516 • A priori, le Conseil d’Etat, la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel interviennent dans des domaines qui se veulent distincts : le Conseil d’Etat contrôle les actes administratifs, la Cour de cassation contrôle les actes privés et le Conseil constitutionnel prend soin de vérifier la conformité des lois et traités internationaux à la Constitution. Pour autant, les juges peuvent utiliser, dans certains cas, la même norme de référence pour leur contrôle et, pour déterminer le sens du texte alors à contrôler, avoir à interpréter cette norme servant de référence. Lorsque cette norme provient de la Constitution, les trois acteurs mentionnés sont ainsi concernés. On a vu que le juge ordinaire n’est pas une juridiction constitutionnelle et qu’il s’est longtemps considéré comme incompétent pour assurer un contrôle de constitutionnalité de la loi (c’est d’abord le juge judiciaire qui, depuis 1833, avait adopté cette solution : Cass., crim., 11 mai 1833, Paulin, Bull. crim. 1833, n°182 précité puis c’est le juge administratif qui, en 1936, a écarté tout moyen mettant en cause la validité d’une loi : CE, sect., 6 novembre 1936, Arrighi précité). La création et le développement du rôle et des pouvoirs du Conseil constitutionnel, depuis 1958 et les débuts de la Vème république, a conforté cette prise de position.
517 • Une fois promulguée, la loi restait incontestable même si inconstitutionnelle puisque le seul contrôle de constitutionnalité alors institué était un contrôle par voie d’action, un contrôle a priori avant la promulgation de la loi. Deux éléments sont venus perturber cet agencement général des pouvoirs entre les juges. L’immunité de la loi promulguée a d’abord été remise en cause par le développement du droit international et européen qui a donné le pouvoir aux juges ordinaires de statuer sur l’exception de conventionnalité de la loi. Puis c’est la récente introduction du contrôle a posterioripar l’intermédiaire de la consécration de la QPC depuis mars 2010 qui est venue compléter cette remise en cause. Les conflits d’interprétation entre le Conseil constitutionnel, d’une part, et la Cour de cassation ou le Conseil d’Etat, d’autre part, sont devenus plus fréquents. La fonction de filtre attribuée aux juridictions ordinaires suprêmes a, de même, fait évoluer le rôle du juge ordinaire dans le contrôle de constitutionnalité tout en faisant en sorte de redonner au contrôle de constitutionnalité ces lettres de noblesses et son caractère notamment prioritaire par rapport au contrôle de conventionnalité. Devant la multiplicité des contrôles, il devenait indispensable d’institutionnaliser le dialogue des juges et d’assurer, au niveau interne, la cohérence des décisions prises dans la protection des droits et libertés. C’est d’abord l’autorité des décisions du Conseil constitutionnel, prises à la fois dans le contrôle a priori et le contrôle a posteriori, qui a d’abord été utilisé comme gage de cohérence dans la protection des droits et libertés (§ 1er) puis c’est plus directement la QPC pris en tant que tel qui, tout en institutionnalisant le dialogue entre les juges, a permis réellement de concrétiser un Etat de droit complet en France et la protection conséquente des droits et libertés (§2nd)
§1. L’autorité des décisions du Conseil constitutionnel comme gage de cohérence dans la protection des droits et libertés
518 • C’est l’article 1351 du Code civil qui définit d’abord la notion d’autorité de chose jugée en ce qu’elle n’a lieu « qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité ». Il y a cependant certaines particularités attachées au contentieux constitutionnel qui empêchent de transposer purement et simplement la règle classique du Code civil. Certaines des conditions énoncées par l’article apparaissent manifestement inadaptées à la conception publiciste de l’autorité de la chose jugée. Peu importe où l’on se place, que ce soit du côté du Conseil d’Etat quand il annule un décret à l’occasion d’un recours pour excès de pouvoir ou que ce soit du côté du Conseil constitutionnel lorsqu’il abroge une loi par le biais d’une QPC, le résultat est le même, il ne vaut pas seulement pour l’auteur du recours ou de la question. On dit généralement que la décision possède l’autorité absolue de chose jugée parce que la condition d’identité des parties, posée par l’article 1351 CCiv, ne lui est pas applicable. Lorsqu’on regarde la condition de l’identité d’objet, également posée par l’article 1351CCiv, elle se retrouve aussi sous une forme différente dans le contentieux constitutionnel. Le Conseil rappelant que l’autorité de chose jugée qui s’attache à ces décisions est limitée aux dispositions législatives qui lui ont été soumises et qu’elle ne peut être invoquée à l’encontre d’une autre loi même si certains des problèmes de constitutionnalité posée par ces deux lois sont analogues voire identiques.
519 • Le problème est de savoir comment appliquer cette autorité de chose jugée aux décisions du Conseil constitutionnel si on tient compte, notamment, du caractère particulier et objectif du contentieux tel qu’il existe devant ce juge. Si l’on prend le modèle des cours suprêmes classiques, la question de l’autorité de leur décision vis-à-vis des autres juridictions ne se pose pas dans la mesure où la Cour suprême est intégrée au sein du système juridictionnel ordinaire. Comme elle au sommet de ce système, elle est en mesure d’imposer son point de vue quitte à utiliser la sanction radicale de l’annulation du jugement de la juridiction inférieure. Le modèle français, proche du modèle kelsenien, ne s’inscrit pas dans cette logique, puisqu’il place le juge constitutionnel en dehors de l’appareil judiciaire ou administratif classique sans lien hiérarchique avec ces derniers avec aucun moyen pour ce dernier d’imposer ces décisions ou de les assortir d’un pouvoir de contrainte institutionnalisé qui pourrait garantir leur exécution. Le juge constitutionnel est donc tributaire de la bonne réception de sa jurisprudence chez les juges administratif et judiciaire. C’est pour cette raison qu’a été mis en place l’autorité de chose jugée de l’article 62 C°, l’objectif étant de pallier l’absence de rapports hiérarchisés et de sanction du non-respect des décisions du juge constitutionnel par les autres juges.
520 • Au-delà de la formulation sobre de l’alinéa 3 de l’article 62 qui prévoit que les décisions du Conseil « s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles » et qui ne pose aucun souci pour les juridictions ordinaires, c’est la primauté de « l’interprétation constitutionnelle » qui pose question. En d’autres termes, et comme Olivier Desaulnay pourrait poser la question : « existe-t-il, à cet effet, une autorité de chose interprétée des décisions du Conseil constitutionnel au-delà de la simple autorité de chose jugée reconnue à ces décisions ? » (O. Desaulnay, « L’autorité des décisions du Conseil constitutionnel vue par la Cour de cassation », Nouveaux cahiers du CC 2011, n°30). C’est cette autorité de chose interprétée qui va alors permettre de parvenir à la cohérence des ordres juridiques et ainsi concrétiser une protection optimum des droits et libertés. Et cette autorité dépend au moins en partie de la réception que vont en faire les juges ordinaires et, force est de constater que si, dans l’ensemble, les juges ne s’écartent pas trop des interprétations du Conseil, ils y apportent parfois certaines nuances qu’il convient de relever.
521 • C’est le cas dans le cadre du contrôle a priori (A) mais aussi dans le cadre du contrôle a posteriori (B) qui, en tant que contrôle nouvellement promu, est de nature à renforcer considérablement l’autorité interprétative des décisions du Conseil. La QPC donne ainsi d’abord un nouveau rôle au juge ordinaire en matière de contrôle de constitutionnalité des lois et, par le biais des trois critères qu’il doit examiner pour décider de transmettre la question à sa juridiction suprême, le juge ordinaire peut se prononcer, bien qu’indirectement, sur la constitutionnalité ou non d’une disposition. Ce pouvoir d’appréciation se retrouve aussi au niveau du filtrage opéré par les juridictions suprêmes qui, en transmettant la QPC, pourront soit la déclarer conforme à la Constitution, soit estimer sérieuse la contestation de la constitutionnalité de la loi et exercer ainsi une sorte de « « pré-contrôle » de constitutionnalité » (Cf. A. Roblot-Troizier, « La question prioritaire de constitutionnalité devant les juridictions ordinaires : entre méfiance et prudence », AJDA 2010, p. 80).
A. Dans le cadre de son contrôle a priori
522 • Si le Conseil constitutionnel influe sur le contenu des divers domaines de notre droit, notamment à travers son interprétation de son catalogue de droits et libertés tels que consacré par le préambule de la Constitution, les juges ordinaires, malgré la fermeté de l’article 62 C°, garde la maitrise de l’autorité des décisions du Conseil constitutionnel. Comme peuvent le noter Denys de Béchillon et Nicolas Molfessis, « le Conseil constitutionnel a le premier mot, mais jamais le dernier » (D. de Béchillon et N. Molfessis, « Sur les rapports entre le Conseil constitutionnel et les diverses branches du droit », Nouveaux Cahiers du CC 2004, n°16). Après une approche plutôt restrictive de la portée de l’article 62 C° (1), les juges ordinaires ont, aujourd’hui, une approche plus large quant à la réception des décisions du Conseil constitutionnel qui présenterait davantage d’analogies avec l’autorité de chose interprétée dont bénéficient les décisions de la CJUE. Cette approche plus large témoigne de la qualité du dialogue opéré entre les différents juges et de l’écoute respective qu’ils s’accordent faisant en sorte de consacrer par la même une protection plus optimum des droits et libertés (2).
1. La réception initiale restrictive de la jurisprudence constitutionnelle par les juges ordinaires : l’autorité de chose jugée
a) Un juge constitutionnel qui a d’abord adopté une attitude très réservée à l’égard de ses propres attributions
i) Une autocensure quant à sa propre compétence
523 • Le Conseil a, dès le départ, adoptée une attitude très restrictive à l’égard de ses attributions et de sa fonction. Pour ce qui concerne, en 1er lieu, la définition de sa compétence, il a énoncé, dès 1961, qu’il ne pouvait être saisi « que dans les cas et suivant les modalités fixées par la Constitution » (CC, n° 61-1 AUTR, 14 septembre 1961, Demande d’avis présentée par le Président de l’Assemblée nationale (Recevabilité de la motion de censure), Rec. CC, p. 55, cons. n°1), reconnaissant par la même ne disposer que d’une compétence d’attribution. Il s’est, ensuite, de lui-même, qualifié de simple « régulateur de l’activité des pouvoirs publics » (CC, n°62-20 DC, 6 novembre 1962, Loi relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, adoptée par le référendum du 28 octobre 1962, JO, 7 novembre 1962, p. 10778, Rec. CC, p. 27, cons. n°2). La compétence d’attribution n’a jamais été remise en cause par la suite, le Conseil se déclarant, comme déjà vu, incompétent pour statuer sur les lois d’origine référendaire qui constituent l’expression directe de la souveraineté nationale (décision précitées de 1962 et 1992) comme sur les lois à l’origine d’une révision constitutionnelle même lorsqu’elle se réalise par voie parlementaire (décision de 2003). L’autocensure se manifeste également par le rappel régulier de la formule, inaugurée à l’occasion de la décision « IVG », selon laquelle « la Constitution ne (lui) confère pas un pouvoir général d’appréciation et de décision identique à celui du Parlement » (CC, n° 74-54 DC, 15 janvier 1975, Loi relative à l’interruption volontaire de la grossesse, JO, 16 janvier 1975, p. 671, Rec. CC, p. 19, cons. n°1). La formule, qui n’a jamais été remise en cause depuis lors (CC, n°2010-39 QPC, 6 octobre 2010, Mmes Isabelle D. et Isabelle B. (Adoption au sein d’un couple non marié), JO, 7 octobre 2010, p. 18154, Rec. CC, p. 264, cons. n°5 ou CC, n° 2011-92 QPC, 28 janvier 2011, Mme Corinne C. et autre (Interdiction du mariage entre personnes de même sexe), JO, 29 janvier 2011, p. 1894, Rec. CC, p. 87, cons. n°5), marque la séparation entre le Parlement et le juge de la loi, entre les jugements en opportunité et les jugements en droit. Le Conseil n’étant compétent que pour se prononcer sur la conformité d’une disposition législative aux droits et libertés que la Constitution garantit.
