Contexte : Au terme d’une motivation surprenante évoquant a priori un bouleversement des principes régissant la preuve d’une faute médicale, la première chambre civile reproche, dans cet arrêt du 13 décembre 2012, à des juges du fond d’avoir inversé la charge de la preuve qu’au cours de la période où le rythme fœtal n’a pas été enregistré, aucun événement nécessitant l’intervention du médecin-obstétricien n’était survenu.
Litige : Le 17 juin 1994, une femme accouche de son premier enfant par césarienne réalisée en urgence. Il s’agit d’une fille née dans un état d’hypoxie avancée et qui demeure atteinte de graves séquelles. Ses parents, en leur nom personnel et au nom de leur fille, recherchent la responsabilité du médecin-obstétricien, de la sage-femme ayant participé à l’accouchement et du centre hospitalier privé. Les premiers juges et la Cour d’appel de Lyon les déboutent de leur action. Ils se pourvoient en cassation en reprochant à l’arrêt attaqué d’avoir rejeté leurs demandes en responsabilité à l’encontre du centre hospitalier.
Solution : La première chambre civile casse l’arrêt en énonçant, après avoir visé les articles 1315 et 1147 du Code civil :
« que, pour rejeter les demandes de M. et Mme X…, agissant tant en leur nom personnel qu’au nom de leurs filles mineures, tendant à engager la responsabilité du Centre hospitalier privé de la Loire, venant aux droits de la Clinique Michelet, à la suite des graves séquelles dont leur fille Sonia, née par césarienne dans cet établissement le 17 juin 1994, dans un état d’hypoxie avancée, demeure atteinte, l’arrêt retient tout d’abord que l’absence de tracé du rythme cardiaque fœtal entre 14 heures 33 et 14 heures 38, ne permettait pas de connaître l’état fœtal pendant cette période, puis que les enregistrements entre 14 heures 38 et 14 heures 48, d’interprétation particulièrement difficile, révélaient des alternances de ralentissement du rythme cardiaque et des retours à la normale, que le rythme était considéré comme pathologique entre 14 heures 45 et 14 heures 52, avec une bradycardie majeure et une perte des oscillations apparaissant à 14 heures 54 et se poursuivant jusqu’à 15 heures 01, que le gynécologue avait alors immédiatement été appelé, et que l’enfant était née par césarienne à 15 heures 10, ce qui est un délai particulièrement rapide après le diagnostic ;
Qu’en statuant ainsi, alors que, faute d’enregistrement du rythme fœtal pendant plusieurs minutes, il incombait à la clinique d’apporter la preuve qu’au cours de cette période, n’était survenu aucun événement nécessitant l’intervention du médecin obstétricien, la cour d’appel a inversé la charge de la preuve en violation des textes susvisés »
Analyse : Il faut rappeler qu’avant comme après la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 non applicable au litige compte tenu de la date des faits litigieux, la charge de la preuve d’une faute d’un professionnel de santé ou d’un établissement de soins pèse sur la victime qui l’invoque.
S’agissant d’un fait juridique, cette preuve peut être rapportée par tous moyens, y compris par présomptions déduites d’indices graves, précis et concordants de l’article 1353 du Code civil. Si la qualification juridique des faits relève du contrôle de la Cour de cassation, , la réalité de ces derniers relève en revanche de l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. 2e civ., 16 juill. 1953 : JCP G 1953, II, 7792, note R. Rodière).
Ce qui surprend, dans la présente décision, c’est le visa de l’article 1315 du Code civil dont il est communément admis qu’il fixe les principes régissant la charge de la preuve, tant en matière contractuelle qu’en matière délictuelle.
Après avoir énoncé que la Cour d’appel a violé ce texte, la première chambre civile retient qu’il incombait à la clinique d’apporter la preuve qu’au cours de la période où le rythme fœtal n’a pas été enregistré, aucun événement nécessitant l’intervention du médecin-obstétricien n’était survenu.
Il serait bien hâtif d’en déduire que la Cour de cassation entend désormais présumer la faute des établissements de santé lesquels devraient, pour s’exonérer, démontrer qu’ils ont dispensé des soins conformes aux données acquises de la science.
Sans doute faut-il considérer que la portée de l’arrêt est plus modeste, en ce que la Cour de cassation considère tout simplement que le défaut de surveillance constant de la parturiente caractérisait un manquement de la clinique à ses obligations.
En effet, la Cour de cassation a relevé que l’enregistrement du rythme cardiaque fœtal a été interrompu pendant 5 minutes, à un moment où il présentait des anomalies depuis près de deux heures et, surtout, à une période qui précède des enregistrements pathologiques puisque, dès la reprise de l’enregistrement, le rythme cardiaque fœtal présentait des anomalies majeures justifiant une extraction rapide.
En ayant interrompu l’enregistrement pendant plusieurs minutes, l’établissement de santé ne justifie pas de l’exécution de son obligation de surveillance par un enregistrement permanent du rythme cardiaque du fœtus au moyen du monitoring. Autrement dit, la clinique ne justifie pas du fait ayant produit l’extinction de son obligation, dont la preuve lui incombe en application de l’alinéa 2 de l’article 1315 du Code civil.
Si tel est le message que la Cour de cassation a voulu ici délivrer, peut-être eut-il été plus clair de juger que la Cour d’appel a violé le seul article 1147 du Code civil en ne tirant pas les conséquences légales de ses propres constatations.