TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE CERGY-PONTOISE N° 1801344 N° 1801346 N° 1801348 N° 1801352___________ M. N ________ Mme… Rapporteur ___________ Mme… Rapporteur public ___________ Audience du 20 décembre 2018 Lecture du 4 février 2019 ___________ 26-03-06 49-04-03 C+ |
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE |
Vu la procédure suivante :
I – Par une requête, enregistrée le 13 février 2018 sous le numéro 1801344, M. N, en sa qualité de personnalité qualifiée, désignée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés au titre de l’article 6-1 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, demande au tribunal :
1°) d’annuler les décisions des 26 et 27 octobre 2018 par lesquelles l’office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication a demandé, d’une part, le retrait du contenu accessible à l’adresse URL https://nantes.indymedia.org/articles/38946 et, d’autre part, le déréférencement du contenu accessible à cette adresse URL, ainsi que la décision du 8 février 2018 par laquelle le chef du cabinet du ministre de l’intérieur a confirmé le refus de l’office de suivre sa recommandation tendant au retrait de ces décisions ;
2°) d’enjoindre à l’office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication de notifier l’annulation des décisions de retrait et de déréférencement du contenu accessible à l’adresse URL https://nantes.indymedia.org/articles/38946 à l’éditeur du site internet Indymedia ainsi qu’aux exploitants de moteurs de recherche et annuaires qu’il a sollicités.
Il soutient qu’en estimant que le contenu de la publication accessible à l’adresse URL https://nantes.indymedia.org/articles/38946 et, notamment, la revendication de l’incendie volontaire de véhicules appartenant à la police municipale de Clermont-Ferrand dans la nuit du 23 au 24 octobre 2017 et l’invitation du lecteur à commettre des exactions de même nature, constituait une provocation ou une apologie à la commission d’actes de terrorisme au sens de l’article 421-2-5 du code pénal, les auteurs des décisions contestées ont commis une erreur de qualification juridique des faits et, ce faisant, ont méconnu les dispositions de l’article 6-1 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 novembre 2018, le ministre d’Etat, ministre de l’intérieur conclut au rejet de la requête en faisant valoir que les moyens soulevés par M. N ne sont pas fondés.
M. N a produit un nouveau mémoire, enregistré le 30 novembre2018, non communiqué.
II – Par une requête, enregistrée le 13 février 2018 sous le n° 1801346, M. N, en sa qualité de personnalité qualifiée, désignée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés au titre de l’article 6-1 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, demande au tribunal :
1°) d’annuler les décisions des 31 octobre 2017 et 1er novembre 2017 par lesquelles l’office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication a demandé, d’une part, le retrait du contenu accessible à l’adresse URL https://nantes.indymedia.org/articles/38996 et, d’autre part, le déréférencement du contenu accessible à cette adresse URL, ainsi que la décision du 8 février 2018 par laquelle le chef du cabinet du ministre de l’intérieur a confirmé le refus de l’office de suivre sa recommandation tendant au retrait de ces décisions ;
2°) d’enjoindre à l’office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication de notifier l’annulation des décisions de retrait et de déréférencement du contenu accessible à l’adresse URL https://nantes.indymedia.org/articles/38996 à l’éditeur du site internet Indymedia ainsi qu’aux exploitants de moteurs de recherche et annuaires qu’il a sollicités.
Il soutient qu’en estimant que le contenu de la publication accessible à l’adresse URL https://nantes.indymedia.org/articles/38996 et, notamment, la revendication de l’incendie volontaire de véhicules stationnés dans l’enceinte de la gendarmerie de Meylan dans la nuit du 25 au 26 octobre 2017 et l’invitation du lecteur à commettre des exactions de même nature, constituait une provocation ou une apologie à la commission d’actes de terrorisme au sens de l’article 421-2-5 du code pénal, les auteurs des décisions contestées ont commis une erreur de qualification juridique des faits et, ce faisant, ont méconnu les dispositions de l’article 6-1 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 novembre 2018, le ministre d’Etat, ministre de l’intérieur conclut au rejet de la requête en faisant valoir que les moyens soulevés par M. N ne sont pas fondés.
