Vu la requête, enregistrée le 14 avril 2009 à 17 heures 11, sous le n° 0900942, présentée pour la société à responsabilité limitée BONNIE PRODUCTION, ayant son siège social et M. D., domicilié théâtre …Paris, par Me Verdier, avocat ;
La société BONNIE PRODUCTION et M. D. demandent au juge des référés, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : 1°) de constater que l’arrêté du maire de La Rochelle du 30 mars 2009, notifié le 3 avril 2009, interdisant la tenue à la Rochelle, le 17 avril 2009, du spectacle de l’artiste Dieudonné, porte atteinte à la liberté d’expression ; 2°) de dire en conséquence que cet arrêté ne saurait interdire à l’artiste de se produire sous quelque forme qu’il entende en tout lieu de la commune et en toute circonstance ; 3°) de condamner la commune de La Rochelle au paiement de la somme de 1.500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Ils soutiennent que la condition d’urgence est remplie dès lors que des spectateurs ont réservé et payé un billet pour une représentation qui doit faire l’objet d’une reprogrammation à la suite de l’annulation de la réservation de l’espace Encan par la société qui gère cette salle ; que cette situation cause un préjudice économique à l’artiste et lui fait subir une réelle frustration ; que cette décision porte une atteinte flagrante à la liberté d’expression et à la liberté de travailler ; que cette atteinte est grave et manifestement illégale ; qu’en effet, les risques de perturbations sont purement imaginaires et que s’ils se réalisaient, des mesures de sécurité et de protection des personnes pourraient être mises en œuvre ; que les critères caractérisant la force majeure ne sont pas réunis ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 15 avril 2009, présenté par la SCP d’avocats Haie-Pasquet-Veyrier-Brossier-Gendreau-Carré, pour la commune de la Rochelle, qui conclut au rejet de la requête et à la condamnation des requérants à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; elle soutient que la condition d’urgence n’est pas remplie ; qu’en effet, la location de la salle a été résiliée dès le 25 février 2009 et les requérants n’ont accompli aucune diligence avant l’intervention de la décision contestée pour trouver une solution de rechange permettant la tenue du spectacle ; que, de même, les requérants ont attendu la veille de la date du spectacle pour saisir le juge des référés, alors que l’arrêté municipal leur avait été notifié le 3 avril 2009 ; que l’atteinte grave et manifestement illégale à la liberté du travail et à la liberté d’expression n’est pas démontrée ; qu’en effet, rien n’interdit à l’artiste de reprogrammer son spectacle dans une ville voisine de La Rochelle, de sorte que son activité commerciale n’est pas remise en cause ; que, dès l’annonce du spectacle, le maire a vu affluer de nombreuses demandes téléphoniques et écrites d’administrés et d’associations lui demandant d’intervenir pour la déprogrammation ; qu’il doit être tenu compte du contexte historique avec la mort en déportation de nombreux résistants rochelais ; qu’il en résulte des risques de troubles de l’ordre public avec des débordements inévitables ; qu’il incombait au maire, garant du bon ordre, de la sûreté et de la sécurité publiques, d’y faire obstacle ;
Vu la décision en date du 2 janvier 2009 par laquelle le président du Tribunal administratif de Poitiers a désigné M. Bousquet, président, comme juge des référés ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 15 avril 2009 à 16 heures :
– le rapport de M. Bousquet, président, juge des référés ;
– les observations de Me Brossier, avocat au barreau de Poitiers, représentant la commune de la Rochelle ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. » ;
Considérant que, par arrêté en date du 30 mars 2009, transmis au contrôle de légalité le 3 avril 2003 et notifié à la société requérante par courrier daté du même jour, la maire de La Rochelle a interdit la tenue dans cette ville, le 17 avril 2009, sous quelque forme que ce soit, du spectacle « J’ai fait l’con » de l’artiste Dieudonné et de toute manifestation s’y rapportant organisée par lui ou pour son compte ;
