GRANDE CHAMBRE
DÉCISION
Requête no 71537/14
Phillip HARKINS
contre le Royaume-Uni
La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant le 15 juin 2017 en une Grande Chambre composée de :
Guido Raimondi, président,
Angelika Nußberger,
Ganna Yudkivska,
Helena Jäderblom,
Robert Spano,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Luis López Guerra,
Ledi Bianku,
Işıl Karakaş,
Kristina Pardalos,
Julia Laffranque,
André Potocki,
Aleš Pejchal,
Carlo Ranzoni,
Pauliine Koskelo,
Tim Eicke,
Lәtif Hüseynov, juges,
et de Lawrence Early, jurisconsulte,
Vu la requête susmentionnée, introduite le 11 novembre 2014,
Vu la mesure provisoire indiquée au gouvernement défendeur en vertu de l’article 39 du règlement de la Cour (« le règlement »),
Vu la décision du 5 juillet 2016 par laquelle la chambre de la première section à laquelle l’affaire avait initialement été attribuée s’est dessaisie en faveur de la Grande Chambre (article 30 de la Convention),
Vu les observations produites par l’État défendeur et par le requérant,
Après avoir entendu les parties en leurs plaidoiries à l’audience du 11 janvier 2017, et
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 janvier et le 15 juin 2017, rend la décision suivante :
EN FAIT
1. Le requérant, M. Phillip Harkins, est un ressortissant britannique né en 1978 et résidant à Manchester. Il a été représenté devant la Cour par Me Y. Aslam, avocate à Manchester au sein du cabinet AGI Criminal Solicitors.
2. Le gouvernement du Royaume-Uni (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme R. Sagoo, du ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth.
A. Les circonstances de l’espèce
3. Les faits de la cause, tel qu’exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
1. L’inculpation du requérant
4. Le 3 février 2000, le requérant fut inculpé en Floride (États-Unis d’Amérique) de meurtre au premier degré et de tentative de vol à l’aide d’une arme à feu.
5. Il fut mis en liberté sous caution et sommé de comparaître devant un tribunal le 12 juillet 2002.
2. La procédure d’extradition conduite au Royaume-Uni
6. Le 25 janvier 2003, le requérant fut arrêté au Royaume-Uni à la suite d’un accident de voiture mortel. Le 7 mars 2003, le gouvernement des États‑Unis demanda son extradition.
7. Le 21 juillet 2003, la juge de district siégeant au sein de la Magistrate’s Court de Bow Street conclut que les éléments du dossier fournissaient un commencement de preuve contre le requérant, et ordonna son incarcération dans l’attente de la décision du ministre de l’Intérieur concernant sa remise aux autorités américaines.
8. Dans une note diplomatique du 3 juin 2005, l’ambassade des États‑Unis certifia au gouvernement du Royaume-Uni que, sur la foi d’une assurance que le département américain de la Justice avait reçue du State Attorney de l’État de Floride, la peine de mort ne serait ni requise ni prononcée contre le requérant. En conséquence, si le requérant venait à être reconnu coupable de meurtre au premier degré, il serait condamné en Floride à la réclusion à perpétuité obligatoire sans possibilité de libération conditionnelle.
9. Le 1er juin 2006, le ministre ordonna la remise du requérant. Sur la foi de l’assurance donnée par le gouvernement des États-Unis, il conclut que la peine de mort ne lui serait pas infligée et que son extradition ne violerait en aucune autre manière les droits que lui garantissait la Convention.
10. Le requérant sollicita le contrôle juridictionnel de la décision du ministre, soutenant notamment que l’assurance que la peine de mort ne lui serait pas infligée était inadéquate. Cependant, le 14 février 2007, la High Court rejeta la demande de contrôle juridictionnel au motif qu’il n’existait aucun risque réel que la peine de mort fût infligée. À cette même date, elle rejeta également la demande formée par le requérant tendant à faire constater l’existence d’un point de droit d’intérêt général et à saisir la Chambre des lords.
3. La première requête introduite par le requérant devant la Cour
11. Le 19 février 2007, le requérant introduisit devant la Cour une requête dans laquelle il alléguait que son extradition serait contraire à l’article 3 de la Convention en ce que, s’il venait à être reconnu coupable, il risquait d’être condamné soit à la peine de mort soit à la réclusion à perpétuité obligatoire sans possibilité de libération conditionnelle.
12. Le 2 avril 2007, le président de la chambre saisie de la requête décida d’appliquer l’article 39 du règlement et d’indiquer au Gouvernement que, jusqu’à nouvel ordre, le requérant ne devait pas être extradé. Il fut également décidé, sur la base de l’article 54 § 2 b) du règlement, de communiquer la requête au Gouvernement et d’inviter celui-ci à présenter des observations écrites sur la recevabilité et le fond de l’affaire, et notamment sur la question de la compatibilité avec l’article 3 de la Convention d’une condamnation du requérant à la réclusion à perpétuité obligatoire sans possibilité de libération conditionnelle.
4. La suite de la procédure au Royaume-Uni
13. Postérieurement à la réception des observations du Gouvernement, le requérant signala qu’il avait saisi le ministre d’un nouveau recours gracieux sur la question de l’imposition de la peine obligatoire de réclusion à perpétuité. La procédure devant la Cour fut ajournée pendant l’examen de ce recours par le ministre.
14. Le 9 mars 2010, s’appuyant sur l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Kafkaris c. Chypre ([GC], no 21906/04, CEDH 2008), le ministre rejeta le recours gracieux formé par le requérant. Il releva que, entre 1980 et 1996, le gouverneur de Floride avait commué les peines de 44 détenus reconnus coupables de meurtre au premier degré. Il nota que jamais encore une personne condamnée à la réclusion à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle n’avait bénéficié d’une mesure de grâce, mais il estima que, cette peine n’ayant été instaurée qu’en 1994, cet élément était sans pertinence.