M. N a produit un nouveau mémoire, enregistré le 30 novembre2018, non communiqué.
III – Par une requête, enregistrée le 13 février 2018 sous le numéro 1801348, M. N, en sa qualité de personnalité qualifiée, désignée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés au titre de l’article 6-1 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, demande au tribunal :
1°) d’annuler la décision du 21 septembre 2017 par laquelle l’office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication a demandé le retrait du contenu accessible à l’adresse URL https://grenoble.indymedia.org/2017-09-21- solidarité-incendiaire, ainsi que la décision du 8 février 2018 par laquelle le chef du cabinet du ministre de l’intérieur a confirmé le refus de l’office de suivre sa recommandation tendant au retrait de cette décision ;
2°) d’enjoindre à l’office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication de notifier l’annulation de la décision de retrait de l’adresse URL https://grenoble.indymedia.org/2017-09-21-solidarité-incendiaire à l’éditeur du site internet Indymedia.
Il soutient qu’en estimant que le contenu de la publication accessible à l’adresse URL https://grenoble.indymedia.org/2017-09-21-solidarité-incendiaire et, notamment, la revendication de l’incendie volontaire de six fourgons d’intervention et deux camions de logistique dans l’enceinte de la caserne de gendarmerie Vigny-Musset à Grenoble dans la nuit du 21 au 22 septembre 2017 et l’invitation du lecteur à commettre des exactions de même nature, constituait une provocation ou une apologie à la commission d’actes de terrorisme au sens de l’article 421-2-5 du code pénal, les auteurs des décisions contestées ont commis une erreur de qualification juridique des faits et, ce faisant, ont méconnu les dispositions de l’article 6-1 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26novembre2018, le ministre d’Etat, ministre de l’intérieur conclut au rejet de la requête en faisant valoir que les moyens soulevés par M. N ne sont pas fondés.
M. N a produit un nouveau mémoire, enregistré le 30 novembre2018, non communiqué.
IV – Par une requête, enregistrée le 13 février 2018 sous le numéro 1801352, M. N, en sa qualité de personnalité qualifiée, désignée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés au titre de l’article 6-1 de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004, demande au tribunal :
1°) d’annuler la décision du 21 septembre 2017 par laquelle l’office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication a demandé le retrait du contenu accessible à l’adresse URL https://nantes.indymedia.org/articles/38560, ainsi que la décision du 8 février 2018 par laquelle le chef du cabinet du ministre de l’intérieur a confirmé le refus de l’office de suivre sa recommandation tendant au retrait de cette décision ;
2°) d’enjoindre à l’office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication de notifier l’annulation de la décision de retrait de l’adresse URL https://nantes.indymedia.org/articles/38560 à l’éditeur du site internet Indymedia.
Il soutient qu’en estimant que le contenu de la publication accessible à l’adresse URL https://nantes.indymedia.org/articles/38560 et, notamment, la revendication de l’incendie volontaire de trois fourgons et deux bus de gendarmerie stationnés dans l’enceinte de la caserne Jourdan à Limoges, dans la nuit du 17 au 18 septembre 2017 et l’invitation du lecteur à commettre des exactions de même nature, constituait une provocation ou une apologie à la commission d’actes de terrorisme au sens de l’article 421-2-5 du code pénal, les auteurs des décisions contestées ont commis une erreur de qualification juridique des faits et, ce faisant, ont méconnu les dispositions de l’article 6-1 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 novembre 2018, le ministre d’Etat, ministre de l’intérieur conclut au rejet de la requête en faisant valoir que les moyens soulevés par M. N ne sont pas fondés.
M. N a produit un nouveau mémoire, enregistré le 30 novembre2018, non communiqué.
Vu les autres pièces du dossier
Vu :
– le code pénal ;
– la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ; – la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 modifiée ;
– le décret n° 2015-125 du 5 février 2015 ;
– le décret n° 2015-253 du 4 mars 2015 ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme…, rapporteur,
– les conclusions de Mme…, rapporteur public,
– et les observations de M. N, personnalité qualifiée.