Considérant, en premier lieu, que cette décision, qui a pour effet de faire obstacle, peu de temps avant la date prévue, au déroulement d’un spectacle programmé et pour lequel des billets avaient été réservés cause nécessairement un préjudice financier important à l’artiste et à sa société de production ; qu’elle cause également un préjudice moral grave à l’artiste, empêché de s’exprimer devant le public par une mesure d’interdiction, assimilable à de la censure eu égard au contexte dans lequel elle a été prise ; que la commune ne peut valablement contester l’urgence en invoquant la résiliation de la location de la salle dès le 25 février 2009 par la société d’économie mixte chargée de sa gestion et la carence des requérants à justifier de la location d’une autre salle, dès lors qu’ils ont pu vouloir taire le nouveau lieu de la représentation et qu’en interdisant le spectacle « sous quelque forme que ce soit », le maire a entendu faire obstacle à toute solution de rechange ; que, de même, la commune ne peut soutenir que l’urgence ne résulte que de l’inertie des requérants qui ont tardé à saisir le juge des référés alors que l’arrêté leur a été notifié le 3 avril 2009, dès lors que cette date est celle que porte la lettre de notification, mais que la date de réception effective de l’acte n’est pas précisée ; que, par suite, la condition d’urgence requise par les dispositions précitées doit être regardée comme remplie ;
Considérant, en second lieu, qu’en interdisant un spectacle sous quelque forme que ce soit dans la commune, l’arrêté attaqué porte une atteinte grave à la liberté d’expression, laquelle constitue une liberté fondamentale ;
Considérant, en troisième lieu, que le maire de la Rochelle a motivé son arrêté, en premier lieu, par la circonstance que, lors de la représentation de ce même spectacle qu’il avait donnée au Zénith à Paris, le 26 décembre 2008, Dieudonné avait diligenté un simulacre de cérémonie, consistant en la remise d’un prix fictif par une personne déguisée en déporté, à l’historien négationniste Robert Faurisson, en deuxième lieu, par le fait que La Rochelle a particulièrement souffert de cette période par la mort en déportation de nombreux résistants et notamment de son maire, Léonce Vieljeux, enfin, que de nombreux Rochelais et anciens résistants ayant fait part de leur hostilité profonde à la venue à La Rochelle de Dieudonné, le risque de trouble à l’ordre public, avec ses débordements probables, est réel et certain ;
Considérant que s’il incombe au maire, en vertu des dispositions des articles L. 2212-2 et suivants du code général des collectivités territoriales, de prendre les mesures qu’exige le maintien de l’ordre, il doit concilier l’exercice de ses pouvoirs avec le respect des libertés fondamentales ; qu’en particulier, il ne peut prononcer une mesure aussi grave que l’interdiction pure et simple que si elle seule est de nature à prévenir un trouble à l’ordre public ; qu’en l’espèce, la réprobation, voire l’indignation, suscitées par la venue du requérant et exprimées par de nombreux rochelais et quelques membres d’associations locales ne peuvent, par elles-mêmes, caractériser un risque de trouble sérieux ; que si un groupe théâtral a informé le maire de son intention d’organiser avec ses amis une manifestation pour empêcher le spectacle de se dérouler à La Rochelle, les troubles susceptibles d’en résulter ne présentent pas un degré de gravité tel que l’ordre ne pourrait être maintenu sans interdire le spectacle ; qu’ainsi, il n’est pas établi que la tenue de ce spectacle sur le territoire communal présenterait pour l’ordre public des dangers auxquels les autorités de police ne seraient pas à même de faire face par des mesures appropriées ; que, par suite, l’arrêté attaqué porte à la liberté d’expression une atteinte manifestement illégale ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que les conditions d’application de l’article L. 521-2 du code de justice administrative sont remplies ; que, dans les circonstances de l’espèce, pour sauvegarder la liberté fondamentale en cause, il y a lieu de suspendre l’exécution de l’arrêté du maire de La Rochelle du 30 mars 2009 et, par conséquent, d’enjoindre à cette autorité de ne pas faire obstacle à la tenue du spectacle de l’artiste Dieudonné, le 17 avril 2009, quels qu’en soient la forme et le lieu sur le territoire communal ;
Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions dudit article font obstacle à ce que soit mis à la charge des requérants, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, le versement de la somme que demande la commune de La Rochelle en remboursement des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune le versement aux requérants d’une somme de 500 euros sur le fondement des mêmes dispositions ;
O R D O N N E
Article 1er : Il est enjoint au maire de La Rochelle de ne pas mettre à exécution son arrêté du 30 mars 2009 et de ne pas faire obstacle à la tenue du spectacle de l’artiste Dieudonné sur cette commune le 17 avril 2009.
Article 2 : La commune de La Rochelle versera à la société BONNIE PRODUCTION et à M. D. une somme globale de 500 (cinq cents) euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La conclusions de la commune de La Rochelle tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société à responsabilité limitée BONNIE PRODUCTION, à M. D. et à la commune de La Rochelle.