LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 61 de la Constitution, de la loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire, sous le n° 2020-808 DC, le 7 novembre 2020, par Mme Valérie RABAULT, MM. Jean-Luc MÉLENCHON, André CHASSAIGNE, Joël AVIRAGNET, Mmes Marie-Noëlle BATTISTEL, Gisèle BIÉMOURET, MM. Jean-Louis BRICOUT, Alain DAVID, Mme Laurence DUMONT, MM. Olivier FAURE, Guillaume GAROT, David HABIB, Christian HUTIN, Mme Chantal JOURDAN, M. Régis JUANICO, Mme Marietta KARAMANLI, MM. Jérôme LAMBERT, Serge LETCHIMY, Mme Josette MANIN, M. Philippe NAILLET, Mmes George PAU-LANGEVIN, Christine PIRES BEAUNE, M. Dominique POTIER, Mme Claudia ROUAUX, M. Hervé SAULIGNAC, Mmes Sylvie TOLMONT, Cécile UNTERMAIER, Hélène VAINQUEUR-CHRISTOPHE, M. Boris VALLAUD, Mme Michèle VICTORY, M. Gérard LESEUL, Mmes Isabelle SANTIAGO, Clémentine AUTAIN, MM. Ugo BERNALICIS, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Mme Caroline FIAT, MM. Bastien LACHAUD, Michel LARIVE, Mmes Danièle OBONO, Mathilde PANOT, MM. Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, Jean-Hugues RATENON, Mmes Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, M. François RUFFIN, Mme Bénédicte TAURINE, M. Alain BRUNEEL, Mme Marie-George BUFFET, MM. Pierre DHARRÉVILLE, Jean-Paul DUFRÈGNE, Mme Elsa FAUCILLON, MM. Sébastien JUMEL, Jean-Paul LECOQ, Stéphane PEU, Fabien ROUSSEL, Hubert WULFRANC, Mmes Karine LEBON, Manuéla KÉCLARD-MONDÉSIR, MM. Moetai BROTHERSON, Jean-Philippe NILOR, MM. Jean-Félix ACQUAVIVA, Bertrand PANCHER, Charles de COURSON, M. Benoit SIMIAN, Mme Jennifer de TEMMERMAN, M. Jean-Michel CLÉMENT et Mme Frédérique DUMAS, députés.
Il a également été saisi, le même jour, par MM. Patrick KANNER, Maurice ANTISTE, Mme Viviane ARTIGALAS, MM. David ASSOULINE, Joël BIGOT, Mmes Florence BLATRIX-CONTAT, Nicole BONNEFOY, M. Hussein BOURGI, Mme Isabelle BRIQUET, M. Rémi CARDON, Mmes Marie-Arlette CARLOTTI, Catherine CONCONNE, Hélène CONWAY-MOURET, MM. Thierry COZIC, Michel DAGBERT, Mme Marie-Pierre de la GONTRIE, MM. Gilbert-Luc DEVINAZ, Jérôme DURAIN, Vincent ÉBLÉ, Mme Frédérique ESPAGNAC, M. Rémi FÉRAUD, Mme Corinne FÉRET, M. Jean-Luc FICHET, Mme Martine FILLEUL, M. Hervé GILLÉ, Mme Laurence HARRIBEY, MM. Jean-Michel HOULLEGATTE, Olivier JACQUIN, Mme Victoire JASMIN, MM. Éric JEANSANNETAS, Bernard JOMIER, Mme Gisèle JOURDA, M. Éric KERROUCHE, Mme Annie LE HOUEROU, M. Jean-Yves LECONTE, Mme Claudine LEPAGE, M. Jean-Jacques LOZACH, Mme Monique LUBIN, MM. Victorin LUREL, Didier MARIE, Mme Michelle MEUNIER, M. Jean-Jacques MICHAU, Mme Marie-Pierre MONIER, M. Sébastien PLA, Mmes Émilienne POUMIROL, Angèle PRÉVILLE, MM. Claude RAYNAL, Christian REDON-SARRAZY, Mme Sylvie ROBERT, M. Gilbert ROGER, Mme Laurence ROSSIGNOL, MM. Lucien STANZIONE, Jean-Pierre SUEUR, Rachid TEMAL, Jean-Claude TISSOT, Jean-Marc TODESCHINI, Mickaël VALLET, André VALLINI, Mme Sabine VAN HEGHE et M. Yannick VAUGRENARD, sénateurs.