15. Le ministre tint également compte de ce que la règle de l’homicide concomitant d’une infraction grave (felony murder rule) permettait en Floride de prononcer une peine obligatoire de réclusion à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle s’il était établi que le requérant commettait une infraction grave au moment du meurtre. Il n’était cependant pas convaincu qu’une telle peine, même infligée en application de la règle de l’homicide concomitant d’une infraction grave, serait nettement disproportionnée. Il estima qu’aucune question distincte ne se posait sur le terrain des articles 5 et 6 de la Convention.
16. Le requérant sollicita le contrôle juridictionnel de la décision du ministre, soutenant qu’il serait contraire à l’article 3 de la Convention de prononcer une peine de réclusion à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle en application de la règle de l’homicide concomitant d’une infraction grave. La High Court rejeta sa demande le 14 avril 2011 ([2011] EWHC 920 (Admin)). Lord Justice Gross (dont l’avis était partagé par le juge Davis) observa que la peine de réclusion à perpétuité obligatoire sans possibilité de libération conditionnelle était manifestement lourde et différente de celle dont le requérant serait passible au Royaume-Uni. Il n’en estima pas moins que, au vu des faits qui étaient reprochés au requérant, même dans l’hypothèse d’une condamnation en vertu de la règle de l’homicide concomitant d’une infraction grave, une telle peine ne serait pas nettement disproportionnée. Il ajouta que cette peine ne serait pas incompressible et que, à supposer même qu’elle le fût, il ne pensait pas qu’elle fût en elle-même incompatible avec l’article 3 de la Convention.
17. Le requérant pria la High Court de constater l’existence d’un point de droit d’intérêt général et sollicita auprès d’elle l’autorisation de saisir la Cour suprême. Le 14 juin 2011, la High Court rejeta ces deux demandes.
5. L’arrêt rendu par la Cour en l’affaire Harkins et Edwards c. Royaume-Uni, nos 9146/07 et 32650/07, 17 janvier 2012
18. Le 17 janvier 2012, une chambre de la quatrième section de la Cour rendit un arrêt en l’affaire Harkins et Edwards. Sur le grief tiré par le requérant d’un risque de condamnation à la peine de mort, elle jugea que les assurances données dans la note diplomatique suffisaient à écarter tout risque que la peine capitale lui fût infligée s’il venait à être extradé.
19. La chambre conclut aussi que la réclusion à perpétuité obligatoire sans possibilité de libération conditionnelle ne serait pas « nettement disproportionnée » et que le requérant n’avait pas démontré qu’il existait un risque réel que, en cas d’extradition, la peine qui lui serait infligée donnerait lieu à des traitements interdits par l’article 3. Elle estima en particulier que le requérant n’avait pas établi que, s’il devait être reconnu coupable, son incarcération ne poursuivrait aucune finalité pénologique, si bien qu’à ce stade-là aucune question ne pouvait se poser sur le terrain de l’article 3. Elle ajouta que si, à un moment donné, il venait à être démontré que l’incarcération du requérant n’avait plus aucune finalité pénologique, il était « encore moins certain » que le gouverneur et le Bureau des grâces (Board of Executive Clemency) de Floride refuseraient de faire usage de leurs pouvoirs pour commuer cette peine.
20. Le même jour, une chambre de la quatrième section rendit également un arrêt en l’affaire Vinter et autres c. Royaume-Uni (nos 66069/09 et 2 autres, 17 janvier 2012), qui avait pour objet la conformité à l’article 3 des peines de perpétuité réelle dans le contexte britannique. Elle jugea qu’une question ne se posait sur le terrain de l’article 3 que lorsqu’il pouvait être démontré que le maintien en détention ne se justifiait plus par aucun motif légitime d’ordre pénologique et que la peine était incompressible de facto et de jure. Les requérants n’ayant pas démontré dans cette affaire que leur maintien en détention ne poursuivait plus aucun motif de cet ordre, la chambre conclut qu’il ne se posait encore aucune question sur le terrain de l’article 3.
21. En l’affaire Vinter et autres comme en l’affaire Harkins et Edwards, les requérants demandèrent le renvoi devant la Grande Chambre. La demande fut acceptée dans la première affaire et rejetée dans la seconde. L’arrêt Harkins et Edwards est ainsi devenu définitif le 9 juillet 2012.
6. La suite de la procédure devant la High Court
22. Après l’adoption de l’arrêt Harkins et Edwards, le requérant ne fut pas extradé et il saisit la ministre d’un autre recours gracieux, qui fut rejeté le 29 janvier 2013. Le 20 juin 2013, il sollicita le contrôle juridictionnel de ce rejet.
23. Le 9 juillet 2013, la Grande Chambre rendit son arrêt Vinter et autres c. Royaume-Uni ([GC], nos 66069/09 et 2 autres, CEDH 2013 (extraits)). Elle jugea que, en matière de peines de perpétuité, l’article 3 devait être interprété comme exigeant que celles-ci fussent compressibles, c’est-à-dire soumises à un réexamen permettant aux autorités nationales de rechercher si, au cours de l’exécution de sa peine, le détenu avait tellement évolué et progressé sur le chemin de l’amendement qu’aucun motif légitime d’ordre pénologique ne permettait plus de justifier son maintien en détention. Elle précisa de plus qu’un détenu condamné à la perpétuité réelle avait le droit de savoir, dès le début de sa peine, ce qu’il devait faire pour que sa libération fût envisagée et ce qu’étaient les conditions applicables, et qu’il avait notamment le droit de connaître le moment où le réexamen de sa peine aurait lieu ou pourrait être sollicité. Elle dit que là où le droit national ne prévoyait aucun mécanisme ni aucune possibilité de réexamen des peines de perpétuité réelle, l’incompatibilité avec l’article 3 en résultant prenait naissance dès la date d’imposition de la peine perpétuelle et non à un stade ultérieur de la détention (ibidem, §§ 119-122).
