement des dispositions de l’article L. 160-5 du code de l’urbanisme ou du principe d’égalité devant les charges publiques ;
En ce qui concerne la responsabilité pour faute de la commune :
S’agissant de l’exception de prescription quadriennale :
Considérant que les préjudices résultant du retard avec lequel le maire d’Aubignan a délivré à M. et Mme B un certificat d’urbanisme n’ont pu être connus par ceux-ci que lors de la délivrance de ce certificat, le 20 avril 2004 ; que le délai de prescription prévu par l’article 1er de la loi du 31 décembre 1968 a dès lors couru à compter du 1er janvier 2005 ; qu’ainsi, ce délai n’était pas expiré le 21 février 2007, date à laquelle M. et Mme B ont invoqué devant le tribunal administratif la faute résultant du retard de délivrance du certificat d’urbanisme ; que, par suite, l’exception de prescription quadriennale opposée par la commune doit être écartée ;
S’agissant du principe de responsabilité :
Considérant qu’en ne délivrant que le 20 avril 2004 le certificat d’urbanisme que M. et Mme B avaient sollicité dès 1999, le maire d’Aubignan a commis une faute de nature à engager la responsabilité de la commune ;
S’agissant du préjudice correspondant à la perte de valeur vénale des parcelles :
Considérant que le préjudice lié à la perte de valeur vénale des parcelles appartenant à M. B et autres résulte exclusivement du nouveau classement de ces dernières lors de la révision du plan d’occupation des sols et ne peut être regardé comme ayant directement pour cause le retard fautif du maire à leur délivrer un certificat d’urbanisme ; que, dès lors, et sans qu’il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées sur ce point par la commune d’Aubignan, les requérants ne sont pas fondés à demander l’indemnisation par cette dernière du préjudice né de la perte de valeur vénale de leur terrain ;
S’agissant du préjudice moral et de jouissance :
Considérant que, dans leur réclamation préalable adressée à la commune d’Aubignan le 10 juin 2004, M. et Mme B ont sollicité l’indemnisation du préjudice résultant du retard fautif de délivrance du certificat d’urbanisme ; que contrairement à ce que soutient la commune, la responsabilité fautive de celle-ci a été, comme il a été dit ci-dessus, invoquée en première instance ; que, par ailleurs, si M. et Mme B n’ont pas mentionné dans leur réclamation préalable l’existence d’un préjudice moral et de jouissance, évalué ensuite devant le tribunal administratif à la somme de 2 000 euros, la commune d’Aubignan n’est pas fondée à soutenir qu’en l’absence de défense au fond sur ce point en première instance, le contentieux n’aurait pas été lié ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction que la faute commise par la commune d’Aubignan a fait perdre à M. B et autres une chance de bénéficier d’un certificat d’urbanisme reprenant les dispositions du plan d’occupation des sols en vigueur à l’époque de leur demande et, par suite, une chance d’édifier une construction sous le couvert de ce certificat ; que les requérants n’ont pas fait une évaluation excessive du préjudice moral et de jouissance qu’ils invoquent à ce titre en le fixant à 2 000 euros ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de condamner la commune d’Aubignan à leur payer cette somme en réparation de ce chef de préjudice ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que M. B et autres sont seulement fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes n’a pas fait droit, à concurrence de 2 000 euros, à leurs conclusions indemnitaires ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la commune d’Aubignan, en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, le versement à M. B et autres de la somme de 4 000 euros au titre des frais, non compris dans les dépens, exposés par eux tant en appel qu’en cassation, et de rejeter les conclusions présentées par la commune d’Aubignan au titre des mêmes dispositions ;
Considérant, enfin, que la commune d’Aubignan ne pouvant sérieusement soutenir que l’appel de M. et Mme B présentait un caractère abusif, ses conclusions tendant au versement des dommages-intérêts qu’elle réclame à ce titre ne sauraient être accueillies ;
D E C I D E :
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Article 1er : L’arrêt du 16 avril 2009 de la cour administrative d’appel de Marseille est annulé.
Article 2 : La commune d’Aubignan versera à M. B et autres la somme globale de 2 000 euros.
Article 3 : Le jugement du 16 mars 2007 du tribunal administratif de Nîmes est réformé en ce qu’il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : La commune d’Aubignan versera à M. B et autres la somme globale de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions d’appel de M. B et autres est rejeté.
Article 6 : Les conclusions d’appel de la commune d’Aubignan tendant à la condamnation de M. B et autres pour procédure abusive ainsi que ses conclusions d’appel et de cassation présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à M. Jean-Claude B et à la commune d’Aubignan. Les autres requérants seront informés de la présente décision par Me Le Prado, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, qui les représente devant le Conseil d’Etat.
Copie en sera adressée pour information à la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.