Le 9 novembre 2020, le Premier ministre a demandé au Conseil constitutionnel de statuer selon la procédure d’urgence prévue au troisième alinéa de l’article 61 de la Constitution.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 ;
la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions ;
la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne ;
la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire ;
le code de la santé publique ;
le décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 déclarant l’état d’urgence sanitaire ;
la décision du Conseil constitutionnel n° 2020-800 DC du 11 mai 2020 ;
Au vu des observations du Gouvernement, enregistrées le 10 novembre 2020 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Les députés et les sénateurs requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire. Ils contestent son article 1er ainsi que certaines dispositions de ses articles 2 et 10. Les députés requérants contestent également certaines dispositions de son article 5.
– Sur l’article 1er :
2. L’article 1er de la loi déférée proroge jusqu’au 16 février 2021 l’état d’urgence sanitaire déclaré par le décret du 14 octobre 2020 mentionné ci-dessus.
3. Les députés et sénateurs requérants contestent la constitutionnalité de cette prorogation. Selon les premiers, celle-ci permettrait la mise en œuvre de mesures portant, au regard des nécessités sanitaires, une atteinte disproportionnée aux droits et libertés constitutionnellement garantis, notamment la liberté d’aller et de venir, le droit au respect de la vie privée, la liberté d’entreprendre et la liberté d’expression et de communication. Pour les seconds, en prévoyant une prorogation de l’état d’urgence sanitaire d’une durée de quatre mois sans qu’il soit nécessaire que le Parlement intervienne à nouveau dans ce délai, le législateur aurait opéré une conciliation déséquilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et les droits et libertés précités.
4. Aux termes du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, la Nation « garantit à tous … la protection de la santé ». Il en découle un objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé.
5. La Constitution n’exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d’état d’urgence sanitaire. Il lui appartient, dans ce cadre, d’assurer la conciliation entre l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République.
6. En premier lieu, l’état d’urgence sanitaire vise à permettre aux pouvoirs publics de prendre des mesures afin de faire face à une crise sanitaire grave. Le législateur a estimé, au regard des données scientifiques disponibles sur la situation sanitaire, que l’épidémie de covid-19 se répand à une vitesse élevée contribuant, compte tenu par ailleurs des capacités actuelles de prise en charge des patients par le système de santé, à un état de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population. Il a par ailleurs considéré, au regard de la dynamique de l’épidémie et de la période hivernale à venir, que cet état devrait perdurer au moins durant les quatre mois à venir. Cette appréciation est corroborée par les avis des 19 et 26 octobre 2020 du comité de scientifiques prévu par l’article L. 3131-19 du code de la santé publique. Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel, qui ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, de remettre en cause l’appréciation par le législateur de l’existence d’une catastrophe sanitaire et de sa persistance prévisible dans les quatre prochains mois, dès lors que, comme c’est le cas en l’espèce, cette appréciation n’est pas, en l’état des connaissances, manifestement inadéquate au regard de la situation présente de l’ensemble du territoire français.
7. En deuxième lieu, en vertu du premier alinéa du paragraphe I de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, les mesures prévues dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire ne peuvent en tout état de cause être prises qu’aux seules fins de garantir la santé publique. Selon le paragraphe III du même article, elles doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires. Le juge est chargé de s’assurer que de telles mesures sont adaptées, nécessaires et proportionnées à la finalité qu’elles poursuivent.
8. En dernier lieu, quand la situation sanitaire le permet, il doit être mis fin à l’état d’urgence sanitaire par décret en conseil des ministres avant l’expiration du délai fixé par la loi le prorogeant.
9. Il résulte de ce qui précède que le législateur a pu, sans méconnaître aucune exigence constitutionnelle, proroger l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 16 février 2021. Par conséquent, l’article 1er est conforme à la Constitution.
– Sur certaines dispositions de l’article 2 :
10. Les paragraphes I et II de l’article 2 de la loi prorogent jusqu’au 1er avril 2021, dans les territoires où l’état d’urgence sanitaire n’est pas en cours d’application, le régime transitoire organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire prévu par l’article 1er de la loi du 9 juillet 2020 mentionnée ci-dessus.