Considérant ce qui suit :
Jonctions des instances :
1. Les requêtes n° 1801344, 1801346, 1801348 et 1801352 présentent à juger des questions semblables et ont fait l’objet d’une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul jugement.
Exposé du litige :
2. L’éditeur du site internet Indymedia a hébergé quatre publications revendiquant des actes de destruction par incendie de véhicules commis à l’automne 2017 et, plus particulièrement, de trois fourgons et deux bus de gendarmerie stationnés dans l’enceinte de la caserne Jourdan à Limoges dans la nuit du 17 au 18 septembre 2017, accessible à l’adresse URL https://nantes.indymedia.org/articles/38560, de six fourgons d’intervention et deux camions de logistique dans l’enceinte de la caserne de gendarmerie Vigny-Musset à Grenoble dans la nuit du 21 au 22 septembre 2017, accessible à l’adresse URL https://grenoble.indymedia.org/2017-09- 21-solidarité-incendiaire, de véhicules appartenant à la police municipale de Clermont-Ferrand dans la nuit du 23 au 24octobre 2017, accessible à l’adresse URL https://nantes.indymedia.org/articles/38946 et, enfin, de véhicules particuliers stationnés dans l’enceinte de la gendarmerie de Meylan dans la nuit du 25 au 26 octobre 2017, accessible à l’adresse URL https://nantes.indymedia.org/articles/38996.
3. Par quatre courriels des 21 septembre, 26 octobre et 31 octobre 2017, l’office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies del’information et de la communication a demandé le retrait de ces contenus au motif qu’ils sont constitutifs de provocation directe ou d’apologie d’actes de terrorisme, au sens des dispositions de l’article 421-2-5 du code pénal. Par deux courriels des 27 octobre et 1er novembre 2017, cette même autorité administrative a par ailleurs sollicité le déréférencement du contenu accessible aux adresses URL https://nantes.indymedia.org/articles/38946 et https://nantes.indymedia.org/articles/38996.
4. Ayant été destinataire de ces décisions sur le fondement des dispositions de l’article 6-1 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, en sa qualité de personnalité qualifiée désignée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés, M. N a adressé une recommandation aux services du ministère de l’intérieur aux fins de retrait de l’ensemble de ces demandes au motif que les faits relatés dans les publications litigieuses ne constituent pas des actes de terrorisme au sens des dispositions de l’article 421-1 du code pénal. Par quatre décisions du 8 février 2018, le chef du cabinet du ministre de l’intérieur a refusé de suivre ces recommandations.
5. Par les présentes requêtes, M. N demande au tribunal d’annuler les décisions de l’office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication des 21 septembre , 26 octobre et 31 octobre 2017 tendant au retrait du contenu des quatre publications litigieuses, des 27 octobreet 1er novembre 2017 tendant au déréférencement du contenu accessible aux adresses URL https://nantes.indymedia.org/articles/38946 et https://nantes.indymedia.org/articles/38996, ainsi que celles du chef du cabinet du ministre de l’intérieur du 8 février 2018 confirmant les refus de l’office de suivre ses recommandations tendant au retrait de ces six décisions.