ii) Une grande prudence dans le contrôle de l’appréciation législative des faits : le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation
524 • De même, c’est avec beaucoup de prudence que le Conseil se livre à un contrôle de l’appréciation législative des faits. Il ne lui appartient pas, par exemple, « de rechercher si l’objectif que s’est assigné le législateur aurait pu être atteint par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues ne sont pas manifestement inappropriées à l’objectif poursuivi » (CC, n° 2003-468 DC, 3 avril 2003, Loi relative à l’élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu’à l’aide publique aux partis politiques, JO, 12 avril 2003, p. 6493, Rec. CC, p. 325, cons. 42). S’inspirant du contentieux administratif (un tel contrôle s’effectuant depuis les années 1960 : CE, 2 mars 1960, Gesbert, Rec. CE, p. 162, AJDA 1961, p. 67, comm. J.-M. Galabert ou CE, sect., 15 février 1961, Lagrange, req. n°42259 et 42260, Rec. CE, p. 121, AJDA 1961, p. 200, chron. J.-M. Galabert et M. Gentot), le Conseil ne relèvera que l’erreur manifeste d’appréciation commise par le législateur sur les faits qu’il a pris en compte. Il a ainsi pu préciser que « l’appréciation portée par le législateur sur la nécessité des nationalisations décidées par la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel ne saurait, en l’absence d’erreur manifeste, être récusée » (CC, n° 81-132 DC, 16 janvier 1982, Loi de nationalisation, JO, 17 janvier 1982, p. 299, Rec. CC, p. 18, cons. n°20) ou décider qu’« il n’est pas établi, en l’état, que ce soit par une erreur manifeste d’appréciation que les entreprises figurant sur la liste annexée à la loi ainsi que leurs filiales aient été regardées comme ne constituant pas des monopoles de fait » (CC, n° 86-207 DC, 26 juin 1986, Loi autorisant le Gouvernement à prendre diverses mesures d’ordre économique et social, JO, 27 juin 1986, p. 7978, Rec. CC, p. 61, Cons. n° 55). Le juge procède de même lorsqu’il estime que, sous réserve de fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels, il appartient au législateur de déterminer les formations dispensées par les établissements d’enseignement privés susceptibles de bénéficier d’une aide de l’Etat (CC, n° 99-414 DC, 8 juillet 1999, Loi d’orientation agricole, JO, 10 juillet 1999, p. 10266, Rec. CC, p. 92). Le contrôle de l’erreur manifeste se transforme parfois en contrôle de proportionnalité mais, dans la jurisprudence du Conseil, celui-ci se limite au contrôle de l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue (Voir, par ex., CC, n°87-237 DC, 30 décembre 1987 Loi de finances pour 1988, JO, 31 décembre 1987, p. 15761, Rec. CC, p. 63, cons. n°16 ; CC, n°96-377 DC, 16 juillet 1996, Loi tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire, JO, 23 juillet 1996, p. 11108, Rec. CC, p. 87, cons. n°28) contrairement au contrôle alors opéré par le Conseil d’Etat, bien plus poussé, sur les mesures de police (tel qu’inauguré par l’arrêt CE, 19 mai 1933, Benjamin précité). Le pouvoir d’appréciation et de décision du législateur est ainsi préservé (Voir, en ce sens, G. Bergougnous, « Le Conseil constitutionnel et le législateur », Nouveaux cahiers du CC 2013, n°38).
iii) Un grand respect des choix politiques opérés par le législateur : la technique des objectifs à valeur constitutionnelle
525 • De manière générale, le Conseil se montre respectueux des choix politiques du législateur par-delà les alternances au pouvoir. Il autorise, par exemple, le législateur à porter atteinte aux droits et libertés constitutionnellement garantis pour des motifs d’intérêt général comme la sauvegarde de l’ordre public, le respect de la liberté d’autrui et la préservation du caractère pluraliste des courants d’expression socioculturels (Décision n° 82-141 DC du 27 juillet 1982, Loi sur la communication audiovisuelle, JO, 27 juillet 1982, p. 2422, Rec. CC, p. 48, cons. n°5), la lutte contre la fraude fiscale (CC, n°99-424 DC, 29 décembre 1999, Loi de finances pour 2000, JO, 31 décembre 1999, p. 19991, Rec. CC, p. 156, cons. n°52) ou la recherche des auteurs d’infraction (CC, n°2004-492 DC, 2 mars 2004, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, JO, 10 mars 2004, p. 4637, Rec. CC, p. 66, cons. n°4). Pour ce faire, il utilise souvent la technique des objectifs à valeur constitutionnelle qui sont librement définis par le Conseil au hasard de sa jurisprudence et qui, au-delà d’apporter une protection supplémentaire, permettent de justifier l’atteinte d’une loi aux droits et libertés pour des motifs d’intérêt général (Cf. A. Levade, « L’objectif de valeur constitutionnelle. Vingt ans après. Réflexions sur une catégorie juridique introuvable », Mélanges Pactet, Paris, Dalloz, 2003, p. 687 ou P. de Montalivet, Les objectifs de valeur constitutionnelle, Paris, Dalloz, 2006).
iv) Un grand respect des choix politiques opérés par le législateur : l’exemple de la gestion de l’état d’urgence sécuritaire
526 • Devant faire face à l’inflation des lois sécuritaires ces dernières années, le Conseil constitutionnel a su, selon la formule de Jean Rivero, maintes fois reprise mais que nous nous permettons encore à notre tour de souligner, « filtrer le moustique et laisser passer le chameau » (J. Rivero, « Filtrer le moustique et laisser passer le chameau. A propos de la décision du Conseil constitutionnel du 20 janvier 1981 », AJDA 1981, p. 275) tout en admettant des atteintes grandissantes aux droits et libertés au nom de la sauvegarde de l’ordre public. Le bilan de la jurisprudence constitutionnelle sur l’état d’urgence s’inscrit dans cette logique, le Conseil privilégiant, notamment, la prudence et se montrant fataliste face à la pérennisation de l’état d’urgence tout en posant des garanties minimales quant au respect des droits et libertés (voir, en ce sens, J. Bonnet, « Les juges constitutionnels et l’état d’urgence », DA 2016, n°22, étude n°15). Le juge constitutionnel a tout d’abord consacré par défaut l’assise constitutionnelle de l’état d’urgence en affirmant que « la Constitution n’exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d’état d’urgence » (CC, n°2015-527 QPC, 22 décembre 2015, M. Cédric D. [Assignations à résidence dans le cadre de l‘état d’urgence], JO, 26 décembre 2015, p. 24084, texte n° 210, cons. n°8). Il s’est ensuite contenté de poser une limite très théorique à la durée de l’état d’urgence en soulignant que cette dernière « ne saurait être excessive au regard du péril imminent ou de la calamité publique ayant conduit à la déclaration d’état d’urgence » (Ibid., cons. n°13). Il s’est enfin contenté d’adresser une sorte de mise en garde aux autorités publiques à chaque prolongation de l’état d’urgence en obligeant à un réexamen des situations particulières, les différentes mesures attentatoires aux droits et libertés ne pouvant « être prolongées sans être renouvelées » (Ibid., cons. n°13).
v) Un grand respect des choix politiques opérés par le législateur : l’exemple de la gestion de l’état d’urgence sanitaire et de la question du passe sanitaire (1)
526-1 • La 1ère loi du 23 mars 2020 (n°2020-290 précitée) d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 n’a pas été déférée au Conseil constitutionnel contrairement aux lois suivantes, venues proroger et organiser la sortie de l’état d’urgence sanitaire qui, elles, ont fait l’objet d’un contrôle. Deux décisions ont fixé le cadre de la jurisprudence du juge constitutionnel et toute les deux ont été largement critiquées car elles ont, au final, validées deux violations de la Constitution. La 1ère (CC, n°2020-799 DC, 26 mars 2020, Loi organique d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, § 3, JO, 31 mars 2020, texte n°5) a, dans une logique contra constitutionem et « compte tenu des circonstances particulières de l’espèce », jugé que la loi organique d’urgence pour faire face à l’épidémie, pourtant adopté en violation des règles de procédure de l’art. 46 C°(méconnaissance du délai d’adoption des lois organiques), était néanmoins conforme à la Constitution. La 2nde (CC, n°2020-800 DC, 11 mai 2020, Loi prorogeant l’ état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, § 17, JO, 12 mai 2020, texte n°2) a admis que la Constitution n’excluait pas « la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d’état d’urgence sanitaire » admettant, de la sorte, qu’en dehors des régimes d’exception explicitement prévus par la Constitution (art. 16 et 36), d’autres régimes, implicites, de dérogation au droit commun constitutionnel pouvaient exister. Fortement critiquées (voir, par ex., P. Cassia, « Le Conseil constitutionnel déchire la Constitution », Le blog de Paul Cassia, Médiapart, [En ligne], 27 mars 2020 ou J. Jeanneney, « La non-théorie des « circonstances particulières » », AJDA 2020, p. 843 et suiv.), « susceptibles d’alimenter les scenarios d’une paranoïa constitutionnelle à la hauteur de l’inquiétude que peut susciter l’épidémie » (X. Magnon, « Les principes d’un droit constitutionnel jurisprudentiel d’exception », AJDA 2020, p. 1257 et suiv.), plaçant le juge constitutionnel « face à lui-même » (V. Champeil-Desplats, « Le Conseil constitutionnel face à lui-même », RDH 2020, [En ligne], 13 avril) ou en « esclave de la montre » (M. Kamal-Girard, « Le Conseil constitutionnel, esclave de la montre ? », LPA 2020, 04 novembre, n°153, p. 8 et suiv.), les deux décisions ont heurté tous les défenseurs des valeurs de l’Etat de droit (Par ex., J.-P. Chazal, « L’Etat de droit : la fin d’une illusion ? », D. 2020, p. 2281 et suiv. ou D. Mainguy, « L’Etat de droit, l’illusion ou la méthode », D. 2021, p. 1 et suiv.). Le juge constitutionnel va très loin sous prétexte de la crise sanitaire, se contentant simplement de la limitation dans le temps des mesures et du contrôle du juge administratif à travers le triple test de proportionnalité. Cette mansuétude du juge a été confirmée par les décisions suivantes qu’il s’agisse de décisions dans le cadre du contrôle a priori (CC, n°2020-803 DC, 9 juillet 2020, Loi organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire, JO, 10 juillet 2020, texte n°2 qui porte sur la possibilité pour le premier ministre, à la fin de l’état d’urgence sanitaire, de prendre à compter du 11 juillet jusqu’au 30 octobre 2020 diverses mesures destinées à lutter contre l’épidémie de Covid-19 ou CC, n°2020-808 DC, 13 novembre 2020, Loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire, JO, 15 novembre 2020, texte n°2 qui valide la prorogation jusqu’au 16 février 2021 de l’état d’urgence sanitaire déclaré de nouveau le 14 octobre 2020) ou a posteriori (CC, n°2020-846/847/848 QPC, 26 juin 2020, M. Oussman G. et autres [Violations réitérées du confinement], JO, 27 juin 2020, texte n°80 et CC, n°2020-851/852 QPC, 3 juillet 2020, M. Sofiane A. et autre [Habilitation à prolonger la durée des détentions provisoires dans un contexte d’urgence sanitaire], JO, 4 juillet 2020, texte n° 102 qui illustrent la recherche d’un équilibre entre l’objectif de protection de la santé et la protection des libertés).
