Le Conseil constitutionnel a été saisi le 30 septembre 2015 par le Conseil d’État (décision n° 391841), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité posée pour le syndicat réunionnais des exploitants de stations-service et les sociétés Station-service Le Guillaume SARL, JDS SARL, Station Total Suzanne SARL, T.S.P. SARL, J2MA SARL, SCLP SARL, LDS Services EURL et Station Zac Bank EURL, par Me Eric Dugoujon, avocat au barreau de Saint-Denis de la Réunion, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 671-2 et L. 671-3 du code de l’énergie, enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2015-507 QPC.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de commerce ;
Vu le code de l’énergie ;
Vu la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour les requérants par Me Eric Dugoujon, enregistrées le 21 octobre 2015 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 22 octobre 2015 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Laure Thierry, avocat au barreau des Hauts-de-Seine, pour les requérants, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l’audience publique du 1er décembre 2015 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu’aux termes de l’article L. 671-2 du code de l’énergie dans sa rédaction issue de la loi du 18 juin 2014 susvisée :
« Dans les collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution et dans les collectivités d’outre-mer de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Wallis-et-Futuna, et pour le secteur des produits pétroliers, soumis à une réglementation des prix en application du deuxième alinéa de l’article L. 410-2 du code de commerce, les entreprises soumises à cette réglementation ne peuvent décider d’interrompre leur activité de distribution que dans les conditions fixées au présent article.« Chaque année, le représentant de l’État territorialement compétent rend public, après concertation avec les entreprises du secteur de la distribution en gros et l’organisation professionnelle représentative des exploitants des stations-service ou, à défaut d’existence d’une telle organisation, les exploitants des stations-service, un plan de prévention des ruptures d’approvisionnement. Le plan de prévention des ruptures d’approvisionnement garantit, en cas d’interruption volontaire de son activité par toute entreprise du secteur de la distribution de gros, la livraison de produits pétroliers pour au moins un quart des détaillants de son réseau de distribution. Ce plan contient la liste de ces détaillants, nommément désignés et répartis sur le territoire afin d’assurer au mieux les besoins de la population et de l’activité économique. La liste contenue dans le plan de prévention des ruptures d’approvisionnement peut être mise à jour chaque année dans les mêmes conditions.
« Si, en cas d’interruption volontaire de son activité, une entreprise du secteur de la distribution en gros refuse d’approvisionner les détaillants de son réseau de distribution mentionnés au plan de prévention des ruptures d’approvisionnement, le représentant de l’État procède à sa réquisition, sans préjudice des pouvoirs de droit commun qu’il détient en vertu de l’article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales en cas de troubles, constatés ou prévisibles, à l’ordre public.
« En cas de décision concertée des entreprises de distribution de détail du secteur des produits pétroliers d’interrompre leur activité, sans que cette interruption soit justifiée par la grève de leurs salariés ou par des circonstances exceptionnelles, l’organisation professionnelle représentative des exploitants des stations-service ou, à défaut d’existence d’une telle organisation, les exploitants des stations-service en informent le représentant de l’État territorialement compétent au moins trois jours ouvrables avant le début de leur action. Les points de vente figurant dans le plan de prévention des ruptures d’approvisionnement mentionné au deuxième alinéa du présent article ne peuvent faire l’objet d’une telle interruption.
