Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 31 octobre 2020, le préfet du Haut-Rhin demande au juge
des référés d’ordonner, sur le fondement des dispositions de l’article L. 554-1 du code de justice
administrative, la suspension de l’exécution de l’arrêté du 31 octobre 2020 par lequel le maire de
Colmar a autorisé l’ensemble des commerces non alimentaires de vente au détail de la commune
de Colmar à rouvrir à compter du 4 novembre 2020 à 8 h 30 dans le respect des mesures
d’hygiène et distanciation prescrites par l’article 1er du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020,
jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur la légalité de cette décision.
Le préfet soutient que :
– l’arrêté municipal méconnaît les dispositions de l’article 37 du décret n° 2010-1310
du 29 octobre 2020 en ce qu’il autorise les commerces non alimentaires de vente au
détail de la commune à rouvrir à compter du 4 novembre 2020 ;
– l’arrêté municipal est source d’une importante confusion au sein des commerçants et
du public alors que la méconnaissance du décret du 29 octobre 2020 est pénalement
réprimée ; il est par ailleurs de nature à favoriser les comportements sinon
dangereux, du moins préjudiciables à l’amélioration de la situation sanitaire.
Vu :
– les autres pièces du dossier ;
– la requête enregistrée le 31 octobre 2020 sous le numéro 2006825 par laquelle le préfet
du Haut-Rhin demande l’annulation de la décision attaquée.
Vu :
– le code de la santé publique ;
– le code général des collectivités territoriales ;
– la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
– la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 ;
– le décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 ;
– le décret n° 2010-1310 du 29 octobre 2020 ;
– le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné M. Gros pour statuer sur les demandes de référé.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Au cours de l’audience publique, tenue le 3 novembre 2020, en présence de
Mme Trinité, greffière d’audience, M. Gros a lu son rapport et entendu :
– les observations de M. W, représentant la commune de Colmar, qui soutient que :
– la fermeture d’un grand nombre de petits commerces non alimentaires en
centre-ville comme sur l’ensemble du territoire communal favorise
l’accumulation de clientèle dans les centres commerciaux, hypermarchés et
supermarchés, notamment au niveau des caisses, ce qui contribue à la
propagation de l’épidémie de Covid-19 ;
– une telle situation de concurrence déloyale est contraire à la loi et entraîne une
rupture d’égalité de traitement.
Le préfet du Haut-Rhin, régulièrement convoqué, n’est ni présent, ni représenté.
La clôture de l’instruction est intervenue à l’issue de l’audience en application du
premier alinéa de l’article R. 522-8 du code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l’article L. 554-1 du code de justice administrative : « Les demandes
de suspension assortissant les requêtes du représentant de l’Etat dirigées contre les actes des
communes sont régies par le 3e alinéa de l’article L. 2131-6 du code général des collectivités
territoriales ci-après reproduit : » Art. L. 2131-6, alinéa 3.-Le représentant de l’Etat peut
assortir son recours d’une demande de suspension. Il est fait droit à cette demande si l’un des
moyens invoqués paraît, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la
légalité de l’acte attaqué. Il est statué dans un délai d’un mois. » (…) ».
Sur le cadre juridique :
2. D’une part, aux termes de l’article L. 3131-12 du code de la santé publique : « L’état
d’urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ainsi que du
territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et de la
Nouvelle-Calédonie en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité,
la santé de la population. ». Aux termes de l’article L. 31331-15 : « I.- Dans les circonscriptions
territoriales où l’état d’urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret
réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la
santé publique : (…) 5° Ordonner la fermeture provisoire et réglementer l’ouverture, y compris
les conditions d’accès et de présence, d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du
public ainsi que des lieux de réunion, en garantissant l’accès des personnes aux biens et services
de première nécessité (…) ». L’article L. 3131-16 donne compétence au ministre chargé de la
santé pour prescrire « par arrêté motivé, toute mesure réglementaire relative à l’organisation et
au fonctionnement du dispositif de santé, à l’exception des mesures prévues à l’article
L. 3131-15, visant à mettre fin à la catastrophe sanitaire mentionnée à l’article L. 3131-12 »,
ainsi que pour prescrire « toute mesure individuelle nécessaire à l’application des mesures
prescrites par le Premier ministre en application des 1° à 9° du I de l’article L. 3131-15. ».