vi) Un grand respect des choix politiques opérés par le législateur : l’exemple de la gestion de l’état d’urgence sanitaire et de la question du pass sanitaire (2)
526-2 • A chaque fois, le juge constitutionnel prend bien soin de souligner qu’il « ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement » et qu’il ne peut donc pas « remettre en cause l’appréciation par le législateur de l’existence d’une catastrophe sanitaire et de sa persistance prévisible », dès lors que celle-ci n’est pas, « en l’état des connaissances, manifestement inadéquate au regard de la situation présente de l’ensemble du territoire français ». Le juge ne s’interdit donc pas tout contrôle mais il confirme le caractère restreint de ce dernier en laissant à l’Exécutif les moyens et la responsabilité de sa politique sanitaire. Les lois postérieures des 31 mai (n°2021-689) et 5 août 2021 (n°2021-1040) organisant la gestion de la sortie de la crise sanitaire ont prévu, pour endiguer la propagation du virus, des outils contraignants, comme le passe sanitaire, la vaccination obligatoire ou l’obligation de se placer à l’isolement en cas de contamination à la covid-19. Vivement critiquées (il n’y a guère de mesures adoptées par le législateur qui par leur généralité et leurs effets ont autant porté atteinte à la liberté d’aller et venir de l’ensemble des résidents français ; voir, par ex., C. Dounot, « La démesure du « pass sanitaire » », D. 2021, p. 1386 et suiv. ou E. Maupin, « Pass sanitaire : la Défenseure des droits tire la sonnette d’alarme », AJDA 2021, p. 1070 et suiv.), le passe sanitaire a, pourtant, été validé les deux fois(CC, n°2021-819 DC, 31 mai 2021, Loi relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, JO, 1er juin 2021, texte n° 2 ; CC, n° 2021-824 DC, 5 août 2021, Loi relative à la gestion de la crise sanitaire, JO, 6 août 2021, texte n° 3). On attendait pourtant une réaction plus forte du gardien des droits et libertés à la manière dont il avait pu transformer la fraternité de la devise républicaine en principe juridique contraignant. La réalité est que le juge constitutionnel n’est pas un pouvoir politique, il sera toujours attentif aux circonstances qui expliquent, si elles ne les justifient toujours, les choix qu’opère le législateur quitte à se renier dans l’exercice de son contrôle (voir G. Bergougnous, « Le Conseil constitutionnel et le législateur », Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel 2013, [En ligne], n°38).
vii) Une volonté persistante de refuser tout contrôle de conventionnalité
527 • Autre aspect de l’attitude plus que réservée du Conseil à l’égard de ses attributions, celle qui concerne la possibilité de pouvoir exercer, au même titre que le contrôle de constitutionnalité, un contrôle de conventionnalité. A partir du moment où la Constitution française prévoit expressément une primauté du droit international sur le droit interne (art. 55 C°), on pouvait légitimement penser que le contrôle de conventionnalité pouvait être intégrer par le Conseil dans le cadre du contrôle de constitutionnalité. Ce dernier a néanmoins répondu par la négative et a décliné sa compétence (CC, n°74-54 DC, 15 janvier 1975, Loi relative à l’interruption volontaire de la grossesse, JO, 16 janvier 1975, p. 671, Rec. CC, p. 19) conduisant, par là-même à confier ce contrôle aux juridictions ordinaires suprêmes de l’ordre judicaire et de l’ordre administratif. Pour ce faire, le Conseil a repris le considérant de principe selon lequel la Constitution ne lui confère pas « un pouvoir général d’appréciation et de décision identique à celui du Parlement mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité à la Constitution des lois déférées à son contrôle » (cons. n°1). La position ainsi prise était pourtant pas facile à tenir dans la mesure où, outre le fait qu’elle impliquait de considérer qu’une loi inconventionnelle n’était pas, de ce seul fait, contraire à la Constitution, elle modifiait les lignes de partage quant à la compétence entre les différents juges en matière de protection des droits et libertés. L’exception d’inconventionnalité soulevée par les juges ne possède que l’autorité relative de chose jugée mais les décisions des juges ordinaires font jurisprudence et aboutissent, en pratique, à une paralysie des lois jugées contraires à la ConvEDH, il y a là un effet identique au contrôle de constitutionnalité. Le Conseil perd ici tout à la fois l’exclusivité du contrôle sur la loi et la maitrise des normes internationales.
viii) Un contrôle de conventionnalité néanmoins pratiqué de manière déguisée ou cachée
528 • On sait aussi qu’aujourd’hui la question se pose encore avec plus d’acuité dans la mesure où le Conseil pratique ce contrôle de manière plus ou moins déguisée ou cachée. Il interprète souvent les normes constitutionnelles dans un sens conforme au sens donné par la CourEDH aux dispositions de la ConvEDH. On peut citer à cet égard l’exemple du respect de la vie privée (CC, n°99-419 DC, 9 novembre 1999, Loi relative au pacte civil de solidarité, JO, 16 novembre 1999, p. 16962, Rec. CC, p. 116, cons. n°72 à 75), du contrôle de constitutionnalité des lois de validation (CC, n°99-422 DC, 21 décembre 1999, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, JO, 30 décembre 1999, p. 19730, Rec. CC, p. 143, cons. n°62 à 66) ou encore celui de la formulation constitutionnelle du droit à un procès équitable (CC, n°2004-510 DC, 20 janvier 2005,Loi relative aux compétences du tribunal d’instance, de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance, JO, 27 janvier 2005, p. 1412, Rec. CC, p. 41, cons. n°17 et n°22). Le Conseil allant même jusqu’à explicitement cité la ConvEDH et la jurisprudence de la CourEDH dans ses visas et ses considérants (CC, n°2004-505 DC, 19 novembre 2004, Traité établissant une Constitution pour l’Europe, JO, 24 novembre 2004, p. 19885, Rec. CC, p. 173, cons. n°18 et n°19). Enfin, il a, de même, estimé, de façon plus générale, que la mise en œuvre du droit de l’Union représentait, pour le législateur, un objectif d’intérêt général qui contribue à justifier des dérogations aux principes constitutionnels tels que définis par le Conseil. Pour le juge constitutionnel, la suppression du monopole d’une catégorie de personnes peut résulter « de la volonté du législateur de mettre le droit national en conformité avec [un] règlement communautaire » sans que cela n’aboutisse à une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques. Cela revenant en définitive à reconnaître que l’objectif ainsi poursuivi est un « motif d’intérêt général » (CC, n°2000-440 DC, 10 janvier 2001, Loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine des transports, JO, 17 janvier 2001, p. 855, Rec. CC, p. 39, cons. n°6 et n°7. Cf. En ce sens, A. Levade, « Le Conseil constitutionnel et l’Union européenne », Cahiers du CC 2009, hors-série, 3 novembre).
b) Un juge constitutionnel qui a pris modèle sur le juge administratif en empruntant ses méthodes et en suivant ses raisonnements
i) Un Conseil constitutionnel fortement influencé par l’institution voisine du Palais Royal
529 • Beaucoup de conseillers d’Etat ont d’abord été nommés membres de la nouvelle institution (René Cassin, Georges Pompidou, Olivier Dutheillet de Lamothe, Jacqueline de Guillenchmidt, Renaud Denoix de Saint-Marc pour ne citer que les plus représentatifs). La direction du secrétariat général a, la plupart du temps, toujours été confié à un conseiller d’Etat (Bruno Genevois, Olivier Schrameck, Jean-Eric Schoettl ou encore Marc Guillaume pour ne citer là encore que les plus représentatifs) et l’on connait le rôle prépondérant de cette institution dans la mise en place de la jurisprudence constitutionnelle (Cf. O. Schrameck, « Le secrétariat général du Conseil constitutionnel », RFDA 1994, p. 1210 ; B. Genevois, « Secrétaire général du Conseil constitutionnel : un témoignage », Cahiers du CC 2009, n°25 ; A. Ciaudo, « Un acteur spécifique du procès constitutionnel : le secrétaire général du Conseil constitutionnel », RFDC 2008, p. 17). Le Conseil apparait aussi, comme a pu déjà le souligner en son temps le doyen Vedel, comme une juridiction de droit public amenant, tout comme le Conseil d’Etat, à contrôler les actes de la puissance publique et à contourner la tradition légicentriste alors jusque-là dominante dans l’ordre juridique de notre pays pour pouvoir réaliser l’Etat de droit et la protection complète des droits et libertés (Cf. Par ex., G. VEDEL, « Excès de pouvoir législatif et excès de pouvoir administratif », Cahiers du CC 1997, n°2). Comme l’a encore souligné le doyen Vedel, le contrôle de constitutionnalité et le contrôle de légalité sont des contrôles de même nature puisqu’en réalité c’est l’excès de pouvoir qui est contrôlé, peu importe qu’il soit le fait du législateur ou de l’administration. Le contrôle procède ainsi de la même logique et des mêmes exigences, l’acte contrôlé devant être pris selon les formes et procédures fixées alors soit par la loi, soit par la constitution (Cf. Par ex., G. Vedel, « Le précédent judiciaire en droit public français », Journées de la société de législation comparée 1984, p. 284).
ii) Un lien assez fort entre les choix effectués par le juge administratif et la matière constitutionnelle
530 • Le modèle de la juridiction administrative ne pouvait que s’imposer à la juridiction constitutionnelle dans la logique précédemment décrite, le Conseil constitutionnel tenant compte des méthodes et du raisonnement alors développé par le juge administratif (Cf. J. Robert, « Conseil d’Etat et Conseil constitutionnel, propos et variations », RDP 1987, p. 1151). Il y a, ainsi, un lien assez fort entre les choix effectués par le juge administratif et la matière constitutionnelle. C’est d’abord la décision Heyriès(CE, 28 juin 1918, Heyriès, req. n°63412, Rec. CE, p. 651 précité) développant la théorie des circonstances exceptionnelles qui a, en quelque sorte, anticipé, la création de l’article 16 C° et la notion des pouvoirs de crise. C’est la décision Labonne (CE, 8 août 1919, Labonne, req. n°56377, Rec. CE, p.737) qui peut être analyser comme étant à l’origine de la notion de pouvoir règlementaire autonome, le Conseil d’Etat jugeant que l’autorité titulaire du pouvoir réglementaire général disposait, en l’absence de toute habilitation législative, d’une compétence pour édicter des mesures de police à caractère général et s’appliquant sur l’ensemble du territoire. C’est encore la décision Jamart (CE, sect., 7 février 1936, Jamart, req. n°43321, Rec. CE, p. 172, S. 1937, 3, p. 113, note J. Rivero) qui reconnaît aux ministres un pouvoir d’organisation de leurs services. De manière générale, c’est d’abord le Conseil d’Etat qui a constitué le bloc de constitutionnalité en intégrant, dans le corps de la Constitution, son Préambule (CE, 7 juillet 1950, Deahene, req. n°01645, Rec. CE, p. 426 précité) ou la DDHC (CE, 7 juin 1957, Condamines, précité) avant que le Conseil constitutionnel ne fasse de même en 1971 (CC, n°71-44 DC, 16 juillet 1971,Loi complétant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, précité).
iii) Des solutions qui se font mutuellement écho : le lien entre les PGD et PVC
531 • Le Conseil constitutionnel n’a pas, dès l’origine, tenté de s’ériger en Cour suprême mais a plutôt cherché à s’intégrer à l’ordre déjà existant. On peut, à cet égard, évoquer la qualification quant à la nature réglementaire des ordonnances de l’article 38 C° jusqu’à leur ratification législative : les deux Conseils ont retenu, dans des termes très voisins, la même solution (CE, 24 novembre 1961, Fédération nationale des syndicats de police, req. n°52262, Rec. CE, p. 658 et CC, n° 85-196 DC, 8 août 1985, Loi sur l’évolution de la Nouvelle-Calédonie, JO, 8 août 1985, p. 9125, Rec. CC., p. 63). Le refus par le Conseil constitutionnel d’exercer un contrôle de constitutionnalité sur une loi référendaire (CC, n° 62-20 DC, 6 novembre 1962, Loi relative à l’élection du président de la République au suffrage universel direct, adoptée par le référendum du 28 octobre 1962, JO, 7 novembre 1962, p. 10778, Rec. CC, p. 27) fait écho au refus par le Conseil d’Etat de contrôler les actes de gouvernement(CE, 1er mai 1822, Laffitte, Rec. CE, p. 371 ; CE, 9 mai 1867, Duc d’Aumaleet Michel Lévy, Rec. CE, p. 472, concl. L. Aucoc, S. 1867, 2, p. 124, concl. L. Aucoc, note R. Choppin). On ne peut que rapprocher, de même, la technique des PGD des PFRLR ou des principes de valeur constitutionnelle (PVC), pendant constitutionnel des PGD. L’exemple, le plus célèbre est celui de la liberté d’association, où le Conseil d’Etat avait vu en 1956 (CE, 11 juillet 1956, Amicale des Annamites de Paris, req. n°26638, Rec. CE, p. 317), soit plusieurs années avant le Conseil constitutionnel dans sa célèbre décision de 1971, un des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République », de ceux-là même mentionnés par le Préambule de la Constitution de 1946. Le juge constitutionnel trouve dans les PGD issus de la jurisprudence du Conseil d’Etat l’une des sources des PVC depuis sa décision du 26 juin 1969 qui reconnait le PGD selon lequel le silence gardé par l’administration vaut rejet (CC, n°69-55 L, 26 juin 1969, Nature juridique de certaines dispositions modifiées, des articles 4, 9 et 12 de la loi du 2 mai 1930 relative à la protection des monuments naturels et des sites de caractère, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque, des articles 2 et 13 bis de la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques et de l’article 98-1 du code de l’urbanisme et de l’habitation, précité, cons. n°5). Il a notamment consacré comme PVC la continuité du service public (CC, n°79-105 DC, 25 juillet 1979, Loi modifiant les dispositions de la loi n° 74-696 du 7 août 1974 relatives à la continuité du service public de la radio et de la télévision en cas de cessation concertée du travail, JO, 27 juillet 1979, Rec. CC, p. 33, cons. n°1) et le droit au recours (CC, n°88-248 DC, 17 janvier 1989, Loi modifiant la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, JO, 18 janvier 1989, p. 754, Rec. CC, p. 18, cons. n°31).