« Lorsque les points de vente figurant dans le plan de prévention des ruptures d’approvisionnement font l’objet d’une interruption de leur activité à la suite d’une décision concertée des entreprises de distribution de détail, le représentant de l’État procède à leur réquisition, dans les conditions prévues à l’article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales, sans préjudice des pouvoirs de droit commun qu’il détient en vertu du même article en cas de troubles, constatés ou prévisibles, à l’ordre public » ;
2. Considérant qu’aux termes de l’article L. 671-3 du même code dans sa rédaction issue de la loi du 18 juin 2014 : « Est puni de 50 000 € d’amende le fait pour une entreprise du secteur de la distribution en gros de produits pétroliers de ne pas respecter le plan de prévention des ruptures d’approvisionnement mentionné à l’article L. 671-2 » ;
3. Considérant que, selon les requérants, les dispositions contestées, en privant les exploitants de station-service figurant dans le plan de prévention des ruptures d’approvisionnement de la possibilité d’interrompre leur activité de distribution de produits pétroliers, portent une atteinte inconstitutionnelle à leur droit de grève lorsqu’ils sont gérants salariés de station-service et à leur liberté d’entreprendre lorsqu’ils sont indépendants ;
4. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les deuxième et troisième phrases du deuxième alinéa et le quatrième alinéa de l’article L. 671-2 du code de l’énergie ;
5. Considérant qu’il est loisible au législateur d’apporter à la liberté d’entreprendre, qui découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi ;
6. Considérant qu’aux termes du septième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : « Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent » ; qu’en édictant cette disposition, les constituants ont entendu marquer que le droit de grève est un principe de valeur constitutionnelle mais qu’il a des limites et ont habilité le législateur à tracer celles-ci en opérant la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la sauvegarde de l’intérêt général auquel la grève peut être de nature à porter atteinte ;
7. Considérant que les dispositions des deux premiers alinéas de l’article L. 671-2 du code de l’énergie prévoient qu’un plan de prévention des ruptures d’approvisionnement est établi, dans chaque collectivité d’outre-mer de l’article 73 de la Constitution ainsi que dans les collectivités de Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna ; que les dispositions contestées prévoient que ce plan contient une liste des détaillants du réseau de distribution de gros des produits pétroliers ; que les détaillants figurant sur la liste doivent être répartis sur le territoire afin d’assurer au mieux les besoins de la population et de l’activité économique ; que cette liste doit comprendre au moins un quart des détaillants ; qu’en cas de décision concertée des entreprises de distribution de détail du secteur des produits pétroliers d’interrompre leur activité, elles sont tenues d’en informer le représentant de l’État au moins trois jours ouvrables avant le début de leur action ; que les détaillants figurant dans le plan de prévention ne peuvent interrompre leur activité ;
8. Considérant qu’en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu prévenir les dommages pour l’activité économique de certaines collectivités d’outre-mer pouvant résulter de l’interruption concertée de l’activité de distribution de produits pétroliers par les entreprises de distribution de détail ; qu’il a ainsi poursuivi un motif d’intérêt général de préservation de l’ordre public économique ;
9. Considérant que le plan de prévention des ruptures d’approvisionnement n’est applicable que dans des collectivités d’outre-mer où le secteur des produits pétroliers est soumis à une réglementation des prix, en application de l’article L. 410-2 du code de commerce, et qu’il impose également aux entreprises du secteur de la distribution de gros d’assurer la livraison de produits pétroliers aux détaillants de leur réseau de distribution qui figurent dans la liste arrêtée par le plan ; qu’en prévoyant que le plan de prévention des ruptures d’approvisionnement comprend au moins un quart de ces détaillants, le législateur a confié au représentant de l’État le soin de veiller à ce que ce plan soit adapté aux contraintes propres de la collectivité d’outre-mer concernée ; qu’en vertu du quatrième alinéa de l’article L. 671-2, l’interdiction d’interrompre leur activité ne s’applique pas aux détaillants figurant au plan de prévention des ruptures d’approvisionnement lorsque cette interruption est justifiée par la grève de leurs salariés ou par des circonstances exceptionnelles ;
10. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées n’apportent ni une limitation excessive à l’exercice du droit de grève des gérants de station-service qui sont placés dans une relation de subordination avec un employeur ni une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre des entreprises de distribution de détail du secteur des produits pétroliers ; que, par suite, les griefs doivent être écartés ;
11. Considérant que les dispositions contestées, qui ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Les deuxième et troisième phrases du deuxième alinéa et le quatrième alinéa de l’article L. 671-2 du code de l’énergie sont conformes à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 10 décembre 2015, où siégeaient : M. Lionel JOSPIN exerçant les fonctions de Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Jean-Jacques HYEST et Mme Nicole MAESTRACCI.
Rendu public le 11 décembre 2015.
JORF n°0289 du 13 décembre 2015 page 23055, texte n° 67
ECLI : FR : CC : 2015 : 2015.507.QPC