24. Par la suite, le requérant présenta de nouveaux moyens dans sa demande de contrôle juridictionnel, arguant que la Grande Chambre avait radicalement modifié les règles relatives à l’article 3, de sorte que son extradition violerait cette disposition puisqu’il n’existait quasiment aucune perspective de libération en cas d’imposition par un tribunal de l’État de Floride d’une peine de réclusion à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle et que, en tout état de cause, il n’y avait aucun mécanisme spécial de réexamen conforme aux critères énoncés dans l’arrêt de Grande Chambre Vinter et autres. Ultérieurement, il plaida aussi que son extradition serait contraire à l’article 5, une peine de perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle étant selon lui « arbitraire », ainsi qu’à l’article 6, le tribunal fixant la peine ne pouvant prendre aucune circonstance atténuante en compte en raison du caractère obligatoire de la peine qui lui serait infligée en cas de verdict de culpabilité.
25. La High Court tint audience les 9 et 10 juillet 2014 et réserva son jugement. Le 8 septembre 2014, elle fut avisée que la Cour avait rendu un arrêt dans l’affaire Trabelsi c. Belgique (no140/10, CEDH 2014 (extraits)), dans lequel celle-ci avait conclu que l’extradition du requérant vers les États-Unis était contraire à l’article 3 car elle l’exposait à un risque de se voir infliger une peine de perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle. Après avoir examiné des observations écrites portant sur la pertinence de l’arrêt Trabelsi, elle tint une autre audience le 29 octobre 2014.
26. Le 7 novembre 2014, la High Court refusa d’autoriser la réouverture du procès s’agissant du moyen fondé sur l’article 3 et refusa d’autoriser un contrôle juridictionnel s’agissant des moyens fondés sur les articles 5 et 6. Elle estima que, au vu des circonstances très inhabituelles de l’espèce, elle devait appliquer des critères analogues à ceux figurant à l’article 52.17 des Règles de procédure civile en matière de réouverture des litiges, lesquelles ne permettaient à la Cour d’Appel ou à la High Court de revenir sur une décision définitive tranchant un litige que si cette mesure était nécessaire afin d’éviter une injustice réelle, si les circonstances étaient exceptionnelles et appelaient la réouverture, et s’il n’existait aucun autre recours effectif (paragraphe 29 ci-dessous). Au vu de ces critères, elle admit qu’un changement du droit qui serait fondamental au point de léser le demandeur dans ses droits fondamentaux pouvait, si les circonstances étaient suffisamment exceptionnelles, justifier la réouverture d’un litige déjà tranché. Cependant, elle conclut qu’aucun changement de la sorte n’était intervenu en l’espèce.
27. S’agissant des moyens fondés sur les articles 5 et 6 de la Convention, la High Court jugea que le requérant aurait pu en saisir la Divisional Court en 2011 ou la Cour en 2012. Elle estima en tout état de cause qu’aucun de ces moyens n’était fondé. Elle dit que le moyen de violation de l’article 5 pouvait être écarté pour le même motif que celui retenu par la Cour pour rejeter le grief similaire présenté par M. Edwards dans l’affaire Harkins et Edwards (à savoir que, en cas de condamnation à la perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle, la juridiction de jugement aurait pris en compte la légalité de la détention au moment de prononcer la peine et qu’il n’y aurait pas lieu de procéder ultérieurement à un nouvel examen sous l’angle de l’article 5 § 4). Sur le terrain de l’article 6, elle releva que, si le requérant venait à être condamné, la perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle devait obligatoirement être prononcée. À ses yeux, la fixation de la peine s’inscrivant dans le cadre du procès, il n’y aurait pas violation à l’égard du requérant du droit à un procès équitable.
7. La seconde requête introduite par le requérant devant la Cour
28. Le 11 novembre 2014, le requérant introduisit une nouvelle requête devant la Cour. Sur la base de l’article 39 du règlement, une seconde mesure provisoire lui fut accordée le 14 novembre 2014, aux fins du sursis à son extradition. Le 31 mars 2015, l’affaire fut communiquée aux parties et, le 5 juillet 2016, après réception des observations des parties, la chambre se dessaisit en faveur de la Grande Chambre.
B. Le droit interne pertinent
Article 52.30 des Règles de procédure civile (ancien article 52.17)
29. L’article 52.30 des Règles de procédure civile, pour autant qu’il soit pertinent en l’espèce, dispose :
« 1. La Cour d’appel et la High Court ne peuvent rouvrir un litige définitivement tranché que si les conditions suivantes sont remplies :
a) la réouverture est nécessaire afin d’éviter une injustice réelle ;
b) les circonstances sont exceptionnelles et appellent une réouverture ; et
c) il n’existe aucun autre recours effectif. »
C. Le droit international pertinent
30. La Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités dispose, dans ses parties pertinentes :
« Article 31
Règle générale d’interprétation
1. Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but.
2. Aux fins de l’interprétation d’un traité, le contexte comprend, outre le texte, préambule et annexes inclus :
a) tout accord ayant rapport au traité et qui est intervenu entre toutes les parties à l’occasion de la conclusion du traité ;
b) tout instrument établi par une ou plusieurs parties à l’occasion de la conclusion du traité et accepté par les autres parties en tant qu’instrument ayant rapport au traité.
3. Il sera tenu compte, en même temps que du contexte :
a) de tout accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l’interprétation du traité ou de l’application de ses dispositions ;
b) de toute pratique ultérieurement suivie dans l’application du traité par laquelle est établi l’accord des parties à l’égard de l’interprétation du traité ;
c) de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties.