iv) Des solutions qui se font mutuellement écho : la question des rapports entre traités internationaux et Constitution
532 • A une époque plus récente, c’est également sur la question de la hiérarchie entre les normes présentes dans les traités internationaux et les normes présentes dans la Constitution que se sont manifestés les liens entre la jurisprudence du Conseil d’Etat et du Conseil constitutionnel. La Constitution n’avait pas apporté de réponse claire sur le sujet. Si l’article 54 C° évoque bien que c’est au juge constitutionnel d’apprécier si un engagement international est contraire à la Constitution, il n’établit pas de hiérarchie claire entre les normes de droit international et les normes constitutionnelles. C’est le Conseil d’Etat, par une énonciation particulièrement nette, qui allait, pour la 1ère fois, apporter une réponse claire en disposant que « la suprématie conférée aux engagements internationaux (par l’art. 55 C°) ne s’applique pas, dans l’ordre interne, aux dispositions de nature constitutionnelle » (CE, Ass., 30 octobre 1998, Sarran et Levacher, req. n°200286 et req. n° 200287, Rec. CE, p. 368, RFDA 1998, p. 1081, concl. C. Maugüé et p. 1094, note D. Alland, RFDA 1999, p. 57, notes L. Dubouis, B. Mathieu et M. Verpeaux, AJDA 1998, p. 962, chron. F. Raynaud et P. Fombeur, D. 2000, p. 152, note E. Aubin) en jugeant, par là même, que la hiérarchie des normes juridiques qui découle, en France, des articles 54 et 55 C°, fait des normes constitutionnelles, et non des normes internationales, les normes suprêmes en droit interne. Une solution identique a été consacrée par la Cour de cassation(Cass., Ass. Plén., 2 juin 2000, Fraisse, n° de pourvoi : 99-60274, RDP 2000, p. 1037, note X. Prétot ; RGDIP 2000, p. 811, note F. Poirat, D. 2000, jurispr p. 865, note B. Mathieu et M. Verpeaux, LPA 2000, 11 décembre, p. 10, note P. Jan).
v) Des solutions qui se font mutuellement écho : la question du droit de l’Union
533 • Le Conseil d’Etat a élargi, par la suite, la solution consacrée dans les arrêts Sarran et Levacher au droit de l’Union, en concluant que les PGD communautaires, pourtant dotés de la même valeur juridique que le traité, ne sauraient « conduire, dans l’ordre interne, à remettre en cause la suprématie de la Constitution » (CE, 3 décembre 2001, Syndicat national de l’industrie pharmaceutique, req. n°226514, Rec. CE, p. 624). La règle ainsi posée a manifestement inspiré le juge constitutionnel dans une décision où il a aménagé les modalités dans lesquelles il exerce son contrôle de constitutionnalité des lois de transposition des directives communautaires afin de garantir une pleine efficacité de ces actes de droit dérivé. Se fondant sur une obligation constitutionnelle de transposition des directives déduite de l’article 88-1 C°, le Conseil se déclare incompétent pour sanctionner les dispositions législatives qui reprennent les règles inconditionnelles et précises contenues dans la directive, à moins que celles-ci soient contraires à une disposition expresse de la Constitution (CC, n°2004-496 DC, 10 juin 2004, Loi pour la confiance dans l’économie numérique, JO, 22 juin 2004, p. 11182, Rec. CC, p.101, cons. n°7). Par la mise en place de cette réserve de constitutionnalité et en affirmant qu’il peut être fait obstacle à la transposition en raison d’une « disposition expresse contraire de la Constitution » (Ibid.), le Conseil préserve ainsi la primauté de la norme fondamentale. S’il a pu rappeler aussi, « l’existence d’un ordre juridique communautaire intégré à l’ordre juridique interne et distinct de l’ordre juridique international » eu égard à l’application des dispositions de l’article 88-1 C° (CC, n°2004-505 DC, 19 novembre 2004, Traité établissant une Constitution pour l’Europe, JO, 24 novembre 2004, p. 19885, Rec. CC, p. 173, cons. n°11), il n’en demeure pas moins que ces dispositions constitutionnelles qui « permettent à la France de participer à la création et au développement d’une organisation européenne permanente », confirment « la place de la Constitution au sommet de l’ordre juridique interne » (CC, n°2007-560 DC, 20 décembre 2007,Traité de Lisbonne modifiant le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, JO, 29 décembre 2007, p. 21813, Rec. CC, p. 459, cons. n°8).
c) Des juges ordinaires respectueux de la compétence du Conseil constitutionnel : l’écran législatif
i) Une théorie qui a un fort ancrage dans la jurisprudence administrative
534 • Seul le Conseil constitutionnel a compétence pour vérifier la conformité d’une loi à la Constitution. La loi, une fois promulguée, est inattaquable, sous réserve maintenant de l’exercice de la QPC. On a vu que le juge administratif s’est toujours refusé à contrôler la constitutionnalité d’une loi par voie d’action ou d’exception, ne s’estimant pas en droit de censurer la volonté générale de la Nation dont la loi est l’expression (CE, 6 novembre 1936, Arrighi, précité) et qu’il a été suivi en cela par le juge judiciaire qui proclame avec constance son incompétence en la matière (Cass., crim., 11 mai 1833, Bull. crim. 1833, n° 182, précité ; Cass., crim., 21 janv. 1985, n° de pourvoi : 84-93787, Bull. crim. 1985, n° 31 ; Cass, crim., 12 décembre 2007, n° de pourvoi : 07-80.886). Dans le cadre du contrôle de constitutionnalité des actes administratifs, le juge administratif contrôle seulement dans la mesure où aucune loi ne s’interpose entre la Constitution et l’acte administratif. Si, par contre, l’acte administratif est fondé sur une loi qui fait écran entre cet acte et la Constitution, l’acte administratif n’est plus susceptible de censure. Cela reviendrait à contrôler indirectement la constitutionnalité de la loi (l’acte administratif serait toujours conforme à la loi même si non conforme à la C°). La théorie de la loi écranou de l’écran législatif a un fort ancrage dans la jurisprudence administrative, cette dernière étant abondante et constante depuis les années 1950 (en ce sens, notamment, les arrêts : CE, sect., 10 juillet 1954, Fédération des conseils de parents d’élèves des écoles publiques, req. n°20635, Rec. CE, p. 449, D. 1955, p. 330, concl. A. Jacomet, note M. Virally, S. 1953.3.1, note J. Dehaussy ; CE, sect., 15 octobre 1965, Union fédérale des magistrats et Reliquet, Rec. CE, p. 515, AJDA 1965, p. 590, chron. J.-P. Puissochet et J.-P. Lecat).
ii) Des moyens de violation de la règle constitutionnelle inopérants en cas d’appréciation de la disposition législative
535 • Les moyens tirés de la violation d’une règle constitutionnelle sont voués à l’échec si leur examen doit conduire le juge administratif à apprécier la constitutionnalité des dispositions législatives sur la base desquelles la décision a été prise. A titre d’illustration, est ainsi inopérant le moyen tiré de la méconnaissance du principe de libre administration des collectivités territoriales (art. 72, al. 2 C°), à l’encontre d’un décret en Conseil d’Etat régulièrement pris en application de l’ordonnance du 2 novembre 1945 (CE, Ass., 26 novembre 1976, Soldani et autres, req. n°97328, n°98256, n°98259, n°99036, n°93721, n°00565 et n°00108, Rec. CE, p. 508, AJDA 1977, p. 26, chron. M. Nauwelaers et L. Fabius et p. 33, concl. M.-A. Latournerie). La constitutionnalité d’une ordonnance régulièrement ratifiée ne peut, de la même façon, être discutée devant la juridiction administrative et le moyen tiré de l’inconstitutionnalité d’une telle ordonnance est irrecevable pour contester la légalité d’une acte administratif (CE, 24 juillet 1987, M. X., req. n°77693). La théorie peut aussi conférer une immunité contentieuse à une circulaire se bornant à rappeler et expliciter les termes de la loi (CE 8 octobre 2004, Union française pour la cohésion nationale, req. no269077, RFDA 2004, p. 977, concl. R. Keller, AJDA 2005, p. 43, note F. Rolin) (Voir A. Le Brun, « La théorie de l’écran législatif et le domaine de la loi », RFDA 2021, p. 803 et suiv.).
d) Des divergences initiales entre les juges rapidement limitées
i) La divergence tenant à l’interprétation de l’article 34 C°
536 • L’art. 34 C° établi que la loi fixe « les règles concernant […] la détermination des crimes et délits ainsi que des peines qui leur sont applicables ». Il arrive, dans certains cas, que la méconnaissance de dispositions réglementaires soient constitutives d’un délit et, par suite, réprimée par des peines correctionnelles. Dans ce cadre, le Conseil d’Etat a interprété la disposition de l’article 34 C° en défendant la répartition constitutionnelle des compétences. Il a pu juger, par exemple, illégal un décret mettant fin à l’interdiction du coupage des vins, pourtant assortie par la loi de peines correctionnelles, dès lors que ce décret a été ainsi pris en méconnaissance de la compétence du législateur en matière pénale, telle que définie à l’article 34 C° et donc en violation de cette disposition constitutionnelle (CE, Ass., 3 février 1967, Confédération générale des vignerons du Midi, req. n°62045, Rec. CE, p. 55, AJDA 1967, p. 159, chron. J.-P. Lecat et J. Massot et p. 164, concl. Y. Galmot). Le Conseil constitutionnel s’était prononcée sur la même question avant le Conseil d’Etat et, contrairement à lui, avait jugé que, si les dispositions dont la méconnaissance est punie de peines correctionnelles sont de nature réglementaire, le gouvernement peut les modifier ou les abroger par décret sans que la Constitution y fasse obstacle (CC, n°64-28 L,17 mars 1964, Nature juridique des dispositions de l’article 5 (1, 4ème alinéa) de l’ordonnance n° 58-966 du 16 octobre 1958 relative à diverses dispositions concernant le Trésor (Caisses de Crédit mutuel), JO, 13 avril 1964, Rec. CC, p. 35, cons. n°1). La divergence de vue n’a cependant pas été durable dans la mesure où le Conseil constitutionnel s’est rallié en définitive à la position du Conseil d’Etat (CC, n° 69-55 L,26 juin 1969, Nature juridique de certaines dispositions modifiées, des articles 4, 9 et 12 de la loi du 2 mai 1930 relative à la protection des monuments naturels et des sites de caractère, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque, des articles 2 et 13 bis de la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques et de l’article 98-1 du code de l’urbanisme et de l’habitation, JO, 13 juillet 1969, p. 7161, Rec. CC, p. 27,cons. n°9).