11. Selon les députés et les sénateurs requérants, en prévoyant, malgré l’absence d’éléments objectifs permettant d’anticiper la situation sanitaire de la France jusqu’à cette date, que le régime transitoire organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire s’appliquera automatiquement, sans nouvelle intervention du Parlement, dès l’expiration du terme fixé pour l’état d’urgence sanitaire ou sa levée anticipée, le législateur n’aurait pas opéré une conciliation équilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et les droits et libertés susceptibles d’être en cause. Selon les sénateurs requérants, il en résulterait également une méconnaissance par le législateur de l’étendue de sa compétence et une atteinte au principe de la séparation des pouvoirs.
12. En premier lieu, en prévoyant un régime transitoire de sortie de l’état d’urgence sanitaire, le législateur a entendu permettre aux pouvoirs publics de prendre des mesures visant à lutter contre la propagation de l’épidémie de covid-19. Il a dès à présent estimé qu’un risque important de propagation de l’épidémie persisterait au-delà de la période d’application de l’état d’urgence sanitaire, jusqu’au 1er avril 2021. Compte tenu des éléments mentionnés au paragraphe 6, il n’a pas, en l’état des connaissances, procédé à une appréciation manifestement inadéquate au regard de la situation présente.
13. En deuxième lieu, en vertu du premier alinéa du paragraphe I de l’article 1er de la loi du 9 juillet 2020, les mesures susceptibles d’être prononcées dans le cadre du régime transitoire ne peuvent être prises que dans l’intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l’épidémie de covid-19. Selon le paragraphe III de ce même article, elles doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires. Le juge est chargé de s’assurer que de telles mesures sont adaptées, nécessaires et proportionnées à la finalité qu’elles poursuivent.
14. En troisième lieu, d’une part, le législateur, compétent pour établir un régime d’état d’urgence sanitaire, l’est également pour confier au pouvoir réglementaire le soin d’en anticiper la fin par rapport au terme qu’il a fixé, lorsque les conditions n’en sont plus réunies. D’autre part, le législateur a précisé dans la loi la date à laquelle le régime transitoire, succédant à cet état d’urgence, prendra fin.
15. Il résulte de tout ce qui précède que le législateur a pu, sans méconnaître l’étendue de sa compétence ni aucune autre exigence constitutionnelle, proroger le régime transitoire précité jusqu’au 1er avril 2021 et prévoir son application automatique à l’issue du délai d’expiration de l’état d’urgence sanitaire. Par conséquent, le 1 ° du paragraphe I et le paragraphe II de l’article 2 sont conformes à la Constitution.
– Sur certaines dispositions de l’article 5 :
16. L’article 5 modifie l’article 11 de la loi du 11 mai 2020 mentionnée ci-dessus qui organise les conditions dans lesquelles les données relatives à la santé des personnes atteintes par le virus responsable de la covid-19 et des personnes en contact avec elles sont, le cas échéant sans leur consentement, traitées et partagées à travers un système d’information ad hoc.
17. Les députés requérants font valoir que cet article 5 méconnaîtrait le droit au respect de la vie privée au motif qu’il prolonge le traitement et le partage de ces données jusqu’au 1er avril 2021 et qu’il élargit le champ des personnes y ayant accès.
18. La liberté proclamée par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 implique le droit au respect de la vie privée. Par suite, la collecte, l’enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d’intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif. Lorsque sont en cause des données à caractère personnel de nature médicale, une particulière vigilance doit être observée dans la conduite de ces opérations et la détermination de leurs modalités.
19. L’article 5 modifie le paragraphe I de l’article 11 de la loi du 11 mai 2020 afin de prévoir que le traitement et le partage des données à caractère personnel prévus par cet article 11 ne peuvent être mis en œuvre au plus tard que jusqu’au 1er avril 2021. Il modifie également le paragraphe III du même article 11 afin de donner accès à ces données à certains professionnels de santé et de prévoir qu’elles peuvent être communiquées aux organismes qui assurent l’accompagnement social des personnes infectées ou susceptibles de l’être pendant et après la fin des prescriptions médicales et d’isolement prophylactiques.
20. En premier lieu, par la décision du 11 mai 2020 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel a, pour les motifs énoncés aux paragraphes 63 à 78 et sous les réserves énoncées aux paragraphes 67, 73 et 74 de cette décision, jugé conforme à la Constitution le système d’information prévu par l’article 11 de la loi du 11 mai 2020. En particulier, comme le Conseil constitutionnel l’a jugé au paragraphe 63 de sa décision, en adoptant l’article 11 de la loi du 11 mai 2020, le législateur a entendu renforcer les moyens de lutte contre l’épidémie de covid-19 par l’identification des chaînes de contamination. Il a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé. Comme il ressort des paragraphes 66 à 67 de cette même décision, les données à caractère personnel qui font l’objet du système de traitement et de partage prévu par cet article 11 sont les seules données strictement nécessaires à la poursuite des finalités propres à ce système.