4. Un terme sera entendu dans un sens particulier s’il est établi que telle était l’intention des parties. »
GRIEFS
31. Le requérant allègue que, à la suite de l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Trabelsi (précité), son extradition vers les États-Unis d’Amérique, où il serait passible d’une peine obligatoire de réclusion à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle, violerait l’article 3 de la Convention. Il estime en effet que le régime en matière de fixation des peines et de grâce en Floride ne satisfait pas aux impératifs procéduraux définis par la Grande Chambre dans l’arrêt Vinter et autres (précité) et que lui infliger une telle peine serait « nettement disproportionné ».
32. Sous l’angle de l’article 6 de la Convention, il soutient que l’imposition de pareille peine constituerait un « déni de justice flagrant ».
EN DROIT
A. Article 3 de la Convention
33. L’article 3 de la Convention dispose :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
34. Le Gouvernement soutient que le grief de violation de l’article 3 exposé en l’espèce est « essentiellement le même », au sens de l’article 35 § 2 b) de la Convention, que celui tranché par la chambre le 17 janvier 2012 en l’affaire Harkins et Edwards.
35. L’article 35 § 2 b) de la Convention dispose :
« 2. La Cour ne retient aucune requête individuelle introduite en application de l’article 34, lorsque
(…)
b) elle est essentiellement la même qu’une requête précédemment examinée par la Cour ou déjà soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et si elle ne contient pas de faits nouveaux. »
1. Observations des parties sur la recevabilité du grief formulé sur le terrain de l’article 3
36. Le Gouvernement soutient que le grief soumis à la Grande Chambre est « essentiellement le même » que celui tranché par la chambre le 17 janvier 2012, l’un et l’autre étant fondés sur les mêmes faits : le même meurtre, les mêmes faits considérés par les juridictions internes comme justifiant le renvoi en jugement, les mêmes chefs d’inculpation, ainsi que le même régime de fixation des peines et la même procédure de grâce en Floride. De plus, selon lui, le fondement des griefs est également le même, c’est-à-dire que, en cas de condamnation, le requérant serait passible d’une peine de perpétuité obligatoire sans possibilité de libération conditionnelle qui serait de facto incompressible.
37. Le Gouvernement précise que le seul changement intervenu est le développement ultérieur de la jurisprudence de la Cour, en lequel il ne voit aucun « faits nouveaux » au sens de l’article 35 § 2 b). Il estime que la notion de « faits nouveaux » doit s’interpréter à la lumière du but de l’article 35 § 2 b), à savoir le respect des principes de la sécurité juridique et du caractère définitif des décisions de justice, qui sont parmi les éléments fondamentaux de la prééminence du droit et veulent que la solution donnée de manière définitive à tout litige par les tribunaux ne soit pas remise en cause (Brumărescu c. Roumanie [GC], no 28342/95, §§ 60-61, CEDH 1999‑VII). Selon lui, il serait contraire à ces principes d’assimiler à des « faits nouveaux » les changements dans la jurisprudence de la Cour, celle-ci connaissant une évolution régulière et la Cour ne pouvant se permettre de rouvrir des affaires sur ce fondement.
38. Le Gouvernement soutient également que le principe de la sécurité juridique revêt une importance particulière en matière d’extradition compte tenu de l’intérêt public impérieux à la bonne exécution des accords d’extradition et de l’intérêt pour la justice à faire passer en jugement dans les meilleurs délais les personnes accusées d’infractions très graves. Il relève que, en l’espèce, le requérant est accusé d’un meurtre perpétré voilà environ seize ans pour lequel il n’a pas encore été jugé. Il considère que, dans le cadre tant de la procédure d’extradition au Royaume-Uni que de la requête dont l’intéressé a saisi la Cour, celui-ci a eu tout loisir de contester son extradition sur le terrain des droits de l’homme. Il précise que, dans son arrêt de 2012, la Cour a définitivement conclu sur tous les points que son extradition ne serait pas incompatible avec l’article 3 de la Convention. Le collège de la Grande Chambre aurait ensuite recherché si la requête soulevait une question grave relative à l’interprétation de la Convention mais il aurait jugé que l’affaire avait été correctement tranchée par la chambre. La situation du requérant n’aurait connu depuis lors aucun changement notable. Les changements ou conséquences dus à l’écoulement du temps ne suffiraient pas à justifier un réexamen complet d’une question qui serait totalement identique à celle tranchée en 2012. Le Gouvernement en conclut qu’il serait contraire au principe de la sécurité juridique que la Cour se penche une nouvelle fois sur le grief de violation de l’article 3 formulé par le requérant.
39. Le requérant, en revanche, soutient que le grief soumis à la Grande Chambre n’est pas « essentiellement le même » que celui exposé dans sa requête précédente étant donné que, selon lui, les injustices dénoncées sont différentes et surviendraient dans un autre contexte juridique. En particulier, il plaide que les arrêts Harkins et Edwards c. Royaume-Uni (nos 9146/07 et 32650/07, 17 janvier 2012), Vinter et autres c. Royaume-Uni [GC] (nos 66069/09 et 2 autres, CEDH 2013 (extraits)), et Trabelsi c. Belgique (no 140/10, CEDH 2014 (extraits)), et plus récemment, Murray c. Pays-Bas ([GC], no 10511/10, CEDH 2016), pris ensemble, ont fixé des critères nouveaux et plus stricts à respecter pour qu’une extradition exposant à une peine de perpétuité réelle soit conforme à l’article 3.