ii) La divergence tenant à l’interprétation juridique du silence émanant de l’administration
537 • Le Conseil constitutionnel avait d’abord consacré le principe selon lequel le silence de l’administration valait décision de rejet ( CC, n° 69-55 L, 26 juin 1969, Nature juridique de certaines dispositions modifiées, des articles 4, 9 et 12 de la loi du 2 mai 1930 relative à la protection des monuments naturels et des sites de caractère, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque, des articles 2 et 13 bis de la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques et de l’article 98-1 du code de l’urbanisme et de l’habitation, JO, 13 juillet 1969, p. 7161, Rec. CC, p. 27, cons. n°5) avant que le Conseil d’Etat ne dégage celui selon lequel le silence de l’administration valait, à l’inverse, acceptation (CE, Ass., 27 février 1970, Commune de Bozas, req. n°76380). C’est le législateur qui allait finalement régler la divergence en posant en principe que le silence vaut rejet de la demande (art. 21 de la loi n°2000-321 du 12 avril 2000 (JO, 13 avril 2000, p. 5646) relative aux droits des citoyens dans leur relation avec l’administration) avant de consacrer, en définitive et récemment, la solution inverse voulant que le silence de l’administration vaut finalement acceptation (loi n°2013-1005 du 12 novembre 2013 (JO, 13 novembre 2013, p. 18407) habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens).
iii) La divergence tenant à l’interprétation selon laquelle c’est au pouvoir réglementaire de déterminer les infractions constitutives de contraventions
538 • Les auteurs d’infractions constitutives de contravention peuvent être punis d’amendes mais aussi d’emprisonnement jusqu’à 2 mois, le Conseil constitutionnel avait considéré que seul le législateur était compétent pour assortir une contravention de peine de prison, le législateur seul pouvant instituer des peines privatives de liberté (CC, n°73-80 L, 28 novembre 1973, Nature juridique de certaines dispositions du Code rural, de la loi du 5 août 1960 d’orientation agricole, de la loi du 8 août 1962 relative aux groupements agricoles d’exploitation en commun et de la loi du 17 décembre 1963 relative au bail à ferme dans les départements de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de la Réunion, JO, 6 décembre 1973, p. 12949, Rec. CC, p. 45, cons. n°11). Le Conseil d’Etat(CE, sect., 3 février 1978, CFDT et CGT, req. n°01155 et n°01180, Rec. CE, p. 47, AJDA 1978, p. 388, note M. Durupty, RDP 1979, p. 585, note M. Waline), mais aussi la Cour de cassation (Cass., crim., 26 février 1974, n° de pourvoi : 72-93438, Bull. crim. 1974, n°82, p. 204, D. 1974, p. 273, concl. A. Touffait, note R. Vouin), n’ont pas suivi la position prise par le Conseilautorisant par là même le gouvernement à instituer des peines privatives de liberté en matière de contraventions. Là encore c’est le législateur qui est venu mettre fin à la divergence en réformant le Code pénal (loi n° 92-683 du 22 juillet 1992 (JO, 23 juillet 1992, p. 9864) portant réforme des dispositions générales du code pénal) et en réservant au domaine de la loi l’établissement des peines de prison (art. 111-3 et 131-12 du Code pénal).
iv) La divergence concernant la règlementation du droit de grève : seul le législateur normalement compétent pour déterminer les limites de ce droit
539 • Le Conseil d’Etat a considéré que le législateur devait, en la matière, opéré une conciliation entre la défense des intérêts professionnels et la sauvegarde de l’intérêt général mais, qu’en l’absence de mesures législatives, le pouvoir réglementaire pouvait intervenir pour assurer l’ordre public (CE, Ass., 7 juillet 1950, Dehaene, req. n°01645, Rec. CE, p. 425 précité). Ce faisant, toute autorité administrative était compétente pour aménager le droit de grève dans la fonction publique. En se fondant sur les mêmes dispositions constitutionnelles que le Conseil d’Etat, le juge constitutionnel a considéré, au contraire, que seul le législateur pouvait être compétent pour déterminer les limites du droit de grève (CC, n°79-105 DC, 25 juillet 1979, Loi modifiant les dispositions de la loi n° 74-696 du 7 août 1974 relatives à la continuité du service public de la radio et de la télévision en cas de cessation concertée du travail, JO, 27 juillet 1979, Rec. CC, p. 33, cons. n°1). Si le Conseil d’Etat a bien maintenu sa jurisprudence (CE, 17 mars 1997, req. n°123912 et req. n°160684, Hotz et Fédération nationale des syndicats du personnel des industries de l’énergie électrique, nucléaire et gazière, AJDA 1997, II, p. 533, note M. Bellanger et G. Darcy), il ne faut pas amplifier la divergence entre les deux juges dans la mesure où il est exagéré de dire que le Conseil constitutionnel réserve la réglementation du droit de grève au seul législateur (Cf. P.-Y. Gahdoun, « Les aléas du droit de grève dans la Constitution », Droit social 2014, p. 349).
v) La divergence concernant la règlementation du droit de grève : une intervention d’autres autorités possible si celle-ci ne « limite » pas le droit de grève
540 • Pour le juge constitutionnel, la compétence du législateur se borne à fixer les « limites » du droit de grève et seulement les « limites », au-delà de ces « limites », une autre autorité peut toujours intervenir pour réglementer le droit de grève. Depuis 1979, aucune délégation de compétence n’a été jugée contraire à la Constitution qu’elle soit faite notamment au profit d’uneautorité administrative ou même des partenaires sociaux. Dans ce dernier cas, le Conseil autorise les conventions collectives à déterminer les modalités concrètes de mise en œuvre des lois ou, en d’autres termes, à édicter de véritables mesures d’applications des normes législatives, ce qui est en principe une compétence du pouvoir réglementaire (CC, n°89-257 DC, 25 juillet 1989, Loi modifiant le code du travail et relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion, JO, 28 juillet 1989, p. 9503, Rec. CC, p. 59, cons. n°11). Malgré une position contraire de la Cour de cassation qui n’admet pas que les partenaires sociaux interviennent pour réglementer le droit de grève (Cass., soc., 7 juin 1995, n° de pourvoi : 93-46.448, Société Transports Séroul, Bull. civ. 1995, V, n° 180, D. 1996, p. 75, note B. Mathieu, Droit social 1996, p. 37, note C. Radé, RDSS 1996, p. 115, obs. J.-M. Lhuillier, RTD civ. 1996, p. 153, obs. J. Mestre), le Conseil constitutionnel a persisté dans le choix ainsi opéré (CC, n° 2007-556 DC du 16 août 2007 Loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs, JO, 22 août 2007, p. 13971, Rec. CC, p. 319, cons. n°7).
e) La définition de l’autorité de ces décisions par le Conseil constitutionnel et la réception par les juges ordinaires
i) La définition de l’autorité de chose jugées dans les décisions de 1962, 1988 et 1989
541 • L’article 62 C° est la seule disposition qui organise les relations juridiques entre le Conseil constitutionnel et les juridictions ordinaires. L’alinéa 2 dispose sobrement que « Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ». C’est le Conseil, lui-même, qui a été amené à définir la portée de l’article 62 C° par 3 décisions de 1962, 1988 et 1989 en faisant en sorte d’assimiler l’autorité de ses décisions à l’autorité de la chose jugée. Dans une 1ère décision du 16 janvier 1962 (CC, n°62-18 L, 16 janvier 1982, Nature juridique des dispositions de l’article 31 (alinéa 2) de la loi n° 60-808 du 5 août 1960 d’orientation agricole, JO, 25 février 1962, p. 1915, Rec. CC, p. 31), il affirme que « l’autorité des décisions visées par cette disposition s’attache non seulement à leur dispositif mais aussi aux motifs qui en sont le soutien nécessaire et en constituent le fondement même » (cons. n°1). Puis il transpose cette jurisprudence en 1988 et 1989 dans le contentieux des décisions « DC » en faisant référence explicitement à l’autorité de choses jugée et en limitant quelque peu sa 1ère interprétation. Il juge, en 1988, que « l’autorité de chose jugée attachée à la décision du Conseil constitutionnel du 22 octobre 1982 est limitée à la déclaration d’inconstitutionnalité visant certaines dispositions de la loi qui lui était alors soumise ; qu’elle ne peut être utilement invoquée à l’encontre d’une autre loi conçue, d’ailleurs, en termes différents » (CC, n°88-244 DC, 20 juillet 1988, Loi portant amnistie, JO, 21 juillet 1988, p. 9448, Rec. CC, p. 119, cons. n°18). Il rajoute, en 1989, que « si l’autorité attachée à une décision du Conseil constitutionnel déclarant inconstitutionnelles des dispositions d’une loi ne peut en principe être utilement invoquée à l’encontre d’une autre loi conçue en termes distincts, il n’en va pas ainsi lorsque les dispositions de cette loi, bien que rédigées sous une forme différente, ont, en substance, un objet analogue à celui des dispositions législatives déclarées contraires à la Constitution. » (CC, n°89-258 DC, 8 juillet 1989, Loi portant amnistie, JO, 11 juillet 1989, p. 8734, Rec. CC, p. 48, cons. n°13). Dans cette dernière décision, le Conseil considère que l’autorité qui s’attache à l’une de ses décisions peut être invoquée à l’encontre d’une disposition d’une autre loi que celle initialement déférée mais il faut alors que cette autre loi présente « en substance » un objet « analogue ». S’il revient sur sa position assez sévère de 1988, la position prise en 1989 l’a été dans un cas très particulier et il est à douter qu’elle remette en cause la lecture de 1988. Le Conseil a fait ainsi une application constante des principes ainsi dégagés (par ex., CC, n°96-373 DC, 9 avril 1996, Loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française, JO, 13 avril 1996, p. 5724, Rec. CC, p. 43 ou CC, n°2004-500 DC, 29 juillet 2004, Loi organique relative à l’autonomie financière des collectivités territoriales, JO, 30 juillet 2004, p. 13562, Rec. CC, p. 116) avant même de mettre en avant que l’autorité de ses décisions ne se limite pas à la chose jugée mais qu’elle devait s’étendre à la chose interprétée puisqu’une réserve d’interprétation émise par le Conseil est également revêtue de l’autorité de l’article 62 C° (CC, n°2004-506 DC, 2 décembre 2004,Loi de simplification du droit, JO, 10 décembre 2004, p. 20876, Rec. CC, p. 211)
ii) Un Conseil d’État qui se montre d’abord méfiant
542 • Malgré la fermeté du 2nd alinéa selon lequel les décisions du Conseil « s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles », les juridictions de droit commun se sont d’abord montrées méfiantes à l’égard des décisions du juge constitutionnel. Le Conseil d’Etat a ainsi longtemps hésité à faire une mention explicite à l’autorité de chose jugée des décisions du Conseil constitutionnel avant qu’en 1985 il vise, pour la 1ère fois, dans ses visas, l’article 62 C° dans une décision d’assemblée (CE, Ass., 20 décembre 1985, Société des Établissements Outters, req. no31927, Rec. CE, p. 382). Puis, un an après, il fait une référence explicite aux explications données par le juge constitutionnel dans des arrêts concernant la fixation des valeurs d’échange des actions des banques. Il considère ainsi que la Commission nationale d’évaluation (chargée de fixer ces valeurs de change) a pu notamment agir correctement « sans méconnaître les dispositions de la loi du 11 février 1982, ni la chose jugée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du même jour, […] » (CE, sect., 16 avril 1986, Société méridionale de participations bancaires, industrielles et commerciales, req. no45170, Rec. CE, p. 93 et 6 autres espèces de même date qui reprennent le même considérant). Il joint, enfin, au visa spécifique de l’article 62 C°, une décision du Conseil expressément mentionné dans le 1er considérant de la décision (CE, 28 janvier 1987, Association Syndicale « L’œuvre générale de Craponne », req. no55213 et Association syndicale des arrosants du Canal de Béal du Moulin de Sénas, req. no55214, Rec. CE, p. 663). Depuis cette date, la mention de l’autorité de chose jugée est constante (V., par ex., CE, 15 juin 2005, Polynésie française, req. no265257 ; CE, 15 novembre 2004, M. René A., req. no273938 ; CE, 2 octobre 2004, req. no269814, M. Jean-Pierre R. et autres, Rec. CE, p. 393).