Cadre juridique du litige :
6. Aux termes de l’article 6-1 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique : « Lorsque les nécessités de la lutte contre la provocation à des actes terroristes ou l’apologie de tels actes relevant de l’article 421-2-5 du code pénal (…) le justifient, l’autorité administrative peut demander à toute personne mentionnée au III de l’article 6 de la présente loi ou aux personnes mentionnées au 2 du I du même article 6 de retirer les contenus qui contreviennent à ces mêmes articles 421-2-5 et 227-23. Elle en informe simultanément les personnes mentionnées au 1 du I de l’article 6 de la présente loi. / En l’absence de retrait de ces contenus dans un délai de vingt-quatre heures, l’autorité administrative peut notifier aux personnes mentionnées au même 1 la liste des adresses électroniques des services de communication au public en ligne contrevenant auxdits articles 421-2-5 et 227-23. Ces personnes doivent alors empêcher sans délai l’accès à ces adresses. (…) / L’autorité administrative transmet les demandes de retrait et la liste mentionnées, respectivement, aux premier et deuxième alinéas à une personnalité qualifiée, désignée en son sein par la Commission nationale de l’informatique et des libertés pour la durée de son mandat dans cette commission. (…). La personnalité qualifiée s’assure de la régularité des demandes de retrait et des conditions d’établissement, de mise à jour, de communication et d’utilisation de la liste. Si elle constate une irrégularité, elle peut à tout moment recommander à l’autorité administrative d’y mettre fin. Si l’autorité administrative ne suit pas cette recommandation, la personnalité qualifiée peut saisir la juridiction administrative compétente, en référé ou sur requête. /
L’autorité administrative peut également notifier les adresses électroniques dont les contenus contreviennent aux articles 421-2-5 et 227-23 du code pénal aux moteurs de recherche ou aux annuaires, lesquels prennent toute mesure utile destinée à faire cesser le référencement du service de communication au public en ligne. La procédure prévue au troisième alinéa du présent article est applicable. (…) ». Conformément à l’article 1er du décret d’application du 5 février 2015 relatif au blocage des sites provoquant à des actes de terrorisme ou en faisant l’apologie et des sites diffusant des images et représentations de mineurs à caractère pornographique, l’autorité administrative désignée par l’article 6-1 de la loi du 21 juin 2004 précité est la direction générale de la police nationale et, plus spécifiquement, l’office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication.
Présentation du dispositif de retrait, de blocage administratif et de déréférencement prévu par l’article 6-1 de la loi du 21 juin 2004 :
7. En vertu des dispositions citées au point précédent, lorsqu’il estime que le contenu d’une publication constitue une provocation directe ou fait l’apologie d’actes de terrorisme, au sens des dispositions de l’article 421-2-5 du code pénal, l’office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication peut demander à tout éditeur ou hébergeur d’un service de communication au public en ligne de retirer les contenus contrevenant aux dispositions précitée du code pénal. Il en informe simultanément les fournisseurs d’accès internet. Si le retrait n’intervient pas dans un délai de vingt-quatre heures, cette même autorité administrative peut ordonner aux fournisseurs d’accès à internet d’empêcher sans délai l’accès aux sites concernés. Outre ce dispositif de retrait et, le cas échéant, de blocage administratif, l’office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication peut par ailleurs notifier aux moteurs de recherche ou aux annuaires les adresses électroniques dont les contenus contreviennent à l’article 421-2-5 du code pénal afin que ceux-ci procèdent au déréférencement de ces adresses.
8. Lorsque l’autorité administrative met en œuvre ces mesures de police administrative de retrait, de blocage et de déréférencement, ses demandes sont transmises à une personne qualifiée désignée en son sein par la Commission nationale de l’informatique et des libertés chargée de contrôler leur régularité. Si la personne qualifiée constate une irrégularité, elle peut demander à l’autorité administrative d’y mettre fin. Si cette recommandation n’est pas suivie d’effet, elle peut alors, comme en l’espèce, saisir le tribunal administratif territorialement compétent.
Champ d’application de l’article 6-1 de la loi du 21 juin 2004 :
9. En vertu de l’article 6-1 de la loi précitée du 21 juin 2014, la mise en œuvre du dispositif de police administrative consacré par ces dispositions est notamment justifiée par les nécessités de la lutte contre la provocation à des actes terroristes ou l’apologie de tels actes relevant de l’article421-2-5 du code pénal, aux termes duquel: « Le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l’apologie de ces actes est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende. Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 100 000 € d’amende lorsque les faits ont été commis en utilisant un service de communication au public en ligne ». Son application est conditionnée par le fait que le contenu des publications faisant l’objet d’une demande de retrait ainsi que, le cas échéant, d’une décision de blocage voire de déréférencement, doit entrer dans le champ de la qualification pénale prévue à l’article 421-2-5 du code pénal. A cet effet, il incombe à l’office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication de fournir à la personne qualifiée désignée en son sein par la Commission nationale de l’informatique, sous le contrôle du juge administratif, tout élément propre à démontrer que le contenu de la ou des publication(s) concernée(s) est constitutif d’une ou plusieurs infraction(s) incriminée(s) et punie(s) par l’article 421-2-5 du code pénal. La qualification juridique de provocation directe ou d’apologie publique à des actes de terrorisme, prévue par ces dernières dispositions, doit être appréciée conformément à la règle d’interprétation stricte de la loi pénale.