40. En outre, le requérant qualifie de « fait nouveau » cette évolution de la jurisprudence de la Cour, de même que le réexamen de son dossier, tout d’abord par la ministre puis par la High Court statuant en matière administrative, ainsi que les nouvelles expertises produites à l’appui de la présente requête introduite devant la Cour, portant sur la compatibilité des règles régissant en Floride le contrôle des peines de perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avec les nouveaux critères énoncés dans les arrêts précités Vinter et autres [GC], Trabelsi et Murray.
2. Appréciation de la Cour sur la recevabilité
a) Principes généraux
41. En ce qu’il fait obstacle à l’examen par la Cour d’une requête qui serait essentiellement la même qu’une autre précédemment tranchée, le critère de recevabilité énoncé dans la première branche de l’article 35 § 2 b) de la Convention vise à garantir le caractère définitif des arrêts et décisions de la Cour et à empêcher les requérants, par l’introduction d’une nouvelle requête, de chercher à former un recours contre des décisions ou arrêts antérieurs de celle-ci (Lowe c. Royaume-Uni (déc.), no 12486/07, 8 septembre 2009, et Kafkaris c. Chypre (déc.), no9644/09, § 67, 21 juin 2011).
42. En principe, une requête tombe sous le coup de la première branche de l’article 35 § 2 b) lorsque le même requérant a déjà introduit une requête portant essentiellement sur la même personne, les mêmes faits et les mêmes griefs (Vojnovic c. Croatie (déc.), no 4819/10, § 28, 26 juin 2012, Anthony Aquilina c. Malte, no 3851/12, § 34, 11 décembre 2014, et X. c. Slovénie(déc.), no 4473/14, § 40, 12 mai 2015). Un requérant ne peut alléguer qu’il présente des faits nouveaux lorsqu’il ne fait qu’étayer ses griefs précédents à l’aide de nouveaux arguments de droit (voir, par exemple, I.J.L. c. Royaume-Uni (déc.), no 39029/97, 6 juillet 1999, et Kafkaris, décision précitée, § 68). Pour que la Cour connaisse d’une requête portant sur les mêmes faits que ceux exposés dans une requête antérieure, il faut que le requérant présente véritablement un grief nouveau ou des faits nouveaux non examinés antérieurement par elle, et ce dans le respect du délai de six mois prévu à l’article 35 § 1 de la Convention (Lowe, décision précitée, et Kafkaris, décision précitée, § 68).
b) Application des principes généraux précités au cas d’espèce
43. La Cour estime, à l’inverse du requérant, que le grief qu’il soulève en l’espèce sur le terrain de l’article 3 est « essentiellement le même » que celui exposé dans sa requête antérieure introduite en 2007 (paragraphe 11 ci-dessus). L’intéressé allègue dans chacune de ces requêtes que son extradition vers les États-Unis d’Amérique serait contraire à l’article 3 de la Convention parce que, en cas de condamnation, il risquerait de se voir infliger une peine obligatoire de réclusion à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle, et qu’une telle peine serait « nettement disproportionnée ». De plus, comme le Gouvernement l’indique (paragraphe 36 ci-dessus), les faits sur lesquels reposait la requête initiale n’ont pas connu d’évolution depuis que la Cour a rendu son arrêt définitif dans l’affaire Harkins et Edwards, le 17 janvier 2012. En effet, le requérant fait l’objet des mêmes chefs d’inculpation pour les mêmes infractions pénales, et les règles en matière de fixation des peines et de grâce en Floride sont les mêmes aujourd’hui qu’en 2012.
44. Or le requérant soutient qu’il n’y a pas lieu de rejeter la requête en application de l’article 35 § 2 b) de la Convention en raison des « faits nouveaux » que constituent selon lui les arrêts de la Cour Vinter et autres [GC], Trabelsi et Murray, le réexamen de ses griefs au niveau interne à la lumière des deux premiers de ces arrêts, et les expertises supplémentaires analysant le régime de fixation des peines et de grâce en vigueur en Floride.
45. Pour autant que le requérant évoque la procédure récemment conduite par les juridictions internes, la Cour rappelle que, s’agissant de griefs nouveaux tirés d’un défaut d’exécution de ses arrêts par l’État, elle a reconnu que le réexamen d’une affaire par les autorités internes, que ce soit par la réouverture du procès ou par l’ouverture d’une toute nouvelle instance, pouvait dans certaines circonstances s’analyser en un « fait nouveau » susceptible de donner lieu à une violation nouvelle (Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) [GC], no 32772/02, § 65, CEDH 2009, Egmez c. Chypre (déc.), no 12214/07, §§ 48-56, 18 septembre 2012, et Bochan c. Ukraine (no 2) [GC], no 22251/08, § 34, CEDH 2015). Elle n’exclut donc pas la possibilité que, aux fins de la première branche de l’article 35 § 2 b) de la Convention, le nouvel examen d’un grief par les juridictions internes soit lui aussi qualifié de « fait nouveau », pourvu que la nouvelle procédure interne ne soit pas fondée sur des faits antérieurement examinés par la Cour (Kafkaris, décision précitée, §§ 68-69, dans laquelle la Cour a conclu que ni une nouvelle demande de grâce ou de libération conditionnelle auprès de l’Attorney-General ni le recours contentieux ultérieurement formé ne constituaient des « faits nouveaux », la nouvelle requête étant fondée sur un fait qui avait été précédemment analysé par la Grande Chambre lorsque celle-ci avait examiné la compatibilité avec l’article 3 de la Convention de la peine de perpétuité infligée au requérant).