iii) Une Cour de cassation tout aussi hésitante
543 • Du côté du juge judiciaire et de la Cour de cassation, c’est à la même période que le juge a pu faire référence à la jurisprudence du juge constitutionnel. C’est d’abord la chambre criminelle qui, en 1985 (Cass., crim., 25 avril 1985, Bogdan et Vuckovic, n° de pourvoi : 84-92916 et 85-91324, Bull. crim. 1985, n°159, D. 1985, concl. D.-H. Dontenwille, D. 1986, p. 169, chron. L. Favoreu, JCP1985, II, n°20465, concl. D.-H. Dontenwille, note W. Jeandidier), a attribué plénitude de compétence au juge répressif en matière de liberté individuelle conformément à l’interprétation donnée par le Conseil de l’article 66 C°. Dans plusieurs cas, ensuite (voir, pour une jurisprudence plus détaillée et les exemples citées : L. Favoreu, « L’application de l’article 62, alinéa 2 de la Constitution par la Cour de cassation », Rec. Dalloz 2001, p. 2683), la Cour de cassation s’est conformée à la chose jugée par le Conseil sans expressément faire référence à l’article 62 C°. On peut citer, à titre d’exemple, le refus du juge judiciaire de réintégrer dans leur entreprise de syndicalistes auteurs de fautes lourdes (Cass., soc., 19 décembre 1989, n° de pourvoi : 89-42.800 et 89-42.801) conformément à une décision du Conseil rendue une année auparavant (CC, n°88-244 DC, 20 juillet 1988, Loi portant amnistie, JO, 21 juillet 1988, p. 9448, Rec. CC, p. 119, cons. n°8). Il en a été de même dans une décision où le juge judiciaire a précisé que l’application rétroactive de la loi fiscale ne saurait préjudicier aux contribuables dont les droits ont été reconnus par une décision de justice passée en force de chose jugée (Cass., com., 15 mai 1990, Société Brumar, n° de pourvoi : 88-14.293), là encore, conformément à une jurisprudence rendue par le Conseil (CC, n°89-268 DC, 29 décembre 1989, Loi de finances pour 1990, JO, 30 décembre 1989, p. 16498, Rec. CC, p. 110, cons. n°80). Jusque-là, la Cour de cassation n’avait jamais appliqué explicitement l’art. 62 C°. Il a fallu attendre un arrêt de la chambre sociale en date du 25 mars 1998 (Cass., soc., 25 mars 1998, CRCAM et Sud Alliance contre Tallagnon, n° de pourvoi : 95-45198, Bull. soc. 1998, V, n°175, p. 128) pour voir la Cour de cassation franchir le pas et trouver mention expresse de l’article 62 C° tout comme la référence à une décision du juge constitutionnel concernant la contribution sociale généralisée (CSG) et le fait qu’elle rentre dans la catégorie des impositions de toute nature visées par l’article 34 C° et qu’elle ne peut, en ce sens, être considérée comme une taxe parafiscale (CC, n°90-285 DC, 28 décembre 1990, Loi de finances pour 1991, JO, 30 décembre 1990, p. 16609, Rec. CC, p. 95, cons. n°9).
2. La réception nouvelle plus large de la jurisprudence constitutionnelle par les juges ordinaires : l’autorité de chose interprétée
a) L’absence d’autorité absolue de chose jugée et la technique des réserves d’interprétation
i) Des juges ordinaires qui ne reconnaissent pas l’autorité absolue de chose jugée aux décisions du juge constitutionnel
544 • Les quelques cas de divergences de jurisprudence entre le Conseil constitutionnel et les autres cours suprêmes que l’on a pu relever précédemment ne sont plus d’actualité aujourd’hui. On constate, au contraire, à travers les conclusions du ministère public devant la Cour de cassation et celles des commissaires du Gouvernement et rapporteurs publics devant le Conseil d’Etat, que la jurisprudence du Conseil constitutionnel est prise, la plupart du temps, en considération non seulement dans les conditions fixées par l’article 62 C° mais même au-delà. Mais le juge administratif tout comme le juge judiciaire ne reconnaissent pas, pour autant, l’autorité absolue de chose jugée aux décisions du Conseil constitutionnel. Le Conseil d’Etat(Cf. CE, Ass., 20 décembre 1985, SA Etablissements Outers, req. n°31927, Rec. CE, p. 382) et la Cour de cassation (Cass. Soc., 25 mars 1998, CRCAM et Sud Alliance contre Tallagnon, n° de pourvoi : 95-45198 précitée et Cass., Ass. Plén., 10 octobre 2001,Breisacher, req. n°01-84922, Bull. crim. 2001, n°206, p. 660) se conforment à la chose jugée par le Conseil constitutionnel dans la limite de l’objet et de la cause juridique de la décision rendue par ce dernier et ils ne s’estiment juridiquement pas liés par l’ensemble de sa jurisprudence. En ce sens, les juges ordinaires, à partir du moment où ils ont accepté de tenir compte des décisions du Conseil constitutionnel, n’ont pas voulu considérer l’institution comme une juridiction suprême disposant alors d’un monopôle dans l’interprétation de la loi comme pourrait en disposer la CJUE dans l’ordre juridique de l’Union.
ii) L’apparition de la technique des réserves d’interprétation
545 • Si, par principe, l’autorité de chose jugée s’applique au dispositif, ce dernier ne doit pas être envisagé en faisant abstraction des motifs qui peuvent seuls en déterminer la portée. Cette délimitation des motifs prend un relief tout particulier avec le développement de la technique des « réserves d’interprétation » qui rentre, elle aussi, dans le champ de l’autorité de la chose jugée. Cette technique, purement prétorienne et non prévue par les textes, permet au Conseil de sortir du choix binaire entre conformité et non-conformité en lui permettant de déclarer une disposition conforme à la Constitution à condition qu’elle soit interprétée de la façon indiquée dans sa décision. Par la même, la réserve s’incorpore à la loi, une disposition législative ayant fait l’objet d’une réserve n’existe dans l’ordre juridique que pour autant que la réserve est suivie d’effet. L’autorité des décisions du Conseil ne se limite donc pas à la chose jugée et s’étend à la chose interprétée, la réserve ayant l’autorité que confère à ces décisions l’article 62 C° (CC, n°2004-506 DC, 2 décembre 2004, Loi de simplification du droit, JO, 10 décembre 2004, p. 20876, Rec. CC, p. 211, cons. n°17 à 22). La 1ère réserve a été exprimée à l’occasion de l’examen d’une loi ordinaire a été établie dans une décision de 1968 sur une loi relative aux évaluations servant de base à certains impôts directs locaux (CC, n°68-35 DC, 30 janvier 1968, Loi relative aux évaluations servant de base à certains impôts directs locaux, JO, 1er février 1968, Rec. CC, p. 19, cons. n°4) même si celle-ci n’a pas été exprimée ni dans le dispositif ni dans les motifs. La technique s’est considérablement développée depuis puisque le Conseil mentionne aujourd’hui dans son dispositif qu’il a émis des réserves mais aussi quels sont les considérants dans lesquels ces réserves sont exprimées (CC, n°84-181 DC, 11 octobre 1984, Loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse, JO, 13 octobre 1984, p. 3200, Rec. CC, p. 78, l’art. 2 du dispositif mentionnant que « sous les strictes réserves d’interprétation mentionnées plus haut, les autres articles de la loi ne sont pas contraires à la Constitution »).
iii) La discussion quant au nouveau pouvoir d’influence du juge constitutionnel grâce à l’utilisation de la technique
546 • Les réserves d’interprétation sont en principe utilisées par le Conseil pour éviter de censurer le texte soumis à son examen mais ce pouvoir qu’il s’est octroyé accroit sa marge de manœuvre et sa capacité à influencer les autres pouvoirs publics ce qui a amené la doctrine a souvent décrié le recours à la méthode, le Conseil s’arrogeant désormais autant le pouvoir d’appréciation du législateur que le pouvoir d’interpréter la loi en dictant aux juridictions chargées de son application l’interprétation qu’elles devront faire du texte en cause (Cf. pour un état des lieux général, M. Troper, Le gouvernement des juges, mode d’emploi, Québec, Presses universitaires de Laval, 2006). Face à ces critiques, il faut relever que la techniquepuise ses origines dans le contentieux constitutionnel étranger (Cf. T. Di Manno, Le Juge constitutionnel et la Technique des décisions interprétatives en France et en Italie, Paris, Marseille, Economica, PUAM, 1997) et qu’aucune norme constitutionnelle française n’en prévoit l’existence. La technique est aussi liée au caractère spécial du contrôle a priori exercé par le Conseil. C’est un contrôle à connotation politique et abstrait, opéré sur la loi entière ou une partie de cette loi et non pas sur une disposition déterminée dans le cadre d’une question préjudicielle. Il vaut mieux parfois éviter une censure trop brutale qui peut avoir une lecture politique ou des conséquences retentissantes (Voir, en ce sens, X. Samuel, « Les réserves d’interprétation émises par le Conseil constitutionnel », exposé présenté à l’accueil des nouveaux membres de la Cour de cassation au Conseil constitutionnel, le 26 janvier 2007, www.conseil-constitutionnel.fr) Maintenant, si toutes les réserves ne modifient pas, en substance, la loi, certaines comblent le silence de la loi ou lève son ambigüité ce qui peut être interprété comme ne reflétant pas la réelle intention du législateur ou comme ouvrant la voie au « gouvernement des juges ».
iv) La distinction entre les trois sortes de réserves d’interprétation
547 • La doctrine a fait une distinction entre trois sortes de réserves : par opposition aux réserves « interprétatives », on parlera de réserves « constructives », lorsqu’il s’agit d’étendre la portée normative et combler le silence de la loi ou de réserves « directives » lorsque le Conseil indique une ligne de conduite à suivre dans l’application de la loi et que le contenu de la réserve est prescriptif (Voir, en ce sens, pour la distinction entre les trois formes de réserves : T. Di Manno, « L’influence des réserves d’interprétation » in G. Drago, B. François et N. Molfessis (dir.), La légitimité de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Paris, Economica, 1996, p. 202). Les réserves « constructives » permettent d’éviter la censure de la loi en cas d’imprécisions ou en cas de vide juridique et les réserves « directives » s’adressent la plupart du temps au pouvoir réglementaire, le risque d’inconstitutionnalité pouvant résider dans l’application de la loi. Un exemple type peut être mentionné à travers le contentieux des prestations sociales, le Conseil admettant souvent la conformité de la loi à la Constitution sous réserve que le pouvoir réglementaire d’application ne méconnaisse pas, dans sa compétence tenant à la fixation des paramètres quantitatifs (le législateur étant compétent, quant à lui, pour la définition des prestations), les exigences du préambule de 1946 (10ème et 11ème alinéa) (Cf. CC, n°99-416 DC, 23 juillet 1999, Loi portant création d’une couverture maladie universelle, JO, 28 juillet 1999, p. 11250, Rec. CC, p. 100). Il y a, ainsi, une certaine utilité dans la mise en place de ces réserves notamment « pour renforcer la « prédétermination » de la loi, afin de la mettre à l’abri du jeu incertain et différé de la codétermination dont jouissent les autorités chargées d’appliquer la loi : pouvoir réglementaire, administrations d’exécution, organismes de contrôle et de surveillance » (Services du Conseil constitutionnel, « Portée des décisions du Conseil constitutionnel, juge de la constitutionnalité des lois et des traités », www.conseil-constitutionnel.fr). Elles permettent, en définitive, une meilleure sécurité juridique en réglant en amont les questions d’application de la loi qui sont de nature constitutionnelle tout en permettant, conjointement, une certaine unité de la jurisprudence.