21. En deuxième lieu, d’une part, en ouvrant l’accès à ces données aux professionnels de santé figurant sur une liste prévue par décret et habilités à la réalisation des examens de dépistage virologique ou sérologique, le législateur a visé les personnels qui participent à l’établissement du diagnostic et à l’identification des chaînes de contamination. De plus, il résulte des dispositions du paragraphe III de l’article 11 que ces professionnels ne peuvent avoir accès qu’aux seules données nécessaires à leur intervention et dans la stricte mesure où leur intervention sert les finalités poursuivies par le système d’information.
22. D’autre part, si les dispositions contestées prévoient que les organismes qui assurent l’accompagnement social des personnes infectées ou susceptibles de l’être peuvent recevoir les données contenues dans ce système, cette communication est subordonnée au recueil préalable du consentement des intéressés. En outre, cette communication ne peut porter que sur les données strictement nécessaires à l’exercice de la mission de ces organismes.
23. Enfin, le législateur, qui a estimé qu’un risque important de propagation de l’épidémie persistait jusqu’au 1er avril 2021, a prévu que le dispositif instauré à l’article 11 de la loi du 11 mai 2020 pourra être appliqué au plus tard jusqu’à cette date. Pour les motifs précédemment mentionnés, cette appréciation n’est pas, en l’état des connaissances, manifestement inadéquate au regard de la situation présente.
24. Il résulte de tout ce qui précède que, sous les mêmes réserves que celles énoncées aux paragraphes 73 et 74 de la décision du 11 mai 2020, les dispositions contestées ne méconnaissent pas le droit au respect de la vie privée.
25. Dès lors, les mots « tard, jusqu’au 1er avril 2021 » figurant au premier alinéa du paragraphe I de l’article 11 de la loi du 11 mai 2020 ainsi que les mots « professionnels de santé autorisés à réaliser les examens de dépistage virologique ou sérologique » et les mots « Les organismes qui assurent l’accompagnement social des intéressés dans les conditions prévues au 5 ° du II du présent article peuvent également recevoir les données strictement nécessaires à l’exercice de leur mission » figurant à la deuxième phrase du paragraphe III du même article 11, qui ne méconnaissent aucune autre exigence constitutionnelle, sont, sous les réserves énoncées au paragraphe précédent, conformes à la Constitution.
– Sur certaines dispositions de l’article 10 :
26. L’article 10 habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures tendant à prolonger, rétablir ou adapter certaines dispositions elles-mêmes précédemment adoptées par voie d’ordonnance pour remédier aux conséquences de la crise sanitaire.
27. Les députés et sénateurs requérants reprochent à l’habilitation prévue au paragraphe I de cet article 10 de renvoyer à de précédentes habilitations législatives. Compte tenu du nombre de ces renvois et de l’importance des champs couverts par les dispositions auxquelles il est fait référence, le domaine d’intervention de l’habilitation serait imprécis. Pour les sénateurs requérants, il serait, ce faisant, impossible de déterminer si les finalités poursuivies par la loi, notamment celle d’adaptation desdites dispositions, sont bien conformes à la Constitution. Les dispositions de l’article 38 de la Constitution s’en trouveraient donc méconnues. Il en résulterait également, pour les députés requérants, une méconnaissance des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire.
28. Aux termes du premier alinéa de l’article 38 de la Constitution : « Le Gouvernement peut, pour l’exécution de son programme, demander au Parlement l’autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ». Si cette disposition fait obligation au Gouvernement d’indiquer avec précision au Parlement, afin de justifier la demande qu’il présente, la finalité des mesures qu’il se propose de prendre par voie d’ordonnances ainsi que leur domaine d’intervention, elle n’impose pas au Gouvernement de faire connaître au Parlement la teneur des ordonnances qu’il prendra en vertu de cette habilitation.
29. Les dispositions d’une loi d’habilitation ne sauraient, ni par elles-mêmes, ni par les conséquences qui en découlent nécessairement, méconnaître une règle ou un principe de valeur constitutionnelle. En outre, elles ne sauraient avoir ni pour objet ni pour effet de dispenser le Gouvernement, dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés en application de l’article 38 de la Constitution, de respecter les règles et principes de valeur constitutionnelle.