46. En l’espèce, la nouvelle procédure interne était fondée sur les arrêts rendus par la Cour dans les affaires Vinter et autres [GC] et Trabelsi, tous deux faisant suite à l’arrêt Harkins et Edwards. Dès lors, si les faits de l’espèce étaient certes les mêmes, on ne peut pas dire que les arguments avancés par le requérant au cours de la nouvelle procédure interne eussent été antérieurement examinés par la Cour. Toujours est-il que la seule question sur laquelle la High Court devait se prononcer était celle de savoir si les arrêts Vinter et autres [GC] et Trabelsiavaient fait évoluer la jurisprudence au point d’autoriser exceptionnellement cette juridiction, sur la base des règles internes, à revenir sur sa décision définitive (paragraphe 26 ci-dessus). Ayant répondu par la négative, la High Court a refusé de rouvrir l’instance. En cela, la question de savoir si la récente procédure menée au niveau interne constitue un « fait nouveau » est intimement liée à celle de savoir si l’évolution que les arrêts Vinter et autres [GC], Trabelsi et Murray ont fait subir à la jurisprudence de la Cour s’analyse en un « fait nouveau ».
47. De même, le requérant soutenant pour l’essentiel que le régime de fixation des peines et la procédure de grâce en Floride ne sont pas conformes aux exigences découlant de l’arrêt Vinter et autres [GC] et de la jurisprudence ultérieure de la Cour, les nouvelles expertises invoquées par lui ne sont rien de plus que des « arguments juridiques nouveaux » fondés sur ces arrêts (Kafkaris, décision précitée, § 68).
48. Dès lors, la véritable question que la Cour est appelée à trancher en l’espèce est celle de savoir si l’évolution de sa jurisprudence à la suite de son arrêt Harkins et Edwards s’analyse en elle-même en un « fait nouveau » pour les besoins de la première branche de l’article 35 § 2 b) de la Convention.
49. À cet égard, la Cour a déjà souligné que, en tant que traité international, la Convention doit être interprétée à la lumière des règles d’interprétation énoncées aux articles 31 à 33 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités (pour un exemple récent, voir Magyar Helsinki Bizottság c. Hongrie [GC], no 18030/11, § 118, CEDH 2016). La Convention de Vienne lui impose de rechercher le sens ordinaire à attribuer aux termes dans leur contexte et à la lumière de l’objet et du but de la disposition dont ils sont tirés (ibidem, § 119, et article 31 § 1 de la Convention de Vienne, cité au paragraphe 30 ci-dessus). Il faut aussi tenir compte de ce que la Convention, instrument de protection effective des droits de l’homme, doit être interprétée et appliquée d’une manière qui en rende les exigences concrètes et effectives, et non pas théoriques et illusoires (ibidem, §§ 120-121).
50. À ce jour, la Cour n’a pas donné d’indication précise sur le sens de la notion de « faits nouveaux ». Cela dit, si le texte anglais de l’article 35 § 2 b) emploie l’expression « relevant new information », le texte français utilise les termes « faits nouveaux » ; or cette disparité ne peut être surmontée que si l’expression anglaise s’entend, en son sens ordinaire, comme désignant des éléments de fait nouveaux (relevant new factual information) (comparer avec X. c. Royaume-Uni (déc.), no 8206/78, 10 juillet 1981). Pareille interprétation serait compatible avec le raisonnement suivi par la Cour lorsqu’elle décide si une requête doit être rejetée au titre de la première branche de l’article 35 § 2 b). Si, dans sa décision X. c. République fédérale d’Allemagne1.
65. La Cour juge que, pour déterminer si ce critère strict de manque d’équité a été rempli, il y a lieu d’appliquer le même niveau de preuve et la même répartition de la charge de la preuve que lorsqu’elle examine les affaires d’expulsion au regard de l’article 3. C’est donc au requérant qu’il incombe de produire des éléments de preuve aptes à prouver qu’il existe des motifs sérieux de croire que, s’il était expulsé de l’État contractant, il serait exposé à un risque réel de faire l’objet d’un déni de justice flagrant. S’il y parvient, il appartient ensuite au Gouvernement de dissiper tout doute à ce sujet (Othman (Abu Qatada), précité, § 261).
66. En l’espèce, le requérant se contente de dénoncer le caractère obligatoire de la peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle. Or, comme la High Court l’a relevé, une telle peine serait prononcée à l’issue d’un procès dont le requérant ne plaide pas qu’il serait en lui-même inéquitable (paragraphe 27 ci-dessus). En particulier, compte tenu de la jurisprudence analysée au paragraphe 63 ci‑dessus, la Cour constate que rien ne permet de dire que la juridiction de jugement ne serait pas « indépendante et impartiale », que le requérant serait privé de représentation en justice, que les droits de la défense seraient bafoués, qu’il y aurait utilisation de déclarations recueillies sous la torture ou que le requérant risquerait pour d’autres raisons d’être victime d’une atteinte grave aux principes garantissant l’équité du procès.
67. La Cour conclut de ce qui précède qu’il ne ressort aucunement des faits de l’espèce que le requérant risquerait d’être victime aux États-Unis d’un « déni de justice flagrant » aux fins de l’article 6 de la Convention.
68. Le grief tiré par le requérant d’une violation de l’article 6 doit donc être déclaré irrecevable pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 § 3 a) de la Convention.
C. La mesure provisoire
69. Au vu des conclusions ci-dessus, il y a lieu de lever la mesure provisoire indiquée en vertu de l’article 39 du règlement de la Cour.
Par ces motifs, la Cour,
1. À la majorité, déclare irrecevable le grief relatif à l’article 3 de la Convention ;
2. À l’unanimité, déclare irrecevable le grief relatif à l’article 6 de la Convention.
Fait en français et en anglais puis communiqué par écrit le 10 juillet 2017.