b) Une approche contemporaine plus extensive de l’autorité de chose jugée
i) Une autorité de chose jugée qui s’applique aux réserves d’interprétation
548 • Le Conseil d’Etat tout comme la Cour de cassation considèrent que l’autorité de chose jugée de l’article 62 C° s’applique aussi aux réserves d’interprétation. Les arrêts significatifs des deux cours suprêmes interviennent pratiquement au même moment (Cass., 2ème civ., 28 juin 1995, Préfet de la Région Midi-Pyrénées, Préfet de la Haute-Garonne contre Bechta, n° de pourvoi : 94-50002, Bull. Civ. 1995, II, n° 221, p. 127 ; CE, Ass., 11 mars 1994, SA « La Cinq », req. n°115052, Rec. CE, p. 117, concl. P. Frydman). L’arrêt « Bechta » de la Cour de cassation, rendu notamment au visa de l’articles 66 C°, a considérablement élargi les pouvoirs du juge judiciaire de la rétention conformément à des réserves d’interprétation émises la même année dans une décision rendue par le Conseil (CC, n°94-352 DC, 18 janvier 1995, Loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité, JO, 21 janvier 1995, p. 1154, Rec. CC, p. 170, cons. n°19 et n°20) en lui reconnaissant notamment le pouvoir de vérifier les conditions de l’interpellation ou de refuser le maintien en rétention s’il constate que ces conditions étaient irrégulières énoncé qu’il « appartient au juge […] de se prononcer, comme gardien de la liberté individuelle, sur l’irrégularité, invoquée par l’étranger, de l’interpellation » (Cass., 2ème civ., 28 juin 1995, Bechta, précité). Quant au Conseil d’Etat, il faut attendre 1994 et son arrêt « SA « La Cinq » » pour que ce dernier accepte de se soumettre à une réserve d’interprétation du juge constitutionnel en mentionnant la réserve et la décision du Conseil correspondante qui avait estimé que les pouvoirs de sanction du CSA, en rapprochement de deux articles de la loi instituant ce dernier, ne pouvaient s’exercer qu’après mise en demeure des titulaires d’autorisations pour l’exploitation d’un service de communication audiovisuelle (CE, Ass., 11 mars 1994, SA « La Cinq », précité). Le juge administratif avait déjà eu l’occasion d’être confronté à l’autorité d’une réserve d’interprétation en 1983 où il a été amené à vérifier la légalité d’un décret ou regard d’un article de loi « tel qu’il doit être interprété à la lumière de la décision du Conseil constitutionnel » mais le moyen avait été rejeté par manque de fondement (CE, 1er juillet 1983, Syndicat unifié de la radio et de la télévision CFDT, req. n°20838, Rec. CE, p. 293) avant sa décision de 1994.
ii) Une application extensive de la notion par le Conseil d’État
549 • Le Conseil d’Etat fait application des réserves d’interprétation du Conseil même dans le cadre de ses formations administratives (Cf., par ex., CE, avis, 7 septembre 2004, Projet de décret fixant les modalités d’application de la loi du 20 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration). Il a ainsi pu considérer que « pour l’application et l’interprétation d’une loi, aussi bien les autorités administratives que le juge, sont liés par les réserves d’interprétation énoncées par le Conseil constitutionnel dans sa décision statuant sur la conformité de cette loi à la Constitution » (CE, ord. réf., 26 juin 2006, Ahamada Anfian et Myriam Hassani, req. n°294505 et req. n°294506). Dans certains cas, le juge administratif se soumet à une réserve d’interprétation sans faire mention de celle-ci mais certaines décisions reconnaissent expressément aux décisions du juge constitutionnel une « autorité de chose jugée »(par ex. : CE, 12 mai 2010, Union des jeunes chirurgiens-dentistes-Union dentaire, req. n°328162 ou CE, 16 avril 1986, Tequi, req. n°45243). Dans une décision « Sueur et autres » de 2004, le Conseil a écarté de manière distincte un moyen tiré de la violation de la loi et de l’interprétation qu’en a donné le Conseil « avec l’autorité qui s’attache à la chose jugée » (CE, 29 octobre 2004, Sueur et autres, req. n°269814, AJDA 2004, p. 2383, chron. C. Landais et F. Lenica, AJDA 2005, p. 16, note D. Linotte, RFDA 2004, p. 1103, concl. D. Casas). Par contre, jusqu’ à une date récente, il n’y avait jamais eu de reconnaissance d’une autorité absolue de chose jugée malgré des volontés, en ce sens, de certains rapporteurs publics (Cf. conclusions J.-P. Thiellay sur la décision CE, Ass., 13 mai 2011, Delannoy et Verzelle, RFDA 2011, p. 772 et conclusions E. Geffray sur la décision CE, Ass., 13 mai 2011, M. Rida, RFDA 2011, p. 789).
iii) Un Conseil d’État qui reconnait, en définitive, l’autorité absolue de chose jugée
550 • La question de la chose jugée a été revalorisée par le Conseil d’Etat. Ce sont d’abord 3 arrêts rendus le même jour en 2011 dans la formation la plus solennelle du Conseil d’Etat (CE, Ass., 13 mai 2011, Mme M. Rida, Lazare et Mme Okosun (2 espèces) etDelaunnoy et Verzelle, req. n°316734, req. n°329290 et req. n°317808, Rec. CE, p. 211, concl. E. Geffray, RFDA 2011, p. 772, concl. J. P. Thiellay, p. 806, note M. Verpeaux, p. 789, concl. E. Geffray AJDA 2011, p. 1136, chron. X. Domino et A. Bretonneau, Constitutions 2011, p. 403, obs. X. Bioy) qui ont hissé au rang de moyen d’ordre public la question de la chose jugée par le Conseil constitutionnel. Le Conseil d’Etat avait estimé qu’il lui appartenait, en sa qualité de juge de cassation, de vérifier d’office qu’une disposition octroyée par le Conseil dans une décision QPC ne soit plus le fondement d’une affaire en cours de manière à respecter la force de chose jugée attachée à la décision du juge constitutionnel. C’est un moyen d’ordre public qui est tout autant susceptible d’être attaché à la méconnaissance du champ d’application de la loi qu’à la question de la chose jugée. Mais la démarche ainsi entamée par le juge était une amorce vers un renforcement plus poussé du juge administratif de la chose jugée dans sa jurisprudence. C’est dans 3 décisions rendues, respectivement, dans le contentieux QPC en 2012 (CE, 26 mars 2012, Mme Dana, req. n°340466, Rec. CE, p. 128, Droit fiscal 2012, n°470, concl. V. Daumas et note M. Pelletier), le contrôle a priori, en 2013 à propos des réserves d’interprétation (CE, 15 mai 2013, Commune de Gurmençon, req. n°340554, Rec. CE, tables, p. 741, 782 et 794, AJDA 2013, concl. A. Lallet, JCP 2014, A, n°2124, note A.-C. Bezzina) et en 2014 à propos de l’interprétation d’une stipulation d’un traité (CE, 18 décembre 2013, Kaddar, req. n°372832, Rec. CE, p. 320, AJDA 2014, p. 411, concl. X. Domino) que le juge allait franchir un pas de plus vers le dialogue des jurisprudences et reconnaitre l’autorité absolue de chose jugée des décisions du Conseil constitutionnel statuant sur la constitutionnalité d’une loi.
iv) La confirmation d’une reconnaissance déjà actée par la doctrine
551 • Si la démarche est conséquente, elle apparait, néanmoins, par certains côtés, symbolique dans la mesure où l’autorité absolue de chose jugée était déjà acquise en doctrine. Pour cette dernière, le caractère absolu de l’autorité de chose jugée n’était pas forcément lié à la triple identité d’objet, de cause et de partie voulue par l’article 1351 du Code civil. L’autorité des décisions du Conseil constitutionnel a, au contraire, une valeur objective, ce sont les caractéristiques du contentieux constitutionnel et le fait notamment que les décisions s’imposent à tous qui expliquent l’autorité absolue de chose jugée (voir notamment concl. J.-P. Thiellay sur CE, Ass., 13 mai 2011, Delannoy et Verzèle, req. n°317808, RFDA 2011, p. 772, et concl. E. Geffray sur la CE, Ass., 13 mai 2011, M’Rida, req. n°316734, RFDA 2011, p. 789). En reconnaissant l’autorité absolue de chose jugée aux décisions du Conseil comme à ses réserves d’interprétation, le Conseil d’Etat s’oblige ainsi à se conformer aux réserves quitte à soulever d’office ce moyen et à en admettre une recevabilité élargie à chaque stade de la procédure comme l’impose le régime des moyens d’ordre public. La simple autorité de la chose jugée est dépassée au profit d’une autorité morale « persuasive » (selon l’expression employée la 1ère fois par Bruno Genevois, « Le Conseil constitutionnel et le droit pénal international », RFDA 1999, p. 285). Cette autorité sollicite des juges bien plus qu’un devoir d’exécution des décisions, il est plutôt question d’une influence reconnue voire d’un alignement nécessaire, l’obligation de se conformer à la chose jugée étant « feutrée dans son application mais forte dans son principe » (A.-C. Bezzina, note sous CE, 15 mai 2013, Commune de Gurmençon, JCP 2014, A, n°2124 précité)
c) La divergence d’appréciation persistante concernant les réserves d’interprétation « par ricochet »
i) La conception extensive du juge conseil constitutionnel de l’autorité : le contrôle des lois ayant un objet analogue
552 • Le Conseil constitutionnel a toujours eu une conception extensive de l’autorité de chose jugée de ses décisions. Il a précisé, lui-même, explicitement « qu’il appartient aux autorités administratives et juridictionnelles compétentes d’appliquer la loi, le cas échéant, sous les réserves que le Conseil constitutionnel a pu être conduit à formuler » (CC, n°2001-455 DC, 12 janvier 2002, Loi de modernisation sociale, JO, 18 Janvier 2002, p. 1053, Rec. CC, p. 49, cons. n°9). Il a déjà pu juger, comme on l’a vu, qu’il n’avait pas à procéder au nouvel examen de dispositions législatives « lorsque les dispositions de cette loi, bien que rédigées sous une forme différente, ont, en substance, un objet analogue à celui des dispositions législatives déclarées contraires à la Constitution », et sur lesquelles il s’est déjà prononcé (CC, n° 89-258 DC, 8 juillet 1989, Loi portant amnistie précité). Mais ce considérant n’avait pas été repris par la suite avant d’être, finalement, réactivé dans une décision du 19 décembre 2013(CC, n° 2013-682 DC, 19 décembre 2013, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, JO, 24 décembre 2013, p. 21069, Rec. CC, p. 1094, cons. n°36 à 39). En agissant de la sorte, le Conseil donne une nouvelle impulsion contentieuse à la portée que l’article 62 C° confère à ses décisions conformément aux vœux de la doctrine et des membres de l’institution (Cf. M. Guillaume, « L’autorité des décisions du Conseil constitutionnel : vers de nouveaux équilibres ? », Nouveaux Cahiers du CC 2011, n°30, p. 49 ; voir, dans le même sens : M. Disant, L’autorité de la chose interprétée par le Conseil Constitutionnel, LGDJ, 2010 ou X. Magnon, « Sur un pont-aux-ânes ? L’autorité des décisions du Conseil constitutionnel, pour une distinction entre « autorité » et « force » de chose jugée », RFDA 2013, p. 859). Le Conseil délimite ainsi la portée de l’autorité de chose jugée de ses décisions à partir d’une condition « d’identité de norme » et non « d’identité de texte » (Cf. T. Di Manno, « Les quotas par sexe dans les jurys de concours et l’autorité de chose jugée des décisions du Conseil constitutionnel », AJDA 2003, p. 820 à 825).
