REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu, enregistrée à son secrétariat le 9 juin 1994, la lettre par laquelle le ministre d’Etat, garde des sceaux, ministre de la justice a transmis au tribunal le dossier opposant M. Diaz-canete au préfet de la Gironde devant le tribunal de grande instance de Bordeaux ;
Vu le déclinatoire présenté le 14 janvier 1994 par le préfet de la Gironde tendant à voir déclarer la juridiction de l’ordre judiciaire incompétente pour statuer sur l’exécution forcée d’un arrêté de reconduite à la frontière ;
Vu l’ordonnance de référé, en date du 9 février 1994, du président du tribunal de grande instance de Bordeaux rejetant le déclinatoire de compétence et constatant notamment l’existence d’une voie de fait administrative ;
Vu, enregistré le 2 décembre 1994, le mémoire présenté pour M. X… par la SCP Waquet, Farge, Hazan et tendant à l’annulation de l’arrêté de conflit ;
Vu, enregistré le 5 décembre 1994, le mémoire présenté par le ministre d’Etat, ministre de l’intérieur, tendant à la confirmation de l’arrêté de conflit ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Vu l’ordonnance du 1er juin 1828 modifiée ;
Vu le décret du 26 octobre 1849, complété par la décret du 25 juillet 1960 ;
Vu l’ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Culié, membre du tribunal,
– les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. X…,
– les conclusions de M. Ph. Martin, commissaire du gouvernement ;
Considérant que le 16 décembre 1993, José Luis X…, de nationalité chilienne, a été embarqué d’office dans un avion à destination de Santiago-du-Chili, en exécution d’un arrêté de reconduite à la frontière pris le 14 décembre 1993 par le préfet de la Gironde et notifié le jour-même à 14 h 30, sans attendre que le président du tribunal administratif ait statué sur le recours en annulation formé par l’intéressé le 15 décembre 1993 à 21 h 29 ;
Considérant que, saisi par M. X… d’une assignation tendant à voir constater l’existence d’une voie de fait et ordonner la délivrance d’une autorisation provisoire de séjour, le président du tribunal de grande instance de Bordeaux, statuant en référé suivant ordonnance du 9 février 1994, a fait droit au premier chef de la demande, en relevant que l’embarquement de l’intéressé, malgré l’effet suspensif de son recours, constituait une atteinte caractérisée à une liberté fondamentale, celle d’aller et venir, reconnue par la Constitution, ainsi qu’une violation des droits de la défense devant le juge administratif ;
Sur la procédure de conflit :
Considérant, d’une part, qu’il résulte des pièces du dossier que l’ordonnance entreprise ayant été reçue à la préfecture le 2 mars 1994, l’arrêté de conflit est parvenu au greffe du tribunal de grande instance le 16 mars 1994, dans le délai de quinzaine prévu par les articles 8 et 11 de l’ordonnance du 1er juin 1828 ; que la procédure d’élévation du conflit est donc régulière ;
Considérant, d’autre part, que, selon l’article 8 du texte précité, la juridiction judiciaire qui rejette un déclinatoire de compétence opposé par l’autorité administrative doit surseoir à statuer pendant le délai laissé au préfet pour, s’il l’estime opportun, élever le conflit ; qu’il s’ensuit que l’ordonnance du président du tribunal de grande instance de Bordeaux du 9 février 1994, statuant au fond par la même décision que celle qui écarte le déclinatoire de compétence présenté le 14 janvier 1994, doit être déclarée sur ce point nulle et non avenue ;
Sur la compétence :
Considérant que s’il est de principe que l’exécution forcée par l’administration de ses propres décisions constitue une voie de fait, il en est autrement lorsqu’une disposition législative autorise expressément une telle exécution ;
Considérant qu’il résulte de l’article 22 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945 qu’un arrêté de reconduite à la frontière ne peut être exécuté avant l’expiration d’un délai de 24 heures suivant sa notification ou, si le président du tribunal administratif est saisi, avant qu’il n’ait statué ; que cependant, l’article 26 bis du même texte précise qu’un arrêté de cette nature peut être exécuté d’office par l’administration s’il n’a pas été contesté devant le président du tribunal administratif dans le délai prévu à l’article 22 bis précité ;
Considérant qu’en l’espèce, le recours en annulation de M. X… n’ayant pas été formé dans les 24 heures de la notification de l’arrêté préfectoral, l’administration, qui en avait d’ailleurs soulevé pour ce motif l’irrecevabilité devant le juge administratif, a légalement exécuté sa décision ;
D’où il suit que la voie de fait alléguée n’est pas constituée et que c’est à bon droit que le conflit a été élevé ;
Article 1er : L’arrêté de conflit pris le 16 mars 1994 par le préfet de la Gironde est confirmé.
Article 2 : Sont déclarées nulles et non avenues la procédure engage par M. X… contre le préfet de la Gironde devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Bordeaux et la décision de cette juridiction en date du 9 février 1994.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre d’Etat, garde des sceaux, ministre de la justice, qui est chargé d’en assurer l’exécution.