Enfin aux termes de l’article L. 3131-17 : « Lorsque le Premier ministre ou le ministre chargé de
la santé prennent des mesures mentionnées aux articles L. 3131-15 et L. 3131-16, ils peuvent
habiliter le représentant de l’Etat territorialement compétent à prendre toutes les mesures
générales ou individuelles d’application de ces dispositions. / Lorsque les mesures prévues aux
1°, 2° et 5° à 9° du I de l’article L. 3131-15 et à l’article L. 3131-16 doivent s’appliquer dans un
champ géographique qui n’excède pas le territoire d’un département, les autorités mentionnées
aux mêmes articles L. 3131-15 et L. 3131-16 peuvent habiliter le représentant de l’Etat dans le
département à les décider lui-même. Les décisions sont prises par ce dernier après avis du
directeur général de l’agence régionale de santé. (…) ». Le décret n° 2020-1257 du 14 octobre
2020 a déclaré l’état d’urgence sanitaire à compter du 17 octobre 2020 sur l’ensemble du
territoire de la République.
3. Par décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020, le Premier ministre a prescrit les
mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état
d’urgence sanitaire. Son article 37 prévoit que les magasins de vente, relevant de la catégorie M,
mentionnée par le règlement pris en application de l’article R. 123-12 du code de la construction
et de l’habitation, ne peuvent accueillir du public que pour leurs activités de livraison et de retrait
de commandes ou les activités suivantes : « Entretien, réparation et contrôle technique de
véhicules automobiles, de véhicules, engins et matériels agricoles ; – Commerce d’équipements
automobiles ; Commerce et réparation de motocycles et cycles ; Fourniture nécessaire aux
exploitations agricoles ; Commerce de détail de produits surgelés ; Commerce d’alimentation
générale ; Supérettes ; Supermarchés ; Magasins multi-commerces ; Hypermarchés ; Commerce
de détail de fruits et légumes en magasin spécialisé ; Commerce de détail de viandes et de
produits à base de viande en magasin spécialisé ; Commerce de détail de poissons, crustacés et
mollusques en magasin spécialisé ; Commerce de détail de pain, pâtisserie et confiserie en
magasin spécialisé ; Commerce de détail de boissons en magasin spécialisé ; Autres commerces
de détail alimentaires en magasin spécialisé ; Commerce de détail de carburants et combustibles
en magasin spécialisé, boutiques associées à ces commerces pour la vente de denrées
alimentaires à emporter, hors produits alcoolisés, et équipements sanitaires ouverts aux usagers
de la route ; Commerce de détail d’équipements de l’information et de la communication en
magasin spécialisé ; Commerce de détail d’ordinateurs, d’unités périphériques et de logiciels en
magasin spécialisé ; Commerce de détail de matériels de télécommunication en magasin
spécialisé ; Commerce de détail de matériaux de construction, quincaillerie, peintures et verres
en magasin spécialisé ; Commerce de détail de textiles en magasin spécialisé ; Commerce de
détail de journaux et papeterie en magasin spécialisé ; Commerce de détail de produits
pharmaceutiques en magasin spécialisé ; Commerce de détail d’articles médicaux et
orthopédiques en magasin spécialisé ; Commerces de détail d’optique ; Commerces de graines,
engrais, animaux de compagnie et aliments pour ces animaux en magasin spécialisé ; Commerce
de détail alimentaire sur éventaires sous réserve, lorsqu’ils sont installés sur un marché, des
dispositions de l’article 38 ; Commerce de détail de produits à base de tabac, cigarettes
électroniques, matériels et dispositifs de vapotage en magasin spécialisé ; Location et
location-bail de véhicules automobiles ; Location et location-bail d’autres machines,
équipements et biens ; Location et location-bail de machines et équipements agricoles ; Location
et location-bail de machines et équipements pour la construction ; Réparation d’ordinateurs et
de biens personnels et domestiques ; Réparation d’ordinateurs et d’équipements de
communication ; Réparation d’ordinateurs et d’équipements périphériques ; Réparation
d’équipements de communication ; Blanchisserie-teinturerie ; Blanchisserie-teinturerie de gros ;
Blanchisserie-teinturerie de détail ; Activités financières et d’assurance ; Commerce de gros.
(…) ».
4. D’autre part, aux termes de l’article L. 2542-2 du code général des collectivités
territoriales : « Le maire dirige la police locale. / Il lui appartient de prendre des arrêtés locaux
de police en se conformant aux lois existantes. ». Aux termes de l’article L. 2542-3 : « Les
fonctions propres au maire sont de faire jouir les habitants des avantages d’une bonne police,
notamment de la propreté, de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité dans les rues, lieux et
édifices publics. / Il appartient également au maire de veiller à la tranquillité, à la salubrité et à
la sécurité des campagnes. ». Aux termes de l’article L. 2542-4 : « Sans préjudice des
attributions du représentant de l’Etat (…) Le maire a également le soin : (…) 2° De prévenir par
des précautions convenables, et celui de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires,
les accidents et les fléaux calamiteux, tels que les incendies, les épidémies, les épizooties, en
provoquant aussi, dans ces deux derniers cas, l’intervention de l’administration supérieure. ».