ii) La conception extensive du juge conseil constitutionnel de l’autorité : le contrôle des lois ayant un objet analogue (2)
553 • Devant le Conseil constitutionnel, le contrôle de l’objet analogue est présent dans le contrôle a priori (DC) comme dans le contrôle a posteriori (QPC). L’analogie d’objet, lorsqu’elle est retenue peut provoquer mécaniquement l’inconstitutionnalité de la loi (CC, n° 2013-685 DC, 29 décembre 2013, Loi de finances pour 2014, JO, 30 décembre 2013, p. 22188, Rec. CC, p. 1127). Elle peut ne pas être retenue et la disposition sera déclarée conforme (CC, n°2015-504/505 QPC, 4 décembre 2015, Mme Nicole B. Veuve B. et autres [Allocation de reconnaissance II], JO, 6 décembre 2015, p. 22501). Dans l’ensemble, le contrôle peut se révéler particulier. On peut citer, par exemple, celui portant sur une disposition législative appliquant les règles issues d’une directive européenne à une situation régie par le seul droit interne (CC, n°2015-726 DC, 29 décembre 2015, Loi de finances rectificative pour 2015, JO, 30 décembre 2015, p. 24775). Le Conseil peut encore ne pas reconnaître l’analogie d’objet, et donc écarter le grief tiré de la violation de l’article 62 C°, tout en déclarant la loi contraire, que ce soit dans le contrôle a priori (CC, n° 2013-682 DC, 19 décembre 2013, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, JO, 24 décembre 2013, p. 21069, Rec. CC, p. 1094) ou dans le contrôle a posteriori en QPC (CC, n° 2014-417 QPC, 19 septembre 2014, Société Red Bull On Premise et autre [Contribution prévue par l’article 1613 bis A du code général des impôts], JO, 21 septembre 2014, p. 15472). (Cf. Pour les exemples cités, J. Bonnet et A. Roblot-Troizier, « Chronique de droits fondamentaux et libertés publiques : le renouvellement de la portée de l’article 62 de la Constitution », Nouveaux cahiers du CC 2016, n°51).
iii) Des juges ordinaires qui ne s’estiment pas liées par les réserves d’interprétation « par ricochet »
554 • En revanche, les deux Cours suprêmes, quant à elles, sont moins enclines à admettre une conception aussi large de l’autorité des décisions du Conseil constitutionnel et se refusent à considérer que l’article 62 C° s’appliquent dès lors que n’est pas en jeu la loi même qui a été soumise au juge constitutionnel. En l’absence d’identité de texte, les deux cours suprêmes ne s’estiment pas liées par la jurisprudence du Conseil. Le Conseil d’Etat a, ainsi, refusé d’étendre sa jurisprudence à une « réserve par ricochet » émise par le Conseil et considère que l’article 62 C° ne s’applique qu’aux réserves d’interprétation émises directement sur la loi déférée au Conseil (CE, sect., 22 juin 2007, Lesourd, req. n°288206, Rec. CE, p. 253, RFDA 2007, p. 1077, concl. T. Olson). La Cour de cassation applique la même jurisprudence (Cass., Ass. Plén., 10 octobre 2001, Breisacher, req. n°01-84922, RFDC 2002, n° 49, p. 51, concl. R. De Gouttes et p. 68, note P. Wachsmann, RFDA 2001, p. 1169, note O. Jouanjan, et P. Wachsmann, p. 1187, note O. Beaud, LPA 2001, 30 octobre, note P. Avril et J. Gicquel, D. 2001, p. 237, note C. Debbasch, JCP 2001, II, n°10024, note C. Franck, RA 2001, p. 637, note G. Drago). On désigne par « réserves par ricochet », celles que le Conseil « énonce à propos, non du texte dont il est saisi mais d’une disposition antérieure, figurant dans une loi qui ne lui a pas été soumise avant promulgation, mais à laquelle il se réfère et dont il entend ainsi se saisir, dans une certaine mesure, au moment où il se prononce sur la constitutionnalité d’une disposition similaire » (J. Arrighi de Casanova, « L’autorité des décisions du Conseil constitutionnel vue du Conseil d’Etat », Nouveaux Cahiers du CC 2011, n° 30). Les juridictions chargées d’appliquer la loi ne sauraient les ignorer, pas plus qu’elles ne doivent négliger, de manière générale, la jurisprudence du juge constitutionnel. Dans son arrêt« Breisacher » (précité), la Cour de cassation a, par exemple, affirmée que l’interprétation de l’article 68 C° délivrée par le Conseil à l’occasion de l’examen d’un traité international n’était pas revêtue de l’autorité de chose jugée pour le cas d’espèce et ne s’imposait donc pas pour sa résolution. Dans l’affaire saisie, la Cour de cassation ne se trouvait que devant une jurisprudence du Conseil et en tant que juridiction souveraine elle était, par voie de conséquence, libre de la suivre ou de ne pas la suivre.
iv) Une lecture renouvelée du juge constitutionnel qui amène un changement de position devant le Conseil d’État
555 • Devant le Conseil d’Etat, la relecture de l’article 62 C° a créé deux situations nouvelles même si le contrôle de l’objet analogue est manié avec précaution au regard des enjeux institutionnels en présence. Le juge administratif peut, d’abord, au titre de la 1ère situation nouvelle, constater la neutralisation normative d’une disposition législative en appliquant par extension une décision du Conseil constitutionnel à des dispositions législatives distinctes mais « identiques, dans leur substance et dans leur rédaction » (CE, 16 janvier 2015, Société Métropole Télévision, req. n°386031, Droit fiscal 2015, n° 28, comm. n°469, concl. M.-A. Nicolazo de Barmon, note S. Austry). Une QPC visant ce type de disposition sera sans objet, le juge administratif pouvant de lui-même constater la neutralisation normative de la disposition législative. Mais il n’y a pas à proprement parler encore d’admission d’une « inconstitutionnalité par analogie » comme le voudrait le juge constitutionnel. Le Conseil d’Etat a, en effet, rappeler qu’il s’en tenait à une autorité qui ne s’étendait qu’aux dispositions dont la substance et surtout la rédaction sont identiques (Voir, en ce sens, CE, 18 mai 2016, Société Natixis, req. n°397316, Droit fiscal 2016, n° 23, comm. 367, concl. É. Bokdam-Tognetti). Mais il y a là immanquablement la marque d’une 1ère évolution pour un changement de jurisprudence futur (Cf. A. Roblot-Troizier, « Droits fondamentaux et libertés publiques : Autorité de chose jugée ou abrogation par analogie ? », Nouveaux Cahiers du CC 2015, n° 48, p. 161).
v) Une lecture renouvelée du juge constitutionnel qui amène un changement de position devant le Conseil d’Etat (2)
556 • Au titre de la 2nde situation nouvelle, le Conseil d’Etat peut aussi considérer comme sérieuse des QPC fondées sur la violation de l’article 62 C° même s’il n’emploie pas directement la notion « d’objet analogue » dans le choix des motifs du renvoi. Dans l’affaire « Red Bull », le renvoi est justifié en ce que la disposition contestée est rédigée « dans des termes voisins de ceux de la précédente loi » (CC, n° 2014-417 QPC, 19 septembre 2014, Société Red Bull On Premise et autre [Contribution prévue par l’article 1613 bis A du code général des impôts] précité), le Conseil d’Etat semblant s’attacher à un critère formel. Dans les affaires liées à « l’indemnisation des anciens Harkis ayant servis pendant la guerre d’Algérie », la décision de renvoi du Conseil d’Etat invoquait une formule plus neutre justifiant le renvoi par « l’autorité de chose jugée qui s’attache, en vertu de l’article 62 de la Constitution, à la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-93 QPC du 4 février 2011 » (CE, 25 septembre 2015, Mme Nicole B. Veuve B. et autres, req. n° 391331 et req. n°392164). Dans sa réponse au Conseil d’Etat, la décision du Conseil constitutionnel du 4 décembre 2015 n’a pas retenu l’analogie d’objet parce que la loi nouvelle instituait une condition relative au statut civil des personnes, à la différence de la condition de nationalité qui avait été déclarée contraire à la Constitution dans la décision du 4 février 2011 (CC, n°2015-504/505 QPC, 4 décembre 2015, Mme Nicole B. veuve B. et autre [Allocation de reconnaissance II], JO, 6 décembre 2015, p. 22501), le Conseil confirmant par la même sa vision stricte dans l’appréciation de l’analogie d’objet.
vi) Le Conseil d’État et l’admission des réserves d’interprétation transitoires : la décision Société BPCE
557 • Toujours à titre d’illustration de ce que l’autorité d’une réserve d’interprétation formulée par le Conseil constitutionnel sur un texte peut imposer au juge chargé d’interpréter un autre texte, il faut citer une décision du Conseil d’Etat relative à l’applicabilité d’une taxe de 3 % en cas de rachat par une société de ses propres titres (article 235 ter ZCA renvoyant aux articles 109 à 117 du CGI) (CE, 20 avril 2016, Société BPCE et autres, req. n°396578, Droit fiscal 2016, comm. n°533, concl. B. Bohnert, note G. Blanluet, Y. Rutschmann et Y. Aguila). Le juge administratif y a admis une réserve d’interprétation transitoire, réserve d’interprétation spéciale qui diffère des réserves d’interprétation classiques en tant qu’elles sont circonscrites temporellement, ayant vocation à disparaître notamment quand la nouvelle législation est adoptée. Cette réserve spéciale était issue d’une décision M. et Mme Machillot du 20 juin 2014 (CC, n° 2014-404 QPC, 20 juin 2014, M. et Mme Machillot, Droit fiscal 2014, n° 30, comm. 467, note A. de Bissy et M. Ferré, Droit des sociétés 2014, comm. 157, note J.-L. Pierre) par laquelle le Conseil constitutionnel avait jugé que l’existence d’un double régime d’imposition des actionnaires bénéficiaires en fonction de la procédure utilisée lors du rachat par une société de ses propres titres constituait une atteinte au principe d’égalité devant la loi et a, en conséquence, abrogé à compter du 1erjanvier 2015 les dispositions du 6° de l’article 112 du CGI à l’origine de cette différence de traitement. Afin de préserver l’effet utile de sa décision pour les rachats intervenus avant le 1er janvier 2014 ou, à défaut d’adoption d’une loi fixant de nouvelles règles pour 2014, pour les rachats intervenus avant le 1er janvier 2015, le Conseil a énoncé que les sommes attribuées aux actionnaires lors d’un rachat de titres, quelle que soit la procédure utilisée, « ne sont pas considérées comme des revenus distribués et sont imposées selon le régime des plus-values de cession » ce qui constituait, en l’espèce, la réserve d’interprétation transitoire. Le Conseil d’Etat a admis que les dispositions de l’article 235 ter ZCA renvoyant aux articles 109 à 117 du CGI, objet de sa saisine, devaient être lues à la lumière de l’interprétation préalablement donnée par le Conseil constitutionnel du 6° de l’article 112 du même code lors de la décision M. et Mme Machillot alors que ce dernier n’avait jamais été saisi de l’article 235 ter ZCA et que la décision QPC M. et Mme Machillot de 2014 ne portait que sur l’application du 6° de l’article 112 avant le 1er janvier 2015 pour les seuls bénéficiaires des sommes issues de rachats.
vii) Une Cour de cassation qui suit le Conseil d’État dans sa nouvelle approche
558 • Sous l’effet entraînant de la QPC, la conception stricte de l’autorité de la chose jugée s’efface peu à peu d’autant plus que la Cour de cassation a suivi le Conseil d’Etat dans sa nouvelle approche. On peut ainsi citer un arrêt du 14 septembre 2016 (Cass., Soc., 14 septembre 2016, n° de pourvoi : 16-40223) qui s’insère ainsi dans ce mouvement de fond tendant à dépasser les limites de la chose jugée par le Conseil constitutionnel. La décision de la Cour valide, implicitement, la force normative de l’autorité par analogie d’objet en réutilisant les termes exacts d’une réserve d’interprétation établie à propos d’un autre texte que celui objet de la décision du Conseil constitutionnel. Il était question, en l’espèce, de la protection des salariés titulaires d’un mandat d’élu local, protection développée par une disposition législative votée en 2015, alors que la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel datait de 2012 et s’intéressait au mandat de membre du conseil ou d’administrateur d’une caisse de sécurité sociale. La Chambre sociale avait déjà reproduit en 2012 cette réserve d’interprétation sur le régime de protection des salariés titulaire d’un mandat de conseiller prud’homal (article L. 2411-1 17° Code du travail) en invoquant expressément les termes de la réserve (Cass., Soc., 14 septembre 2012, n° de pourvoi : 11-21307, Constitutions 2012, p. 624, obs. C. Radé) mais en faisant de même en 2016pour les salariés titulaires d’un mandat local, la Cour de cassation étend le raisonnement par analogie d’objet tenu par le Conseil constitutionnel à propos des dispositions législatives déclarées contraires aux dispositions déclarées conformes sous réserve.
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