Lawrence Early – Jurisconsulte
Guido Raimondi – Président
- déc.), no 4256/69, 14 décembre 1970), la Commission a reconnu que, dans cette affaire concernant une « situation continue », un changement dans la qualification juridique d’un grief né de l’entrée en vigueur du Protocole no 4 à l’égard de l’État défendeur constituerait un « fait nouveau », dans leur jurisprudence postérieure, les organes de la Convention se sont plutôt attachés à la question de l’existence de faits nouveaux (voir, par exemple, Vojnovic, décision précitée, §§ 28-30, Anthony Aquilina, précité, §§ 34-37, et X c. Slovénie, décision précitée, §§ 40-42) et ils ont rejeté les allégations cherchant à étayer des griefs antérieurs à l’aide d’arguments juridiques nouveaux (voir, par exemple, les décisions précitées I.J.L. c. Royaume-Uni, et Kafkaris, § 68).
51. La Cour doit donc se pencher sur l’objet et le but du critère de recevabilité énoncé dans la première branche de l’article 35 § 2 b). Ainsi qu’il a déjà été noté au paragraphe 41 ci-dessus, ce critère vise principalement à protéger le caractère définitif des décisions de justice et la sécurité juridique en empêchant les requérants, par l’introduction d’une nouvelle requête, de contester des décisions ou arrêts antérieurs de la Cour (Kafkaris, décision précitée, § 67).
52. Par ailleurs, outre qu’il sert les deux buts précités, l’article 35 § 2 b) fixe aussi les limites de la compétence de la Cour. S’agissant des requêtes déjà soumises à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, la Cour a maintes fois dit que cette disposition excluait sa compétence à l’égard de toute requête entrant dans son champ d’application (voir, par exemple, OAO Neftyanaya Kompaniya Yukos c. Russie, no 14902/04, § 520, 20 septembre 2011, POA et autres c. Royaume-Uni (déc.), no 59253/11, § 27, 21 mai 2013, et Hilal Mammadov c. Azerbaïdjan, no 81553/12, §§ 103 et 105, 4 février 2016). Bien que, dans sa jurisprudence, elle n’ait pas expressément fait mention de sa juridiction ou de sa compétence relativement aux requêtes qui sont essentiellement les mêmes que des requêtes précédemment tranchées, elle ne voit aucune raison logique de traiter différemment les deux situations visées à l’article 35 § 2 b). Si sa compétence est exclue à l’égard de toute requête relevant de la seconde branche de l’article 35 § 2 b), il doit en aller de même d’une requête tombant sous le coup de la première branche de cette disposition.
53. La Cour a dit que certaines règles de recevabilité devaient s’appliquer avec souplesse et sans formalisme excessif, eu égard à leur objet et à leur but, de même qu’à ceux de la Convention en général qui, en tant qu’elle constitue un traité de garantie collective des droits de l’homme et des libertés fondamentales, doit être interprétée et appliquée d’une manière qui en rende les exigences concrètes et effectives (İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 51, CEDH 2000‑VII, concernant la compatibilité ratione personae, et Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 69, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV, concernant l’épuisement des voies de recours internes).
54. Toutefois, la Cour a fait preuve de davantage de rigueur dans l’application des critères de recevabilité qui ont pour objet et pour but de garantir la sécurité juridique et de marquer les limites de sa compétence (voir, par exemple, Sabri Güneş c. Turquie [GC], no 27396/06, §§ 39-42, 29 juin 2012, et Walker c. Royaume-Uni (déc.), no 34979/97, CEDH 2000-I, affaires qui concernaient toutes deux l’application du délai de six mois). Les limitations de la compétence de la Cour offrent une stabilité juridique en ce qu’elles indiquent au justiciable et aux autorités de l’État quand son contrôle peut ou non être exercé (voir, par exemple, Sabri Güneş, précité, § 42, et Walker, décision précitée), tandis que le principe de la sécurité juridique constitue l’un des éléments fondamentaux de la prééminence du droit, qui veut notamment que la solution donnée de manière définitive à tout litige par les tribunaux ne soit pas remise en cause (Brumărescu,précité, § 61). Faute de cela, les parties ne jouiraient pas de la certitude ou de la stabilité qu’offre le fait de savoir qu’un litige a été définitivement tranché par la Cour. C’est précisément pour cette raison que l’article 80 du règlement de la Cour restreint les cas dans lesquels une partie peut demander la révision d’un arrêt définitif à la découverte d’un fait qui, par sa nature, aurait pu exercer une influence décisive sur l’issue d’une affaire déjà tranchée et qui, à l’époque de l’arrêt, était inconnu de la Cour et ne pouvait raisonnablement être connu de cette partie.
55. L’objet et le but de l’article 35 § 2 b) étant de garantir la sécurité juridique et de fixer les limites de sa compétence (paragraphes 51 et 52 ci‑dessus), la Cour ne peut élargir la portée de la notion de « faits nouveaux » au-delà de son sens ordinaire tel qu’il ressort tant du texte anglais que du texte français de la Convention et qu’il a été appliqué jusqu’à présent dans sa jurisprudence (paragraphe 50 ci-dessus).
56. Compte tenu du sens ordinaire de cette expression ainsi défini, force est pour la Cour de conclure qu’un développement dans sa jurisprudence ne constitue pas un « fait nouveau » aux fins de l’article 35 § 2 b) de la Convention. La jurisprudence de la Cour évolue constamment, et si de tels développements jurisprudentiels devaient permettre à des requérants déboutés de présenter de nouveau leurs griefs, les arrêts définitifs seraient sans cesse remis en cause par l’introduction de nouvelles requêtes. Les critères stricts énoncés à l’article 80 du règlement pour autoriser la révision des arrêts de la Cour s’en trouveraient fragilisés (paragraphe 54 ci-dessus), de même que la crédibilité et l’autorité de ces textes. De surcroît, le principe de la sécurité juridique ne s’appliquerait pas également à chacune des parties, car seul le requérant, sur la base de développements jurisprudentiels ultérieurs, serait concrètement autorisé à « rouvrir » des affaires précédemment examinées, pourvu qu’il soit en mesure d’introduire une nouvelle requête dans le délai de six mois.