10. Les infractions incriminées par l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et par l’article 421-2-5 du code pénal consistent, soit dans le cas de la provocation, à inciter à la commission de certaines infractions, soit, dans le cas de l’apologie à décrire, présenter ou commenter ces infractions en invitant à porter sur elles un jugement favorable. En revanche, seul un acte de terrorisme entre dans les prévisions de l’infraction de provocation ou d’apologie punie par l’article 421-2-5 du code pénal.
11. L’appréhension de la notion d’acte de terrorisme mentionnée à l’article 421-2-5 du code pénal suppose de se référer aux articles du chapitre 1er du titre II du livre IV de la partie législative du code pénal au nombre desquels figure l’article 421-1. Aux termes de cet article, constituent des actes de terrorisme, un certain nombre d’infractions limitativement énumérées par le code pénal «lorsqu’elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ».
12. Constituent des actes de terrorisme, au sens de ces dispositions, certaines infractions de droit commun limitativement énumérées, au nombre desquelles celles qui sont revendiquées dans les publications litigieuses, commises dans ce contexte et indépendamment du fait que leurs auteurs aient ou non atteint le but recherché.
13. Le but poursuivi, à savoir le trouble grave à l’ordre public, s’entend, de celui ayant un retentissement important, de type déstabilisation des institutions, désorganisation de l’économie, instauration d’un climat de peur ou d’insécurité. Appliquée à la qualification d’acte de terrorisme, l’intimidation et la terreur, qui sont les moyens uniques d’atteindre ce but, sont caractérisées, de sources judiciaires, lorsque l’auteur de l’infraction a l’intention de menacer gravement une population en l’exposant à un danger ou à un état d’alarme, ou de contraindre une autorité publique à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte, la vie, la liberté ou la sécurité des personnes étant en grave danger ou, encore, de détruire ou de déstabiliser profondément et durablement les structures politiques, économiques ou sociales d’une société.
14. L’infraction commise doit en outre être en relation avec une entreprise individuelle ou collective poursuivant l’objectif de trouble grave à l’ordre public par l’intimidation ou la terreur évoqué au point précédent. L’entreprise peut être révélée par l’action terroriste elle-même lorsque cette dernière, eu égard à son ampleur, à son mode d’exécution et à la revendication l’accompagnant, a pour objet de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur. Le rattachement de l’acte reproché à une organisation reconnue terroriste en raison de ses objectifs affichés et des actions déjà menées par elle permet également d’inscrire ces faits dans une entreprise terroriste. Enfin, en dehors de ces deux hypothèses, des éléments matériels peuvent révéler l’existence d’une entreprise dont le but est de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur.
Légalité des décisions attaquées :
15. En l’espèce, l’office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication, puis le chef du cabinet du ministre de l’intérieur ont estimé que les contenus des publications intitulées « Répandre la R.A.G.E. » accessible à l’adresse URL https://nantes.indymedia.org/articles/38560, objet de la requête n°1801352, « solidarité incendiaire (revendication de l’incendie de la gendarmerie de Grenoble) » accessible à l’adresse URL http://grenoble.indymedia.org/2017-09-21-solidarité-incendiaire, objet de la requête n°1801348, «Fumée solidaire à Clermont-Ferrand » accessible à l’adresse URL https://nantes.indymedia.org/articles/38946, objet de la requête n° 1801344 et, enfin, « l’envie de se défaire de la logique de victimisation en créant des amitiés fortes et en attaquant : un empowerment de praxis » accessible à l’adresse URL https://nantes.indymedia.org/articles/38996, objet de la requête n° 1801346, étaient constitutifs du délit de provocation et d’apologie à commettre des actes de terrorisme et contrevenait, dès lors, aux dispositions précitées de l’article 421-2-5 du code pénal. M. N, personnalité qualifiée désignée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés, estime que la qualification juridique des faits ainsi retenue par l’autorité administrative est erronée, de sorte que les décisions contestées ont été prises en méconnaissance des dispositions de l’article 6-1 de la loi du 21 juin 2004 précitée.