30. Le paragraphe I de l’article 10 habilite le Gouvernement à adopter, par ordonnances, certaines mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour faire face aux conséquences de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des décisions prises pour limiter cette propagation. Ces mesures consistent exclusivement en la prolongation ou le rétablissement des dispositions précédemment adoptées, par voie d’ordonnances, sur le fondement de plusieurs des habilitations législatives prévues au paragraphe I de l’article 11 et à l’article 16 de la loi du 23 mars 2020 mentionnée ci-dessus ainsi qu’à l’article 1er de la loi du 17 juin 2020 mentionnée ci-dessus. Le même paragraphe I de l’article 10 habilite le Gouvernement à apporter à ces dispositions ainsi prolongées ou rétablies les modifications nécessaires à cette prolongation ou à ce rétablissement ainsi qu’à leur adaptation à l’état de la situation sanitaire en cours.
31. En premier lieu, l’habilitation conférée au Gouvernement par les dispositions contestées de l’article 10 ne vise pas à permettre la prolongation ou le rétablissement des précédentes habilitations prévues par les lois du 23 mars et du 17 juin 2020, mais seulement à autoriser la prolongation ou le rétablissement, sous réserve de certaines modifications, des mesures adoptées, par voie d’ordonnances, sur le fondement de ces habilitations. L’ensemble de ces mesures est suffisamment défini par le renvoi, dans la loi déférée, aux dispositions des deux lois précitées qui prévoyaient lesdites habilitations. Par conséquent, en renvoyant à ces dispositions, le législateur a suffisamment précisé, aux 1 ° et 2 ° du paragraphe I de l’article 10, le domaine d’intervention de l’habilitation conférée au Gouvernement.
32. En deuxième lieu, l’habilitation contestée autorise seulement le Gouvernement à prolonger ou à rétablir les mesures mentionnées au paragraphe précédent ou à les modifier dans la seule mesure nécessaire, d’une part, à cette prolongation ou ce rétablissement et, d’autre part, à leur adaptation aux conditions particulières de l’état de la situation sanitaire. En outre, l’unique objet des ordonnances ainsi adoptées ne peut être que de remédier aux conséquences de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des décisions prises pour limiter cette propagation. Dès lors, les finalités de l’habilitation contestée sont, elles aussi, suffisamment définies.
33. En dernier lieu, il appartiendra au Gouvernement qui mettra en œuvre l’habilitation contestée de respecter les règles et principes de valeur constitutionnelle. Le cas échéant, le Conseil constitutionnel pourra ultérieurement être saisi des ordonnances prises sur le fondement de cette habilitation, une fois le délai d’habilitation expiré ou leur ratification intervenue, pour examiner leur conformité aux exigences constitutionnelles.
34. Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées ne méconnaissent pas l’article 38 de la Constitution. Elles n’ont pas non plus été adoptées selon une procédure contraire aux exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire. Le paragraphe I de l’article 10, qui ne méconnaît aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.
– Sur les autres dispositions :
35. Le Conseil constitutionnel n’a soulevé d’office aucune question de conformité à la Constitution et ne s’est donc pas prononcé sur la constitutionnalité des autres dispositions que celles examinées dans la présente décision.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. – Sous les réserves énoncées au paragraphe 24, sont conformes à la Constitution :
les mots « tard, jusqu’au 1er avril 2021 » figurant au premier alinéa du paragraphe I de l’article 11 de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, dans sa rédaction résultant de l’article 5 de la loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire ;
les mots « professionnels de santé autorisés à réaliser les examens de dépistage virologique ou sérologique » figurant à la première phrase du paragraphe III de l’article 11 de la loi du 11 mai 2020, dans sa rédaction résultant du même article 5 ;
les mots « Les organismes qui assurent l’accompagnement social des intéressés dans les conditions prévues au 5 ° du II du présent article peuvent également recevoir les données strictement nécessaires à l’exercice de leur mission » figurant à la deuxième phrase du paragraphe III de l’article 11 de la loi du 11 mai 2020, dans sa rédaction résultant du même article 5.
Article 2. – Sont conformes à la Constitution les dispositions suivantes de la loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire :
l’article 1er ;
le 1 ° du paragraphe I et le paragraphe II de l’article 2 ;
le paragraphe I de l’article 10.
Article 3. – Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 13 novembre 2020, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Rendu public le 13 novembre 2020
JORF n°0277 du 15 novembre 2020, texte n° 2
ECLI : FR : CC : 2020 : 2020.808.DC