5. Par les dispositions citées au point 2, le législateur a institué une police spéciale
donnant aux autorités de l’Etat mentionnées aux articles L. 3131-15 à L. 3131-17 du code de la
santé publique la compétence pour édicter, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, les
mesures générales ou individuelles visant à mettre fin à une catastrophe sanitaire telle que
l’épidémie de Covid-19, en vue, notamment, d’assurer, compte tenu des données scientifiques
disponibles, leur cohérence et leur efficacité sur l’ensemble du territoire concerné et de les
adapter en fonction de l’évolution de la situation.
6. Les articles L. 2542-2 et suivants du code général des collectivités territoriales,
applicables notamment dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin,
autorisent le maire, y compris en période d’état d’urgence sanitaire, à prendre les mesures de
police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques dans
sa commune. Le maire peut, le cas échéant, à ce titre, prendre des dispositions destinées à
contribuer à la bonne application, sur le territoire de la commune, des mesures décidées par les
autorités compétentes de l’Etat, notamment en interdisant, au vu des circonstances locales,
l’accès à des lieux où sont susceptibles de se produire des rassemblements. En revanche, la
police spéciale instituée par le législateur fait obstacle, pendant la période où elle trouve à
s’appliquer, à ce que le maire prenne au titre de son pouvoir de police générale des mesures
destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire, à moins que des raisons impérieuses liées à des
circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre,
ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de
l’Etat. Il s’ensuit qu’elle fait également obstacle à ce que le maire prenne des mesures de nature à
rendre moins rigoureuses celles que les autorités compétentes de l’Etat, dans le cadre de leurs
pouvoirs de police spéciale, ont édictées en vue de mettre fin à cette catastrophe sanitaire.
Sur la demande en référé :
7. En l’espèce, par arrêté du 31 octobre 2020 le maire de Colmar, faisant usage de ses
pouvoirs de police administrative générale, a autorisé l’ensemble des commerces non
alimentaires de vente au détail de la commune de Colmar à rouvrir à compter du 4 novembre
2020 au motif, d’une part, que la seule limitation des autorisations d’ouverture aux centres
commerciaux, supermarchés et hypermarchés aurait pour effet une concentration de la clientèle
dans ces établissements de nature à favoriser la propagation du virus et d’autre part, qu’une telle
situation, préjudiciable aux commerces non alimentaires de vente au détail, serait constitutive
d’une rupture d’égalité et d’une concurrence déloyale.
8. Ce faisant, l’arrêté en question méconnaît l’article 37 précité du décret du 29 octobre
2020 qui restreint l’accès du public aux seuls établissements proposant des activités considérées
comme essentielles, alors même qu’il résulte de ce qui a été dit au point 6, que d’une part le
législateur a entendu confier en priorité au Premier ministre, et plus généralement aux autorités
compétentes précitées de l’Etat, le soin de prendre, au titre de la police spéciale, les mesures
qu’exige la lutte contre l’épidémie de Covid-19 durant le temps de l’état d’urgence sanitaire et
que d’autre part cet arrêté municipal, qui aurait notamment pour effet d’étendre les motifs
permettant au public de quitter leur domicile, est susceptible de compromettre la cohérence,
l’efficacité et la lisibilité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’Etat.
9. Par ailleurs, les conditions d’une concurrence déloyale entre commerces résultant de
la mise en œuvre du décret du 29 octobre 2020 ne sauraient, par elles-mêmes, et en tout état de
cause, justifier l’assouplissement des mesures prises par le Premier ministre dans les
circonstances de l’espèce liées à l’urgence sanitaire actuelle.
10. Il résulte de tout ce qui précède que le moyen tiré de la méconnaissance du décret
n° 2010-1310 du 29 octobre 2020 est de nature, en l’état de l’instruction, à créer un doute sérieux
quant à la légalité de l’acte attaqué. Par suite, il y a eu lieu de suspendre l’exécution de l’arrêté
attaqué.
O R D O N N E :
Article 1er : L’exécution de l’arrêté du maire de Colmar du 31 octobre 2020 est suspendue.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée au préfet du Haut-Rhin et à la commune de
Colmar.
Fait à Strasbourg, le 3 novembre 2020.
Le juge des référés,
T. Gros
La République mande et ordonne au préfet du Haut-Rhin en ce qui le concerne ou à tous
huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties
privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
G. Trinité
TA Strasbourg, 3 novembre 2020, Préfet du Haut-Rhin, requête numéro 2006788
Citer : Revue générale du droit, 'TA Strasbourg, 3 novembre 2020, Préfet du Haut-Rhin, requête numéro 2006788, ' : Revue générale du droit on line, 2020, numéro 64286 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=64286)
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