16. Les quatre publications litigieuses débutent pas la revendication d’actes de destruction par incendie des véhicules des forces de sécurité et inscrivent ces actions dans un contexte particulier, à savoir celui de l’ouverture du procès de l’affaire dite de Valmy. En exprimant par ailleurs leur solidarité envers les personnes ayant été condamnées par le tribunal correctionnel de Paris dans cette affaire, ainsi que, dans le dossier n° 1801344, envers tous ceux « qui sèment des graines de désordre ici et ailleurs », le ou les auteurs de ces textes émettent un jugement approbatif sur des faits graves ayant provoqué de vives réactions dans l’opinion publique. Dans les dossiers n° 1801352, 1801348 et 1801344, le ou les auteurs des publications litigieuses ont manifesté leur intention d’atteindre l’autorité judiciaire et/ou les forces de l’ordre ainsi que, plus généralement, l’ordre établi au travers des institutions. Dans le dossier n° 1801346, le ou les auteurs de la publication litigieuses ont souligné leur volonté de cibler les véhicules personnels des membres des forces de l’ordre par l’« envie de s’attaquer plutôt aux individus qui portent les uniformes qu’à leur fonction, plutôt à leurs biens personnels qu’à leur outils de travail », ajoutant que « les rôles existent parce qu’il y a des personnes pour les remplir » et que « Si derrière l’uniforme, il y a un humain, c’est à lui [qu’il faut chercher] à nuire ». Ces publications, tant en ce qui concerne leur contenu que les termes employés, volontairement provocateurs, visent à présenter sous un jour favorable aux lecteurs les actes de destruction par incendie qui ont été perpétrés, à les justifier et à susciter la commission d’actes de violence de même nature.
17. Il ressort des pièces du dossier que les incendies criminels revendiqués dans les quatre publications litigieuses sont inspirés par une pensée libertaire et contestataire selon laquelle les forces de sécurité intérieure et, plus généralement, les institutions incarnent un ordre auquel il ne faut pas se soumettre. Comme le fait valoir le ministre de l’intérieur en défense, ces agissements font apparaître l’expression d’une violence organisée en petit groupe s’appuyant sur une certaine méthodologie présentée, en particulier dans le dossier n° 1801346, comme un exploit digne d’approbation. Toutefois, il est constant que ces agissements procèdent d’un facteur immédiat, à savoir l’ouverture d’un procès médiatique, et circonscrit dans le temps et dans l’espace. Il ne ressort pas des pièces du dossier que les auteurs de ces faits auraient agi de manière concertée, ni même que des liens existeraient entre eux, en dépit de la concomitance temporelle de leurs agissements. En outre, si ces actes de destruction par incendie des véhicules des forces de sécurité ont nécessairement eu un impact sur les agents visés par ces attaques et leurs proches, d’autant plus important dans un contexte de menace terroriste prégnante sur le territoire national où les forces de l’ordre constituent une cible privilégiée, il n’est cependant pas démontré que leur retentissement présente un caractère national, ni même qu’il a affecté une partie substantielle de la population. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que les auteurs de ces incendies, qu’aucun élément ne permet de rattacher à une organisation terroriste préexistante, auraient adhéré à un projet collectif de déstabilisation de l’Etat et de ses institutions, de désorganisation de l’économie, de fracturation de la société et, plus généralement, d’instauration d’un climat de peur et d’insécurité. Il résulte de ce qui précède que les incendies criminels revendiqués dans les publications litigieuses, au regard de leur ampleur, de leur mode d’exécution et de la revendication les accompagnant, à l’impossibilité de les rattacher à une organisation terroriste préexistante et, enfin, à l’absence de tout autre élément matériel révélant l’existence d’une entreprise terroriste, bien que pénalement répréhensibles, ne peuvent être analysés comme des actes de terrorisme au sens des dispositions précitées de l’article 421-1 du code pénal.
