Vu I°), sous le n° 0906040, la requête, enregistrée le 22 septembre 2009, présentée par M. C., demeurant … ; M. C. demande au tribunal d’annuler l’arrêté n° 3801 en date du 21 septembre 2009 par lequel le maire de la commune de Lille a interdit « le spectacle organisé par M. Dieudonné, annoncé par affiche sur Lille le mercredi 23 septembre 2009 sur la place du marché de Wazemmes, c’est-à-dire place Nouvelle Aventure et place du marché aux fleurs côté Gambetta » ;
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Vu la décision attaquée ;
Vu la mise en demeure adressée le 7 janvier 2010 à la commune de Lille, en application de l’article R. 612-3 du code de justice administrative, et l’avis de réception de cette mise en demeure ;
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Vu II°), sous le n° 0906042, la requête, enregistrée le 23 septembre 2009, présentée par M. C. qui demande au tribunal
1°) d’annuler l’arrêté n° 3800 par lequel le maire de Lille a interdit la circulation, l’arrêt et le stationnement des véhicules de plus de 3,5 tonnes – à l’exception des véhicules du transport public et ceux en charge du service public d’urgence – place Nouvelle Aventure, rue Gambetta et rue des Sarrazins le 23 septembre 2009 ;
2°) de mettre à la charge de la commune de Lille une somme de 2 000 euros « au titre de l’article L. 731-1 du code de justice administrative » ;
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Vu la décision attaquée ;
Vu la mise en demeure adressée le 7 janvier 2010 à la commune de Lille, en application de l’article R. 612-3 du code de justice administrative, et l’avis de réception de cette mise en demeure ;
Vu la note en délibéré, enregistrée dans l’ensemble des instances susvisées le 19 mai 2010, présentée par M. C. ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le décret du 23 octobre 1935 portant réglementation des mesures relatives au renforcement de l’ordre public ;
Vu l’ordonnance n° 0906035 et 0905034 du juge des référés du 23 septembre 2009 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 12 mai 2010 :
– le rapport de M. Banvillet ;
– les observations de M. C. ;
– les conclusions de M. Bauzerand, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à M. C. ;
Considérant que les requêtes n° 0906040 et 0906042 présentées par M. C. présentent à juger des questions semblables et ont fait l’objet d’une instruction commune ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul jugement ;
Considérant qu’à la suite de la constatation par les agents de la police municipale de Lille de la présence, les 19 et 20 septembre 2009, d’affiches annonçant « Dieudonné dans Sandrine – nouveau spectacle juin 2009, mercredi 23 septembre, 20 h, place marché de Wazzemmes [sic], Lille », le maire de cette commune a, en premier lieu, par un arrêté n° 3801 du 21 septembre 2009, interdit « le spectacle organisé par M. Dieudonné, annoncé par affiche sur Lille le mercredi 23 septembre 2009 sur la place du marché de Wazemmes, c’est-à-dire place Nouvelle aventure et place du marché aux fleurs côté rue Gambetta », aux motifs « qu’aucune autorisation n’a été demandée pour cette manifestation » et que celle-ci « présente un risque de trouble à l’ordre public » ; que le maire a en outre, par un arrêté n° 3800 du même jour pris au vu du précédent, interdit la circulation, l’arrêt et le stationnement des véhicules de plus de 3,5 tonnes autres que ceux de transport public et de services publics d’urgence, place Nouvelle aventure, rue Gambetta et rue des Sarrazins, le 23 septembre 2009 ;
Sur l’exception de non-lieu à statuer présentée par la commune de Lille :
Considérant que la commune de Lille fait valoir qu’il n’y a plus lieu de statuer sur les requêtes de M. C. dès lors que les arrêtés attaqués ne sont plus en vigueur depuis le 23 septembre 2009 et qu’ils n’ont produit aucun effet en raison de leur suspension par le juge des référés à la même date ; qu’il résulte toutefois des principes généraux applicables à la procédure administrative contentieuse que les décisions du juge des référés n’ont qu’un caractère provisoire et ne sauraient dès lors préjudicier au principal ; qu’il ne ressort par ailleurs pas des pièces du dossier que les arrêtés attaqués auraient été abrogés ou retirés par le maire de Lille ; que dans ces conditions, alors au demeurant que le juge de l’excès de pouvoir apprécie la légalité d’un acte administratif à la date de son édiction, les requêtes ont conservé leur objet ; que l’exception de non-lieu à statuer opposée par la commune de Lille dans les instances susvisées doit, dès lors, être écartée ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par la commune de Lille :
Considérant que M. C. justifie avoir réservé une place pour assister au « spectacle organisé par M. Dieudonné » interdit par l’arrêté n° 3801 du 21 septembre 2009 du maire de Lille ; que l’arrêté n° 3800 du même jour qui interdit le 23 septembre 2009 place Nouvelle aventure, rue Gambetta et rue des Sarrazins, la circulation, le stationnement et l’arrêt des véhicules de plus de 3,5 tonnes, au nombre desquels se trouve le bus affecté au « spectacle organisé par M. Dieudonné », a pour effet d’empêcher la tenue de ce spectacle tant place Nouvelle aventure, rue Gambetta et rue des Sarrazins, qu’au départ de ces voies et espace publics ; que M. C. justifie ainsi d’un intérêt suffisant lui donnant qualité pour demander l’annulation de ces deux arrêtés ;
Sur les conclusions à fin d’annulation :
En ce qui concerne la légalité de l’arrêté n° 3801 du 21 septembre 2009 :
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête ;
Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales : « La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : (…) / 2° Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les rixes et disputes accompagnées d’ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d’assemblée publique, les attroupements, les bruits, les troubles de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique ; / 3° Le maintien du bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d’hommes, tels que les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux publics ; (…) » ;