57. Dès lors, les deux griefs formulés par le requérant sur le terrain de l’article 3 – à savoir que son extradition vers les États-Unis, où il serait passible d’une peine de perpétuité obligatoire sans possibilité de libération conditionnelle, serait incompatible avec les exigences formulées par la Cour, et qu’une telle peine serait « nettement disproportionnée » – sont essentiellement les mêmes que ceux précédemment examinés par la Cour dans son arrêt Harkins et Edwards du 17 juin 2012. La jurisprudence ultérieure de la Cour ne saurait être qualifiée de « fait nouveau » aux fins de l’article 35 § 2 b) de la Convention. Aussi y a-t-il lieu, en application de l’article 35 § 4 de la Convention, de rejeter pour irrecevabilité les griefs fondés sur l’article 3.
B. Article 6 de la Convention
58. L’article 6 de la Convention dispose, en ses passages pertinents :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (…) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
1. Observations des parties sur la recevabilité du grief fondé sur l’article 6
59. Le Gouvernement soutient que, faute pour le requérant d’avoir saisi la Cour d’un grief sur le terrain de l’article 6 dans sa requête introduite en 2007 – alors qu’il en avait la possibilité –, il serait contraire aux principes de la sécurité juridique et du caractère définitif des décisions de justice que la Cour examine à présent un tel grief. Il estime que le grief du requérant relatif à l’article 6 doit en tout état de cause être rejeté pour défaut manifeste de fondement. Il dit que, selon l’arrêt Vinter et autres [GC], une peine de perpétuité obligatoire sans possibilité de libération conditionnelle n’est pas incompatible avec la Convention et que, une fois admis qu’une telle peine n’est pas contraire à l’article 3 de la Convention, aucune question ne peut se poser sous l’angle de l’article 6.
60. Le requérant soutient en revanche que l’imposition d’une peine de perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle, en l’absence de toute faculté pour le juge d’examiner les circonstances de l’infraction en question et la situation de l’accusé, serait contraire à toute idée de procès équitable et s’analyserait en un « déni de justice flagrant » contraire à l’article 6 de la Convention.
2. Appréciation de la Cour sur la recevabilité
61. Pour autant qu’il puisse être déduit de l’invocation par le Gouvernement des principes de la sécurité juridique et du caractère définitif des décisions de justice que celui-ci plaide pour que le grief soulevé par le requérant sur le terrain de l’article 6 soit lui aussi rejeté en application de l’article 35 § 2 b) de la Convention, la Cour ne juge pas nécessaire de trancher ce point étant donné que, pour les raisons exposées aux paragraphes 62 à 68 ci-dessous, elle juge ce grief manifestement mal fondé.
62. À cet égard, la Cour rappelle que, tel que le consacre l’article 6 de la Convention, le droit à un procès équitable en matière pénale occupe une place éminente dans une société démocratique. Elle n’exclut donc pas qu’une décision d’extradition puisse exceptionnellement soulever une question sur le terrain de cet article au cas où le fugitif aurait subi ou risquerait de subir un déni de justice flagrant dans le pays de destination (Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, § 113, série A no 161). Cependant, dans la jurisprudence de la Cour, l’expression « déni de justice flagrant » est synonyme de procès manifestement contraire aux dispositions de l’article 6 ou aux principes y consacrés (Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 84, CEDH 2006-II).
63. Si jusqu’à présent elle n’a pas été appelée à définir plus précisément cette expression, la Cour n’en a pas moins indiqué que certaines formes de manque d’équité pouvaient s’analyser en un « déni de justice flagrant », notamment : une condamnation in absentia sans possibilité d’obtenir qu’une juridiction statue à nouveau sur le bien-fondé de l’accusation (Einhorn c. France (déc.), no 71555/01, § 33, CEDH 2001-XI, Stoichkov c. Bulgarie, no 9808/02, § 56, 24 mars 2005, et Sejdovic, précité, § 84) ; un procès à caractère sommaire conduit au mépris total des droits de la défense (Bader et Kanbor c. Suède, no 13284/04, § 47, CEDH 2005-XI) ; une détention sans le moindre accès à un tribunal indépendant et impartial pour en faire examiner la légalité (Al-Moayad c. Allemagne (déc.), no 35865/03, § 101, 20 février 2007) ; un refus délibéré et systématique d’accès à un avocat, surtout s’agissant d’une personne détenue dans un pays étranger (ibidem) ; et l’utilisation dans un procès pénal de déclarations recueillies en torturant l’accusé ou un tiers en violation de l’article 3 (Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni, no 8139/09, § 267, CEDH 2012 (extraits), et El Haski c. Belgique, no 649/08, § 85, 25 septembre 2012).
64. Par conséquent, le « déni de justice flagrant » est un critère strict de manque d’équité qui va au-delà de simples irrégularités ou défauts de garanties pendant le déroulement du procès qui seraient de nature à emporter violation de l’article 6 s’ils survenaient dans l’État contractant lui‑même. Pour qu’il y ait un tel déni, il faut qu’il y ait une violation du principe d’équité du procès garanti par l’article 6 suffisamment grave pour entraîner l’annulation, voire la destruction de l’essence même du droit protégé par cet article (Othman (Abu Qatada), précité, § 260). À ce jour, la Cour n’a jamais jugé établi qu’une extradition serait contraire à l’article 6 (par opposition à une expulsion comme dans l’affaire Othman (Abu Qatada) (arrêt précité, § 285), et à des remises de prisonniers comme dans les affaires Al Nashiri c. Pologne (no 28761/11, § 568, 24 juillet 2014) et Husayn (Abu Zubaydah) c. Pologne (no 7511/13, § 560, 24 juillet 2014 [↩]