18. En conséquence de ce qui précède, le contenu des publications litigieuses, en tant qu’il décrit les actes de destruction par incendie qui ont été perpétrés en les présentant sous un jour favorable et en les justifiant, ne peut être analysé comme étant constitutif de l’infraction d’apologie à commettre des actes de terrorisme au sens de l’article 421-2-5 du code pénal, dès lors qu’il se rapporte à des actes auxquels cette qualification n’a pas été reconnue.
19. Par ailleurs, l’existence d’une entreprise terroriste ne peut être déduite de la seule expression d’idées radicales au moyen de « communication au public par voie électronique ». En l’espèce, si les auteurs de ces publications expriment également leur intention de susciter la réitération d’actions violentes de même nature que les incendies criminels par ailleurs revendiqués dans leurs écrits, comme indiqué au point 17 ci-dessus, il n’est pas démontré que ces exactions pourraient être qualifiés d’actes de terrorisme. Les termes de ces publications ne permettent pas davantage d’identifier son ou ses auteurs s’affirmant affiliés à un collectif appelé R.A.G.E., pour « Répandez la révolte anarchiste des gendarmes exilés » et se présentant comme des « ex gendarmes de l’escadron de gendarmerie mobile 4/2 » dans le dossier n° 1801352, se présentant comme « des nocturnes », dans le dossier n° 1801348, comme « des oisillon(nes) qui ont saccagé leur nid » dans le dossier n° 1801344 et, enfin, comme des anarchistes féministes dans le dossier n°1801346. Aucun élément matériel ne permet de les rattacher à une organisation reconnue terroriste en raison de ses objectifs affichés et des actions déjà menées par elle, y compris s’agissant du collectif R.A.G.E., jusqu’alors inconnu. Enfin, la réalité de la menace ainsi proférée n’est pas établie, en l’absence de tout autre élément matériel attestant l’existence d’un plan concerté dont la mise en œuvre serait en cours en vue de perpétrer des actes de terrorisme. Dès lors, en tant qu’elles incitent les lecteurs à commettre de tels actes et prennent la forme d’une provocation à la commission de tels actes, ces publications ne remplissent pas davantage les conditions pour être qualifiées de provocation directe à commettre des actes de terrorisme au sens de l’article 421-2-5 du code pénal.
20. Il résulte de ce qui précède que c’est à tort que les auteurs des décisions contestées ont estimé que le contenu de ces publications était constitutif du délit de provocation à commettre des actes de terrorisme ou d’apologie à commettre de tels actes consacré par l’article 421-2-5 du code pénal. M. N souligne d’ailleurs, sans être contredit, que l’office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication ne lui a fourni, ainsi qu’il y était tenu conformément aux dispositions de l’article 5 du décret précité du 5 février 2015, aucun élément établissant la méconnaissance par le contenu de ces publications, de l’article 421-2-5 du code pénal. Dans ces conditions, M. N est fondé à soutenir que la qualification juridique des faits ainsi retenue par l’autorité administrative est erronée, de sorte que les décisions contestées méconnaissent les dispositions de l’article 6-1 de la loi du 21 juin 2004 précitée. Il est en conséquence fondé, pour ce motif, à en demander l’annulation.
Conclusions accessoires :
21. Le présent jugement n’implique pas nécessairement que l’office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication informe l’éditeur du site internet Indymedia, ainsi que les fournisseurs d’accès internet concernés et les exploitants de moteurs de recherche et annuaires qu’il a sollicités, de l’annulation des décisions contestées. Les conclusions de la requête à fin d’injonction, présentées en ce sens, doivent dès lors être rejetées.
Par ces motifs, le tribunal décide :
Article 1er : Les quatre décisions des 21 septembre 2017, 26 octobre 2017, 31 octobre 2017 de l’office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication, ainsi que les décisions de cette même autorité administrative des 27 octobre 2017 et 1er novembre 2017 et les quatre décisions du 8 février 2018 du chef du cabinet du ministre de l’intérieur sont annulées.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à de M. N, personnalité qualifiée désignée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés et au ministre de l’intérieur.
Copie en sera adressée, pour information, au procureur de la République près de tribunal de grande instance de Nanterre.