Considérant qu’en réponse au moyen présenté par M. C. et tiré de ce que « le risque à l’ordre public n’est ni décrit ni motivé », la commune s’est bornée, d’une part, à se prévaloir de la personnalité de Dieudonné et à faire état, d’autre part, d’un risque d’émeute favorisé par « la présence en un même lieu, au même moment sur la place de la Nouvelle Aventure, dans un climat de tension, en un lieu déjà propice aux débordements, de représentants de différents groupes aux idées radicalement opposées, poursuivant des buts opposés, reposant sur des conceptions politiques et religieuses opposées, décidés à faire état de leurs convictions à l’occasion de la présence de Dieudonné, déterminés à faire usage de la force et de la violence » sans apporter aucun élément probant à l’appui de ses allégations ; que dans ces conditions, faute pour la commune d’établir l’existence d’un risque de trouble à l’ordre public à la date de la décision attaquée, le maire n’a pu, sans commettre d’erreur d’appréciation, se fonder sur les dispositions de l’article L. 2212-2 précité pour interdire le spectacle ;
Considérant, d’autre part, qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article 1er du décret du 23 octobre 1935 portant réglementation des mesures relatives au renforcement du maintien de l’ordre, pris sur le fondement de la loi du 8 juin 1935 : « Sont soumis à l’obligation d’une déclaration préalable, tous cortèges, défilés et rassemblements de personnes, et d’une façon générale toutes manifestations sur la voie publique » ; que si la commune de Lille fait valoir qu’à la date de la décision attaquée elle « ignorait totalement le concept du spectacle donné par Dieudonné » et que « tout [portait] à croire (…) que le spectacle serait organisé sur la place de Wazemmes » au vu des affiches placardées dans la ville « dont aucune mention ne [permettait] de savoir que la place du marché de Wazemmes était le point de rendez-vous pour monter à bord d’un bus itinérant » et que seuls « la rumeur publique et l’expérience d’autres villes ayant connu le même spectacle permettaient de penser que le rassemblement se ferait dans un autobus », il ressort toutefois tant des mentions portées sur les affiches du spectacle que de l’article de presse daté du 20 septembre 2009 produit par la commune elle-même et dont elle ne conteste pas le caractère probant que le spectacle devait se tenir dans un autobus stationné sur la place de la Nouvelle Aventure et non sur la voie publique ; qu’ainsi informé de la nature exacte du spectacle de Dieudonné à la date de l’arrêté attaqué, le maire ne pouvait dès lors légalement se fonder sur l’absence de déclaration préalable pour prononcer l’interdiction litigieuse ; qu’en outre, la circonstance que ce spectacle ait pu « générer sur la place du marché de Wazemmes un rassemblement de personnes, que ce soit pour assister au spectacle sur place ou pour prendre place à bord du bus » et celle, à la supposer établie que ce rassemblement ait été susceptible « d’entraîner des troubles à l’ordre public qu’il [lui] appartenait de prévenir » n’autorisaient pas en tout état de cause le maire à se fonder sur les dispositions de l’article 1er du décret du 23 octobre précité pour édicter l’arrêté attaqué ; que M. C. est, par suite, fondé à soutenir que ce motif est entaché d’erreur de droit ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède qu’aucun des motifs avancés par la commune de Lille ne justifie légalement l’arrêté n° 3801 du 21 septembre 2009 ; que, M. C. est, par suite fondé à en demander l’annulation ;
En ce qui concerne la légalité de l’arrêté n° 3800 du 21 septembre 2009 :
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 2213-2 du code général des collectivités territoriales : « Le maire peut, par arrêté motivé, eu égard aux nécessités de la circulation et de la protection de l’environnement : / 1° Interdire à certaines heures l’accès de certaines voies de l’agglomération ou de certaines portions de voie ou réserver cet accès, à certaines heures, à diverses catégories d’usagers ou de véhicules ; / 2° Réglementer l’arrêt et le stationnement des véhicules ou de certaines catégories d’entre eux, ainsi que la desserte des immeubles riverains ; / (…) ;
Considérant qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que les inconvénients provoqués par le stationnement du « Dieudobus » sur la place de la Nouvelle Aventure aient présenté un caractère de gravité tel pour la sécurité qu’ils aient été de nature à justifier légalement l’interdiction de circulation et stationnement de tous les véhicules de plus de 3,5 tonnes à l’exclusion de ceux de transports publics et de services publics d’urgence sur cette place et les rues adjacentes ainsi édictée ; qu’à cet égard, la circonstance alléguée par la commune que la place ne comporte aucun emplacement réservé aux autocars et aurait contraint le bus à stationner sur des voies de circulation n’est pas établie par les pièces du dossier et ne saurait en tout état de cause, compte tenu de la généralité de l’interdiction ainsi prononcée, justifier à elle seule l’arrêté litigieux ; que dans ces conditions, les restrictions apportées à la liberté de circulation et de stationnement par l’arrêté du 21 septembre 2009 ont présenté un caractère de généralité excessif par rapport aux fins recherchées ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. C. est fondé à demander l’annulation de l’arrêté n° 3800 du maire de Lille du 21 septembre 2009 ;
Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation. » ;
Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. C., qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que la commune de Lille demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu’il n’y a pas lieu dans les circonstances de l’espèce de faire application de ces mêmes dispositions et de mettre à la charge de la commune de Lille la somme que M. C. demande au même titre ;
D E C I D E :
Article 1er : Les arrêtés n° 3800 et 3801 du 21 septembre 2009 du maire de Lille sont annulés.
Article 2 : Le surplus des conclusions des requêtes de M. C. est rejeté.
Article 3 : Les conclusions présentées par la commune de Lille dans l’ensemble des instances susvisées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. C. et à la commune de Lille.