RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le juge des référés,
Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 14 mars 2023, Mme B… À… demande au juge des référés :
1°) d’ordonner, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l’exécution de la décision du maire de Grenoble d’afficher sur le fronton de la mairie de la ville une banderole portant l’inscription « Grenoble s’engage contre la retraite à 64 ans » ;
2°) d’ordonner sous astreinte au maire de Grenoble de déposer les banderoles de soutien à la grève sur le fronton de la mairie.
Elle soutient que :
– il existe un doute sérieux quant à la légalité de cette décision dès lors qu’elle va à l’encontre du principe fondamental de neutralité du service public et de son application par la jurisprudence ;
– il y a urgence à suspendre l’exécution de cette décision car la banderole a été mise en place pour la journée de grève du 7 mars possiblement reconductible.
Par un mémoire en défense enregistré le 28 mars 2023, la commune de Grenoble, représentée par Me Evin, conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
– la requête est irrecevable dès lors qu’il n’est pas justifié de l’existence d’une décision administrative, que cette requête ne comporte pas de véritables moyens et qu’elle n’est pas motivée au sens de l’article R. 411-1 du code de justice administrative ;
– la condition d’urgence n’est pas remplie dès lors que l’affichage de la banderole ne porte pas atteinte de manière grave et immédiate à un intérêt public ni à la situation de la requérante ;
– il n’existe pas de doute sérieux quant à la légalité de la décision dès lors que les façades des bâtiments publics accueillent régulièrement des affichages de messages de soutien, que la neutralité des bâtiments publics ne saurait imposer une absence de participation aux débats publics que connaît actuellement le pays, que l’apposition de la banderole n’affecte pas la neutralité du bâtiment ni le bon fonctionnement et l’accessibilité des services publics municipaux qui continuent de fonctionner dans le respect du principe de neutralité dans l’accueil des usagers, que le soutien à la contestation du projet de loi présente un intérêt local puisque l’allongement de la durée de cotisation des agents communaux a des conséquences sur les finances locales.
Vu :
– la requête n° 2301508 enregistrée le 7 mars 2023 par laquelle Mme A… demande l’annulation de la décision susvisée ;
– les autres pièces du dossier.
Vu :
– la Constitution du 4 octobre1959 ;
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Pfauwadel, vice-président,
– les observations de Me Aude Evin avocate de la commune de Grenoble.
Après avoir prononcé, à l’issue de l’audience, la clôture de l’instruction.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision (…) ».
2. L’apposition, au-dessus de l’entrée principale de l’hôtel de ville de Grenoble, d’une banderole portant l’inscription « Grenoble s’engage contre la retraite à 64 ans » et le logo de la ville, révèle l’existence d’une décision du maire de procéder à cet affichage. La commune de Grenoble n’est par suite pas fondée à soutenir que la requête serait irrecevable faute de justification de l’existence d’une décision administrative. La commune n’est pas davantage fondée à soutenir que la requête serait irrecevable faute d’être motivée et assortie de moyens, la requérante développant au soutien de sa demande de suspension une argumentation fondée sur la méconnaissance du principe de neutralité des services publics.
3. Le principe de neutralité des services publics s’oppose à ce que soient apposés sur les édifices publics des signes symbolisant la revendication d’opinions politiques, religieuses ou philosophiques. En l’état de l’instruction, le moyen invoqué tiré de la violation de ce principe est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.
4. Eu égard au contexte polémique actuel dans lequel s’inscrit le message figurant sur la banderole, l’atteinte immédiate à l’intérêt public qui s’attache au respect du principe de neutralité des services publics, portée par l’apposition de cette banderole à l’entrée de l’hôtel de ville, doit être regardée comme suffisamment grave pour justifier que, sans attendre le jugement de la requête au fond, la décision attaquée soit suspendue. La condition d’urgence de l’article L. 521-1 du code de justice administrative est ainsi remplie.
5. Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’ordonner la suspension de l’exécution de la décision d’apposer sur la mairie la banderole portant l’inscription « Grenoble s’engage contre la retraite à 64 ans ».
6. La suspension de l’exécution de cette décision implique nécessairement que cette banderole soit retirée. Il est enjoint à la commune de Grenoble de procéder à ce retrait
dans le délai de 24 heures suivant la notification de la présente ordonnance, sans qu’il soit besoin d’assortir cette injonction d’une astreinte.
7. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme A…, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la commune de Grenoble demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
ORDONNE :
Article 1er : L’exécution de la décision du maire de Grenoble d’apposer sur l’hôtel de ville une banderole portant l’inscription « Grenoble s’engage contre la retraite à 64 ans » est suspendue.
Article 2 : Il est enjoint à la commune de Grenoble de retirer cette banderole dans le délai de 24 heures suivant la notification de la présente ordonnance.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme B… À… et à la commune de Grenoble.